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Comment s’opère la récupération des aides d’État non notifiées mais jugées compatibles par la commission ? – Conclusions sous CE, 18 mars 2020, Région Île-de-France, n° 396651

Extrait du Bulletin juridique des collectivités locales, juin 2020, p. 424.

Citer : Laurent Cytermann, 'Comment s’opère la récupération des aides d’État non notifiées mais jugées compatibles par la commission ? – Conclusions sous CE, 18 mars 2020, Région Île-de-France, n° 396651, Extrait du Bulletin juridique des collectivités locales, juin 2020, p. 424. ' : Revue générale du droit on line, 2020, numéro 68777 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=68777)


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Décision(s) commentée(s):
  • CE, 18 mars 2020, Région Île-de-France, requête numéro 396651

Les règles de répartition des compétences entre les juridictions nationales et la Commission européenne en matière d’aides d’État1 peuvent conduire à ce que la procédure devant les juridictions nationales se déroule pendant que le régime d’aides litigieux est en cours d’examen par la Commission. Les affaires qui viennent d’être appelées vous conduiront à examiner les conséquences de l’intervention de la décision de la Commission à l’issue d’une longue procédure devant les juridictions françaises, tant en ce qui concerne la légalité du régime d’aides que les obligations de la collectivité publique concernant la récupération.

Des délibérations successives de 1994, 1998 et 2001 de la région Île-de-France ont instauré puis modifié un dispositif d’aide pour l’amélioration des services de transport régulier de voyageurs par autobus exploités par des entreprises privées ou en régie par des collectivités publiques. Ce dispositif consistait en des subventions destinées à favoriser l’acquisition de véhicules neufs en contrepartie d’améliorations quantitatives ou qualitatives du service. La subvention devait être demandée par la collectivité publique maître d’ouvrage et reversée à l’entreprise exploitante si celle-ci finançait l’investissement. Ce dispositif a bénéficié à 135 entreprises entre 1994 et 2008, date de son abrogation.

Le syndicat autonome des transports de voyageurs (SATV) a écrit le 3 mai 2004 à la région pour lui demander d’abroger ces trois délibérations et a saisi le tribunal administratif de Paris d’une demande d’annulation de la décision de refus qui lui a été opposée. Cette décision a été annulée par un jugement de ce tribunal du 10 juillet 2008, au motif que ces délibérations avaient créé un régime d’aides d’État non notifié à la Commission européenne. Le jugement a été confirmé par un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 12 juillet 2010, lui-même confirmé par votre formation de jugement2. Des entreprises bénéficiaires de ces aides ont formé une tierce opposition contre l’arrêt du 12 juillet 2010, rejetées par quatre arrêts de la même cour du 27 novembre 2015, celle-ci s’étant prononcée sur le terrain du bien-fondé des requêtes en réservant la question de leur recevabilité. C’est contre ces quatre arrêts que sont dirigés les quatre premiers pourvois dont vous êtes saisis, que nous examinerons conjointement.

Par ailleurs, à la suite du jugement du tribunal administratif de Paris, la société Autocars R. Suzanne et le SATV ont à nouveau saisi ce tribunal pour obtenir notamment qu’il soit mis fin au versement des aides et que l’ensemble des sommes versées soient restituées. Par un jugement du 4 juin 2013, le tribunal a fait droit aux conclusions d’annulation du refus de récupérer les aides versées et enjoint à la région d’émettre des titres exécutoires permettant la récupération des aides versées. Par un dernier arrêt du 27 novembre 2015, la cour a annulé partiellement le jugement pour irrégularité mais a confirmé sur le fond l’annulation et l’injonction de récupération, en précisant que la région doit d’abord déterminer, pour chaque entreprise bénéficiaire les montants devant être restitués en tenant compte de la nature des investissements subventionnés et du type d’activité de transport ayant été exercée, puis procéder à l’émission de titres exécutoires. C’est l’arrêt attaqué par le pourvoi de la région Île-de-France.

1. Commençons par le litige relatif au refus de la région d’abroger le régime d’aides

Compte tenu du motif d’annulation retenu par le tribunal dans son jugement du 10 juillet 2008, le débat contentieux porte entièrement sur la question de savoir si les délibérations litigieuses ont créé un régime d’aides d’État. Or, au cours de l’instance devant vous, la Commission européenne s’est prononcée par une décision du 2 février 20173. Elle a considéré qu’il était constitutif d’un régime d’aides d’État, qui avait donc été illégalement mis à exécution par la France entre 1994 et 2008. Sur le fondement de l’article 107.3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)4, elle l’a cependant déclaré compatible avec le marché intérieur, en tenant compte des difficultés de transport en Île-de-France et de l’objectif d’intérêt commun que constitue le transfert modal du véhicule individuel vers les moyens de transport collectif. Cette décision a été confirmée par le Tribunal de l’Union européenne, qui a rejeté les recours de plusieurs sociétés bénéficiaires par cinq arrêts du 12 juillet 20195. Ces arrêts n’ont pas été frappés de pourvoi.

Une chose est certaine : il est exclu qu’à l’issue de votre décision à venir, le juge national puisse juger que les délibérations contestées n’ont pas instauré un régime d’aides d’État. En effet, selon une jurisprudence constante de la CJUE « tandis que l’appréciation de la compatibilité de mesures d’aide avec le marché intérieur relève de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle des juridictions de l’Union, les juridictions nationales veillent à la sauvegarde, jusqu’à la décision finale de la Commission, des droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle, par les autorités étatiques, de l’interdiction visée à l’article 108, paragraphe 3, TFUE », c’est-à-dire de l’interdiction de mettre une aide à exécution avant que la Commission ne se soit prononcée6. Le rôle dévolu aux juridictions nationales pour se prononcer sur l’existence d’une aide d’État ne vaut donc que jusqu’à l’intervention de la décision de la Commission. Une fois celle-ci rendue, elle s’impose à l’État destinataire en vertu du principe de primauté de droit de l’Union. La CJUE rappelle qu’en vertu de l’article 288 du TFUE, les décisions des institutions de l’Union « sont obligatoires dans tous leurs éléments pour les destinataires qu’elles désignent » et que « ce caractère obligatoire s’impose à tous les organes de l’État destinataire, y compris à ses juridictions »7.

Si l’issue du litige est donc certaine, le chemin logique pour y parvenir n’est pas évident, dès lors que la Commission n’avait pas rendu sa décision à la date à laquelle la cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée.

1.1. Une première voie envisageable serait de considérer que la décision de la Commission a modifié l’état du droit ex tunc, à compter de l’instauration du régime d’aides sur lequel elle s’est prononcée. Dès lors, cette décision se serait imposée à la cour et excluait qu’elle rejette le recours du SATV contre la décision de refus d’abrogation de la région. Ce motif de pur droit pourrait être substitué en cassation à ceux retenus par la cour pour rejeter les tierces oppositions.

Plusieurs arguments nous conduisent cependant à écarter cette solution. Tout d’abord, elle impliquerait de reconnaître une portée rétroactive à la décision de la Commission. Or la CJUE considère que « le principe de sécurité juridique s’oppose à ce que le point de départ de l’application dans le temps d’un acte de l’Union soit fixé à une date antérieure à celle de sa publication, sauf lorsque, à titre exceptionnel, le but à atteindre l’exige et que la confiance légitime des intéressés est dûment respectée »8. Elle n’a jamais reconnu d’exception à ce principe en matière d’aides d’État.

