La présente affaire va vous conduire à réaffirmer qu’en principe et sauf disposition contraire, le transfert d’une compétence entre deux personnes publiques n’implique pas le transfert des droits et obligations nées de l’exercice antérieur de cette compétence.
Une responsabilité pour dommages de travaux publics…
Les faits de l’espèce sont simples. M. A… est propriétaire depuis 2008 d’une maison d’habitation, située à Pourrières, dans le Var. Celle-ci a subi des dommages, entre 2011 et 2014, à la suite d’inondations dues à des épisodes pluvieux. Fort d’une expertise ordonnée, à sa demande, par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, M. A… a recherché la responsabilité de la commune, estimant que ses préjudices étaient liés à la détérioration et au sous- dimensionnement du réseau de canalisation et d’évacuation des eaux de pluie. Le tribunal administratif de Toulon lui a donné raison, condamnant la commune à lui verser la somme de 15 745 €. Mais la cour administrative d’appel de Marseille, par un arrêt du 7 décembre 2022, a quant à elle mis hors de cause la commune et condamné la communauté d’agglomération de la Provence Verte à verser à M. A… cette même somme. C’est contre cet arrêt que la communauté d’agglomération s’est pourvue en cassation. Et les débats, devant vous, ne portent que sur l’identité de la personne publique responsable à raison du mauvais fonctionnement du réseau public d’eaux pluviales.
… relative à une compétence transférée après le dommage
Pour trancher ce point, la cour a d’abord rappelé que la compétence en matière de gestion des eaux pluviales urbaines, qui est définie, depuis le 1er janvier 2015, à l’article L.2226-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) avait été transférée des communes aux communautés de communes, à compter du 1er janvier 2020, par la loi dite NOTRe du 7 août 2015, la loi du 3 août 2018 ayant entre-temps rendu le transfert de cette compétence facultatif pour les communautés de communes, mais obligatoire pour les autres établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), notamment pour les communautés d’agglomération, ainsi que cela ressort désormais, et depuis le 1er janvier 2020, du 10° de l’article L.5216-5 du CGCT.
La cour a ensuite pris en considération le III de l’article L.5211-5 du CGCT, applicable à l’ensemble des EPCI et selon lequel : « Le transfert des compétences entraîne de plein droit l’application à l’ensemble des biens, équipements et services publics nécessaires à leur exercice, ainsi qu’à l’ensemble des droits et obligations qui leur sont attachés à la date du transfert, des dispositions des trois premiers alinéas de l’article L.1321-1, des deux premiers alinéas de l’article L. 1321-2 et des articles L. 1321-3, L.1321-4 et L.1321-5. […] / L’établissement public de coopération intercommunale est substitué de plein droit, à la date du transfert des compétences, aux communes qui le créent dans toutes leurs délibérations et tous leurs actes. » Enfin, la cour s’est aussi fondée sur le XII de l’article 133 de la loi NOTRe, qui dispose que : « Sauf dispositions contraires, pour tout transfert de compétence ou délégation de compétence prévu par le code général des collectivités territoriales, la collectivité territoriale ou l’établissement public est substitué de plein droit à l’État, à la collectivité ou à l’établissement public dans l’ensemble de ses droits et obligations, dans toutes ses délibérations et tous ses actes.»
La cour a déduit de ces dispositions, par un considérant de principe, que – nous citons – «le transfert par une commune de compétences à un établissement public de coopération intercommunale implique la substitution de plein droit de cet établissement à la commune dans l’ensemble de ses droits et obligations attachées à cette compétence, y compris lorsque ces obligations trouvent leur origine dans un événement antérieur au transfert». Faisant application de ce principe, la cour a donc jugé que la compétence transférée aux communautés d’agglomération, à compter du 1er janvier 2020, en matière de gestion des eaux pluviales avait eu pour effet de substituer ces dernières aux communes à cette même date pour l’ensemble des actions en responsabilité engagées par les propriétaires riverains avant comme après le transfert de compétences. Il en résulte, selon la cour, que la communauté d’agglomération Provence Verte doit seule répondre des conséquences dommageables liées à l’existence et au fonctionnement du réseau public des eaux pluviales existant sur son territoire. À l’évidence, et contrairement à ce que soutient le pourvoi, l’arrêt est ainsi suffisamment motivé: en citant les textes applicables, en en déduisant un principe et en le déclinant au cas d’espèce, la cour a permis aux parties de comprendre son raisonnement, et vous met à même d’exercer, sur ce raisonnement, votre contrôle de cassation.
