Des recours contre un refus de délivrer un permis de construire et contre le permis
La société A2C a sollicité du maire de la commune de La Tronche la délivrance d’un permis de construire trois maisons individuelles, chemin de Maubec.
Par un arrêté du 18 octobre 2016, le maire de la commune a refusé, sur le fondement de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, de lui délivrer ce permis au motif, d’une part, que terrain d’assiette du projet est soumis à un aléa moyen de risque de glissements de terrain et, d’autre part, que l’accès au terrain présente un danger pour les usagers. La société A2C a demandé l’annulation de ce refus.
Toutefois, en cours d’instance, le maire, par un arrêté du 6 août 2018, a retiré ce refus de permis et a délivré à la société l’autorisation demandée. Des voisins ont attaqué cette décision.
Le tribunal administratif de Grenoble, par deux jugements du 8 octobre 2020, a annulé le PC notamment pour méconnaissance de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme et a rejeté la demande d’annulation du refus de permis de construire. Par une décision du 28 avril 20211, vous n’avez pas admis le pourvoi contre le jugement d’annulation du permis de construire. Par un arrêt du 28 juin 2022, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté l’appel de la société contre le jugement de rejet de sa demande d’annulation du refus de permis de construire.
La cour a notamment jugé, en soulevant d’office le moyen, que, compte tenu du motif d’annulation du PC par le tribunal, dont le jugement est définitif, selon lequel le permis de construire délivré était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, en raison du risque de glissement de terrain auquel est exposé le projet, et en l’absence de changement de circonstances de droit et de fait, le refus en litige étant d’ailleurs antérieur au permis de construire annulé, et alors que l’annulation du refus en litige impliquerait la délivrance du permis sollicité, l’autorité absolue de chose jugée s’attachant à cette annulation implique que soit écarté le moyen tiré de ce qu’en opposant un refus de permis de construire, en raison des risques de glissement de terrain, le maire de La Tronche aurait entaché sa décision d’une erreur d’appréciation.
La société se pourvoit en cassation en soutenant que la cour a commis deux erreurs de droit.
L’étendue de l’autorité de la chose jugée par un jugement d’annulation d’un permis de construire
La première erreur de droit soulevée est relative à l’étendue de l’autorité de la chose jugée attachée au jugement d’annulation.
La société soutient que si le jugement d’annulation du permis de construire, sur lequel la cour s’est fondé, a retenu cinq motifs d’annulation, seuls les 2 premiers, relatifs à la compétence de la signataire de l’acte et au délai de retrait du refus de permis, seraient le soutien nécessaire du dispositif et qu’ainsi eux seuls seraient revêtus de l’autorité absolue de chose jugée, tandis que les trois autres, parmi lesquels figure le risque de glissement de terrain, ne le seraient pas. Mais rien dans le jugement du tribunal administratif ne permet d’opérer, au regard de l’autorité de chose jugée, une telle ventilation des motifs d’annulation, et d’ailleurs la société n’explique pas les raisons pour lesquels elle opère une telle distinction.
Au contraire, le tribunal administratif a explicitement retenu, conformément à l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme tous les moyens fondés selon lui, ce qui signifie que chaque motif pris isolément suffirait à lui seul à justifier l’annulation. Ce qui explique qu’il appartient, compte tenu de cet article L. 600-4-1, au juge d’appel, saisi d’un jugement par lequel un tribunal administratif a prononcé l’annulation d’un permis de construire en retenant plusieurs moyens, de se prononcer sur le bien-fondé de tous les moyens d’annulation retenus au soutien de leur décision par les premiers juges et d’apprécier si l’un au moins de ces moyens justifie la solution d’annulation2.
Ce sont seulement les moyens qui ne sont pas retenus au titre de l’article L. 600-4-1 qui n’ont, évidemment, pas l’autorité de chose jugée3.
Enfin, la circonstance qu’un motif soit fondé sur l’EMA ne lui retire en rien son autorité4.
La cour ne s’est donc pas méprise sur l’étendue de l’autorité de chose jugée, qui, s’agissant d’un jugement d’annulation pour excès de pouvoir, est bien une autorité absolue de chose jugée.