Ensuite, la reconnaissance d’une portée rétroactive n’est en rien nécessaire pour atteindre le but fixé par le traité en ce domaine. La décision de la Commission déclarant une aide d’État illégale et/ou incompatible avec le marché intérieur implique la récupération par l’État membre des aides indûment versées. Mais cette récupération n’est pas assimilable à la remise en cause rétroactive des décisions attributives de l’aide. Les mesures prises par l’État membre pour procéder à la récupération tirent seulement les conséquences pour l’avenir de la décision de la Commission. Un arrêt A2A SpA de la CJUE9 est particulièrement éclairant à cet égard. Était en cause l’application d’une loi italienne définissant le mode de calcul des intérêts pour la récupération d’aides d’État indûment versées à des aides attribuées avant son adoption. La CJUE a jugé qu’en « prévoyant l’application d’intérêts composés pour la récupération des aides déclarées incompatibles avec le marché commun […], le décret-loi n° 185/2008 n’a aucun effet rétroactif et se borne à appliquer une réglementation nouvelle aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la réglementation antérieure »10. Elle considère donc que la récupération d’aides incompatibles consiste à tirer les conséquences futures occasionnées par la décision de la Commission et que les règles de droit introduites postérieurement à l’attribution de l’aide mais antérieurement à sa récupération sont applicables.

Enfin, vous jugez qu’une décision postérieure à un arrêt de cour ou qui n’avait pas été invoquée devant celle-ci n’impose de le remettre en cause que lorsque cette décision est revêtue de l’autorité absolue de la chose jugée11. Le raisonnement nous paraît devoir être symétrique lorsqu’il s’agit de faire intervenir une décision postérieure à l’arrêt attaqué non pas pour le remettre en cause, mais pour le confirmer par la voie de la substitution de motifs en cassation. Et en dépit de la force obligatoire reconnue par les traités et la jurisprudence de la CJUE aux décisions de la Commission en matière d’aide d’État, cela ne vous impose pas d’assimiler celles-ci, qui n’émanent pas d’une juridiction, aux décisions juridictionnelles revêtues de l’autorité absolue de la chose jugée. Pour le dire autrement, nous ne sommes pas favorables à la reconnaissance, qui serait inédite, d’une « autorité absolue de la chose décidée ».

1.2. Vous jugerez en revanche qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les pourvois des entreprises bénéficiaires des aides, en raison de l’intervention en cours d’instance de cette décision de la Commission.

Nous n’avons pas trouvé de précédent pour une telle hypothèse de non-lieu en cassation mais cette solution nous paraît la plus logique dès lors qu’il est désormais exclu que les tiers opposants puissent avoir gain de cause. D’une part, l’acte de la Commission s’impose à vous et si vous cassiez les arrêts attaqués, vous vous prononceriez sur la légalité des délibérations dont l’abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de votre décision, incorporant donc cet acte12. D’autre part, la décision de la Commission n’est plus susceptible d’être remise en cause par la voie d’une question préjudicielle en appréciation de validité. Cette voie de contestation est en effet fermée aux bénéficiaires d’une aide qui auraient pu attaquer la décision directement devant la CJUE et ont laissé s’écouler le délai de recours de deux mois prévu par l’article 263 du TFUE13. Un rapprochement peut être fait avec le non-lieu pour ratification de l’ordonnance contestée14. Dans cette configuration, le litige n’a pas à proprement parler perdu son objet car le requérant n’a pas obtenu satisfaction, mais il ne peut plus être utilement poursuivi devant la juridiction administrative.

Le juge national n’étant compétent pour se prononcer sur l’existence d’une aide d’État que « jusqu’à la décision finale de la Commission », lorsque cette décision est intervenue et que sa validité ne peut plus être contestée, le litige ne peut plus être utilement poursuivi devant lui.

