L’évolution des possibilités de régularisation
Le pourvoi de la société Octogone vous donne une nouvelle occasion de vous intéresser aux modalités de régularisation des autorisations d’urbanisme prévues par l’article L. 600- 5-1 du code de l’urbanisme, dont votre jurisprudence n’a pas encore épuisé les charmes. Vous le savez, cet article, inspiré d’une proposition du groupe de travail présidé par le président Labetoulle1 et créé par l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, ouvre au juge, dans le souci de solder en une seule procédure la contestation d’un permis de construire, la possibilité de surseoir à statuer pour permettre, en cours d’instance, la régularisation d’un vice entachant le permis.
Cette disposition a été substantiellement modifiée par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ELAN, en particulier à trois égards. D’abord, la faculté de régularisation jusqu’alors reconnue au juge est devenue pour lui une obligation, dont votre avis de section Barrieu du 2 octobre 20202 est venu préciser les contours. Ensuite, cette obligation nouvelle a été étendue aux décisions de non-opposition à déclaration préalable et s’applique désormais y compris après achèvement des travaux, entérinant en cela la jurisprudence issue de votre décision du 22 février 2017, Mme Bonhomme et autres ((N° 392998: Rec., p. 56.)). Surtout, la régularisation n’est plus encadrée par la notion de permis modificatif : alors que, dans sa version antérieure à la loi ELAN, l’article L. 600-5-1 faisait référence aux seuls vices régularisables par la délivrance d’un permis modificatif, c’est-à-dire ceux ne bouleversant pas la conception générale du projet3, il prévoit désormais que la régularisation prenne la forme d’une « mesure de régularisation ».
Une modification de la règle du PLU méconnue par le projet
C’est la portée de ce changement sémantique que le présent pourvoi vous invite à préciser. La société Octogone a obtenu en 2018 du maire de la commune de Cépet, dans l’agglomération toulousaine, un permis de construire pour un ensemble immobilier mixte puis, en 2020, un permis modificatif. Saisi d’un recours contre ces permis par l’association Cœur de Cépet, le tribunal administratif de Toulouse a d’abord sursis à statuer, par un premier jugement, après avoir constaté que le projet méconnaissait la règle de hauteur fixée par le règlement du Plan local d’urbanisme (PLU), invitant les parties à prendre une mesure de régularisation pour purger ce vice. La société pétitionnaire s’est alors bornée à se prévaloir d’une modification du règlement du PLU intervenue après ce jugement et qui permettait de régulariser le vice. Estimant, d’une part, que la simple modification d’un PLU en cours d’instance est à elle seule insusceptible de régulariser un permis vicié, en l’absence de mesure de régularisation individuelle émanant de la commune, d’autre part, qu’en tout état de cause le projet litigieux n’était pas conforme au PLU modifié, le tribunal a annulé les permis de construire initial et modificatif.
Une modification qui ne suffit pas à régulariser le projet
1. La société Octogone vous invite à infirmer ce jugement en admettant que la « mesure de régularisation » requise par l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme puisse prendre la forme d’une mesure réglementaire, notamment d’une modification du règlement du PLU, et ne doive pas nécessairement prendre la forme d’une mesure individuelle de régularisation formalisée par la commune ou l’autorité compétente.
Disons d’emblée que nous ne vous proposons pas de faire vôtre cette interprétation de l’article L. 600-5-1, pour trois séries de raisons, tenant à la disposition elle-même et au contexte de son adoption, à la nature du contentieux des autorisations d’urbanisme telle qu’elle résulte de votre jurisprudence, et à des considérations d’opportunité.
La lettre du texte et l’intention du législateur
En premier lieu, elle ne résulte ni de la lettre du texte ni de l’intention du législateur lorsqu’à la faveur de la loi ELAN, il a supprimé les termes de « permis modificatif » pour y substituer ceux de « mesure de régularisation ».
