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Quelles sont les règles de retrait d’une délibération de vente d’une dépendance du domaine privé local ? – Conclusion sous CE 26 janvier 2021, SA Pigeon Entreprises, n° 433817

Extrait du bulletin juridique des Collectivités locales, avril 2021, p. 288.

Citer : Romain Victor, 'Quelles sont les règles de retrait d’une délibération de vente d’une dépendance du domaine privé local ? – Conclusion sous CE 26 janvier 2021, SA Pigeon Entreprises, n° 433817, Extrait du bulletin juridique des Collectivités locales, avril 2021, p. 288. ' : Revue générale du droit on line, 2025, numéro 69707 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=69707)


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Décision(s) commentée(s):
  • CE 26 janvier 2021, SA Pigeon Entreprises, requête numéro 433817.

1. La présente affaire soulève une question relative à la formation du contrat de vente d’une parcelle du domaine privé d’une personne publique, au regard de l’existence d’un accord entre les parties sur la chose et sur le prix au sens du droit civil.

Une opération de rétrocession à une société de terrains acquis par une commune

2. La société anonyme Pigeon Entreprises, dont le siège est en Ille-et-Vilaine, est la société mère d’un groupe familial implanté dans l’ouest de la France, spécialisé dans les travaux publics, les carrières et le béton. Au cours de l’année 2007, la société manifestait l’intention d’acquérir des terrains agricoles appartenant à des particuliers, situés sur la commune de Châteaubourg (Ille-et-Vilaine), au lieu-dit Le Plessis-Beuscher, en vue d’y implanter une centrale à béton et une usine de préfabrication.

Informée de cette démarche, et souhaitant elle-même acquérir des terrains appartenant aux mêmes propriétaires en vue d’y créer une zone artisanale, la commune décidait d’acquérir l’ensemble du foncier, soit huit parcelles cadastrées section ZB nos 91, 92, 380, 382, 385, 387, 389 et 391, d’une superficie totale de 9 ha 7 a et 7 ca, et de rétrocéder à la société Pigeon TP les cinq parcelles nos 91, 92, 385, 387, 389 ainsi qu’une partie de la parcelle n° 391, le tout pour une superficie d’environ 6 ha 60 a et 80 ca.

Le dirigeant de la SA Pigeon Entreprises ayant confirmé l’intention de son groupe d’acquérir ces terrains moyennant un « prix d’environ 6,14 €/ m² hors frais d’acte » et demandé à la commune son accord sur cette proposition par courrier du 1er juillet 2011, la maire de Châteaubourg lui faisait connaître qu’elle soumettait cette proposition au conseil municipal et, par une délibération du 22 septembre 2011, ledit conseil approuvait à l’unanimité le principe de la vente, confirmait le prix de cession retenu et autorisait la maire à signer les actes de cette vente, la délibération comportant deux précisions en ce qui concerne le prix de vente.

Premièrement, ce prix était fixé à « environ 405 731 € HT (6,14 € HT le m² exactement) », ce montant ayant été validé par le service des Domaines, « sous réserve du bornage permettant de définir les surfaces exactes cédées ».

Deuxièmement, dans la mesure où il incluait la quote-part incombant à la société Pigeon TP des coûts de viabilisation des parcelles cédées, mutualisés entre cette entreprise et la commune, le prix était révisable « en tant que de besoin (à la hausse ou à la baisse) pour être ajusté au résultat des appels d’offres » devant être lancés par la commune en vue de leur réalisation.

Par une deuxième délibération du 17 octobre 2013, adoptée consécutivement à l’attribution du marché de travaux de viabilisation, le conseil municipal de Châteaubourg confirmait les modalités de la cession tout en fixant le prix prévisionnel de vente à 7,88 € HT par m², sous réserve d’une autre révision du prix, « en tant que de besoin (à la hausse ou à la baisse), pour être ajusté au résultat des appels d’offres pour la réalisation des travaux de l’ensemble de la zone », et autorisait la maire ou son représentant à signer le compromis de vente inhérent à cette cession.

