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Le préjudice résultant de la perte de jouissance d’un bien du fait de son occupation irrégulière par une personne publique est-il continu et évolutif? – Conclusions sous CE, 6 octobre 2023, M. Jacquot, n° 466523

Extrait du Bulletin juridique des collectivités locales, novembre 2023, p. 776.

Citer : Esther de Moustier, 'Le préjudice résultant de la perte de jouissance d’un bien du fait de son occupation irrégulière par une personne publique est-il continu et évolutif? – Conclusions sous CE, 6 octobre 2023, M. Jacquot, n° 466523, Extrait du Bulletin juridique des collectivités locales, novembre 2023, p. 776. ' : Revue générale du droit on line, 2025, numéro 69306 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=69306)


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Décision(s) commentée(s):
  • CE, 6 octobre 2023, M. Jacquot, requête numéro 466523

Depuis une cinquantaine d’années, la commune de Faa’a, en Polynésie française, occupe sans droit ni titre la terre Mumuvai. Elle y a installé une décharge municipale avec enfouissement des déchets ménagers et assimilés. 

Cadre du litige

Cette terre appartient pour partie aux descendants de Mme Taurua a Mai, disparue en 1918. En particulier, trois de ses arrière-petits-enfants, M. Jacquot et ses frère et sœur détiennent, dans le cadre de l’indivision successorale de leur mère, Mme Teura Sanford-Vincent, avec cinq de leurs neveux et nièces, 1/7e du lot n° 9 de la terre Mumuvai. Ce lot, d’une superficie de 26 437 m2, a été attribué à l’indivision de Mme Taura a Mai, par un jugement de 2003 du tribunal civil de première instance de Papeete.

M. Jacquot a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la commune de Faa’a à lui verser, ainsi qu’aux membres de sa famille, copropriétaires indivisaires de la parcelle, une somme en réparation du préjudice subi du fait de l’occupation irrégulière de leur parcelle par la commune.

Après un jugement avant-dire droit de septembre 2017 et un jugement du tribunal foncier de la Polynésie Française fixant à 1/28e les droits de M. Jacquot et de ses frères et sœurs sur la parcelle, le tribunal administratif a, par un jugement du 20 octobre 2020, considéré que le requérant n’avait pas qualité à agir au nom de ses coïndivisaires et a condamné la commune à lui verser une somme en réparation du préjudice subi par lui, à proportion de ses droits sur la parcelle, d’un quart d’un 7e, soit d’1/28e. 

La Cour a jugé irrecevable l’appel formé par les consorts Jacquot puis a, sur appel de la commune de Faa’a, annulé le jugement avant dire droit et le jugement au fond au motif que la créance de M. Jacquot était prescrite.

Compétence du juge administratif

Vous êtes bien compétents pour connaître du présent litige, puisque par une décision du 9 décembre 2013, M. et Mme Panizzon c/ Commune de Saint-Palais-sur-Mer ((N° C3931 : Rec., p. 376.)), le Tribunal des Conflits, abandonnant la théorie de l’emprise irrégulière, a jugé que seule l’extinction du droit de propriété justifiait désormais l’intervention du juge judiciaire pour réparer le préjudice résultant de l’atteinte portée par une décision administrative à une propriété privée à caractère immobilier et qu’en l’espèce, il n’est pas contesté que l’emprise irrégulière de la commune sur la terre du requérant et de ses consorts n’a pas eu pour effet de les en déposséder définitivement.

Le pourvoi de M. Jacquot critique l’arrêt de la Cour, d’une part, en tant qu’il juge irrecevable l’appel de ses consorts, d’autre part, en tant qu’il juge prescrite la créance dont il demande réparation.

Recevabilité de l’action ?

1. S’agissant, en premier lieu, de la recevabilité de l’action introduite par M. Jacquot en tant qu’elle concerne ses coïndivisaires, la Cour l’a écartée en relevant qu’il ne pouvait ni représenter l’indivision possédant le lot n° 9, faute de disposer des deux tiers des droits indivis ou du consentement des autres indivisaires, ni représenter ses coïndivisaires, faute pour ceux-ci d’être mineurs ou sous tutelle et faute pour lui d’être avocat.