En revanche, ces motifs nous semblent entachés d’une erreur de droit que vous devrez d’autant plus censurer, selon nous, que cette erreur semble assez largement répandue. On retrouve en effet le considérant de principe retenu par la cour dans au moins trois autres arrêts rendus ces dernières années par trois CAA différentes, aucun de ces arrêts n’ayant fait l’objet d’un pourvoi.
En principe, le transfert de la compétence n’entraîne pas le transfert des obligations nées de l’exercice antérieur de cette compétence
L’erreur de droit nous semble pourtant caractérisée. Certes, vous n’avez jamais eu à connaître jusqu’à aujourd’hui, du cas précis du transfert de la compétence de gestion des eaux pluviales. Mais, pour autant, il nous semble établi qu’«il n’existe pas de principe à caractère général qui voudrait que, même sans texte, le transfert d’une compétence entre deux personnes publiques impliquerait systématiquement le transfert des obligations nées de l’exercice antérieur de cette compétence, au moins lorsque […] la personne publique qui a perdu sa compétence subsiste». Nous citons là, pour la faire nôtre, l’observation que faisait Bertrand Dacosta dans ses conclusions sur votre décision Communauté de communes du Queyras du 4 mai 20111, observation que reprenait déjà à son compte Gilles Pellissier dans ses conclusions sur votre décision Société Citélum du 3 décembre 20142.
C’est cette logique que vous avez appliquée dans votre décision Communauté de communes du Queyras, en suivant Bertrand Dacosta. Mais, ce faisant, vous n’innoviez pas, vous inscrivant au contraire dans le prolongement de précédents plus anciens. Ainsi, vous avez jugé qu’une commune peut demander réparation d’un préjudice propre qu’elle a subi avant de transférer un bien3, et ce, alors même que le transfert de ce bien emporte normalement transfert de l’exercice des droits qui y sont attachés, tel que celui d’engager la responsabilité décennale des constructeurs4. Dit autrement, si un transfert de compétence entraîne le transfert des biens, équipements, et services nécessaires à l’exercice de cette compétence, ce qui inclut les droits et obligations attachés à ces biens, équipements et services, le transfert ne s’étend pas, en principe, aux créances et aux dettes nées dans le patrimoine de la collectivité antérieurement à la date du transfert. Tel est notamment le cas des droits et obligations liés à un contrat entièrement exécuté avant le transfert de compétences, et ce, alors même que ce contrat avait été conclu pour l’exercice de cette compétence5. En revanche, bien évidemment, lorsque le contrat est en cours et continue à produire ses effets postérieurement au transfert, alors, la substitution d’une personne publique à une autre, sans solution de continuité, a pour effet de transférer tous les droits et obligations nés de l’exécution du contrat, qui ne seront d’ailleurs définitivement fixés que lors de l’établissement du décompte6.
Vous avez également décliné cette logique dans un tout autre domaine, en matière de procédure contentieuse, en jugeant, par votre décision Commune de Corenc du 12 juillet 20197 que, dans le cadre du transfert de la compétence de planification urbaine d’une commune à une métropole, la commune continue à avoir qualité de partie à l’instance intentée contre l’une de ses délibérations modifiant le plan local d’urbanisme (PLU) avant ce transfert.