Une nouvelle municipalité décide d’abroger la cession

Toutefois, la nouvelle majorité municipale, issue des élections de mars 2014, décidait, par une délibération du 13 janvier 2016, de « prononcer l’abrogation » des délibérations des 22 septembre 2011 et 17 octobre 2013, en considération de trois motifs :

i) le groupe Pigeon TP « n’a[urait] jamais donné de suites […] sur les éléments essentiels du projet d’acquisition » ; en particulier, il n’aurait « pris aucune initiative pour la réalisation de son projet et ne [se serait] notamment jamais manifesté pour la signature d’un acte authentique » ;

ii) « aucun prix définitif n’a[urait] jamais été fixé » ;

iii) « la zone […] a[urait] connu […] une évolution ne permettant plus l’implantation d’une centrale à béton et d’une usine de préfabrication pour des motifs d’ordre public», la circulation de camions liée à l’activité de la centrale étant de nature à porter atteinte « à la sécurité et à la tranquillité publiques […] en raison de la présence de zone d’habitations ».

C’est dans ce contexte que la société Pigeon Entreprises saisissait le tribunal administratif de Rennes d’une demande d’annulation de la délibération du 13 janvier 2016 – la compétence de la juridiction administrative pour en connaître étant certaine s’agissant de conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir d’un acte administratif abrogeant des délibérations autorisant une vente de parcelles du domaine privé communal, devant par suite être regardées comme affectant le périmètre de ce domaine, conformément à la solution retenue par le Tribunal des Conflits dans son arrêt SARL Brasserie du Théâtre c/ Commune de Reims du 22 novembre 2010 1 et que vous avez rappelée par votre décision SARL Bowling du Hainaut et autre du 15 mars 20171.

Par jugement du 22 juin 2018, le tribunal de Rennes rejetait toutefois sa demande et par un arrêt du 21 juin 2019, la cour administrative d’appel de Nantes, contre les conclusions de son rapporteur public, rejetait l’appel de la société qui se pourvoit à présent en cassation.

Le caractère parfait d’une vente domaniale

3. Ce n’est pas la première fois, loin s’en faut, que vos formations contentieuses sont appelées à se prononcer sur le caractère parfait d’une vente domaniale, cet exercice impliquant de se placer au regard des règles civiles, que les juridictions administratives sont compétentes pour interpréter2, notamment celles de l’article 1583 du code civil selon lequel la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé ».

La décision de référence est sans conteste votre décision SARL Bowling du Hainaut précitée ayant jugé, dans le cas où le conseil municipal a autorisé par une délibération la vente à une société de parcelles du domaine privé de la commune, sans subordonner cet accord à aucune condition, que les parties ayant ainsi clairement marqué leur accord sur l’objet de la vente et le prix auquel elle devait s’effectuer, cette délibération a eu pour effet, en application des dispositions de l’article 1583, de parfaire la vente et de transférer à la cessionnaire la propriété des parcelles, de sorte que la vente a créé des droits au profit de celle-ci et que le conseil municipal ne pouvait légalement, par des délibérations ultérieures, ni annuler cette première délibération ni décider de céder les mêmes parcelles à une autre société.

En l’espèce, la cour a jugé, pour neutraliser l’éventuelle illégalité de la délibération attaquée, en tant qu’elle était fondée sur le motif tiré de ce que le projet de la société Pigeon était de nature à porter atteinte à la sécurité et à la tranquillité publiques, qu’« [e]n toute hypothèse, […] le conseil municipal […] [s’était] également fondé sur le motif tiré de ce que le » groupe Pigeon « n’a jamais donné de suites sur les éléments essentiels de son projet d’acquisition et n’a pris aucune initiative pour concrétiser » ce projet et qu’il ressortait des écritures mêmes de la société Pigeon que celle-ci n’apportait ni précisions ni justifications sur le projet exact pour lequel elle envisageait d’acquérir les terrains dont s’agit, avant de conclure que la société ne pouvait, dans ces conditions « être regardée comme ayant engagé la réalisation du projet pour lequel la cession avait été décidée ».