M. Jacquot ne critique pas ce second motif d’irrecevabilité, qui nous paraît au demeurant pleinement justifié : les articles R.431-2 et R.431-11 du code de justice administrative prévoient en effet que, pour les contentieux qui ne sont pas dispensés du ministère d’avocat, le demandeur doit faire appel à un avocat ou à un avocat aux conseils et pour les contentieux qui sont, comme en l’espèce, dispensés du ministère d’avocat, le demandeur peut présenter sa demande lui-même ou via un mandataire qui, à quelques exceptions près, ne peut être qu’un avocat ou un avocat aux conseils. Votre jurisprudence en déduit que la circonstance que le demandeur bénéficie d’un mandat est sans incidence sur l’irrecevabilité de la demande en tant qu’elle est introduite par le mandant1,2 et précise qu’il en va ainsi même lorsque la loi prévoit l’existence d’un mandat tacite, les dispositions applicables au contentieux administratif faisant alors obstacle à ce que le mandataire puisse agir au nom du mandant3. La rigueur de cette solution n’est tempérée que par la possibilité pour le mandant de régulariser la demande en produisant un mémoire par lequel il s’approprie les conclusions de la demande4.

S’il ne fait donc guère de doute que M. Jacquot ne pouvait représenter ses coïndivisaires, pris individuellement, reste à savoir s’il pouvait, comme il le faisait valoir devant les juges du fond, représenter l’indivision successorale de sa mère, Mme Teura Sanford-Vincent.

Rappelons à cet égard que l’indivision n’a pas de personnalité morale5. Elle est une situation juridique, celle d’un bien sûr lequel plusieurs personnes exercent des droits de même nature – le plus souvent, comme ici, le droit de propriété –, chacun pour une fraction, aucun n’ayant de droit privatif cantonné sur une partie déterminée et tous ayant des pouvoirs concurrents sur le tout6.

Historiquement, la gestion des biens indivis requerrait l’unanimité des coïndivisaires. Vous avez alors jugé, par une décision de Section du 13 juillet 1965, M. et Mme Arbez- Gindre ((N° 60133 : Rec., p. 442.)), qu’en présence d’une créance divisible, un coïndivisaire ne pouvait agir dans le cadre d’une action en réparation qu’en son nom propre et pour la part qui lui revient. Si cette décision semble ouvrir la voie à la possibilité pour un indivisaire de représenter ses coïndivisaires, nous comprenons, compte tenu de la jurisprudence que nous venons de rappeler, que cette possibilité fait écho aux tempéraments progressivement admis par la jurisprudence civile, pour surmonter les difficultés concrètes posées, pour l’administration des biens indivis, par l’unanimité, en permettant que l’indivision puisse être représentée par l’un des indivisaires, en vertu d’un mandat exprès comme tacite7.

Ces tempéraments ont été consacrés par la loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 relative à l’organisation de l’indivision, qui a inséré dans le code civil en particulier les articles 815-2 et 815-3 permettant respectivement à tout indivisaire de prendre «les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis »8 et aux indivisaires de donner à l’un ou plusieurs d’entre eux un mandat général d’administration pour les actes d’administration et de disposition relatifs aux biens indivis ou, pour tout acte qui ne ressortit pas à l’exploitation normale des biens indivis, ainsi que pour la conclusion et le renouvellement des baux, un mandat spécial. Cette dernière disposition a été amendée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités pour substituer au consentement unanime des indivisaires une majorité des deux tiers pour accomplir l’essentiel des actes d’administration des biens indivis, le consentement unanime demeurant requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l’exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que ceux destinés à payer les dettes et charges de l’indivision. Ces dispositions précisent également, d’une part, que les indivisaires titulaires des deux tiers des droits individus doivent tenir les autres indivisaires informés des actes d’administration qu’ils effectuent, sous peine de rendre inopposables à ces derniers les décisions ainsi adoptées, d’autre part, que lorsqu’un indivisaire prend en main la gestion des biens indivis, au su des autres et sans opposition de leur part, il est réputé avoir reçu un mandat tacite pour effectuer des actes d’administration9.