Sauf disposition législative en sens contraire
Finalement, vous ne vous départez de cette logique que lorsqu’elle se heurte à une disposition législative qui témoigne de ce que le législateur a entendu opérer un transfert global de compétence comportant l’ensemble des droits et obligations, passés et à venir, relatifs à l’exercice de cette compétence. Vous avez ainsi jugé, à propos du transfert aux départements de la gestion des routes nationales, que l’État, qui avait transféré les crédits correspondants, avait nécessairement transféré la charge des obligations nées antérieurement au transfert8. Vous avez raisonné de façon similaire à propos de la compétence en matière de RMI9. Et, de même, ce n’est qu’en vous appuyant sur des dispositions législatives spécifiques, qui ne sont pas en cause dans la présente affaire, que vous avez jugé qu’une communauté urbaine ne pouvait, à compter d’un transfert de compétences, appeler une collectivité à laquelle elle s’était substituée en garantie des condamnations prononcées contre elle pour des dommages causés dans le cadre des compétences transférées, et ce, avant ou après la date du transfert10.
Hors du champ des collectivités territoriales, on peut également citer au moins un autre cas dans lequel le législateur a expressément choisi d’inclure dans un transfert de compétence les actions en responsabilité pendantes à la date de ce transfert: il s’agit du transfert de responsabilité de l’ONIAM à l’Établissement français du sang, prévu par l’article 67 de la loi du 18 décembre 2008 et dont vous avez eu à connaître dans votre avis contentieux du 18 mai 2011, Établissement français du sang ((N° 343823: Rec., p.243.)).
Mais, comme nous vous le disions, toutes ces solutions particulières ne sont pas transposables au «droit commun» des transferts de compétences qui, en principe, sont sans incidence sur les droits et obligations nées d’une action de la personne publique antérieure au transfert.
Le III de l’article L.5211-5 du CGCT n’est pas une disposition législative contraire
Or, au cas d’espèce, nous croyons que rien ne permet de penser que le transfert de la compétence de gestion des eaux pluviales ne s’inscrit pas dans ce « droit commun » des transferts de compétences. Aucune des dispositions sur lesquelles la cour s’est appuyée ne nous paraît de nature à démontrer que le législateur devrait être regardé comme ayant entendu transférer les droits et obligations nés antérieurement au transfert. Certes, vous n’êtes pas très exigeant quant à ce qui doit figurer dans la loi pour établir un tel transfert. Vous avez ainsi pu vous contenter, par exemple, d’une disposition précisant que l’EPCI nouvellement compétent «prend en charge […] les obligations [des] collectivités ou établissements publics à raison des compétences transférées» ou encore, avec une formulation proche, d’une disposition établissant que : « Les obligations auxquelles peuvent être engagées ces collectivités ou établissements publics pour ce qui concerne les compétences transférées sont prises en charge par [l’EPCI] à compter de la date du transfert.» Mais, si vous vous contentez de peu, il faut néanmoins qu’il y ait une réelle accroche dans la loi pour que vous estimiez être face à un transfert global de tous les droits et obligations. Et, à nos yeux, il n’y a rien de tel en l’espèce.
Ainsi, nous pensons que le III de l’article L. 5211-5 du CGCT relève du « droit commun » des transferts de compétence et non pas de la «veine spécifique illustrée par le transfert des routes nationales ou du RMI», comme le remarquait déjà Louis Dutheillet de Lamothe dans ses conclusions sur la décision Commune de Corenc précitée. Cela résulte de la lettre même de cette disposition, que nous vous avons lue tout à l’heure. En effet, son premier alinéa n’évoque aucunement un transfert des droits et obligations à l’EPCI nouvellement compétent mais se borne à prévoir qu’il faut, en cas de transfert de compétence, appliquer aux biens nécessaires à l’exercice de cette compétence ainsi qu’aux droits et obligations attachés à ces biens certaines dispositions du CGCT: les trois premiers alinéas de l’article L. 1321-1, les deux premiers alinéas de l’article L. 1321-2 et les articles L. 1321-3, L. 1321-4 et L. 1321-5. Or ces dispositions du CGCT se contentent d’organiser le transfert des biens meubles et immeubles utilisés, à la date du transfert, pour l’exercice de la compétence en détaillant les modalités de la procédure de mise à disposition de ces biens. Elles ne prévoient en revanche en aucun cas de procéder également au transfert des contentieux nés de la garde de ces biens par le passé. Quant au troisième alinéa de ce III de l’article L.5211-5 du CGCT, il prévoit bien une substitution de plein droit de l’EPCI aux communes, à la date du transfert des compétences, mais il s’agit seulement là d’une substitution «dans toutes leurs délibérations et tous leurs actes» et non pas dans tous leurs droits et obligations.