Comme le pointe justement le pourvoi, ces motifs sont flous. Car de deux choses l’une: soit la cour a considéré, comme elle l’a écrit, que « la cession avait été décidée», et alors il importait peu que le projet industriel de la requérante n’ait pas été concrétisé, dès lors qu’il ne s’agissait pas d’une condition suspensive de la vente, et il n’était plus permis de revenir sur la décision de vendre; soit la cour a entendu juger, nonobstant les termes de l’arrêt, que la cession ne pouvait être regardée comme ayant été réalisée, et alors son arrêt doit être censuré pour insuffisance de motivation et erreur de droit car, bien qu’il vise correctement le moyen de la société Pigeon tiré de ce que la vente parfaite avait créé des droits à son profit et bien qu’il reproduise, au début du point 2, les termes de votre jurisprudence Ternon définissant le régime du retrait des actes créateurs de droits3, étendue par la décision Coulibaly à l’abrogation4, la cour s’est abstenue de prendre formellement parti sur ce moyen et n’a pas recherché l’existence d’un accord entre les parties sur la chose et sur le prix. La cassation est donc inéluctable.

Un cas d’espèce délicat

4. Nous vous invitons à régler l’affaire au fond car elle soulève, après que vous aurez écarté les deux fins de non-recevoir opposées par la commune, l’épineuse question de savoir si, dans les circonstances de l’espèce, la société Pigeon pouvait se prévaloir d’un accord parfait sur le prix et sur la chose vendue.

Exception faite de l’échange, les contrats conclus à titre onéreux mettent à la charge de l’une des parties l’obligation de payer une somme d’argent: le prix. Et ce prix est et demeure une condition de la vente (pour mémoire, seuls les contrats de distribution échappent à cette règle, l’indétermination du prix des contrats ultérieurs dans la convention initiale n’affectant pas la validité de celle-ci).

Ainsi, en vertu de l’article 1591 du code civil, dans sa rédaction inchangée depuis 1804 : « [L]e prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties. »

Ceci emporte deux conséquences.

Premièrement, la détermination du prix ou – nous le verrons – la déterminabilité du prix est une condition essentielle de la vente. En l’absence de prix ou d’accord sur le mode de détermination du prix, la vente est nulle. Elle est dépourvue d’existence légale5. Elle ne saurait donc créer aucuns droits. Deuxièmement, le prix est l’affaire des parties, à la rigueur celle d’un tiers mandaté par elles pour estimer la valeur du bien cédé, comme l’envisage l’article 1592 du code civil, mais au grand jamais celle du juge. Aussi la Cour de cassation fait- elle la chasse à toute « fixation judiciaire du prix», de plus fort lorsque les juges du fond s’appuient sur des éléments extérieurs à l’acte de cession pour fixer ce prix6. Et même lorsque, en l’absence de prix chiffré, les parties s’en remettent aux dires d’un tiers, expert ou estimateur, il faut encore qu’elles aient fixé à l’avance des éléments objectifs permettant la détermination du prix7.

La question du prix déterminable

Cette obligation de fixer un prix déterminé ou déterminable renvoie à l’exigence, à présent formulée en des termes généraux par l’article 1163 du code civil, selon laquelle toute obligation a pour objet une prestation « déterminée ou déter- minable », la prestation étant déterminable « lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire ».

Mais qu’est-ce donc qu’un prix déterminable ?

La Cour de cassation, à la jurisprudence de laquelle il est sage de se référer, retient depuis un arrêt de principe de 1925 que le prix est déterminable lorsqu’il peut être déterminé « en vertu des clauses mêmes du contrat, par voie de relation avec des éléments qui ne dépendent plus de la volonté ni de l’une, ni de l’autre des parties »8.

Cet arrêt a enfanté une jurisprudence essentiellement casuistique.