En effet, la lettre même de l’article L. 600-5-1, lorsqu’elle prévoit la notification au juge d’une mesure de régularisation, semble impliquer la production d’un acte individuel et non la seule invocation d’une évolution du cadre réglementaire applicable au projet. Cette lecture est d’ailleurs corroborée par l’article L. 600-5-2 du même code qui assimile les mesures de régularisation aux permis modificatifs et décisions modificatives en prévoyant que leur contestation est internalisée dans l’instance contre le permis ou la décision initiaux. Vous avez, de même, admis que lorsqu’il est sursis à statuer en application de l’article L. 600-5-1, les requérants parties à l’instance ayant donné lieu au sursis sont recevables à contester la légalité de la mesure de régularisation produite dans le cadre de cette instance, tant que le juge n’a pas statué au fond4, solution qui implique nécessairement que la mesure de régularisation prenne la forme d’une décision individuelle et non d’une modification du cadre réglementaire qui ne pourrait être contestée que par la voie d’une exception d’illégalité.
C’est également ce qui ressort des propositions émises par le groupe de travail présidé par la présidente Maugüé dans son rapport intitulé Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace ((Rapport au ministre de la Cohésion des territoires, janvier 2018.)) dont est issue la nouvelle rédaction de l’article L. 600-5-1. L’abandon des termes de «permis modificatif » visait à « donner le plus de place possible à la possibilité de régulariser une autorisation », en supprimant « le carcan du permis modificatif », qui induisait des contraintes tant sur l’étendue des modifications possibles que sur le moment de leur intervention. Il était alors proposé de remplacer ces termes par ceux de « permis de régularisation » ou de « mesure de régularisation pour inclure les décisions de non-opposition à déclaration préalable », suggérant, dans tous les cas, l’intervention d’une décision individuelle de régularisation.
La nature du contentieux de l’urbanisme
En deuxième lieu, l’interprétation proposée par le pourvoi méconnaîtrait l’orientation de votre jurisprudence, dont il ressort qu’en dépit des nombreux aménagements procéduraux qui lui sont propres, le contentieux de l’urbanisme demeure un contentieux classique de l’excès de pouvoir, dans le cadre duquel le juge est saisi d’un acte et non d’un projet, et auquel vous vous êtes jusqu’à présent montrés réticents à transposer l’« appréciation dynamique de la légalité »5 à laquelle vous procédez dans d’autres matières. Ainsi, vous n’avez jamais admis, à la différence de ce que vous jugez pour le plein contentieux des installations classées pour la protection de l’environnement6, que la méconnaissance par l’autorisation des règles d’urbanisme en vigueur à la date de sa délivrance ne fait pas obstacle ce que le juge constate qu’à la date à laquelle il statue, la décision a été régularisée par une modification ultérieure des règles.
La société requérante se prévaut d’une décision Société Alexandra du 3 juin 20207, par laquelle vous avez jugé que, s’agissant des vices entachant le bien-fondé du permis de construire, le juge doit se prononcer sur leur caractère régularisable au regard des dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue et constater, le cas échéant, qu’au regard de ces dispositions, le permis ne présente plus les vices dont il était entaché à la date de son édiction. Elle en déduit que vous avez ainsi jugé que si les dispositions en vigueur à la date de la décision attaquée ont évolué favorablement à l’autorisation de construire à la date à laquelle le juge statue, il se borne à « constater » que l’autorisation ne présente plus les vices dont elle était entachée à la date de son édiction et écarte le moyen comme étant inopérant, sans qu’il soit besoin de surseoir à statuer.
