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Dans quelles conditions l’installation et l’utilisation à titre précaire et temporaire d’accessoires de plage par les clients d’un établissement commercial excèdent-elles le droit d’usage qui est reconnu à tous sur la dépendance du domaine public maritime qu’est la plage? – Conclusion sous CE 12 mars 2021, SAS Société Hôtelière d’Exploitation de la Presqu’île (SHEP), n° 443392

Extrait du Bulletin juridique des collectivités locales, mai 2021, p. 369.

Citer : Romain Victor, 'Dans quelles conditions l’installation et l’utilisation à titre précaire et temporaire d’accessoires de plage par les clients d’un établissement commercial excèdent-elles le droit d’usage qui est reconnu à tous sur la dépendance du domaine public maritime qu’est la plage? – Conclusion sous CE 12 mars 2021, SAS Société Hôtelière d’Exploitation de la Presqu’île (SHEP), n° 443392, Extrait du Bulletin juridique des collectivités locales, mai 2021, p. 369. ' : Revue générale du droit on line, 2025, numéro 69717 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=69717)


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Décision(s) commentée(s):
  • CE 12 mars 2021, SAS Société Hôtelière d’Exploitation de la Presqu’île (SHEP), requête numéro 443392

1. La Société Hôtelière d’Exploitation de la Presqu’île (SHEP), dont M. B est le président, exploite en Corse-du- Sud, Commune de Lecci, un établissement touristique haut de gamme de type hôtel-restaurant dénommé « La Plage – Casadelmar », situé sur la presqu’île du Benedettu, dans le golfe de Porto-Vecchio. Le tarif des chambres et suites s’établit, pendant la haute saison, entre 750 € et 3 000 € la nuit.

Une plage située sur un site classé espace remarquable du littoral

La plage du Benedettu, qui n’est pas concédée, figure parmi les plages à vocation « naturelle fréquentée » dans le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC). Il s’agit d’une étroite bande de sable clair dont la largeur, de 7 mètres au maximum, n’est que de 2 mètres à certains endroits. Cette plage et l’ensemble de la pointe du Benedettu font partie d’un site classé espace remarquable du littoral en application des articles L. 146-6 et R. 146-1 du code de l’urbanisme.

Au cours des dernières années, la SHEP et M. B ont fait l’objet de nombreuses procédures de contravention de grande voirie à raison de l’occupation du domaine public maritime par des transats et des parasols, mais aussi par une plateforme de bois et un ponton et sa passerelle d’accès. Voyez un peu : des condamnations ont été prononcées par le tribunal administratif de Bastia par cinq jugements des 15 janvier 2015, 22 mars 2018, 17 octobre 2019 et 19 décembre 2019 pour des faits commis au cours des étés 2014, 2017, 2018 et 2019, certaines condamnations retenant l’état de récidive légale, ce qui n’est pas chose courante.

C’est dans ce contexte que, par deux arrêtés du 4 juin 2020, notifiés les 8 et 12 juin, le préfet de Corse, préfet de la Corse-du-Sud, refusait les demandes, présentées le 16 décembre 2019 par M. B au nom de son entreprise, d’installer sur la plage de Benedettu un ponton en bois non démontable et, en vue de leur location, des matelas et parasols, motif pris de la configuration des lieux, à savoir l’étroitesse de la bande sableuse au pied de la résidence hôtelière, et de ce que l’occupation sans titre du domaine public maritime par le pétitionnaire depuis plusieurs années conduisait à réserver cette portion de la plage à l’usage exclusif de ses clients, en méconnaissance de l’usage libre et gratuit des plages par le public.

Installation de transats et parasols par l’exploitant d’un hôtel

Toutefois, la brigade territoriale de gendarmerie de Sainte-Lucie-de-Porto-Vecchio constatait la présence sur la plage, au droit de l’établissement, au cours des journées des 2, 3 et 4 juillet 2020, de transats, de parasols et, un peu plus loin, d’un ponton. Le 7 juillet, un agent assermenté de la direction départementale des territoires et de la mer constatait à son tour la présence de 62 transats et 31 parasols occupant une superficie de 233 m².

