L’association Les droits du piéton en Vendée vous saisit du litige qui l’oppose au maire des Sables-d’Olonne à propos du stationnement de véhicules sur les trottoirs de la commune. Contestant toute possibilité pour le maire d’autoriser un tel stationnement, l’association lui a demandé de faire disparaître les marquages au sol apposés dans certaines rues qui formalisaient la possibilité pour les automobilistes de se garer sur le trottoir. Le refus du premier édile a été contesté devant le tribunal administratif de Nantes qui en a prononcé l’annulation partielle, au motif que les emplacements prévus sur les trottoirs de deux rues de la commune ne laissaient subsister aucun passage pour les piétons ou imposaient aux véhicules de procéder à des manœuvres interdites par le code de la route. La cour administrative d’appel de Nantes a confirmé le jugement par l’arrêt attaqué devant vous.
La combinaison du code de la route et des pouvoirs de police du maire
L’association Les droits du piéton en Vendée s’engage tout d’abord sur le terrain de l’erreur de droit en vous soumettant une question d’articulation entre la réglementation du stationnement par le code de la route et celle des pouvoirs de police du maire. Les termes du débat sont simples. Les dispositions du code de la route qui réservent l’usage des trottoirs aux piétons interdisent-elles au maire de prendre des mesures de police consistant à instaurer des places de stationnement pour véhicules sur le trottoir ?
Une question analogue a été posée à votre assemblée du contentieux il y a près de 50 ans, alors que les autorités de police locales – en l’occurrence le préfet de police – trouvaient déjà dans l’institution de place de stationnement sur les trottoirs le moyen d’accueillir au mieux le nombre croissant d’automobilistes dans les agglomérations. Par votre décision Association Les droits du Piéton du 23 mars 19731, vous avez jugé que le code de la route n’interdisait pas au préfet de police d’autoriser les conducteurs à faire stationner les automobiles sur certains trottoirs pour répondre aux difficultés particulières de la circulation automobile dans la ville de Paris, sous réserve que les caractéristiques des trottoirs sur lesquels le stationnement était autorisé ne conduisent pas à imposer aux piétons des sujétions excessives au regard de ce qu’exige l’intérêt général. Plus généralement, vous avez jugé que les dispositions du code de la route ne faisaient pas obstacle à l’intervention de l’autorité administrative investie de pouvoirs de police à laquelle il appartient de prendre les mesures nécessaires pour concilier les droits des usagers de la voie publique avec les exigences de la circulation automobile.
Cette solution ne nous paraît pas devoir être remise en cause aujourd’hui, laquelle a d’ailleurs été discrètement réitérée dans une décision inédite du 23 mars 1990, Commune de Viterne2, qui rappelle qu’un maire peut légalement instituer une aire de stationnement sur le trottoir d’une rue « eu égard aux difficultés de circulation » dans celle-ci3. Votre décision de 5e sous-section jugeant seule, Commune de Bordeaux du 9 mai 2011, également inédite4, citée par le pourvoi, ne saurait quant à elle vous retenir. Celle-ci juge seulement que l’article R. 417-10 du code de la route institue une interdiction générale de stationner sur les trottoirs applicables même en l’absence de réglementation particulière, ce qui n’exclut en rien que l’autorité de police intervienne pour limiter les zones réservées à la circulation des piétons et par suite, la portée de l’interdiction.
La solution retenue en 1973 repose sur l’idée qu’alors même qu’il réglemente l’usage des trottoirs par les piétons, le code de la route n’interdit pas aux autorités locales d’édicter des règles qui auront pour effet de s’ajouter à la législation existante, pour des motifs d’ordre public. Ce faisant, les autorités en question ne contreviennent pas – votre décision le rappelle – aux dispositions du code de la route, ce qu’elles ne sauraient légalement faire ; elles se contentent d’intervenir dans le domaine qui est le leur – la police locale – dans l’espace que leur a nécessairement laissé la réglementation nationale. Il s’agit moins d’un concours, que d’une cohabitation de deux mesures de police dont la finalité diffère quelque peu. La première tend à réglementer l’usage d’une partie de la voie publique par les piétons quand la seconde tend à remédier aux difficultés liées à la circulation automobile.
Les deux dispositions du code de la route qui étaient dans le paysage en 19735 réglementaient l’usage des trottoirs du point de vue des usagers, en imposant à ces derniers d’emprunter cette partie de la voie, ce qui facilitait le raisonnement consistant à admettre que le code n’avait pas entendu limiter le champ de la réglementation de la circulation automobile. Pour autant, il fait peu de doute que la réglementation de l’époque interdisait déjà en creux aux véhicules à moteur d’emprunter les trottoirs.