C’est de ces dernières dispositions que se prévaut M. Jacquot, estimant que la Cour les a méconnues en jugeant que l’action indemnitaire qu’il avait introduite ne pouvait être regardée comme régulièrement formée au nom de l’indivision possédant le lot n° 9 de la terre Mumuvai aux motifs qu’il ne disposait ni des deux tiers des droits indivis ni du consentement de tous les indivisaires de ce lot.

Nous pensons en effet que le raisonnement de la Cour est erroné.

D’abord parce qu’elle s’est trompée d’indivision : M. Jacquot ne prétendait avec ses frère, sœur et neveu représenter que l’indivision successorale de sa mère, Mme Teura Sandford- Vincent, dont ils détiennent ensemble 16/20, ou 4/5, soit plus de la majorité des 2/3 requise par l’article 815-3 du code civil, et non l’indivision successorale de son arrière- grand-mère, Mme Taurua a Mai, propriétaire du lot n° 9 et dont M. Jacquot ne détient avec ses coïndivisaires qu’1/7e. À cet égard, outre qu’elle s’est méprise sur l’indivision en cause, la Cour s’est bornée à relever qu’il ne disposait ni, à lui seul, des deux tiers des droits indivis, ni du consentement de tous les indivisaires, sans rechercher s’il disposait d’un mandat de certains de ses coïndivisaires, représentant ensemble 2/3 des droits indivis, lui permettant de représenter l’indivision. Or, si les mandats produits par ses frère, sœur, et neveu sont certes ambigus, M. Jacquot s’en prévalait expressément dans son mémoire en réplique devant la Cour, pour établir qu’il représentait bien l’indivision conformément à l’article 815-3 du code civil. La Commune elle- même admettait en défense que ces mandats puissent «être regardés comme valant autorisation délivrée à M. Bernard d’agir au nom de l’indivision en réparation d’un préjudice subi par celle-ci». Le requérant est donc fondé à soutenir que la Cour a méconnu l’article 815-3 en s’abstenant de rechercher s’il disposait d’un mandat lui permettant d’agir au nom de l’indivision dans le présent litige. Il n’est en revanche pas fondé à reprocher à la Cour de s’être abstenue de rechercher s’il disposait d’un mandat tacite des autres indivisaires, en l’absence d’opposition de leur part, ce moyen étant nouveau en cassation.

Précisons qu’il nous semble surtout que, bien qu’il n’invoque pas ces dispositions, M. Jacquot était, en tout état de cause, fondé à agir seul au nom de l’indivision sur le fondement de l’article 815-2 du code civil. Celui-ci autorise tout indivisaire à prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis même si elles ne présentent pas un caractère d’urgence. À la différence des actes dits d’administration, qui tendent à faire fructifier un bien ou à l’améliorer sans en compromettre la valeur10, les actes conservatoires ont pour objet de soustraire les biens indivis à un péril quelconque sans compromettre sérieusement le droit des autres indivisaires11. Il ressort de la jurisprudence judiciaire que si une action en justice est généralement qualifiée d’acte d’administration, elle constitue un acte conservatoire lorsqu’elle vise à obtenir réparation d’un dommage causé aux biens indivis. En effet, sous l’empire des dispositions antérieures à la loi du 23 juin 2006, la Cour de cassation refusait de considérer l’action en paiement d’une indemnité d’occupation comme une mesure conservatoire qui aurait permis à un indivisaire seul d’agir en justice, au motif que cette mesure n’avait pas pour objet de soustraire le bien indivis à un péril imminent12. La loi de 2006 ayant abandonné la condition tenant à l’existence d’un péril imminent, la Cour de cassation a jugé qu’entre dans la catégorie des actes conservatoires que tout indivisaire peut accomplir seul une action tendant non seulement à l’expulsion d’un immeuble d’occupants sans droit ni titre mais aussi au paiement d’une indemnité d’occupation, laquelle est alors payée au bénéfice de l’indivision13. De même, constituent des actes conservatoires que tout indivisaire peut accomplir seul, selon la Cour de cassation, une action en paiement d’une indemnité de résiliation, consécutive à la décision d’une commune de ne pas reconduire un contrat de concession14 ou une action tendant à la liquidation, par le juge de l’exécution, d’une astreinte précédemment ordonnée, et à la remise en état d’un bien indivis par des occupants sans droit ni titre15. C’est dans cette logique que s’inscrit également, nous semble-t-il, votre jurisprudence en vertu de laquelle chaque propriétaire indivis a qualité pour contester, sans mandat des autres indivisaires, la légalité des opérations de remembrement affectant l’ensemble des biens indivis16 ou la contribution foncière afférente à la totalité de l’immeuble17. En l’espèce donc, bien que le requérant ne se prévale pas de l’article 815-2 du code civil, son action, tendant à être indemnisé du fait de l’occupation illégale par la commune du bien indivis, constituait un acte conservatoire qu’il pouvait accomplir seul pour le compte de l’indivision.