2. Venons-en maintenant au pourvoi de la région Île-de-France relatif à la récupération des aides

2.1. Si la région demande l’annulation de la totalité de l’arrêt, vous regarderez son pourvoi comme dirigé uniquement contre ses articles 3 à 6, qui sont les seuls lui faisant grief15. Vous admettrez la recevabilité des interventions des sociétés TMM, cars Hourtoule et Daniel Meyer Transports, qui ont été bénéficiaires des aides litigieuses, et de l’association Optile, qui regroupe les entreprises exploitant des services réguliers de transport routier de voyageurs ; celles-ci justifient en effet d’un intérêt suffisant à l’annulation de l’arrêt16. Vous accueillerez le moyen tiré de l’erreur de droit à avoir jugé que la région devait récupérer les aides sans rechercher si, dans l’attente de la décision de la Commission européenne sur la compatibilité du dispositif d’aides avec le marché commun, cette récupération ne devait pas présenter un caractère provisoire. En effet, la CJUE juge que lorsque la Commission a déclaré une aide compatible avec le marché intérieur, le juge national n’est tenu par le droit de l’Union européenne d’ordonner au bénéficiaire de l’aide que le paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité, et non le remboursement de l’aide elle-même17. Dans une telle configuration, l’avantage indu perçu par le bénéficiaire d’une aide illégalement mise à exécution consiste seulement « dans le non-versement des intérêts qu’il aurait acquittés sur le montant en cause de l’aide compatible, s’il avait dû emprunter ce montant sur le marché dans l’attente de la décision de la Commission »18. Et dans l’attente de cette décision de la Commission, l’intervention du juge national ne présente qu’un caractère conservatoire. S’il doit ordonner la récupération d’une aide versée sans avoir été notifiée préalablement, cette récupération présente nécessairement un caractère provisoire puisqu’une décision positive ultérieure de la Commission est susceptible de permettre à l’entreprise de conserver le bénéfice de l’aide pour le principal. Comme l’indique le pourvoi, la Commission ne peut elle-même qu’enjoindre une récupération provisoire jusqu’à ce qu’elle se soit prononcée sur la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur19.

Devant la cour, la région avait fait valoir qu’une procédure d’examen du régime d’aide par la Commission était pendante. En jugeant, pour justifier l’annulation de la décision de la région refusant de procéder à la récupération, que l’illégalité de la mise à exécution des aides impliquait leur restitution par les entreprises bénéficiaires, sans préciser que cette restitution présentait un caractère provisoire, la cour a commis une erreur de droit. Ce moyen entraîne l’annulation totale de l’arrêt dans la mesure demandée par la région.

2.2. Compte tenu de l’ancienneté de l’affaire, vous procéderez à un règlement au fond. L’annulation du jugement de première instance pour irrégularité n’étant pas remise en cause, vous statuerez après évocation sur les conclusions du SATV et de la société Autocars R. Suzanne tendant à l’annulation de la décision de la région refusant de procéder à la récupération des aides et à ce qu’il lui soit enjoint d’y procéder.

2.2.1. Vous écarterez la fin de non-recevoir de la région tirée de ce que le SATV et la société Autocars R. Suzanne auraient en réalité demandé l’exécution du premier jugement du tribunal administratif de Paris du 10 juillet 2008 sur le fondement de l’article L. 911-4 du code de justice administrative et que leurs conclusions tendant à la récupération des aides versées relèveraient d’un litige distinct de cette exécution. Il vous suffira de relever que les requérants ont écrit à la région le 2 octobre 2008 pour lui adresser différentes demandes dont celle de procéder à la récupération des aides, et qu’ils étaient donc recevables à contester par la voie de l’excès de pouvoir la décision implicite de rejet qui leur a été opposée.

2.2.2. Vous statuerez donc en tant que juge de l’excès de pouvoir sur cette demande d’annulation. Le seul effet utile d’une telle annulation réside dans l’obligation, qu’il vous est demandé de prescrire sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, de procéder à la récupération des aides. Dès lors, vous êtes dans une configuration analogue à celle ayant donné lieu à vos décisions Association des Américains accidentels, Mme X20 et Confédération paysanne et autres21, selon lesquelles le juge de l’excès de pouvoir doit alors se prononcer au regard des règles de droit applicables à la date de sa décision, et non à la date de la décision attaquée. Vous vous prononcerez donc au vu de l’état du droit résultant de la décision de la Commission européenne du 2 février 2017. En conséquence, l’ensemble des moyens en défense présentés par la région et tirés de ce que ses délibérations n’auraient pas instauré un régime d’aides d’État ou auraient été dispensées de notification préalable ne peuvent qu’être écartés, toute contestation sur ces points ayant été fermée par la décision de la Commission, qui ne peut plus faire l’objet d’une question préjudicielle en appréciation de validité pour les raisons que nous avons indiquées.