Par une requête du 29 juillet 2020, le représentant de l’État saisissait le juge des référés du tribunal administratif de Bastia d’une demande tendant à ce qu’il prononce sous astreinte l’expulsion de la société et de son représentant du domaine public maritime, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative.

Dans ce recours, le préfet explicitait en toute transparence son changement de stratégie contentieuse. Exprimant sa volonté d’assurer un respect effectif du domaine public maritime pendant la saison estivale, il relevait que l’exploitation commerciale des transats et parasols générait un chiffre d’affaires à même d’absorber le montant, au demeurant limité, des amendes pour contravention de grande voirie, ce qui l’avait décidé à saisir le juge des référés statuant en urgence, tout en rappelant que son référé ne préjudiciait pas au droit de l’État de déférer l’occupant irrégulier comme prévenu d’une contravention de grande voirie, ainsi que le juge votre décision Everaert1.

Procédures engagées pour atteinte au domaine public

Un nouveau constat d’occupation sans titre du domaine public maritime par des parasols et transats était effectué à la demande du préfet par des agents de la DDTM à l’occasion d’un contrôle héliporté réalisé le 13 août à 16 h 06. De son côté, la société produisait le 18 août à 16 h 08, moins de deux heures avant la clôture de l’instruction, un procès-verbal de constat d’huissier réalisé le matin même à 9 heures, appuyé de photographies, faisant apparaître l’implantation, au pied des marches de l’hôtel conduisant à la plage, d’un panneau comportant le texte suivant : « Notre établissement informe son aimable clientèle que les transats et parasols sont mis gracieusement à sa disposition mais qui lui incombe de procéder par elle-même à leur installation et à leur rangement sans l’assistance du personnel. De même, aucun service de boissons ou de nourriture n’est assuré par notre personnel sur la plage, mais reste disponible en libre-service au bar ou au restaurant. Ces dispositions sont malheureusement imposées par la préfecture de Corse » (sic). À cette heure matinale, seules quatre clientes étaient installées. Une photographie montrait une jeune femme en maillot ouvrant un parasol. Enfin l’huissier rapportait un échange avec trois clientes déplorant avoir été contraintes de procéder seules à l’installation des transats et parasols.

Par ordonnance du 24 août 2020, le président du tribunal de Bastia, statuant comme juge des référés, enjoignait à la SHEP d’évacuer sans délai les emplacements occupés sans autorisation sur la plage du Benedettu à Lecci et de retirer les ouvrages ou mobiliers qu’elle y avait installés ou laissé installer, sous astreinte de 1 500 € par jour de retard à compter de la notification de l’ordonnance, autorisait l’État à procéder d’office à l’enlèvement des ouvrages ou biens mobiliers en cause en cas d’inexécution et rejetait le surplus des conclusions des parties, notamment des conclusions d’inscription de faux présentées par la société contre le constat du 7 juillet 2020 effectué par un agent assermenté de la DDTM – étant au passage observé qu’une plainte pour faux et tentative d’escroquerie au jugement avait été déposée à l’encontre de celui-ci par la société.

C’est contre cette ordonnance, notifiée en la forme administrative par la gendarmerie, que la SHEP et M. B se sont pourvus en cassation dès le 26 août 2020.

Le ministre de l’Intérieur a défendu, tout en vous signalant que le constat d’occupation du domaine public maritime réalisé le 7 juillet 2020 avait donné lieu à l’établissement d’un procès-verbal de contravention de grande voirie le 2 novembre 2020.

2. Les requérants soutiennent en premier lieu que le juge des référés a entaché son ordonnance d’erreur de droit et de dénaturation en accueillant la demande du préfet, alors qu’ils avaient établi que l’occupation privative du domaine public avait cessé à la date à laquelle celui-ci a statué. Le juge des référés aurait exposé sa décision à la même critique en tant qu’il a estimé que la condition d’utilité était remplie.