Vous pourrez donc annuler l’arrêt de la Cour en tant qu’il rejette les conclusions présentées par M. Jacquot au nom de l’indivision successorale de sa mère.

Prescription de la créance ?

2. Nous pensons également que son arrêt encourt l’annulation en tant qu’elle a rejeté la demande indemnitaire de M. Jacquot, à hauteur de ses parts dans le bien indivis, au motif que la créance dont il demandait réparation était prescrite.

La Cour a statué ainsi sans préciser la nature exacte des indemnisations demandées. Devant le tribunal, les requérants demandaient réparation de leur préjudice moral, financier et économique subi du fait de l’occupation illicite de leur parcelle, soit l’intégralité du préjudice résultant de cette occupation, semblant ainsi demander la réparation tant des dégradations apportées à leur terre que de la perte de jouissance de leur bien. Nous comprenons de leurs écritures devant la Cour qu’ils ne sollicitaient devant elle que la réparation de l’immobilisation irrégulière de la parcelle. S’il nous paraît difficile de reprocher à la Cour de s’être méprise sur la portée de la réparation sollicitée, compte tenu de l’ambiguïté des écritures de M. Jacquot devant les juges du fond et faute pour la Cour de qualifier précisément le préjudice invoqué, le requérant est en revanche fondé à lui reprocher d’avoir méconnu l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 en jugeant en substance que le préjudice résultant de l’occupation sans droit ni titre d’un terrain privé présentait un caractère définitif et non continu.

Alors que le tribunal avait jugé que «le préjudice résultant de la privation de jouissance ou d’immobilisation du terrain en cause est continu et se rattache à chacune des années durant lesquelles il est subi par les propriétaires», la Cour a estimé que le préjudice subi par le requérant était un préjudice définitif au motif notamment que l’origine du dommage n’était pas temporaire, les installations de décharge étant présentes sur site depuis les années 1970 et insusceptibles d’y être enlevées, alors que la terre est profondément et durablement polluée par les déchets qui y ont été déposés puis recouverts par couches successives.

Comme vous le savez, l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 prévoit que «sont prescrites, au profit de l’État […] toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis». Pour déterminer le point de départ de la computation des délais de prescription, votre jurisprudence distingue quatre catégories de préjudices, à chacune desquelles correspond une règle de fixation du point de départ de la prescription, ainsi que l’explique Aurélie Bretonneau dans ses conclusions sur votre décision de Section M. Bermond ((CE 3 décembre 2018, n° 412010 : Rec., p. 438.)). Les deux premières catégories, qui concernent des dommages et faits générateurs tous deux ponctuels, ne posent guère de difficulté: il s’agit, d’une part, des préjudices instantanés qui découlent de dommages qui se réalisent immédiatement et produisent des conséquences dont la nature et l’étendue peuvent être appréciées sans délai, comme l’accident à l’origine d’un dommage matériel. L’année de rattachement de la créance est alors celle au cours de laquelle le dommage s’est réalisé18. Il s’agit, d’autre part, des préjudices découlant de dommages successifs, qui se reproduisent plusieurs fois de suite dans des circonstances semblables mais n’en constituent pas moins des faits générateurs distincts ayant causé autant de dommages distincts rattachables chacun à l’année au cours de laquelle leurs conséquences ont pu être appréciées19.

Les deux autres catégories de dommages sont, à raison de leur déploiement dans le temps, plus complexes: il s’agit d’une part des dommages définitifs, dont les effets sont durables, qu’ils procèdent d’un fait générateur permanent20 ou ponctuel21, qui suivent le régime des dommages instantanés, d’autre part, des dommages continus, qui peuvent se prolonger sur une période de temps indéterminée, mais uniquement en raison du caractère indéfiniment répété du fait générateur, et sont ainsi regardés comme donnant lieu à non pas à une créance unique rattachable à une année dont part la prescription, mais à une succession de créances, imputables à chaque année considérée, comme des préjudices successifs.