Reste l’invocation par la région de circonstances exceptionnelles faisant obstacle à la récupération. Elles sont de trois ordres : la confiance légitime qui aurait été placée par les bénéficiaires dans le caractère régulier des aides ; le fait que les subventions aient été accordées pendant une période particulièrement longue de 14 ans, à plus de 150 collectiités et pour un montant supérieur à 263 millions d’euros ; la difficulté de procéder à la récupération, compte tenu de ce temps écoulé, des multiples évolutions structurelles connues par les bénéficiaires des aides et de l’application des règles de minimis et de prescription.

L’invocation de tels arguments est courante dans les contentieux de récupération des aides d’État, ce qui ne manque pas d’étonner tant leur inefficacité est depuis longtemps avérée. Selon une jurisprudence constante de la CJUE les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure de notification22. En outre, le seul motif pouvant justifier l’absence de récupération consiste dans une impossibilité absolue d’y procéder23. Comme le résume la Commission dans une communication interprétative, la CJUE refuse systématiquement d’admettre que des difficultés administratives ou techniques, liées par exemple au très grand nombre de bénéficiaires concernés, puissent constituer une impossibilité absolue24.

Vous annulerez donc la décision refusant de procéder à la récupération des aides.

2.2.3. Vous statuerez enfin sur les conclusions à fin d’injonction. Si une injonction de récupération doit bien être prononcée, plusieurs précisions ou restrictions doivent être apportées.

Tout d’abord, le calcul des montants à récupérer doit être effectué de manière individualisée, entreprise par entreprise, et il n’est pas exclu par principe qu’en fonction de l’ensemble des éléments pertinents, il puisse être égal à zéro25. Ensuite, pour les raisons déjà indiquées, la récupération ne doit porter que sur les intérêts que chaque entreprise aurait acquittés si elle avait dû emprunter sur le marché le montant de sa subvention entre la date à laquelle elle lui a été versée et celle de la décision de la Commission européenne, c’est-à-dire le 2 février 2017. Ces intérêts doivent être calculés selon les modalités prévues par l’article 9 du règlement (CE) n° 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 concernant la mise en œuvre du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Enfin, il conviendra de tenir compte au cas par cas de ce que les sommes versées par la région à la collectivité locale responsable du service de transport ait pu être compensée en tout ou partie par une réduction de la subvention versée par cette collectivité locale à l’entreprise bénéficiaire.

Il n’y a pas lieu de tenir compte dans cette injonction de la prescription invoquée par certains intervenants. Comme le Tribunal de l’Union européenne l’a jugé, dès lors que la Commission a constaté la compatibilité du régime d’aides avec le marché intérieur, ce sont les règles de droit national qui s’appliquent à la prescription des intérêts, et non le délai de prescription de dix ans prévu par l’article 17 du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015 portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Est donc applicable la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du code civil. Toutefois, la prescription ne pourra être invoquée le cas échéant que par chaque entreprise bénéficiaire de l’aide dans le cadre du litige individuel relatif à la récupération des intérêts et ne peut faire obstacle à l’obligation générale de récupération qui incombe à la région26.

Par ces motifs, nous concluons :

–          à ce qu’il n’y ait pas lieu de statuer sur les pourvois n° 395980, 396454, 396575, 396587 ;

–          à ce que vous admettiez la recevabilité des interventions des sociétés TMM, cars Hourtoule et Daniel Meyer Transports et de l’association Optile ;

–          à l’annulation des articles 3 à 6 de l’arrêt du 27 novembre 2015 de la cour administrative d’appel de Paris relatif à la récupération des aides ;

–          dans le cadre du règlement au fond, à l’annulation de la décision de la région de ne pas procéder à la récupération et à ce qu’il lui soit enjoint de récupérer les intérêts correspondant aux aides versées jusqu’à la décision de la Commission du 2 février 2017 ;

–          à ce qu’il soit mis à la charge de la région le versement au SATV et à la société Autocars R. Suzanne d’une somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