La portée de l’autorité de la chose jugée par un jugement d’annulation d’un permis de construire
La seconde erreur de droit soulevée est relative à la portée de l’autorité de chose jugée.
La société soutient que la cour ne pouvait opposer l’autorité d’un jugement d’annulation d’un permis de construire dans un litige portant sur un refus de permis de construire qui est antérieur au permis de construire annulé. Dit autrement, la société soutient que la légalité du refus de permis de construire est indifférente à l’annulation du permis de construire délivré ultérieurement.
Les explications présentées par la société à l’appui de son moyen sont tout à fait pertinentes. L’annulation pour excès de pouvoir d’une décision administrative emporte disparition de cet acte à la date à laquelle il a été pris, sauf modulation dans le temps des effets de l’annulation5.
L’annulation, en l’absence de modulation, fait obstacle, en vertu de l’autorité absolue de chose jugée, à ce que le même acte, fondé sur les mêmes motifs soit réitéré6, sauf modification de la situation de droit ou de fait7.
C’est cette même autorité de chose jugée qui entraîne l’annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n’auraient pu légalement être prises en l’absence de l’acte annulé ou qui sont en l’espèce intervenues en raison de l’acte annulé8.
L’annulation n’a ainsi d’effets que postérieurement à l’acte annulé. Elle n’en a pas sur les actes ou procédures antérieurs9.
La cour n’a cependant pas jugé ce que lui reproche le moyen du pourvoi. La cour n’a pas fait produire des effets à l’annulation sur un acte antérieur, que d’ailleurs elle n’annule pas mais dont elle confirme la légalité. La cour a seulement opposé la chose jugée pour écarter un moyen.
Nous n’y voyons pas matière à reproche, pour autant que l’on admet que c’est bien la même « chose » (au sens de l’article 1355 du code civil, ancien article 1351) qui a été jugé. C’est le cas en l’espèce.
La question de l’identité d’objet
Certes, formellement, les actes diffèrent. Un refus de permis de construire dans un cas, un permis de construire dans l’autre. Mais, le permis de construire est aussi, dans cette affaire, un retrait du refus de permis de construire.
Plus fondamentalement, la «chose demandée» et donc la «chose jugée» consistait bien en la construction de trois maisons individuelles chemin de Maubec à La Tronche, si bien qu’il y a identité d’objet. En ce sens, vous avez déjà jugé, par ex., qu’il y a identité d’objet, et donc autorité de chose jugée (relative en l’espèce), bien que les décisions attaquées soient distinctes, entre deux litiges portant, pour l’un, sur un titre de pension et, pour l’autre, sur un refus de réviser la pension, dès lors qu’elles tendent l’une comme l’autre à l’obtention de mêmes bonifications10. Ce n’est, pour le juge, que deux manières techniquement différentes de juger substantiellement la même demande.
À l’inverse, vous avez aussi jugé qu’il n’y a pas d’identité d’objet entre un litige de refus de titre de séjour et un litige d’expulsion, si bien que l’appréciation du tribunal sur la menace à l’ordre public dans le jugement d’annulation du refus de titre de séjour n’est pas opposable au juge saisi d’une demande d’annulation de l’arrêté d’expulsion11. Cette fois, les questions posées au juge, droit au séjour d’un côté et expulsion de l’autre, ne sont pas suffisamment les mêmes. S’agissant d’un refus d’autorisation de construire remplacé par la délivrance de cette autorisation, c’est bien de la même opération d’urbanisme dont le juge est saisi, c’est bien le même litige qu’il a à trancher12.
Or, en l’espèce, le tribunal administratif de Grenoble a jugé, par un jugement d’annulation revêtu de l’autorité de la chose jugée, que la construction des trois maisons était illégale en raison notamment du risque de glissement de terrain. Ce motif est un des supports nécessaires du dispositif d’annulation et il a donc lui aussi l’autorité absolue de chose jugée. Saisie d’un moyen par lequel la société soutenait que le motif de refus de permis de construire fondé sur le risque de glissement de terrain était illégal, la cour a entendu, en la soulevant d’office, opposer l’autorité de chose jugée.
La question de l’antériorité du refus de permis de construire sur le permis de construire annulé ?