Ainsi que le soulignait encore Aurélie Bretonneau, dommages définitifs et continus diffèrent en cela que si un dommage définitif, bien que durable, est déclenché en une seule fois par un fait générateur unique et ne présente, une fois cristallisé, aucune perspective d’évolution, un dommage continu présente des perspectives d’évolution dès lors qu’il peut, d’une part, cesser d’être subi, en cas de cessation de l’activité ou de la carence administrative dommageable, d’autre part, varier en ampleur à raison de variations d’intensité des agissements fautifs qui en sont la cause.

Votre décision du 6 novembre 2013, Mme Dezeuze ((N° 354931 : Rec., p. 367.)), illustre bien cette distinction: s’agissant de la construction, devant la maison des requérants, d’une médiathèque municipale, qui les a privés de la vue dont ils disposaient et à laquelle ils imputaient diverses nuisances visuelles et sonores, vous avez jugé que la privation de vue et les nuisances visuelles étaient des préjudices définitifs car leur portée et leur étendue étaient connues dès l’achèvement de la construction de l’ouvrage, tandis que les nuisances sonores constituaient des préjudices continus, leur intensité étant susceptible d’évoluer au cours du temps en fonction de ses conditions d’utilisation et des mesures susceptibles d’être prises pour en limiter les nuisances.

Vous n’avez en revanche pas encore qualifié le préjudice résultant de la privation de jouissance d’un bien du fait de son occupation irrégulière par une personne publique et les juges du fond semblent divisés quant au caractère continu ou définitif d’un tel préjudice22.

La Cour de cassation estime quant à elle qu’un tel préjudice revêt un caractère définitif. Après avoir jugé que le point de départ de la prescription devait être fixé, en cas d’emprise irrégulière définitive, au jour où cette emprise s’était produite23, elle a en effet étendu cette solution aux emprises irrégulières temporaires24, avant l’intervention de la jurisprudence Panizzon.

Nous peinons à nous rallier à cette solution et vous proposons de juger que présente un caractère continu et évolutif le préjudice résultant de la perte de jouissance d’un bien du fait de son occupation irrégulière. Votre jurisprudence nous semble d’ailleurs engagée en ce sens puisqu’elle range parmi les dommages continus les dommages causés par un refus de concours de la force publique au propriétaire d’un immeuble illicitement occupé qui perdurent tant que se prolonge l’occupation illégale, à savoir l’ensemble des préjudices découlant de l’indisponibilité de l’immeuble, par opposition aux dommages causés à l’immeuble25. De la même manière, l’emprise d’une collectivité publique sur un terrain privé étant susceptible de cesser à tout moment à l’initiative de la collectivité publique, y compris lorsqu’elle y a installé des infrastructures dès lors qu’il lui est loisible de cesser de les exploiter, le préjudice revêt bien un caractère continu et évolutif, de sorte que le point de départ de la prescription quadriennale est constitué par la poursuite de l’emprise année après année. En l’espèce, peu importe que la dégradation de la parcelle occupée par la commune de Faa’a soit irréversible, il s’agit d’un dommage distinct du dommage résultant de la privation de jouissance, laquelle peut cesser si la commune décide de cesser d’exploiter la décharge.

Vous pourrez donc censurer l’erreur de qualification juridique des faits dont la Cour a entaché son arrêt en qualifiant de définitif ce préjudice. Vous n’aurez en revanche pas à vous prononcer sur la question, plus délicate, de savoir si la pollution du terrain, irréversible mais évolutive tant que l’exploitation de la décharge se poursuit, constitue un préjudice définitif ou continu dès lors que M. Jacquot restreint clairement devant vous la portée du litige à l’indemnisation de la seule perte de jouissance du terrain appartenant à l’indivision.