La société et M. B avaient fait valoir qu’à compter du 18 août, ainsi que l’avait constaté l’huissier de justice mandaté à cette fin, une « nouvelle organisation » avait été mise en place. Depuis lors, disaient-ils, les clients de l’établissement venaient eux-mêmes chercher les transats et parasols que l’hôtel-restaurant mettait à leur disposition à titre gratuit, ce sans l’aide des salariés de l’établissement et sans qu’un service de bar-restauration ne leur soit offert. Pour écarter cette argumentation, le JRTA a retenu que :

« La mise à la disposition par une société, pour le confort de sa seule clientèle, de chaises longues et de parasols destinés à être installés sur la plage à proximité immédiate de l’établissement qu’elle exploite, est réalisée dans l’intérêt commercial de cette société. Ainsi, la présence, même temporaire, de ces biens mobiliers, qui est en lien direct avec l’activité de cette société, doit être regardée comme constituant une occupation du domaine public maritime par celle-ci, alors même qu’elle laisse désormais le soin à ses clients d’installer eux-mêmes ces objets sur la plage. » Les requérants contestent ces motifs en faisant valoir que l’utilisation momentanée du domaine public maritime par la clientèle de l’établissement « La Plage » ne dépasse pas le droit d’usage du domaine public qui appartient à tous et rappellent à votre bon souvenir votre arrêt Commune d’Avignon relative à la présence momentanée des clients des établissements bancaires qui stationnent sur le domaine public le temps d’effectuer une transaction – présence dont vous avez dit qu’elle n’était ni exclusive de celle d’autres usagers du domaine public ni incompatible avec l’affectation de celui-ci, quand bien même elle est nécessaire au mode d’exercice de l’activité bancaire2.

L’apparence d’une occupation régulière par les clients de l’hôtel

Vous aurez compris l’astuce, qui consiste à donner à une occupation privative et irrégulière d’une plage naturelle par un établissement de tourisme, soumise à autorisation, l’apparence d’une occupation régulière par les clients de cet établissement ne dépassant pas le droit de tout un chacun de venir s’installer sur la plage.

Les requérants écrivent ainsi : « La circonstance que les clients de “La Plage” disposent de matériel de plage provenant de la SAS SHEP – comme d’autres utilisateurs de la plage pourraient d’ailleurs tout à fait avoir loué ou s’être vu remettre à titre gracieux du matériel de plage auprès d’autres professionnels – est inopérante. Les empêcher de s’installer, au motif qu’ils disposeraient de matériel de plage fourni par la SAS SHEP, contreviendrait audit droit d’usage dont ils disposent, au même titre que les personnes qui ne sont pas clientes de l’établissement. »

Toutefois, l’appréciation souveraine des faits par le JRTA est exempte de dénaturation et nous ne pensons pas qu’il ait commis d’erreur de droit en refusant de céder à l’enchantement d’une occupation non plus par l’établissement mais par ses clients. Nous espérons démontrer que cette résistance, fondée en droit et en fait, est en outre salutaire. Au frontispice du raisonnement, il faut bien sûr placer les dispositions législatives relatives à la destination des plages – qui n’est pas exclusivement une « destination touristique », si vous nous permettez ce mot. Il résulte de l’article L. 2124-4 du CGPPP que : « L’accès des piétons aux plages et leur usage libre et gratuit par le public sont régis par les dispositions de l’article L. 321-9 du code de l’environnement. » Et aux termes de cet article : « L’accès des piétons aux plages est libre sauf si des motifs justifiés par des raisons de sécurité, de défense nationale ou de protection de l’environnement nécessitent des dispositions particulières. / L’usage libre et gratuit par le public constitue la destination fondamentale des plages au même titre que leur affectation aux activités de pêche et de cultures marines. […] Les concessions de plage […] préservent la libre circulation sur la plage et le libre usage par le public d’un espace d’une largeur significative tout le long de la mer. »

La question du « droit d’usage qui appartient à tous »

Bien entendu, l’usager qui pose sa serviette sur une plage pour tout ou partie de la journée, le cas échéant y installe un parasol et une chaise longue, ne fait pas du domaine public maritime de l’État un usage excédant le « droit d’usage qui appartient à tous » que mentionne l’article L. 2122-1 du CGPPP. Cet usage conforme ne saurait donc relever d’un régime d’autorisation. Il ne requiert aucun titre et n’expose à aucune redevance.

