Les affaires qui viennent d’être appelées concernent le même arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes, s’agissant d’un contentieux de responsabilité administrative à la suite des dommages causés par la tempête Xynthia sur la commune de La Faute-sur-Mer dans la nuit du 27 au 28 février 2010.
La commune de La Faute-sur-Mer est située sur une presqu’île sablonneuse de 500 mètres à 2 km de large au sud de la Vendée. Elle est bordée à l’Ouest par l’océan et à l’Est par l’estuaire du Lay. La tempête Xynthia a touché une douzaine de pays européens, mais son effet a été plus dramatique à cet endroit précis, par l’effet conjugué de cette tempête, de coefficients de marée élevés et de la crue du Lay.
Bien que les deux communes soient situées à quelques kilomètres de distances, de chaque côté de l’estuaire, les affaires appelées aujourd’hui sont assez différentes des affaires que vous avez jugées le 18 décembre 20191 qui concernaient le manque à gagner d’une société dont les permis de construire avaient été retirés à la suite de la tempête dans la commune de L’Aiguillon-sur-Mer. En effet ici, même si les litiges ne portent que sur les dommages matériels aux bien meubles et immeubles d’une partie seulement des victimes, on ne peut pas oublier que 29 personnes sont mortes par noyade dans les eaux glacées de février, pour la plupart à leur domicile, surprises au cœur de la nuit par une submersion atteignant 360 m3 par seconde.
Dès le 3 mars 2010, un arrêté de catastrophe naturelle a été publié au JO, conduisant les compagnies d’assurances à indemniser rapidement les dommages matériels subis par leurs assurés.
La société Assurances du Crédit Mutuel IARD (ACM), subrogée dans les droits des 24 assurés qu’elle a indemnisés, a fait part de trois demandes indemnitaires préalables fin 2014, adressées à la commune de La Faute-sur-Mer, à l’État et à l’association syndicale de la Vallée du Lay (ASVL) d’un montant de 1 569 514, 24 € au titre des indemnités versées aux assurés pour les dommages subis, les honoraires des experts et les indemnisations des biens perdus.
Un contentieux indemnitaire s’est engagé devant le tribunal administratif de Nantes, et la cour administrative d’appel de Nantes a revu à la baisse le montant de la condamnation solidaire des trois personnes morales retenu par le tribunal administratif, en la portant à un peu moins de 1,2 M€, elle a confirmé le partage de responsabilité retenu par les premiers juges, soit 50 % pour la commune, 35 % pour l’État et 15 % pour l’ASVL et a modifié les appels en garantie.
C’est l’arrêt contre lequel se pourvoient la commune, l’État et l’ASVL, et au sujet duquel la société d’assurance ACM a fait un pourvoi incident. Chacun des pourvois pose des questions distinctes et l’ordre de présentation des questions n’est pas aisé, car les requérants visent parfois dans leurs divers moyens des compartiments distincts de l’arrêt. Par souci de clarté, nous traiterons des questions posées pourvoi par pourvoi et non dans l’ordre, plus logique et rigoureux, suivi par la cour dans son arrêt.
Pourvoi de la commune
1. Nous commencerons par celui de la commune sous le n° 434739. Pour retenir la responsabilité de la commune à hauteur de 50 %, la cour a retenu 3 séries de fautes, qui ne sont pas contestées en cassation mais dont on peut rappeler rapidement néanmoins la teneur :
– des diligences insuffisantes dans la réalisation des travaux, qu’elle engage en 2008 en se substituant de facto à l’association syndicale défaillante, avec 80 % de subventions de l’État ;
– des carences dans la mise en place des plans et documents d’information qui lui incombent, tant au titre de la police générale que de l’élaboration d’un document d’information sur les risques majeurs2, de sorte notamment que les pompiers seront privés de consignes et de mode opératoire quand ils interviendront sur le sinistre ;
– de la délivrance de 15 permis de construire en zone « bleu foncé » du projet de PPRI, certes non encore approuvé, mais dont la cour a souverainement apprécié que son contenu était largement accessible à la commune depuis plusieurs années.
Mais la commune concentre sa critique sur un autre terrain, qui nous conduit à une des dernières étapes du raisonnement de la cour. Nous le traitons dès maintenant pour ne plus y revenir.
Pour styliser l’argument de la commune, la société d’assurance ACM ne pouvait pas exercer son recours subrogatoire dans la mesure où elle bénéficiait d’un mécanisme de réassurance. Mais il nous semble que ce que la cour administrative d’appel a jugé se situe dans le droit fil de ce que juge la cour de cassation et que rien ne justifie de s’en écarter.
Le mécanisme de subrogation légale applicable ici est prévu par l’article L. 121-12 du code des assurances, il repose sur l’idée que l’assureur éteint la dette de l’auteur du dommage en indemnisant l’assuré, ce qui justifie qu’il puisse exercer un recours contre l’auteur du dommage afin que la charge définitive de la réparation continue de peser sur ce dernier. La cour administrative d’appel a estimé que la réassurance contractée auprès de la Caisse centrale de réassurance aux fins de s’assurer des risques relevant d’une catastrophe naturelle avec la garantie de l’État, « ne saurait être utilement opposée par un tiers pour faire obstacle à la subrogation légale ».
La cour de cassation devant laquelle se présente plus fréquemment ce type de litige, va dans le sens de ce qu’a jugé la cour administrative d’appel. Un précédent relativement ancien de la 1re chambre civile est fréquemment cité3 mais il nous paraît conserver son actualité, il se fonde assez largement sur la lettre de l’article L. 111-3 du code des assurances, aux termes duquel : « Dans tous les cas où l’assureur se réassure contre les risques qu’il a assurés […] il reste seul responsable vis-à-vis de l’assuré. »
La commune fait néanmoins valoir le cas particulier de l’affaire, qui est l’indemnisation d’une catastrophe naturelle, dont le régime est, il est vrai, spécifique, puisque depuis la loi du 13 juillet 1982, existe une obligation d’insérer dans tous les contrats d’assurance une garantie contre les dommages résultant de catastrophe naturelle, et qui couvre les assurés sans plafond de garantie. La réassurance auprès de la caisse centrale de réassurance (CCR) dans ce cas est elle aussi particulière, puisqu’elle bénéficie d’une garantie illimitée de l’État, en vertu de l’article L. 431-9 du code des assurances. Mais la lettre de l’article L. 111-3 ne limite pas les cas de subrogation, et la 3e chambre civile de la cour de cassation juge pour sa part qu’une déclaration de catastrophe naturelle n’absorbe pas la responsabilité des tiers, de sorte que l’assureur peut se prévaloir de la subrogation de l’article L. 121-124.
Il n’y a pas davantage place pour un raisonnement d’enrichissement sans cause, puisque les mécanismes de réassurance obéissent à un mécanisme de reversement au réassureur d’une quote-part des sommes récupérées par l’assureur subrogé.
Vous écarterez donc le moyen principal d’erreur de droit qui est soulevé. Des moyens d’insuffisance de motivation et de dénaturation sont également soulevés, mais devront être également écartés car ils touchent la même réponse de la cour administrative d’appel, dont la motivation suffit à répondre aux moyens qui étaient présentés devant elle, et qui nous paraît conforme au mécanisme de réassurance en quote-part tel qu’il était exposé devant les juges du fond.
Pourvoi de l’État
2. Le pourvoi de l’État sous le n° 434751 pose des questions plus centrales. L’État a été déclaré responsable à hauteur de 35 %. La cour a retenu la faute de l’État sur deux points sur les cinq qui étaient mis en avant par la commune pour faire reconnaître cette faute.
Il s’agit d’une part de l’élaboration tardive du PPRI et d’autre part de la tutelle de l’association syndicale chargée de la gestion des ouvrages dans l’estuaire du Lay, l’ASVL.
Pas de faute dans l’élaboration du PPRI ?
2.1. Le ministre critique tout d’abord que l’élaboration du PPRI soit tardive et donc fautive. Cette appréciation de la faute relève d’un contrôle qualification juridique.
Les PPRI sont prévus par l’article L. 562-1 du code de l’environnement, il appartient à l’État de les élaborer. Ils ont pour objet de délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de leur nature et de leur intensité, d’y inter dire les constructions ou la réalisation d’aménagements ou d’ouvrages et de prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités. Ces plans trouvent leur origine dans la loi du 2 février 1995.
La cour nous paraît avoir retracé les principaux éléments de la chronologie : plusieurs études en 2000 et 2002 ont fait état de risques de submersion. Le préfet a prescrit dès 2001 l’élaboration d’un PPRI et il a en 2007 mis en œuvre par anticipation le projet de plan. Toutefois, la cour estime que si le préfet a engagé des négociations avec le maire de La Faute-sur-Mer à compter de 2009 aux fins de finaliser ce plan, il est constant qu’aucun PPRI n’avait été approuvé le jour de la tempête Xynthia. En outre, la cour estime que les services de l’État ont sous-évalué l’appréciation du risque de submersion dans le PPR par anticipation en fixant l’aléa de référence à 3,90 m NGF, inférieur au niveau de 4 m pris en compte pour le littoral vendéen. Elle relève aussi que le retard résulte « essentiellement » des réticences de la commune à raison des restrictions aux possibilités de construire des habitations qu’un tel document entraînerait, réticence dont la cour trouve trace dès 2003.
Le pourvoi de la ministre considère en 1er lieu que la cour a erré, en fondant son appréciation de la sous-évaluation fautive de l’aléa de référence sur un rapport d’une mission d’inspection rédigé en mai 2010, soit postérieurement à la tempête. Il fait valoir que l’article R. 562-3 du code implique de présenter les phénomènes naturels et leurs conséquences possibles compte tenu de l’état des connaissances et cherche à démontrer que l’état des connaissances ne permettait pas au moment de l’élaboration du PPRI de retenir un risque plus élevé.
Il reproche à la cour de ne pas avoir dit mot des rapports qui avaient été produits devant elle et qui démontreraient l’impossibilité de retenir un tel risque en raison du caractère exceptionnel de la surcote observée lors de la tempête Xynthia et du caractère totalement inédit du phénomène. Mais la cour n’avait pas à répondre à l’ensemble des arguments, elle n’a, il est vrai, pas cité les rapports mentionnés par le ministre, mais n’a pas non plus cité d’autres rapports versés à la procédure qui inversement appuyaient la thèse que la cour a retenue.
La ministre estime que l’appréciation des pièces du dossier par la cour les dénature, en citant toute une série d’éléments montrant que la cote de 3,90 NGF correspondait à l’état des connaissances, tandis que la tempête Xynthia, au cours de laquelle le niveau marin maximal a été estimé à 4,70 m NGF, aurait bouleversé l’état de ses connaissances. Cette question est très proche de celle que vous avez eue à connaître dans l’affaire LDA déjà citée qui concernait la commune voisine de l’Aiguillon sur Mer s’agissant de la même tempête Xynthia et de la même insuffisance d’un classement de terrains par le PPRI. Nous nous permettons de vous renvoyer à nos conclusions dans cette affaire, en rappelant comme nous l’avions fait qu’une fois la catastrophe survenue, il est facile de relire les données et les événements passés à leur lumière, pour mettre en évidence des éléments qui auraient permis, rétrospectivement, de prendre des mesures qui auraient, peut-être permis de limiter les dommages causés. C’est un exercice plus difficile auquel doit se confronter le juge.
Nous ne voyons aucune raison dans la présente affaire de ne pas retenir au vu de circonstances proches lorsqu’elles ne sont pas identiques, la même confirmation que la cour administrative d’appel n’a pas dénaturé les pièces qui lui étaient soumises en estimant que l’État avait sous-estimé l’appréciation du risque de submersion. Et il ne nous paraît guère utile de développer longuement notre propos pour vous convaincre qu’il n’y a pas d’erreur de qualification juridique de la cour à avoir estimé qu’une telle sous-estimation puisse constituer une faute de nature à engager la responsabilité de l’État.
Le ministre conteste également le caractère direct et certain du lien de causalité de la faute fondée sur le retard du PPRI et la sous-estimation du risque avec le préjudice, en soulevant des moyens d’insuffisance de motivation et d’erreur de droit. La lecture de l’arrêt peut effectivement paraître en partie implicite, ce qui explique le moyen d’insuffisance de motivation, mais il nous semble que la cour a nécessairement fait application de l’article L.562-1 du code qu’elle a cité pour retenir le lien de causalité, en estimant que les insuffisances du PPRI n’avaient pas permis qu’il prescrive des aménagements nécessaires à la prévention du risque. Cet effort de lecture ne nous paraît pas excessif, et nous sommes encore moins convaincu par le moyen d’erreur de droit, qui s’appuie sur le fait que nombre des constructions endommagées préexistaient au PPRI, de sorte que même si celui-ci avait été plus précoce et plus drastique cela n’aurait pas empêché leur construction. Mais le PPRI ne concerne pas que les constructions futures, il peut aussi prescrire des mesures qui renforcent la sécurité des constructions existantes. Nous vous proposons donc d’écarter ces moyens au prix vous l’aurez compris d’un petit effort de lecture.
lourde dans l’exercice de la tutelle de l’ASVL ?
2.2.Le pourvoi du ministre conteste ensuite la faute lourde sur la tutelle de l’ASVL que la cour a confirmée.
Il s’agit ici d’évoquer la digue Est, qui un ouvrage clé de 5,7 km de long édifié le long de l’estuaire du Lay, dont les insuffisances ont conduit aux conséquences dramatiques de la tempête Xynthia dans la commune de la Faute sur Mer, puisque c’est le retard pris à assurer l’exhaussement de cette digue qui a conduit à la submersion marine du bâti construit à l’abri de cette digue, dont la fonction initiale au XIXe siècle était seulement de protéger des terres agricoles contre les tempêtes et submersions.
Deux associations syndicales autorisées (ASA) sont en cause ici, l’ASA des marais et l’ASVL. On reparlera plus dans le détail des rôles respectifs de ces deux associations, dans le cadre de la discussion sur le pourvoi de l’ASVL.
Les associations syndicales autorisées sont une catégorie d’établissements publics existant depuis longtemps, l’une des plus célèbre étant l’association syndicale du canal de Gignac, qui a donné lieu à un arrêt du tribunal des conflits en 1899 qui figure en 7e place dans les grands arrêts de la jurisprudence administrative.
Le régime de ces ASA a été significativement remodelé par une ordonnance du 1er juillet 2004 et son décret du 3 mai 2006, en renforçant les pouvoirs du préfet, qui peut en particulier après mise en demeure « Faire procéder d’office, aux frais de l’association, à l’accomplissement des opérations correspondant à son objet, dans le cas où la carence de l’association nuirait gravement à l’intérêt public » et en cas d’insuffisance des capacités de l’ASA, l’État et les collectivités peuvent se substituer à elles pour réaliser les travaux indispensables. Après avoir cité ces textes, la cour a indiqué : « Hors le cas où il s’est substitué à une association syndicale autorisée défaillante, la responsabilité de l’État à raison des conséquences dommageables du fonctionnement défectueux des ouvrages publics dont cette association est propriétaire ne peut être engagée qu’en cas de faute lourde dans l’exercice de ses pouvoirs de tutelle sur cette association, qui a le caractère d’un établissement public. » Signalons que ce régime de faute lourde n’est pas discuté, il correspond à l’état de votre jurisprudence pour la tutelle d’une ASA5 et nous ne pensons pas qu’il faille le faire évoluer vers la faute simple.
En l’espèce, la cour a estimé que compte tenu de la connaissance fine qu’avait le préfet de la gravité des risques susceptibles de découler des caractéristiques techniques de la digue Est et de son état d’entretien, en ne clarifiant pas les compétences des deux associations syndicales et en n’exerçant pas son pouvoir de tutelle afin de faire réaliser les travaux d’exhaussement, le plus rapidement possible, l’État a commis une faute lourde dans l’exercice de sa mission de tutelle de nature à engager sa responsabilité.
La cour a repris certains éléments que nous avons déjà mentionnés, en particulier l’atlas de submersion marine réalisé le 30 septembre 2002 par le cabinet Sogreah, pour le compte de la direction départementale de l’équipement, faisait notamment ressortir que la digue Est est bordée d’une zone d’aléa fort. En novembre 2003, le préfet appelait l’attention du maire sur une étude effectuée par le centre d’études technique maritime et fluvial préconisant une surveillance accrue de la digue Est compte tenu du risque de surverse.
On comprend que la dissolution de l’ASA des Marais, propriétaire de la digue dont les moyens financiers étaient très faibles, était en discussion depuis 1994, alors que l’ASVF avait également des compétences statutaires pour effectuer des travaux sur la digue.
LA cour note que ce n’est qu’en 2008 que la commune, se substituant aux ASA, dépose un dossier pour l’exhaussement de la digue, travaux qui débuteront début février 2010, quelques semaines seulement avant la tempête Xynthia.
La reconnaissance de la faute lourde est un point sur lequel on peut hésiter, car les éléments du dossier montrent que le préfet n’est loin d’être resté inactif sur cette question à compter de 2005 au moins, lorsqu’il a pris un arrêté classant la digue Est de La Faute-sur-Mer comme ayant un intérêt pour la sécurité publique, qui a imposé au propriétaire de la digue de réaliser plusieurs études. Le ministre fait valoir que des réunions de suivi régulières à l’initiative de l’État ont eu lieu après cet arrêté et que la commune avait manifesté sa volonté d’engager les travaux en lieu et place de l’association syndicale.
Tout cela est exact, et donne matière à hésitation pour retenir la faute lourde. Ce qui transparaît de ce dossier, c’est à l’évidence l’insuffisante implication des autorités locales pour faire avancer les choses rapidement. Ce qui nous convainc en définitive d’écarter l’erreur de qualification juridique, c’est que dans un tel bras de fer, qui a une dimension de politique local dont nous ne minorons pas la difficulté, avec un préfet qui cherche à faire émerger une solution consensuelle, il est gênant de voir la collectivité locale parvenir à freiner les choses face à l’enjeu urgent de sécurité publique dont les services de l’État avaient conscience. Le préfet, malgré encore une fois l’intérêt que ses services ont marqué pour cette question, n’a pas cherché à activer des outils plus contraignants, comme la mise en demeure ou l’exécution d’office, que la loi lui permettait de mobiliser à l’encontre des ASA.
Manquements du maire et faute personnelle
2.3. La ministre conteste enfin au titre de l’erreur de qualification juridique l’appréciation de la cour selon laquelle les manquements du maire de La Faute-sur-Mer n’étaient pas constitutifs d’une faute personnelle détachable du service. En défense, la société ACM relève que ce moyen n’avait pas été soulevé par l’État devant les juges du fond. C’est effectivement la Société d’Assurance mutuelle des collectivités locales, qui était l’assureur de la commune, qui avait plaidé devant la cour administrative d’appel, l’incompétence de la juridiction administrative, en soutenant que les fautes du maire et de son adjointe étaient détachables du service. Ce n’est donc que parce que la cour a joint les différents appels dont elle était saisie que figurent dans l’arrêt attaqué par le ministre les motifs qu’il critique pour la 1re fois devant vous. Dans un contentieux indemnitaire où les responsabilités de plusieurs personnes sont recherchées, il nous paraît évident que la cour a bien fait de joindre les différentes instances. Pour autant, elle n’y était pas tenue. