Sanction des manquements à la réglementation d’urbanisme
La sanction des manquements à la réglementation de l’urbanisme repose au premier chef sur le juge pénal. Le rôle du maire se borne à constater les infractions en application de l’article L.480-1 du code de l’urbanisme. Si l’article L.480-2 du même code lui reconnaît le pouvoir de prescrire l’interruption de travaux irréguliers, c’est au juge pénal qu’il appartient, en vertu de l’article L. 480-7, d’ordonner leur démolition, leur mise en conformité ou la remise en l’état. À l’expiration du délai imparti pour exécuter une telle injonction, l’article L.480-9 autorise le maire à procéder d’office à tous les travaux nécessaires à l’exécution de cette décision. Les articles L. 480-13 et L. 480-14 ouvrent en outre aux tiers lésés et à la commune une action civile en démolition d’ouvrages construits en méconnaissance des règles d’urbanisme, l’avantage de cette voie pour la commune étant qu’elle pourra agir sans dépendre du parquet et sans qu’y fasse obstacle l’éventuelle prescription de l’action publique.
Les insuffisances de la répression pénale sont dénoncées depuis longtemps1. Les actions civiles en démolition s’exposent elles aussi à des critiques portant sur la lenteur des procédures et sur les difficultés d’assurer l’exécution d’une injonction de démolition. C’est pourquoi le législateur a cherché à mieux assurer l’effectivité des règles d’urbanisme en renforçant les pouvoirs de police du maire. La loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a créé dans le code de l’urbanisme un article L.481-1 qui permet au maire, lorsque des travaux ont été réalisés sans autorisation ou en méconnaissance d’une autorisation de mettre en demeure l’intéressé «soit de procéder aux opérations nécessaires à la mise en conformité de la construction, de l’aménagement, de l’installation ou des travaux en cause aux dispositions dont la méconnaissance a été constatée, soit de déposer, selon le cas, une demande d’autorisation ou une déclaration préalable visant à leur régularisation». La mise en demeure, qui peut être assortie d’une astreinte, n’a pas le caractère d’une sanction administrative. L’objectif n’est pas de punir le contrevenant mais de le contraindre à se conformer aux règles d’urbanisme. La présente affaire vous conduira à dire si cette contrainte peut aller jusqu’à l’obliger à démolir l’ouvrage irrégulier.
Faits et procédure
L’ouvrage en cause est situé sur une parcelle appartenant à Mme Brosson dans la commune de Villeneuve-lès-Maguelone, dans l’Hérault. Il s’agit d’une clôture, construite en même temps qu’un poulailler. Les travaux ont fait l’objet d’une déclaration préalable à laquelle le maire ne s’est pas opposé. Le projet tel qu’il ressortait des pièces de la demande était conforme au plan local d’urbanisme qui prévoit, en zone agricole, que les clôtures ne peuvent dépasser 1,80 mètre et qu’elles doivent être réalisées en grillage à larges mailles, en teinte sombre, avec un mur de soubassement ne pouvant excéder 25 centimètres.
Un agent de la mairie constate cependant, à l’occasion d’une visite sur les lieux, que, sur une longueur de cinq mètres, la clôture n’est pas un grillage mais un mur de parpaings, que ce mur est peint en blanc alors que le PLU proscrit explicitement cette couleur et qu’il s’élève jusqu’à deux mètres, au-delà de la hauteur maximale autorisée donc. De plus, des panneaux solaires ont été installés sur le mur. Un procès-verbal est dressé suivi, le 17 novembre 2021, d’une décision par laquelle le maire met en demeure Mme Brosson, sur le fondement de l’article L.481-1 du code de l’urbanisme, de se mettre en conformité avec son autorisation d’urbanisme en démolissant le mur plein et en enlevant les panneaux solaires. La mise en demeure était assortie d’une astreinte de 100 € par jour de retard.
Mme Brosson a saisi le tribunal administratif de Montpellier et elle a obtenu de son juge des référés la suspension de cette décision sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.
La commune se pourvoit en cassation. Ses moyens d’erreur de droit et de dénaturation relatifs à la condition d’urgence ne sont pas fondés. Nous nous bornerons à indiquer que le juge des référés n’a pas refusé de tenir compte du délai écoulé entre l’introduction du recours au fond et la demande de suspension, il a estimé que ce n’était pas suffisant pour écarter l’urgence, compte tenu du caractère irréversible d’une démolition et des faibles ressources de l’intéressée au regard du montant de l’astreinte. Et nous ne croyons pas qu’un intérêt public s’attache à la démolition immédiate de cinq mètres de mur en pleine campagne.
Erreur de droit sur le moyen sérieux retenu par le juge des référés
Nous pensons en revanche que le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit en regardant comme sérieux le moyen tiré de ce que le maire de Villeneuve-lès-Maguelone ne pouvait, sur le fondement de l’article L.481-1 du code de l’urbanisme, ordonner une démolition même partielle du mur de clôture édifié par Mme Brosson.