Il en va différemment, de toute évidence, pour celui qui souhaite se livrer à une exploitation économique sur le domaine public maritime, en privatisant une plage, quand bien même, d’ailleurs, les équipements mobiliers seraient installés tôt le matin pour être retirés tard le soir, à l’instar du mobilier d’une terrasse ou contre-terrasse parisienne. Dans cette hypothèse, il lui faut obtenir une autorisation, personnelle, précaire et révocable, et acquitter une redevance, dès lors qu’est en cause un usage seulement compatible avec la destination de la plage qui est l’usage libre et direct par tout un chacun.

En l’espèce, nous ne sommes pas persuadés que le fait que les équipements de plage soient mis en place par les clients de l’établissement suffise à faire regarder l’occupation du domaine public comme étant le fait des intéressés eux-mêmes et non comme le fait de l’établissement. Le juge des référés s’est appuyé à cet égard sur des constats de fait pertinents : il a relevé, par une appréciation qui n’est pas critiquée par la branche de dénaturation, que le mobilier balnéaire était mis à disposition par la SHEP « pour le confort de sa seule clientèle ». Le panneau dont nous vous avons lu le texte est clairement adressé à la clientèle de l’établissement, pas à un public plus large. Ce n’est pas un hasard, d’ailleurs, si cette mise à disposition est gratuite : elle ne l’est que parce qu’elle bénéficie aux clients de l’établissement et se trouve par là même incluse dans les autres prestations qui leur sont facturées. C’est ce qu’a observé le juge des référés en relevant que cette mise à disposition était « réalisée dans l’intérêt commercial » de la société. Ce magistrat a également noté que les parasols et transats étaient implantés « à proximité immédiate de l’établissement qu’elle exploite ». Tous ces constats l’autorisaient à ne pas croire à la transfiguration alléguée, qui n’était qu’un subterfuge.

Les requérants invoquent encore le photographe-filmeur de votre arrêt d’Assemblée Daudignac3, pour établir que toute activité commerciale sur le domaine public n’implique pas la délivrance d’une AOT. C’est vrai. Et ils affirment que vous ne sauriez assujettir l’ensemble des restaurants pratiquant la vente à emporter à l’obligation d’obtenir une AOT compte tenu de la possibilité pour leurs clients de consommer leurs plats sur le domaine public. Certes non.

Mais imaginons, pour changer de décor, qu’un hôtelier-restaurateur de Paris mette à la disposition exclusive des touristes qui fréquentent son établissement des chaises et des tables (qui ne sont que du mobilier), que lesdits clients installeraient au droit de cet établissement, sur le domaine public communal, pour y prendre leurs repas : nous serions prêts à soutenir, par souci de réalisme, qu’il y aurait là une occupation domaniale dépassant le droit d’usage qui appartient à tous et impliquant la délivrance d’une autorisation.

Notre perplexité tient également à ce que, comparant côte à côte les images avant/après – avant de l’occupation irrégulière par l’établissement, tant de fois sanctionnée sous l’angle des contraventions de grande voirie, après de l’occupation proclamée régulière par les clients – nous n’apercevons en fin de compte aucune différence.

Alors peut-être le juge de cassation, examinant depuis le Palais-Royal les arguments parés du droit des requérants et statuant bien loin – hélas – des plages de Corse, loin aussi du conflit aigu mettant aux prises l’État et les requérants, pourrait-il être animé par l’idée qu’on eût pu mieux juger et reprocher au juge des référés de n’avoir pas établi encore plus précisément qu’il ne l’a fait que les clients de l’hôtel-restaurant agissaient sous leur propre responsabilité, que des tiers à l’établissement auraient été refoulés ou que les équipements étaient laissés à demeure par les clients de l’hôtel. Mais outre qu’il faut tenir compte de la nature de l’office du juge des référés appelé à statuer en urgence, nous croyons que celui-ci a fait preuve de sagesse en refusant de tirer des conséquences de la fable qui lui était contée et qu’une censure n’enverrait pas un bon signal, à l’endroit des requérants mais aussi à l’égard des services de l’État en Corse. 