Par ces motifs, nous concluons :

– à l’annulation de l’arrêt attaqué ;

– au renvoi de l’affaire devant la Cour;

– et à ce que la commune de Faa’a verse une somme de 3 000 € à Me Soltner, avocat de M. Jacquot, au titre des frais d’instance. ■

  1. CE S. 31 janvier 1964, Ministre de l’Agriculture c/ Demoiselles Bourgon, n° 60937 : Rec., p. 74. [↩]
  2. 13 mai 1991, Syndicat des copropriétaires du 4 Résidence du Puits Doré, n° 96636 : Rec., T., p. 1112. [↩]
  3. Cf., pour un exemple entre époux, CE S. 27 juillet 1990, Ministre de l’Agriculture c/ Beaufils, n° 57229 : Rec., p. 240. [↩]
  4. CE 22 juillet 1977, Époux Muller et dame Martin-Prin, n° 03632 : Rec., T., p. 925. [↩]
  5. V., par exemple, Cass. civ. (3e ch.) 25 avril 2001, n° 99-14.368 : Bull. Civ. III n° 50 ; Cass. Com. 21 juin 2005, n° 04-13-850 : Bull. Civ. IV n° 136 ; Cass. civ. (2e ch.) 9 juin 2011, n° 10-19-241: Bull. Civ. II n° 129. [↩]
  6. V. J.-B. Donnier, Jurisclasseur Civil code, art. 815 à 815-18, Fasc. 10: Successions – Indivision – Notions générales; et Extrait du BOFIP n° BOI-REC-SOLID-30-40-20120912. [↩]
  7. V. les conclusions d’O. Fouquet sur CE 19 novembre 1984, M. Robert Bouquie, n° 38069 : Rec., T., p. 599, et la jurisprudence citée. [↩]
  8. Depuis la réforme de 2006, ces dispositions précisent que ces mesures peuvent être engagées « même si elles ne présentent pas un caractère d’urgence ». [↩]
  9. Un tel mandat ne pouvant lui être reconnu ni pour effectuer des actes de disposition ni pour conclure ou renouveler des baux. [↩]
  10. V. J.-B. Donnier, Jurisclasseur Civil code, art. 815 à 815-18, Fasc. 20: Successions – Indivision – « Régime légal. Gestion des biens indivis. – Actes accomplis par les indivisaires ». [↩]
  11. V. par ex. Cass. civ. (1re ch.) 25 novembre 2003, n° 01-10.639 : JurisData n° 2003- 021059 ; JCP G 2004, I, 125, H. Périnet-Marquet ; Bull. civ. I, n° 241 ; D. 2004, p. 33. [↩]
  12. Cass. civ. (1re ch.) 25 novembre 2003 : Bull. I, n° 241, pourvoi n° 01-10639, RDI 2004, 278, obs. critiques Bruchi, JCP 2004, I, 125, n° 13 et sqq, obs. critiques, Périnet-Marquet ; Cass. civ. (3e ch.) 7 décembre 2004, inédit, pourvoi n° 03-16732. [↩]
  13. Cass. civ. (1re ch.) 4 juillet 2012, n° 10-21.967 P : D. 2012. 1886. [↩]
  14. Cass. civ. (1re ch.) 10 septembre 2015, n° 14-24.690 P : D. 2015.1840. [↩]
  15. Cass. civ. (1re ch.) 23 septembre 2015, n° 14-19.098 P. Et Dans le même sens, pour la liquidation d’une astreinte prononcée en vue d’assurer la remise en état d’un vignoble indivis : Cass. civ. (3e ch.) 28 mai 2020, n° 19-14.156 P : D. 2020. 117. [↩]
  16. CE 25 avril 1979, Ministre de l’Agriculture c/ Dusanter, n° 11892, Rec., p. 160. [↩]
  17. CE 12 janvier 1973, Société d’aménagement de Port-la-Nouvelle, n° 77633, Dupont, p. 133. [↩]
  18. CE 24 mai 1938, Wreczycki : Rec., p. 464, à propos de l’explosion d’un engin de guerre ayant provoqué des dégâts matériels ; 27 février 1957, Ville de La Rochelle : Rec., p. 120, à propos de la destruction accidentelle d’un monument funéraire ayant provoqué un préjudice matériel, mais aussi moral. [↩]
  19. CE 17 décembre 1958, Consorts Wassmer : Rec., T., p. 877. [↩]
  20. Cas de la dépréciation d’une propriété due à la présence d’un ouvrage public, cf. CE 6 novembre 2013, Dezeuze, n° 354931 : Rec., p. 267. [↩]
  21. Cas d’un handicap permanent causé par une faute médicale : CE 12 janvier 1966, Centre hospitalier régional de Grenoble, n° 57552 : Rec., p. 173. [↩]
  22. Voyez, s’agissant de la cour administrative d’appel de Marseille, pour une qualification de préjudice continu, 28 juin 2021, n° 19MA03901 et pour une qualification de préjudice définitif, 31 mars 2022, n° 20MA03826. [↩]
  23. Cass. civ. (3e ch.) 7 novembre 2001, n° 98-20659. [↩]
  24. Cass. civ. (3e ch.) 5 novembre 2007, n° 06-14404, dans le cas de l’installation d’un parking public par la commune sur des terrains privés. [↩]
  25. CE 25 janvier 1967, Min. c/ Plagnol, n° 64019 : Rec., T., p. 744 ; CE 31 mars 1965, Min. Intérieur c/ Société immobilière de la rue de Picpus : JCP 1966. II. 14473, note A. Homont. [↩]