L’article L.481-1 permet au maire de mettre en demeure un contrevenant de se conformer à la réglementation d’urbanisme soit par des opérations soit par une régularisation. Nous ne déduisons pas de cette alternative que seules les constructions régularisables pourraient faire l’objet d’une mise en demeure. Toutes les opérations nécessaires à la mise en conformité de travaux irréguliers peuvent être ordonnées et cela nous paraît inclure la démolition. Nous ne sommes émus ni par l’absence de mention expresse de cette possibilité à l’article L.481-1, ni par le fait que l’article L. 480-7 du code de l’urbanisme, que nous avons déjà mentionné à propos des pouvoirs du juge pénal, distingue quant à lui démolition et mise en conformité. Comme le relève le ministre de la Transition écologique dans ses observations sur le pourvoi, la mise en conformité implique fréquemment de démolir, au moins partiellement. L’article L.481-1 serait considérablement vidé de sa substance si les mesures ordonnées sur son fondement ne pouvaient pas inclure une démolition. Et si une distinction entre démolition totale et démolition partielle peut se concevoir intellectuellement nous ne croyons pas qu’elle soit praticable.
Mme Brosson objecte que l’injonction de démolition reste l’apanage du juge pénal. Elle fait valoir à cet égard les travaux préparatoires de la loi du 27 décembre 2019 dont il ressort que la mise en demeure administrative était présentée comme un moyen expédient de répondre aux infractions les moins graves. Il faut comprendre par là que la répression pénale n’est pas adaptée pour ces infractions. On ne peut en déduire que le législateur aurait entendu organiser une répartition des compétences entre le maire et le juge pénal en fonction de la gravité des infractions. Au contraire, l’article L.481-1 précise que la mise en demeure peut être décidée « indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées pour réprimer l’infraction constatée». L’avis public du Conseil d’État sur le projet de loi indique que la nouvelle procédure est le complément des poursuites pénales tout en précisant que cette procédure permettra de les éviter pour les infractions les moins graves, ce qui revient bien à envisager un cumul pour les infractions les plus graves.
Une dernière hésitation tient au fait qu’il n’est pas banal qu’une démolition puisse être ordonnée au titre d’un pouvoir de police. Pas banal mais pas inédit. La jurisprudence admet par exemple que le maire puisse ordonner une telle mesure, sur le fondement de ses pouvoirs de police générale, lorsqu’un immeuble présente un danger tel que la procédure de péril imminent n’assure pas une réaction suffisamment rapide2. La démolition d’une construction privée ne fait donc pas partie des mesures que seul le juge judiciaire pourrait ordonner en sa qualité de gardien de la propriété privée. La compétence qui découle de ce principe fondamental reconnu par les lois de la République3 est circonscrite à l’indemnisation des privations de propriété. Or, dans une décision QPC du 30 juillet 20204, le Conseil constitutionnel a jugé, à propos de l’action civile en démolition prévue par l’article L.480-14 du code de l’urbanisme, que si la démolition d’un ouvrage a pour effet de priver son propriétaire de la propriété du bien irrégulièrement bâti, elle n’entre pas dans le champ de l’article 17 de la Déclaration de 1789 et elle doit s’analyser non comme une dépossession mais comme une simple atteinte au droit de propriété. Il en va de même selon nous d’une démolition ordonnée sur le fondement de l’article L.481-1 du code de l’urbanisme, ce qui permet d’écarter toute difficulté liée à la réserve de compétence judiciaire. Nous vous invitons cependant à transposer la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2020 et à juger que la démolition ne peut être ordonnée que si aucune autre mesure ne peut assurer la conformité de la construction aux règles d’urbanisme, et en particulier que si sa régularisation est impossible.
Si vous nous suivez, vous annulerez pour erreur de droit l’ordonnance attaquée. Réglant l’affaire au fond au titre de la procédure de référé, vous constaterez qu’aucun autre des moyens invoqués par Mme Brosson n’était de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision du maire, de sorte que vous rejetterez la demande de suspension sans même avoir à statuer sur l’urgence.
Par ces motifs, nous concluons:
– à l’annulation de l’ordonnance attaquée ;
– au rejet de la demande présentée par Mme Brosson devant le JRTA de Montpellier;
– dans les circonstances de l’espèce, au rejet de la demande présentée par la commune au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative. ■
- H. Périnet-Marquet, « L’inefficacité des sanctions du droit de l’urbanisme », D. 1991, chron., p. 37 ; Jean-Paul Gilli, « Le juge judiciaire et le droit de l’urbanisme », AJDA 1993.55. [↩]
- Décision CE 10 octobre 2005, Commune de Badinières, n° 259205 : A. [↩]
- Décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989. [↩]
- Décision n° 2020-853 QPC du 31 juillet 2020. [↩]
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