La question du ponton 

3. Quant au ponton, les requérants se prévalent d’une attestation du maire de Lecci selon laquelle la SHEP «n’a installé en 2019 et 2020 aucun ponton flottant au droit de son établissement». C’est exact. Toutefois le juge des référés n’a pas jugé qu’un ponton aurait été installé au droit de l’établissement. Il a constaté qu’un ponton était présent «sur la plage du Benedettu à Lecci», dont la longueur excède celle de l’établissement des requérants. Il a également relevé qu’il ressortait du surplus de l’attestation du maire de Lecci que «le ponton flottant, qui se situe au droit du parc de stationnement desservant la plage, est mis à la disposition du public et des services de secours par la SAS SHEP», enfin que cette société, qui avait présenté une demande d’AOT à raison de ce ponton, ne contestait pas en être propriétaire. Ces appréciations de fait ne sont entachées d’aucune dénaturation et il en résultait que le ponton, que l’on aperçoit au demeurant très bien sur les photographies prises le 18 août par l’huissier mandaté par les requérants, n’avait pas disparu du paysage marin.

Compte tenu de ce qui précède, le juge des référés n’a pas exposé sa décision à la critique en jugeant que la condition d’utilité était remplie, dès lors que, contrairement à ce qui est soutenu, l’occupation irrégulière n’avait pas cessé à la date à laquelle il a statué.

La question de l’urgence en référé

4. Par leur dernier moyen, les requérants soutiennent que le juge des référés aurait entaché sa décision de dénaturation et d’erreur de droit en jugeant que la condition d’urgence était remplie.

À la différence du régime applicable en vertu de l’article L. 521-3-1 du code de justice administrative dans la zone des cinquante pas géométriques, il appartenait au juge des référés, y compris, le cas échéant, en l’absence de contestation sur ce point, de vérifier que l’urgence justifiait qu’il soit fait droit à la demande d’évacuation de la plage présentée par le préfet, en faisant apparaître dans les motifs de son ordonnance les raisons de droit et de fait pour lesquelles il considérait que cette condition était remplie, au terme d’un bilan, ainsi que l’ont prescrit vos décisions Association Maison des jeunes et de la culture de Méru4 et Padureanu5, étant par ailleurs entendu que l’urgence ne saurait résulter du seul constat de l’irrégularité de l’occupation domaniale6.

On constate dans votre jurisprudence que l’urgence, qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond7, tient le plus souvent à la mise en cause du fonctionnement normal d’un service public8 ou de sa continuité9.

Vous jugez par exemple que l’urgence à expulser un occupant sans titre d’un emplacement d’amarrage situé dans un port de plaisance résulte de ce que la commune doit assurer l’accès égal et régulier des usagers au service public portuaire et le fonctionnement normal du port de plaisance10. Dans votre fameux arrêt SARL Icomatex11, vous jugez qu’il y a urgence car la société qui se maintient sans titre sur l’emplacement du marché d’intérêt national de Strasbourg qu’elle occupe « fait obstacle à l’utilisation normale et conforme au règlement intérieur » de cet emplacement.

Alors peut-être le juge de cassation, examinant depuis le Palais-Royal les arguments parés du droit des requérants et statuant bien loin – hélas – des plages de Corse, loin aussi du conflit aigu mettant aux prises l’État et les requérants, pourrait-il être animé par l’idée qu’on eût pu mieux juger et reprocher au juge des référés de n’avoir pas établi encore plus précisément qu’il ne l’a fait que les clients de l’hôtel-restaurant agissaient sous leur propre responsabilité, que des tiers à l’établissement auraient été refoulés ou que les équipements étaient laissés à demeure par les clients de l’hôtel. Mais outre qu’il faut tenir compte de la nature de l’office du juge des référés appelé à statuer en urgence, nous croyons que celui-ci a fait preuve de sagesse en refusant de tirer des conséquences de la fable qui lui était contée et qu’une censure n’enverrait pas un bon signal, à l’endroit des requérants mais aussi à l’égard des services de l’État en Corse.

Un peu dans le même esprit, vous jugez qu’il y a urgence à prononcer l’expulsion d’une aire d’accueil de gens du voyage d’une famille qui s’y maintient après la date à laquelle elle s’était engagée à la quitter, alors que « le fonctionnement normal d’une telle aire, qui a pour finalité un accueil provisoire et non permanent des gens du voyage, requiert que les personnes n’y résident plus après l’expiration du délai fixé par le contrat signé à leur arrivée »12.