Mais elle fait là une lecture selon nous erronée de cette décision, induite notamment par son fichage ambigu au Lebon, dont l’abstract semble en effet indiquer que le juge n’a pas simplement l’obligation de constater que le vice est régularisable et en tirer la conséquence qu’il doit surseoir à statuer pour qu’il soit régularisé, mais qu’il doit constater que le vice a été régularisé de plein droit8 ce d’un permis modificatif. D’autre part, il ressort tant du fichage de la décision que des conclusions d’Anne Iljic que la solution que vous avez alors retenue était directement inspirée par votre décision Mme Bloch du 7 mars 20189. Vous avez alors admis que lorsqu’un permis de construire a été délivré en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par un permis modificatif si la règle relative à l’utilisation du sol qui était méconnue par le permis initial a été entretemps modifiée. Ainsi, lorsque les dispositions applicables à une autorisation d’urbanisme sont modifiées de façon à purger les vices dont elle était entachée, vous n’avez jamais admis que cette évolution suffise à rendre inopérant le moyen tiré d’un vice de l’autorisation qui aurait disparu mais avez toujours subordonné la régularisation à l’intervention d’une autorisation en tirant les conséquences.
Le changement sémantique issu de la loi ELAN ne nous paraît pas de nature à justifier une interprétation différente. C’est d’ailleurs en ce sens que vous avez récemment jugé, sous l’empire des dispositions de l’article L. 600-5-1 issues de la loi ELAN, que lorsqu’une autorisation d’urbanisme a été délivrée en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par une autorisation modificative si la règle relative à l’utilisation du sol qui était méconnue par l’autorisation initiale a été entretemps modifiée ou si cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l’effet d’un changement dans les circonstances de fait de l’espèce10. N’était alors certes en litige que l’hypothèse d’une régularisation incidente – pour reprendre l’expression de Marie Sirinelli dans ses conclusions sur cette décision – résultant de l’évolution de circonstances de fait, et non de droit, mais votre décision a pris soin de préciser qu’une autorisation modificative, c’est-à-dire une mesure individuelle, est requise également lorsque la régularisation incidente procède d’une évolution de la règle de droit.
Une solution équilibrée
Cette solution nous paraît, en troisième lieu, de nature à préserver un meilleur équilibre entre les impératifs d’efficacité et de sécurité juridique que les innovations procédurales propres au contentieux de l’urbanisme s’efforcent de concilier, dans l’objectif de limiter les risques contentieux qui pèsent sur les titulaires d’autorisations d’urbanisme11.
La solution préconisée par le pourvoi, consistant à admettre que la seule modification des règles d’urbanisme applicables au projet vaille mesure de régularisation au sens de l’article L. 600-5-1, a le mérite de la simplicité : puisque ne reste à apprécier, après le jugement avant-dire droit qui a écarté tous les autres moyens invoqués, que le vice ayant justifié le sursis à statuer et qu’il est manifeste, au vu de la nouvelle réglementation, que ce vice n’existe plus, pourquoi exiger une nouvelle instruction de la part de l’autorité compétente en vue de l’octroi d’une mesure individuelle dont le sens est acquis ? Mais l’effet de simplification ainsi obtenu serait en pratique limité, puisque, d’une part, il ne concernerait que l’hypothèse où le projet lui-même n’est pas modifié dans le cadre de la régularisation du permis initial, d’autre part, il ne permettrait de régulariser que les vices résultant de la contrariété à une règle dont le respect est subordonné à une appréciation binaire, comme en l’espèce s’agissant d’une règle de hauteur, et non qualitative. En effet, une décision individuelle demeurerait nécessaire lorsque doit être portée une appréciation sur l’application de la nouvelle règle, par exemple lorsque sont en cause des prescriptions qualitatives sur l’insertion du projet dans son environnement. Admettre que la modification de la réglementation applicable puisse suffire à régulariser le vice entachant un permis contraindrait ainsi le juge à distinguer les vices pouvant faire l’objet d’une telle régularisation automatique de ceux nécessitant une nouvelle décision individuelle. Il nous paraît préférable de confier à l’autorité compétente pour la délivrance des autorisations de construire le soin de procéder à cette appréciation et d’en tirer les conséquences sur l’autorisation en litige. Cette solution ne devrait soumettre ni le pétitionnaire ni l’administration à une procédure excessivement contraignante, puisque l’administration pourra le plus souvent se borner à prendre acte, formellement, de la conformité du projet à la nouvelle réglementation en vigueur sans procéder à une nouvelle instruction approfondie. Elle apportera en contrepartie une sécurité juridique accrue aux autorisations d’urbanisme en cause, en permettant à l’ensemble des parties prenantes d’être au clair sur les règles dont elles relèvent.