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  • Cadre du litige
  • Compétence du juge administratif
  • Recevabilité de l’action ?
  • Prescription de la créance ?

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  • Cadre du litige
  • Compétence du juge administratif
  • Recevabilité de l’action ?
  • Prescription de la créance ?

Esther de Moustier

Rapporteure publique

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  • Est-il possible de régulariser un permis de construire après avoir modifié la règle d’utilisation du sol qui n’avait pas été respectée ? – Conclusions sous CE, 7 mars 2018, Mme B., n° 404079 et 404080 14/10/2025
  • La participation d’une collectivité territoriale à une société publique locale est-elle possible lorsque cette collectivité n’exerce pas l’ensemble des compétences de l’objet social de la société ? – Conclusions sous CE, 14 novembre 2018, Syndicat mixte pour l’aménagement et le développement des Combrailles et Société d’exploitation mutualisée pour l’eau, l’environnement, les réseaux, l’assainissement dans l’intérêt du public (SEMERAP), n° 405628 et 405690 09/10/2025
  • Les élus n’appartenant pas à la majorité municipale peuvent-ils avoir un espace réservé sur la page Facebook de la commune ou sur son compte Twitter ? – Conclusions sous TA Cergy-Pontoise, 13 décembre 2018, M. Buchet, n° 1611384 07/10/2025
  • À quelle condition ce qui a été jugé à propos d’un permis de construire s’impose-t-il au juge saisi d’un refus du même permis ? – Conclusions sous CE, 21 septembre 2023, Société Alpes constructions contemporaines, n° 467076 01/10/2025
  • Un comportement fautif de l’autorité gestionnaire antérieur à la période d’occupation sans droit ni titre du domaine public est-il susceptible de constituer une cause exonératoire de la responsabilité de l’occupant ? – Conclusions sous CE, 5 juin 2023, Société Groupe Bigard, n° 464879 01/10/2025
  • La disparition de la règle méconnue par le projet suffit-elle à régulariser l’autorisation délivrée ? – Conclusions sous CE, 4 mai 2023, Société Octogone, n° 464702 01/10/2025
  • Dans quelle mesure l’intérêt pour agir contre une autorisation d’urbanisme peut-il être reconnu au tiers qui, sans disposer d’un titre, revendique la propriété du terrain d’assiette ? – Conclusions sous CE, 25 janvier 2023, Société Touche Automobiles, n° 445937 01/10/2025
  • Le maire peut-il ordonner la démolition d’un mur édifié de façon non conforme à une déclaration préalable ? – Conclusions sous CE, 22 décembre 2022, Commune de Villeneuve-lès- Maguelone, n° 463331 01/10/2025
  • Une commune peut-elle ouvrir à la circulation publique une voie privée ? – Conclusions sous CE, 25 octobre 2024, Commune de La Garenne-Colombes, n° 490521 01/10/2025
  • Une autorisation d’urbanisme est-elle illégale du seul fait qu’elle a été délivrée au visa d’un document d’urbanisme qui n’était plus en vigueur ? – Conclusions sous CE, 31 mai 2024, SCI de Domaine de la Tour, n° 467427 01/10/2025

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