Par exemple, si le juge civil se défie, en principe, des contrats qui renvoient au « prix catalogue» ou au « tarif en vigueur» à la date de la livraison de la chose vendue, il en va différemment, dans les ventes de véhicules automobiles, lorsque le concessionnaire n’a aucune part dans la détermination du prix des véhicules que lui impose, en vertu du contrat de concession, son propre vendeur9. Est ainsi déterminable le prix d’une Ferrari désigné comme le « prix en vigueur le jour de la livraison », car ce prix doit s’entendre du prix établi par le constructeur et répercuté par l’importateur au concessionnaire10.

La Cour de cassation juge par ailleurs que le prix d’une vente de marchandises « au cours» doit être regardé comme un prix déterminable s’il s’agit d’un cours officiel et objectif. Il en va ainsi d’une vente de pommes de terre dont le prix est fixé par référence aux cotations officielles significatives du marché de la pomme de terre données par le Service national des marchés et le marché de Rotterdam11. Il faut, toutefois, que la rencontre de l’offre et de la demande aboutissant à la fixation du cours ne soit pas parasitée par des éléments extérieurs. Ainsi, si le prix d’actions d’une société de transport fixé en fonction de la valeur de licences de transport est a priori déterminable, dès lors que la valeur de ces licences est fontion de la loi de l’offre et de la demande et qu’il se dégage un cours faisant l’objet de publication de la part d’organismes professionnels, la Cour de cassation relève que ce cours n’est pas fixé par une autorité publique et que la délivrance de licences gratuites par l’État a une incidence sur le cours ce dont il résulte que le prix stipulé n’est pas précisément déterminable12.

Enfin, et cet élément nous intéresse encore davantage, l’existence d’un aléa sur le prix définitif n’est pas toujours synonyme d’indétermination, loin s’en faut. Il est loisible aux parties au contrat de vente de stipuler que le prix sera fonction de la rentabilité future de la chose vendue, notamment dans le cas de cession d’actions: dans un schéma de reprise d’entreprise, la circonstance que le cessionnaire, débiteur du prix indexé sur les résultats de la société cédée, soit aux commandes de celle-ci, ne disqualifie pas automatiquement la clause de prix13. La Cour de cassation approuve ainsi une cour d’appel à avoir jugé que ne contrevient pas à l’article 1591 du code civil le prix des éléments transmissibles d’un cabinet d’expertise automobile que l’acte de cession déclarait payable par le versement d’une somme de 227 500 francs dans le cas d’un paiement comptant, cette somme étant toutefois majorée pour tenir compte du chiffre d’affaires réalisé en l’absence de paiement comptant. La Cour retient que dans cette hypothèse, « le prix ne dépend que de l’aléa de l’activité du cabinet prévu et accepté par les parties […]»14. Comme le relève la doctrine, « la solution n’est qu’apparemment en contradiction avec la nullité des références potestatives car, en réalité, l’intérêt de l’acheteur converge avec celui du vendeur pour que le bien en question soit le plus rentable possible».

L’application au cas d’espèce

Quelles conséquences en tirer ici ?

Les parties se sont tout d’abord entendues sur un prix de 6,14 €/ m², validé par la délibération du 22 septembre 2011, ce prix incluant la quote-part incombant à la société Pigeon TP des travaux de viabilisation des parcelles acquises par la commune, la révision du prix n’étant envisagée, à la hausse comme à la baisse, que pour qu’il soit ajusté au résultat des appels d’offres lancés par la commune en vue de la conclusion des marchés de travaux. La délibération précise nettement quels sont les travaux de viabilisation concernés (création d’un bassin d’orage, implantation des réseaux en limite des terrains cédés) et précise que la clé de répartition entre la commune et l’entreprise Pigeon TP est « au prorata des surfaces», soit, comme l’indique un tableau au dossier, 73 % à la charge de l’entreprise et 27 % à la charge de la commune, ce qui correspond à quelques m² près au rapport entre la partie acquise par le groupe Pigeon (6 ha 60 a et 80 ca) et la partie demeurant la propriété de la commune après rétrocession de cette portion de l’emprise totale acquise par la commune (9 ha 7 a et 7 ca).