Non plus que le XII de l’article 133 de la loi NOTRe
Nous croyons que la cour s’est également méprise sur la portée du XII de l’article 133 de la loi NOTRe. Elle s’est focalisée sur le membre de phrase du premier alinéa selon lequel «la collectivité territoriale ou l’établissement public est substitué de plein droit à l’État, à la collectivité ou à l’établissement public dans l’ensemble de ses droits et obligations, dans toutes ses délibérations et tous ses actes» et lui a confié une portée principielle très large. Mais, quoiqu’elles soient rédigées en des termes généraux, nous pensons qu’il convient de resituer ces dispositions dans leur contexte. Les 2e et 3ealinéas de ce XII, qui n’évoquent que l’exécution des contrats en cours, témoignent à nos yeux de ce que cette règle de substitution de plein droit ne s’applique qu’aux seules obligations contractuelles des collectivités, et n’a ni pour objet ni pour effet de procéder à un transfert général de la responsabilité extracontractuelle. Les travaux parlementaires confirment sans doute possible que telle n’était pas l’intention du législateur. Le XII de l’article 133 de la loi NOTRe a en effet été introduit par un amendement gouvernemental et n’a pas été modifié dans lors des débats parlementaires. Or l’exposé des motifs de cet amendement indiquait clairement qu’il ne visait qu’à «sécuriser, pour l’ensemble des collectivités locales, les relations contractuelles dans le cadre des transferts ou délégations de compétence prévus par le code général des collectivités territoriales».
Nous pensons donc que, puisque rien ne justifiait de déroger à la règle générale, la cour a eu tort de juger que le transfert de compétences d’une commune à un EPCI impliquait la substitution de plein droit de cet EPCI à la commune dans les droits et obligations trouvant leur origine dans un événement antérieur au transfert, notamment en ce qui concerne les actions en responsabilité engagées à raison de l’exercice de la compétence antérieurement à son transfert. Puisque la commune était compétente en matière de gestion des eaux pluviales au moment où la maison de M. A… a subi des dommages, c’est bien la commune, selon nous, qui doit répondre de ces dommages.
Par ces motifs, nous concluons:
– à l’annulation de l’arrêt attaqué;
– au renvoi de l’affaire à la cour administrative d’appel de Marseille ;
– au rejet des conclusions présentées, tant par la communauté d’agglomération de la Provence Verte que par M. A…, au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative. ■
- N° 340089: Rec., p.200. [↩]
- N° 383865: Rec., T., p.546. [↩]
- CE 8 juillet 1996, Commune de la Bresse, n° 128579 : Rec., T., p. 742-921-1017- 1126. [↩]
- CE S. 17 mars 1967, Sieur Imbert: Rec., p.133. [↩]
- CE 3 décembre 2014, Société Citélum, n°383865: Rec., T., p.546. [↩]
- CE 26 février 2014, Société Véolia eau, n°365151, inédite. [↩]
- N° 418818: Rec., T., p.593-597-957-1066. [↩]
- CE 23 octobre 2013, Département du Var, n°351610: Rec., T., p.460-836-886. [↩]
- CE 23 avril 2007, Département du Territoire de Belfort, n° 282963 : Rec., T., p. 683- 686-1046. [↩]
- Voyez CE 4 février 1976, Communauté urbaine de Lille, n° 95321: Rec., p.82, dont la solution été reprise plus récemment dans CE 4 décembre 2013, Communauté urbaine Marseille Provence Métropole, n°349614, inédite. [↩]
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