L’évolution du code de la route
Depuis 1973, le code s’est enrichi d’une disposition, devenue l’article R. 417-10, qui appréhende spécifiquement le stationnement des véhicules sur le trottoir en le qualifiant de stationnement gênant, et le réprime pénalement. Dans la dernière version des textes, tels que modifiés par un décret n° 2015-808 du 2 juillet 2015 relatif au plan d’actions pour les mobilités actives et au stationnement – qui n’est pas en cause en l’espèce, le stationnement des automobiles est même qualifié de stationnement très gênant, passible d’une contravention de 4e classe et plus de 2e classe comme auparavant6. Nous pensons cependant qu’ici encore, en qualifiant de gênant le stationnement sur les trottoirs, le pouvoir réglementaire doit être regardé comme ayant entendu garantir l’affectation des trottoirs aux piétons, et en ce sens comme interdisant seulement le stationnement sur des zones dans lesquelles les piétons sont effectivement autorisés à circuler. Il y a dès lors place ici encore pour une réglementation de la circulation automobile sur les trottoirs, y compris si celle-ci a pour effet de limiter les zones dans lesquelles les piétons peuvent circuler. Les termes mêmes de l’article R. 417-10 en litige peuvent être interprétés en ce sens lequel qualifie de gênant l’arrêt ou le stationnement d’un véhicule : « Sur les trottoirs, les passages ou accotements réservés à la circulation des piétons ». On notera par ailleurs que jusqu’à la refonte du code en 2001, le stationnement des véhicules était regardé comme gênant « Sous réserve des dispositions différentes prises par l’autorité investie du pouvoir de police »7, explicitant le raisonnement que nous pensons inhérent à l’objet même de la législation. Le maire peut donc autoriser le stationnement automobile sur les trottoirs au titre de son pouvoir de police de la circulation. Comme l’a jugé votre décision de 1973, il doit dans ce cadre prendre les mesures nécessaires pour concilier les droits des usagers de la voie publique avec les exigences de la circulation. Ici encore le précédent de 1973 nous semble, dans sa formulation pertinente, notamment en ce qu’il met en exergue les « exigences de la circulation » comme une donnée avec laquelle il convient pour les usagers de composer. C’est encore tout à fait exact aujourd’hui, malgré les débats que suscite désormais la présence automobile dans les villes. En reprenant fidèlement les termes de votre décision de 1973, la cour administrative d’appel n’a donc commis aucune erreur de droit.
L’autre moyen du pourvoi porte sur la qualification des faits soumis aux juges du fond, ainsi que leur dénaturation. Selon l’association requérante la cour ne pouvait retenir au regard des pièces du dossier que les marquages au sol des places de stationnement sur les trottoirs de la commune qui n’avaient pas été remis en cause par le tribunal laissaient un espace suffisant pour permettre la circulation des piétons.
La nature et la portée du contrôle du juge administratif
Le présent dossier vous offre l’occasion de préciser l’étendue de votre contrôle en cassation.
Comme toute décision prise en matière de police administrative, la réglementation du stationnement sur les trottoirs par le maire doit être à la fois adaptée, nécessaire et proportionnée8. Dans la conciliation qu’il doit opérer entre les intérêts en présence, le maire doit chercher à remédier aux difficultés de circulation liées au manque de place de stationnement tout en garantissant les droits des piétons, soit, la possibilité pour eux de circuler sur les trottoirs, qui sont les espaces qui leur sont réservés et qu’ils sont tenus d’utiliser lorsqu’ils existent9. Assez classiquement, nous vous proposons de laisser le juge du fond procéder souverainement aux constats factuels et, s’agissant d’une mesure de police, de soumettre l’opération de conciliation entre les exigences en présence à un contrôle de qualification juridique.
L’argumentation qui vous est soumise vous conduit essentiellement sur le premier terrain, laquelle revient sur la place laissée aux piétons pour se déplacer sur les trottoirs de la commune des Sables d’Olonne sur lesquels le stationnement a été autorisé. Il est soutenu que la largeur de l’espace de circulation restant sur les trottoirs qui accueillent une place de stationnement serait insuffisante pour permettre le passage de fauteuils roulants et que certains emplacements contraindraient les automobilistes à circuler sur le trottoir. La commune fait néanmoins valoir qu’elle a veillé à maintenir une partie de trottoir réservée au cheminement des piétons de 1,40 mètre, ce qui est le minimum exigé par la réglementation10, ce qui n’est pas contesté en réplique. Les places de stationnement sont en outre aisément identifiables et repérables, dès lors qu’elles sont délimitées par une résine épaisse. En jugeant sur cette base que les piétons disposaient de la possibilité de se déplacer sur les voies en cause, la cour n’a pas dénaturé les pièces du dossier.
Enfin, mais cette question est finalement peu débattue, et elle ne l’avait pas été davantage devant les juge du fond, il n’est pas démontré que la cour aurait inexactement qualifié les faits de l’espèce en retenant que le maire pouvait légalement prendre les mesures contestées au regard des impératifs de la circulation automobile dans la commune.
Par ces motifs, nous concluons au rejet du pourvoi et au rejet, dans les circonstances de l’espèce, au rejet des conclusions présentées par la commune des Sables-d’Olonne sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. ■
- N° 80599 : Rec., p. 245. [↩]
- N° 49513. [↩]
- 23 mars 1990, Commune de Viterne, n° 49513. [↩]
- N° 337055. [↩]
- Articles R.43 et R. 217 du code de la route. [↩]
- Cf. article R. 417-11du code de la route. [↩]
- Article 37-1. [↩]
- CE Ass. 21 décembre 2012, Société Groupe Canal Plus et autres, nos 362347, 363542, 363703 : Rec., p. 446. [↩]
- Cf. article R.412-34 du code de la route. [↩]
- Arrêté du 15 janvier 2007 portant application du décret n° 2006-1658 du 21 décembre 2006 relatif aux prescriptions techniques pour l’accessibilité de la voirie et des espaces publics. [↩]
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