Le prix au m² a été porté à 7,88 € par la délibération du 17 octobre 2013, pour tenir compte de la quote-part du coût prévisionnel (plafonnée à 100 000 € HT) des travaux de construction d’un giratoire dont l’une des cinq branches devait desservir les parcelles de la société Pigeon, avec là encore une éventualité de révision à la hausse comme à la baisse, acceptée par les parties, pour ajuster le prix au résultat des appels d’offres lancés par la commune en vue de la conclusion des marchés de travaux. Il ressort des pièces du dossier, notamment d’une lettre adressée 17 octobre 2013 par la maire de Châteaubourg au dirigeant du groupe Pigeon et d’une lettre adressée par ce dernier au nouveau maire le 13 mai 2015, que les parties s’étaient entendues pour fixer ce nouveau prix, plus élevé, pour tenir compte des travaux supplémentaires de création d’un giratoire dont devait bénéficier l’entreprise, avec d’ailleurs un plafonnement en valeur du montant de ces travaux.

Nous en tirons que les parties s’étaient accordées, à deux reprises, par une première puis une seconde convention, sur un prix cible estimatif et sur le principe d’une éventuelle correction de ce prix en fonction d’éléments objectifs (le coût de travaux publics déterminés), c’est-à-dire en fonction d’éléments qui n’étaient pas entre les mains de la société Pigeon TP, débitrice du prix, ni entre celles de la commune créancière.

À cet égard, la circonstance que la commune, en tant que pouvoir adjudicateur, soit responsable des opérations de passation des marchés publics de travaux ne conduit pas à la regarder comme étant en capacité de fixer unilatéralement le prix et, au cas présent, de le majorer dans son intérêt. D’une part, compte tenu du mécanisme de mutualisation des travaux entre la commune cédante et la société cessionnaire, les parties avaient autant intérêt l’une que l’autre à ce que le coût de ces travaux soit le plus bas possible. D’autre part et en tout état de cause, il n’était pas loisible à l’acheteur public qu’est la commune de s’affranchir du respect des règles de la commande publique et de son obligation de faire une bonne utilisation des deniers publics.

Le prix de la cession des parcelles n’était donc pas indéterminable, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges. Il reste à s’assurer, néanmoins, que les parties se sont également entendues sur la chose vendue car la commune de Châteaubourg soutient que tel n’était pas le cas.

L’entente sur la chose vendue

Nous observons tout d’abord, sur ce point, que la commune s’est prévalue d’une indétermination du prix mais pas d’une indétermination de la chose, dans la délibération litigieuse du 13 janvier 2016.

Il ressort aussi des pièces du dossier que les parties se sont accordées sur l’acquisition par la requérante d’un ensemble de parcelles d’une consistance de 66 080 m², soit les parcelles cadastrées section ZB nos 91, 92, 385, 387, 389 ainsi qu’une partie de la parcelle n° 391, à détacher de l’ensemble de parcelles d’une consistance de 90 707 m² acquises par la commune, qui conservait de son côté le surplus de la parcelle n° 391 ainsi que les parcelles nos 380 et 382.

Comme on le voit, les parcelles faisant l’objet du contrat de vente étaient précisément identifiées par leurs références cadastrales.

Et s’il est vrai que la délibération du 22 septembre 2011, d’une part, mentionne une acquisition portant sur une superficie « d’environ» 66 080 m² et, d’autre part, précise qu’un bornage permettra de « définir les surfaces exactes cédées», aucune de ces circonstances ne suffit à faire regarder la vente comme portant sur un objet indéterminé car il s’agissait là d’un simple ajustement technique tenant à la nécessité de découper la parcelle n° 391.

Par hypothèse, le bornage, qui est l’opération purement matérielle consistant à déterminer à l’aide de signes (les bornes) la limite séparative de deux fonds contigus, ne pouvait être réalisé qu’ex post, après la vente conduisant à diviser en deux la parcelle n° 391, étant de surcroît rappelé que le bornage n’est jamais attributif ou translatif de propriété15.

Quant à la référence à une superficie approximative, il faut là encore se référer à la jurisprudence civile.