La circonstance que le refus de permis de construire soit antérieur au permis de construire annulé y faisait-elle obstacle (sachant que les refus de permis de construire ne relève pas de l’appréciation dynamique de légalité, autrement la question n’aurait pas d’objet)? À notre sens, et dès lors que ce n’est pas l’annulation qui est opposée, mais un motif de l’annulation, cette antériorité est assez indifférente, du moment, et la cour a pris soin de le constater, qu’il n’y a pas de changement de circonstances de droit et de fait entre le refus en litige et le permis annulé.
Si la situation était inversée : d’abord un permis de construire, annulé, puis un refus de permis de construire, l’autorité de chose jugée s’appliquerait pour répondre à un moyen que le jugement d’annulation aurait tranché (sous réserve du degré de contrôle et là aussi en l’absence de changement de circonstance de droit ou de fait). La date d’effet de l’annulation ne serait pas l’élément déterminant, ce qui serait déterminant c’est qu’il s’agisse du même projet d’urbanisme. Dans le sens qui est celui de l’espèce, d’abord un refus de permis de construire, puis un permis de construire annulé, ce qui nous apparaît déterminant, pour opposer l’autorité de chose jugée sur un moyen, c’est pareillement qu’il s’agisse du même projet, et pas la date d’effet de l’annulation.
Pareille solution, qui, sur l’une de ses facettes, donne le plein effet à l’autorité de chose jugée par un jugement d’annulation en excès de pouvoir, a pour vertu d’éviter, entre les juges du fond, des appréciations divergentes. La cour a ainsi eu raison de faire prévaloir l’autorité du jugement du tribunal.
Sachant qu’en l’espèce, la circonstance que l’annulation a été prononcée pour erreur manifeste d’appréciation alors que le moyen écarté par l’autorité de chose jugée est un moyen d’erreur d’appréciation ne pose pas, dans ce sens, de difficultés.
En tout état de cause, ce sont des questions qui ne sont pas discutées par le pourvoi, qui raisonne sur les effets d’un dispositif d’annulation, alors que la cour s’est prononcée sur les effets d’un motif d’annulation.
Par ces motifs, nous concluons rejet du pourvoi. ■
- 1re JS, n° 447262. [↩]
- CE 28 mai 2001, Commune de Bohars et SARL Minoterie Francès, nos 218374, 218912, 229455 et 229456 : Rec., p. 249. [↩]
- CE 10 mars 2010, Société Civile Immobilière GFM, n° 323543 : B. [↩]
- V. CE 10 novembre 1995, Préfet du Val-d’Oise c/ Colandavaloo, n° 142993 : B. [↩]
- CE Ass. 11 mai 2004, Association AC! et autres, nos 255886, 255887, 255888, 255889, 255890, 255891 et 255892 : Rec., p. 197. [↩]
- 4 octobre 1972, Société Civile Immobilière de Construction des 5 et 5 bis rue des Chalets à Bourges et Ministre de l’Équipement et du logement, nos 81445 et 81469: A. [↩]
- 18 mars 1983, Ministre de l’environnement et du cadre de vie c/ SCI Résidence du parc, n° 20208 : Rec., p. 126 ; CE 12 octobre 2018, Société Néoen, n° 412104 : Rec., T., p. 534-845 ; CE 18 décembre 2020, M. Eisenchteter, n° 421988 : B. [↩]
- CE S. 30 décembre 2013, Mme Okosun, n° 367615 : A ; Rec., p. 342. [↩]
- V., par exemple, CE S. 26 février 1971, Sieur Kuntzmann, nos 65333 et 72948 : A. [↩]
- CE 23 mai 2012, M.Brissi, n° 345348: Rec.,T.,p. 882-929. [↩]
- 8 juillet 1998, Gantier : Rec., T., p. 1111. [↩]
- En ce sens, par exemple, CE 29 septembre 2021, Société Grand Fossé et M. et Mme Fromentin, nos 438525 et 438526; si le projet d’urbanisme est différent, il ne peut en revanche y avoir d’autorité de chose jugée: CE 28 juillet 1999, Association Fouras Environnement Écologie et Association de défense des propriétaires riverains des quartiers des places Carnot et de Verdun, n° 189941. [↩]
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