De même avez-vous jugé que le maintien d’un kiosque pour la vente de crêpes et gaufres à emporter, de deux mètres sur deux, sur le domaine public municipal de La Ciotat « est de nature à faire obstacle à la libre circulation des piétons dans ce secteur fréquenté » du front de mer, pour en déduire « l’urgence à rétablir la pleine et entière liberté de circulation conforme à l’affectation du domaine public considéré »13.

Il arrive enfin que vous vous fondiez sur les nécessités de l’ordre public en jugeant qu’une expulsion est nécessaire pour la sécurité des personnes14.

En l’espèce, l’ordonnance retient que l’urgence est justifiée par la nécessité de rétablir le libre accès des piétons à la plage et l’usage libre et gratuit de celle-ci, en mentionnant les dispositions pertinentes du code de l’environnement, mais aussi par la nécessité de permettre l’exercice des prérogatives et missions de service public, notamment de sécurité, en tout point du domaine public. Le juge des référés a en outre relevé qu’il ne résultait pas, par ailleurs, de l’instruction que l’enlèvement du ponton serait de nature à nuire à la sécurité publique ou à porter atteinte à l’exercice de missions de secours.

Les requérants reviennent à la charge en soulignant que la nouvelle organisation reposant sur la mise en place du matériel de plage par les clients eux-mêmes permettait au domaine public de retrouver un usage conforme à sa destination. Ils soutiennent également que les risques pour la sécurité publique n’étaient pas établis.

Toutefois, premièrement, ce ne sont pas un constat fait et des photographies prises à 9 heures le matin qui sont susceptibles de montrer que la plage aurait retrouvé un usage conforme à sa destination à la date à laquelle le juge des référés a statué.

Deuxièmement, le juge des référés n’a pas commis l’erreur de droit qui aurait consisté à déduire l’urgence de l’occupation irrégulière du domaine public maritime.

Il a en revanche constaté, par des motifs exempts de dénaturation, la persistance d’une atteinte à la destination fondamentale de la plage qui est l’usage libre et gratuit par le public, résultant en l’espèce d’une privatisation s’inscrivant dans le cadre d’une prestation à titre onéreux, en rappelant les dispositions de l’article L. 321-9 du code de l’environnement.

Or pour des raisons évidentes, l’urgence était d’autant plus grande que le juge était appelé à statuer alors que la haute saison était en cours. Allons d’ailleurs jusqu’au bout du raisonnement : s’il n’y a pas urgence à expulser l’occupant irrégulier d’une plage de Corse en plein été pour en rétablir l’usage libre et gratuit, à quel autre moment de l’année l’urgence sera-t-elle établie ?

Et troisièmement, quand bien même la situation d’occupation irrégulière dure depuis plusieurs années, nous pensons que le choix d’un référé d’urgence était pleinement justifié. À cet égard, nous voudrions rappeler votre jurisprudence Ministre de l’Équipement c/ Association des amis des chemins de ronde, selon laquelle les autorités chargées de la police et de la conservation du domaine public maritime sont tenues, par application des principes régissant la domanialité publique, et sans pouvoir s’y soustraire pour des raisons de simple convenance administrative, de veiller à l’utilisation normale des rivages de la mer et d’exercer a cet effet les pouvoirs qu’elles tiennent de la législation en vigueur, y compris celui de saisir le juge des contraventions de grande voirie, pour faire cesser les occupations sans titre et enlever les obstacles créés de manière illicite qui s’opposent à l’exercice par le public de son droit à l’usage du domaine maritime15. Si l’État n’agit pas, il engage d’ailleurs sa responsabilité16.

Or le préfet de Corse exposait de manière démonstrative, dans sa requête, qu’une ou deux amendes de 1 500 € ou 3 000 € par été n’avaient pas suffi à déterminer un établissement tel que « La Plage – Casadelmar» – dont nous avons rappelé les tarifs – à renoncer à l’occupation irrégulière du domaine public maritime, en raison d’une sorte d’acceptation du risque pénal que représente la mise en œuvre à son encontre de la procédure des contraventions de grande voirie.

