Il est relativement rare qu’un code comporte une partie réglementaire consacrée aux arrêtés, avec une numérotation commençant en «A», qui est d’ailleurs réalisée par le ministère compétent sans le concours de la commission supérieure de codification. Le code de l’urbanisme comporte une telle partie en «A»1 et le présent litige va vous conduire à vous y intéresser, et plus particulièrement à son article A. 424-9, esseulé dans une sous-section consacrée au contenu des décisions autorisant des projets portant sur des constructions.
Faits et procédure
Les faits de l’espèce sont très simples: M. Ciret, propriétaire et occupant d’une belle demeure de maître située au 9, rue Madame-de-Sévigné à Charleville-Mézières, apprend que le maire de la commune a accordé des autorisations pour la construction, sur les parcelles voisines qui accueillaient anciennement les Halles, de 3 300 m2 de surfaces commerciales et de 4 000 m2 de bureaux, avec une salle de sport de 2 000 m2 et 118 places de stationnement. Il en a demandé, sans succès, l’annulation au tribunal administratif de Nancy (jugement du 20 décembre 2018) puis à la cour administrative d’appel de Nancy (arrêt du 16 décembre 2021). Il se pourvoit en cassation.
L’un de ses moyens devant le tribunal et la cour, et qui donne lieu à son premier moyen de cassation, était tiré de la méconnaissance par le permis de construire des prescriptions de l’article A. 424-9 du code de l’urbanisme, selon lequel (premier alinéa) lorsque le projet porte sur des constructions, l’arrêté indique leur destination et, s’il y a lieu, la surface de plancher créée. Cette disposition complète celles qui précédent aux articles A. 421-1 à A. 424-8 sur la forme et les mentions des décisions prises sur des demandes d’autorisation d’urbanisme en général.
La cour a jugé que l’arrêté du maire satisfaisait aux exigences de cet article car il comporte la mention «Destinations: commerce et bureaux», si bien que moyen tiré de ce que l’arrêté serait illégal, faute de mentionner la destination « activités de services » au titre de la construction d’une salle de sport ne pouvait qu’être écarté.
M. Ciret soutient que la cour a commis trois erreurs de droit.
Une erreur de droit fondée
L’une d’elles au moins apparaît fondée. La cour a validé la destination «commerce et bureaux», alors que cette catégorie ne constitue plus une destination au sens du code de l’urbanisme dans sa version applicable.
Anciennement, à l’article R. 123-9 du code de l’urbanisme2 étaient distinguées 9 destinations : habitation, hébergement hôtelier, bureaux, commerce, artisanat, industrie, exploitation agricole ou forestière, entrepôt. Commerce et bureaux y figuraient donc, et c’est dans «commerce» qu’il convenait de ranger la salle de sport, exploitée commercialement auprès d’une clientèle.
Mais, le décret n°2015-1783 du 28 décembre 2015 a remplacé ces 9 destinations par 5 nouvelles destinations, à l’article R.151-27, elles-mêmes divisées en un total de 20 sous-destinations, à l’article R. 151-28, elles-mêmes définies et précisées par un arrêté du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d’urbanisme et les règlements des plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu. Sont désormais des destinations : l’exploitation agricole et forestière ; l’habitation ; le commerce et les activités de service; les équipements d’intérêt collectif et services publics ; les autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire (le secteur primaire y a été ensuite ajouté3 ).
Ces nouvelles règles sont entrées en vigueur et s’appliquent depuis le 1er janvier 20164.
En l’espèce le projet autorisé relevait, pour la partie commerciale, de la destination « commerce et activités de service », y compris la salle de sport, car ce n’est pas un «équipement sportif » de la destination « équipements d’intérêt collectif et services publics», qui vise les équipements d’intérêts collectifs destinés à l’exercice d’une activité sportive et ouverts au public, mais une «activité de service avec accueil d’une clientèle». Et pour la partie bureau, le projet relevait de la destination « autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire », qui comporte la sous-destination «bureau» définie comme les constructions fermées au public ou prévoyant un accueil limité du public, destinées notamment aux activités de direction, de communication, de gestion des entreprises des secteurs primaires, secondaires et tertiaires et également des administrations publiques et assimilées (alors que les locaux et bureaux accueillant du public des administrations publiques et assimilés constituent une sous-destination des «équipements d’intérêt collectif et services publics»).
La cour a raisonné par rapport aux anciennes destinations, qui ne sont plus les mêmes qu’aujourd’hui. Il y a erreur de droit.
Prescription de l’article A. 424-9 du code de l’urbanisme affectant la légalité de l’arrêté ?
On peut cependant se demander dans quelle mesure la prescription de l’article A. 424-9 du code de l’urbanisme est susceptible d’affecter la légalité de l’arrêté.