Vous pourrez donc écarter le premier moyen du pourvoi et conforter la solution retenue par le tribunal.
Les autres moyens du pourvoi sont inopérants
2. Les autres moyens du pourvoi ne vous retiendront pas longtemps puisqu’ils sont dirigés contre un motif clairement surabondant du jugement. En effet, après avoir jugé que la circonstance que le PLU de la commune a été modifié ne pouvait valoir mesure de régularisation au sens des dispositions de l’article L. 600-5-1, le tribunal a ajouté qu’« au surplus et en tout état de cause », il ressortait des pièces du dossier de demande de permis de construire que le projet méconnaissait les nouvelles dispositions du PLU, faisant « en tout état de cause obstacle à ce que le vice tiré de la méconnaissance de la règle de hauteur qui [entachait le permis initial] puisse être regardé comme régularisé ». Tout en constatant le caractère inopérant des moyens du pourvoi dirigés contre ce motif12, vous pourrez, pour faciliter la délivrance d’un éventuel nouveau permis, relever qu’il est en effet erroné, ainsi que le fait valoir devant vous la société, dès lors que le terrain d’assiette du projet se trouve dans le secteur UAa où la règle de hauteur, prévue à l’article UAa 10, est moins contraignante que la règle prévue par l’article UA 10 qu’a appliquée le tribunal.
Par ces motifs, nous concluons au rejet du pourvoi. ■
- Construction et droit au recours: pour un meilleur équilibre, mai 2013. [↩]
- N° 438218: Rec., p. 337. [↩]
- Sur la notion de permis modificatif: CE S. 26 juillet 1982, Le Roy : Rec., p. 316. [↩]
- CE 16 février 2022, Ministre et Société MSE La Tombelle, nos 420554 et 420575: Rec., p. 27. [↩]
- Voir, sur ce point, les conclusions de Marie Sirinelli sur la décision CE 10 octobre 2022, Société Territoire Soixante-deux et autres, nos 451530 et 451531 : Rec., T., p. 977. [↩]
- CE 16 décembre 2016, Société Ligérienne Granulats SA et Min., nos 391452 et 391688 : Rec., p. 566. [↩]
- N° 420736: Rec., T., p. 1063. [↩]
- « Sursis à statuer en vue d’une régularisation (art. L. 600-5-1 du code de l’urbanisme) – 1) Vice de procédure – Appréciation de l’existence du vice et réparation selon les règles applicables à la date de la décision attaquée (1) – 2) Vice entachant le bien-fondé du permis – Appréciation du caractère régularisable au regard des règles applicables à la date à laquelle le juge statue (2) – Obligation pour le juge de constater, le cas échéant, que le vice a été régularisé. » [↩]
- Nos 404079 et 404080: Rec., p. 65. [↩]
- CE 10 octobre 2022, Société Territoire Soixante-deux et autres, nos 451530 et 451531: Rec., T., p. 977. [↩]
- Voir conclusions d’Olivier Fuchs sur CE S. 2 octobre 2020, M. Barrieu, n° 438318 : Rec., p. 337. [↩]
- Vous n’êtes pas dans l’hypothèse envisagée par la décision de section Commune de Barcarès (CE 22 avril 2005, n° 257877: au Recueil Lebon) puisque les motifs retenus par le tribunal ne sont pas également déterminants, le second étant clairement surabondant (voir notamment concl. président Stahl sur cette décision). [↩]
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