Contexte : Dans une décision rendue le 12 mars 2019, le Conseil d’État retient que la faute d’un centre hospitalier ayant annoncé tardivement le décès du patient a nécessairement causé à son épouse et ses deux fils une souffrance morale distincte du préjudice d’affection.
Litige : Le 14 novembre 2009, un patient âgé de 83 ans est admis au service des urgences du centre hospitalier du pays d’Aix pour des difficultés respiratoires. Le lendemain, à 7h45, son décès est constaté par une infirmière qui n’informe pas sa famille. En début d’après-midi, son fils, qui se rend sur place pour lui rendre visite, apprend que son père est décédé et qu’il a déjà été transporté à la morgue. Les proches du défunt saisissent le juge administratif. Leur demande en réparation est rejetée en première instance ainsi qu’en appel au motif que les demandeurs n’établissent pas l’existence de préjudices que ce retard leur aurait directement causés. Le Conseil d’État est saisi d’un pourvoi en cassation.
Solution : Le Conseil d’État annule l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Marseille au motif que :
« Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le décès de M. A…, survenu dans la nuit du 14 au 15 novembre 2009, n’a été annoncé à sa famille que le 15 novembre 2009 en début d’après-midi, lorsque son fils, qui s’était rendu sur place pour lui rendre visite, en a été informé par une infirmière, qui l’a également informé que le corps de son père avait déjà été transporté à la morgue. Si la cour a retenu que le centre hospitalier du pays d’Aix avait commis une faute en annonçant tardivement le décès du patient à sa famille, elle a jugé que les requérants n’établissaient pas l’existence de préjudices que ce retard leur aurait directement causés. En statuant ainsi, alors que l’épouse du défunt ainsi que ses deux fils avaient nécessairement éprouvé, du fait du manque d’empathie de l’établissement et du caractère tardif de cette annonce, une souffrance morale distincte de leur préjudice d’affection, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ».
Analyse : La position du Conseil d’État mérite d’être saluée à un double titre.
En premier lieu, le Conseil d’État rappelle opportunément qu’à côté des devoirs du centre hospitalier en matière de soins, il existe des devoirs d’humanisme dont le respect s’impose avec la même force.
En effet, l’article R. 4127-2 du code de la santé publique (article 2 du code de déontologie médicale) dispose en son alinéa 1er que :
« Le médecin, au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité ».
Ce devoir s’impose évidemment au médecin, qu’il exerce en milieu hospitalier ou en secteur libéral, mais également à l’ensemble des soignants, quel que soit leur statut.
En l’occurrence, même si les circonstances de fait sont peu développées dans l’arrêt, il apparaît totalement inadmissible de ne pas informer dès son constat le décès d’un patient à sa famille. L’âge du défunt ne constitue évidemment pas un excuse recevable, le décès étant toujours vécu comme un drame pour les proches.
Même si l’arrêt ne le dit pas, on imagine aisément que le fait que le décès ait été constaté à 7h45 le lendemain d’une hospitalisation au service des urgences la veille au soir pour des difficultés respiratoires, n’est pas sans lien avec les atermoiements de l’infirmière qui a sans doute voulu préalablement avertir l’autorité hiérarchique.
En second lieu, et c’est là l’apport le plus original de la décision, le Conseil d’État admet l’existence d’un préjudice moral distinct du préjudice d’affection pour les victimes par ricochet.
Le rapport Dintilhac définit le préjudice d’affection comme celui visant à réparer le préjudice moral subi par certains proches de la victime du fait de son décès.
Il précise que, le cas échéant, « le retentissement pathologique de la maladie de la victime directe sur un de ses proches est appréhendé de façon autonome par les différents postes de préjudice de la nomenclature » (rapport p. 45).
Ce faisant, le rapport admet, qu’en plus de la peine résultant de la perte d’un être cher, une victime par ricochet puisse être personnellement atteinte, que ce soit sur le plan physiologique ou psychologique. La Cour de cassation admet ainsi l’indemnisation de l’atteinte à l’intégrité psychique subi par un proche d’une victime directe en plus de son préjudice d’affection (Cass. 2e civ., 18 janvier 2018, n° 16-28.392).
En l’espèce, les proches du défunt ont non seulement souffert de la perte d’un être cher, laquelle apparaît sans lien avec les conditions de sa prise en charge, mais ont été meurtris par l’annonce tardive du décès et le manque d’empathie du personnel hospitalier. Ce dernier poste de préjudice s’analyse en une souffrance morale qui est bien en rapport de causalité avec la faute du centre hospitalier et doit par conséquent donner lieu à réparation.