Dans le code de l’urbanisme, les destinations et sous-destinations, dont la liste est limitative5, servent essentiellement, d’une part, à distinguer les catégories de constructions entre lesquelles les auteurs des PLU peuvent différencier les règles applicables6 et, d’autre part, à déterminer, selon la portée des travaux envisagés, le niveau d’autorisation requise en cas de changement de destination ou de sous- destination (et le cas échéant la dispense d’autorisation)7.
Le projet du pétitionnaire, pour être autorisé, doit être conforme aux règles correspondant à sa catégorie, mais dans la mesure où le permis de construire n’a pour effet que d’autoriser une construction conforme aux plans déposés8, les mentions qui y figurent n’ont pas pour effet de conférer au pétitionnaire le droit de réaliser des constructions autres que celles pour lesquelles il a demandé une autorisation. Par exemple, si le permis de construire comporte une erreur sur la surface des constructions, cette erreur n’autorise pas la pétitionnaire à construire plus que le projet qui a fait l’objet de l’autorisation. Un tiers ne peut donc se plaindre de ce que le pétitionnaire aurait été autorisé à construire plus que le projet9,10.
Il doit en aller de même des mentions relatives aux destinations exigées par l’article A. 424-9 du code de l’urbanisme. Si elles sont fausses sur l’arrêté, ce n’est pas pour autant que le pétitionnaire est autorisé à construire différemment du projet (ou, inversement, empêché de réaliser les constructions projetées). Ces mentions erronées, ou qui pourraient aussi être manquantes11, sont sans incidence sur la légalité du permis de construire12.
Vous pourrez substituer ce motif qui n’appelle aucune appréciation des faits à celui retenu par la cour pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l’article A. 424-9 du code de l’urbanisme et par voie de conséquence vous pourrez écarter le moyen de cassation.
Deux autres moyens non fondés
Vous pourrez aussi écarter les deux autres moyens de cassation.
La cour n’a pas dénaturé les écritures du requérant à propos de la méconnaissance de l’article UA 11 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune, qui impose notamment la végétalisation des toitures plates ou à pente inférieure à 20% si elles ne sont pas accessibles et sous certaines conditions de surface et de niveaux de construction, en lui opposant, sans commettre d’erreur de droit sur la charge de la preuve, qu’il n’étayait pas son moyen au regard des conditions d’application de cet article UA 11.
Et s’agissant du permis de démolir qui a été délivré par le maire pour cette opération, la cour n’a pas non plus dénaturé les pièces du dossier en considérant que l’ABF n’avait pas entaché son avis favorable d’une erreur d’appréciation dès lors que le bâtiment à détruire, situé en arrière de la maison de M. Ciret, avait fait l’objet de remaniements successifs qui en ont altéré la qualité patrimoniale. Et la cour n’a pas commis d’erreur de droit en ne jugeant pas que cet avis comportait une telle erreur d’appréciation au motif qu’il revenait sur un avis antérieur défavorable.
Par ces motifs, nous concluons au rejet du pourvoi. ■
- Pour d’autres exemples, v. le code de commerce, le code de procédure pénale ou encore le Livre des procédures fiscales. [↩]
- Dans sa version issue du décret n°2001-260 du 27 mars 2001 modifiant le code de l’urbanisme et le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et relatif aux documents d’urbanisme. [↩]
- Décret n°2023-195 du 22 mars 2023 portant diverses mesures relatives aux destinations et sous-destinations des constructions pouvant être réglementées par les plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu. [↩]
- V. CE 7 juillet 2022, Ville de Paris c\ Société CSF, n°454789: B. [↩]
- CE 30 décembre 2014, Société Groupe Patrice Pichet, n° 360850 : B. [↩]
- Article L. 151-9 du code l’urbanisme. [↩]
- Articles R.421-13 et s. du code de l’urbanisme. Pour une application, v., par exemple, CE 23 mars 2023, Ville de Paris, n°468360: A. [↩]
- CE S. 25 juin 2004, SCI Maison médicale Edison, n°228437: Rec., p. 261. [↩]
- Même décision. [↩]
- Des décisions antérieures vérifiaient la régularité du permis sur ce point: v. CE S. 6 janvier 1997, Association des Amis de Saint-Palais-sur-Mer, n°97305: A; 29 décembre 1999, Société Stim Île-de-France Résidentiel Snc, n°167484. [↩]
- Au niveau des visas, la circonstance qu’un arrêté ne mentionne pas les avis des services consultés par la commune alors que l’article A. 424-2 dispose que «l’arrêté […] vise les avis recueillis en cours d’instruction et leur sens», est sans influence sur la régularité de la procédure. Ce qui importe, c’est que ces avis aient été sollicités (CE 11 avril 2019, Hiribarren c/ Commune d’Urugne, n°406947). [↩]
- La mention de la destination n’est en outre pas formellement prévue à l’article A 424-16 du code de l’urbanisme relatif aux informations devant figurer sur le panneau d’affichage du permis sur le terrain. [↩]
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