–          au rejet des autres conclusions présentées sur ce fondement. ■

  1. Sur cette répartition, cf. par exemple CE 15 avril 2016, Association Vent de colère ! – Fédération nationale, n° 393721 : Rec., p. 138. [↩]
  2. CE 23 juillet 2012, Région Île-de-France, n° 343440 : Rec., T., p. 600. [↩]
  3. Décision concernant les régimes d’aides SA.26763 2014/C (ex 2012/NN) mis à exécution par la France en faveur des entreprises de transport par autobus dans la Région Île-de-France. [↩]
  4. Qui stipule que « peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur […] c) les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun ». [↩]
  5. T-289/17, 291/17, 292/17, 309/17 et 330/17. [↩]
  6. Cf. notamment 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa AG, C-284/12, §28 et CE 15 avril 2016, Association Vent de colère ! Fédération nationale, n° 393721 : au Recueil. [↩]
  7. Cf. sur ce point 21 mai 1987, Albako Margarinefabrik, C-249/85, §17. [↩]
  8. 22 décembre 2010, Bavaria NV, C-120/08, §40. [↩]
  9. 3 septembre 2015, C-89/14. [↩]
  10. §40. [↩]
  11. Cf. notamment, s’agissant d’une décision de cassation d’un jugement d’annulation pour excès de pouvoir, CE S. 30 septembre 2005, Commune de Beausoleil, n° 258873 : Rec. p. 410 ; CE Ass. 13 mai 2011, Mme M’Rida, n° 316734 : Rec.,       p. 211, s’agissant d’une décision du Conseil constitutionnel abrogeant des dispositions législatives à la suite d’une QPC. [↩]
  12. CE Ass. 19 juillet 2019, Association des Américains accidentels, n° 424216 : Rec., p. 296. [↩]
  13. Cf. CJCE 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf GmbH, C-188/92 ; 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines contre Commission, C-15/98 ; CE 15 février 2019, Ministre de l’Agriculture et de l’alimentation c/ société Compagnie des pêches de Saint-Malo, n° 411507, Inédit. [↩]
  14. CE 8 décembre 2000, Hoffer et autres, n° 199072 : Rec., p. 584. [↩]
  15. L’article 1er admet la recevabilité d’interventions en demande et l’article 2 annule le jugement du tribunal administratif en tant qu’il était défavorable à la région. [↩]
  16. Cf. sur ce critère de recevabilité de l’intervention en cassation, CE S. 25 juillet 2013, OFPRA, n° 350661 : Rec. p. 224. [↩]
  17. Grande chambre, 12 février 2008, CELF, C-199/06. [↩]
  18. §51. [↩]
  19. Cf. l’article 11.2 du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE. [↩]
  20. CE 16 décembre 2019, n° 391000 : Rec., T., p. 750. [↩]
  21. CE 7 février 2020, n° 388649 : à paraître au Recueil. [↩]
  22. Cf. notamment CJCE 29 avril 2004, République italienne c/ Commission, C-91/01, §65. [↩]
  23. Cf. CJCE 26 juin 2003, Commission c/ Royaume d’Espagne, C-404/00, §45. [↩]
  24. « Communication de la Commission – Vers une mise en œuvre effective des décisions de la Commission enjoignant aux États membres de récupérer les aides d’État illégales et incompatibles avec le marché commun », JO C272, 15.11.2007, p. 4–17. [↩]
  25. CJUE 13 février 2014, Mediaset SpA, C-69/13. [↩]
  26. Cf. sur ce point CE 20 décembre 2017, Société Innovent et autres, n° 409693, inédit. [↩]

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  • 1. Commençons par le litige relatif au refus de la région d’abroger le régime d’aides
  • 2. Venons-en maintenant au pourvoi de la région Île-de-France relatif à la récupération des aides

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Rapporteur public

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  • 1. Commençons par le litige relatif au refus de la région d’abroger le régime d’aides
  • 2. Venons-en maintenant au pourvoi de la région Île-de-France relatif à la récupération des aides

Laurent Cytermann

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