C’est ce contexte que le juge des référés a parfaitement pris en considération en rappelant, au point 16 de son ordonnance, que les demandes d’AOT présentées par la SHEP et M. B avaient été refusées avant le début de la saison et que les intéressés persistaient à occuper irrégulièrement le domaine public maritime alors qu’ils avaient été condamnés à plusieurs reprises par le tribunal administratif pour contravention de grande voirie à raison des mêmes faits d’occupation sans autorisation d’une partie de la plage du Benedettu à Lecci.

Ainsi, et à supposer même que vous ne soyez pas convaincu par les motifs de sécurité également mis en avant par le juge des référés, nous croyons donc que celui-ci était fondé à constater une situation d’urgence justifiant qu’il soit fait droit à la demande d’évacuation du domaine public des transats et parasols.

Enfin, aucune critique spécifique n’est formulée par les requérants en tant que l’ordonnance s’est prononcée sur le ponton.

Par ces motifs, nous concluons au rejet du pourvoi. ■

  1. 1 CE (8/3 SSR) 26 juin 2002, n° 231807 : Rec., p. 225. [↩]
  2. CE (8/3 SSR) 31 mars 2014, n° 326140 : Rec., T., p. 652-653. [↩]
  3. 22 juin 1951 : Rec., p. 362 ; GAJA, n° 61, concl. Gazier. [↩]
  4. CE (8/3 SSR) 28 mars 2003, n° 252448 : Rec., T., p. 934, concl. P. Collin. [↩]
  5. CE (8/3 SSR) 1er février 2012, n° 349749 : Rec., T., p. 748-915-1004, concl. N. Escaut. [↩]
  6. 5/3 SSR) 23 juin 1986, Muséum national d’histoire naturelle, n° 68261 : Rec., p. 174. [↩]
  7. 8/3 SSR) 8 juillet 2002, Commune de Cogolin, n° 240015 : Rec., T., p. 868 ; CE (8/3 SSR) 5 mai 2005, Société des cinémas Huez Chamrousse, nos 274683 et 274684. [↩]
  8. CE Ass. 3 mars 1978, Lecoq, n° 06079 : Rec., p. 116 ; CE (8/3 SSR) 1er octobre 2007, AFTRP, nos 299464 à n° 299473 : Rec., T., p. 841-1016. [↩]
  9. CE (8/3 SSR) 8 juillet 2002, Commune de Cogolin, n° 240015 : Rec., T., p. 868. [↩]
  10. CE (7/2 SSR) 3 février 2010, Commune de Cannes, n° 330184 : Rec., T., p. 865. [↩]
  11. CE S. 16 mai 2003, n° 249880 : Rec., p. 228. [↩]
  12. CE (5/4 SSR) 10 octobre 2007, Communauté urbaine de Lyon, n° 305130. [↩]
  13. CE (8e SS 10 mai 2004, Blanc, nos 258935 et 259523. [↩]
  14. CE (8/3 SSR) 6 avril 2001, Min. de l’Éducation nationale c/ Cros Decam et Mme Michel, n° 230000 : Rec., p. 180 ; CE (2/7 SSR) 12 octobre 2016, Min. de l’Intérieur, n° 402783. [↩]
  15. CE S. 23 février 1979, n° 4467 : Rec., p. 75, concl. A. Bacquet. [↩]
  16. CE S. 27 mai 1977, SA Victor Delforge et Cie et Sieur Victor Delforge, nos 98122,et 98123 : Rec., p. 253 ; CE (5/6 CHR) 30 septembre 2019, Min. de l’Intérieur c/ Cie La Méridionale, n° 416615 : Rec., T., p. 726. [↩]

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Table des matières

  • Une plage située sur un site classé espace remarquable du littoral
  • Installation de transats et parasols par l’exploitant d’un hôtel
  • Procédures engagées pour atteinte au domaine public
  • L’apparence d’une occupation régulière par les clients de l’hôtel
  • La question du « droit d’usage qui appartient à tous »
  • La question du ponton 
  • La question de l’urgence en référé

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Rapporteur public

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  • Une plage située sur un site classé espace remarquable du littoral
  • Installation de transats et parasols par l’exploitant d’un hôtel
  • Procédures engagées pour atteinte au domaine public
  • L’apparence d’une occupation régulière par les clients de l’hôtel
  • La question du « droit d’usage qui appartient à tous »
  • La question du ponton 
  • La question de l’urgence en référé

Romain Victor

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