L’indication claire et précise de la chose vendue importe certes au regard de l’obligation de délivrance qui incombe au vendeur et dont les parties doivent connaître l’objet. Toutefois, et bien que cela puisse à première vue surprendre, la Cour de cassation admet qu’un immeuble puisse être vendu, non comme un corps certain, mais comme une chose de genre dans l’hypothèse où la vente porte sur un terrain à détacher d’un terrain plus grand16, dès lors que l’acte mentionne la superficie de la parcelle à détacher et peu important alors que l’acquéreur s’en soit remis par avance au choix de l’acquéreur quant à sa délimitation exacte17.

Mais la Cour va même plus loin puisqu’elle ne s’arrête pas nécessairement au constat que la vente porterait sur la vente d’une certaine superficie « environ ». Par un arrêt du 30 janvier 2008, sa 3e chambre civile juge ainsi que la vente d’une villa avec piscine située « sur environ 7 000 m² de terrain clos paysager » dont la contenance et la situation cadastrale sont indiquées, de même que la contenance de la parcelle à détacher, est déterminée dans son objet, quand bien même il restait à déterminer l’emplacement exact de la parcelle dont les vendeurs se réservaient la propriété. Comme l’indique l’avocat général Gariazzo dans son avis :

« Cela ne rend pas indéterminable la désignation du bien vendu avec 7 000 m² environ de terrain. Sinon, cela interdirait toute vente d’un bien avec une partie à détacher, tant que le détachement n’est pas intervenu »18.

Nous sommes précisément dans cette situation.

Ici, la vente porte sur un corps certain en tant qu’elle concerne les parcelles cadastrées section ZB nos 91, 92, 385, 387, 389. Les terrains ne sont vendus comme une chose de genre (des m²) qu’en tant que le contrat porte sur une partie de la parcelle n° 391. Mais la contenance exacte de la fraction de parcelle à détacher ne pouvait par définition être arrêtée au jour de la formation du contrat de vente. C’est pourquoi les parties se sont entendues sur la vente d’une superficie d’environ x m² sur une superficie de y m², la chose vendue étant parfaitement susceptible d’être déterminée et localisée dès lors, d’une part, qu’il ne pouvait s’agir que de la partie sud de la parcelle n° 391, desservie par la branche du rond-point créé pour desservir l’établissement industriel que la société Pigeon entendait y implanter et située en contiguïté avec les autres parcelles acquises par la société Pigeon, et, d’autre part, qu’une simple soustraction permettait de calculer la superficie à détacher de la parcelle n° 391 (soit 66 080 m² – la somme des superficies des cinq autres parcelles).

La vente était donc parfaite au sens de l’article 1583, de sorte que la commune ne pouvait plus revenir en arrière, ni au motif que la vente n’aurait pas été décidée, ni pour un motif d’intérêt général ; il en résulte que la société Pigeon est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d’annulation de la délibération du 13 janvier 2016.

Nous comprendrions que la solution vous paraisse sévère, mais on peut souhaiter que votre décision, si vous nous suivez, serve de piqûre de rappel, après votre décision SARL Bowling du Hainaut, en attirant une nouvelle fois l’attention des collectivités territoriales sur le fait que leurs délibérations en matière de vente de dépendances du domaine privé les engagent.

Par ces motifs nous concluons :

– à l’annulation de l’arrêt attaqué ;

– à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes du 22 juin 2018 ;

– à l’annulation de la délibération du 13 janvier 2016 du conseil municipal de Châteaubourg ;

– au versement par la commune à la société Pigeon Entreprises d’une somme de 3 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

– au rejet de la demande de la commune présentée sur le fondement des mêmes dispositions. ■

  1. CE (8/3 CHR) 15 mars 2017, n° 393407 : Rec., T., p. 523-601, à nos concl. BJCL 3/17, p. 197. [↩]
  2. CE (1/6 CHR) 6 février 2006, Département de la Dordogne, n° 259385 : Rec., p. 57. [↩]
  3. CE Ass. 26 octobre 2001, n° 197018 : Rec., p. 497 [↩]
  4. CE S. 6 mars 2009, n° 306084 : Rec., p. 79. [↩]
  5. Cass. com. 30 novembre 1983, Bibie et a. c/ SA Elf France, n° 82-12.045 : Bull. 1983 IV n° 333. [↩]
  6. Cass. civ. (1re ch.) 25 avril 1972, Arvois c/ Dame Vallet, n° 69-14.180 : Bull. 1972 I n° 106 ; Cass. civ. (1re ch.) 24 février 1998, M. Ioualalen c/ M. Baux, n° 96-13.414 : Bull. 1998 I n° 81 ; Cass. civ. (1re ch.) 28 novembre 2000, Société Manutention Levage Grue à tour c/ Codina, n° 98-10.433. [↩]
  7. Cass. civ. (1re ch.) 16 juillet 1998, Fazio c/ Fazio, n° 96-17.414 : Bull. 1998 I n° 265. [↩]
  8. Cass. 7 janvier 1925, Maljournal c/ Senèze et a., DH 1925.57, GAJC T. 2 n° 262 ; Cass. civ. (1re ch.) 10 février 1965, Gerber c/ Gerber, n° 63-10.397 : Bull. 1965 I n° 123 ; Cass. civ. (3e ch.) 6 juin 1969, Époux Canet c/ Époux Poinsenot, n° 67-13.324 : Bull. 1969 III n° 4645. [↩]
  9. Cass. civ. (1re ch.) 8 novembre 1983, De Bucquois c/ SA Ets Gauthier, n° 82-14.902 : Bull. 1983 I n° 262. [↩]
  10. Cass. civ. (1re ch.) 2 décembre 1997, De Vita c/ Société Charles Pozzi, n° 95-16.720 : Bull. 1997 I n° 340. [↩]
  11. Cass. civ. (1re ch.) 14 décembre 2004, GAEC Théry c/ Société Beaumarais, n° 01-17.063 : Bull. 2004 I n° 327. [↩]
  12. Cass. com. 10 décembre 1991, Dubois c/ Trusson, n° 90-15.451. [↩]
  13. Cass. com. 15 juin 1982, Lemesre c/ Société Louis Lemesre Meubles Pilote, n° 79-13.367 : Bull. 1982 IV n° 229. [↩]
  14. Cass. civ. (1re ch.) 28 juin 1988, Dalaison c/ Cossin, n° 86-12.812 : Bull. 1988 I n° 212. [↩]
  15. Cass. civ. (3e ch.) 10 novembre 2009, Sababady c/ Sababady, n° 08-20.951 : Bull. 2009 III n° 247 ; Cass. civ. (3e ch.) 10 juillet 2013, Buchard c/ Rio, nos 12-19.416 et 12-19.610 : Bull. 2013 III n° 97 ; Cass. civ. (3e ch.) 19 novembre 2020, Lucol c/ Saint- Amand, n° 19-22.294. [↩]
  16. Cass. civ. (3e ch.) 17 juillet 1968, Lapeyre, n° 65-14.570 : Bull. 1968 III n° 354. [↩]
  17. Cass. civ. (3e ch.) 15 février 1984, Époux Guichard, c/ Mme Ritter, n° 82-15.465 : Bull. 1984 III n° 41. [↩]
  18. Cass. civ. (3e ch.) 30 janvier 2008, Barret c/ Aleman et a., n° 06-20.551. [↩]

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Table des matières

  • Une opération de rétrocession à une société de terrains acquis par une commune
  • Une nouvelle municipalité décide d’abroger la cession
  • Le caractère parfait d’une vente domaniale
  • Un cas d’espèce délicat
  • La question du prix déterminable
  • L’application au cas d’espèce
  • L’entente sur la chose vendue

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Rapporteur public

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  • Une opération de rétrocession à une société de terrains acquis par une commune
  • Une nouvelle municipalité décide d’abroger la cession
  • Le caractère parfait d’une vente domaniale
  • Un cas d’espèce délicat
  • La question du prix déterminable
  • L’application au cas d’espèce
  • L’entente sur la chose vendue

Romain Victor

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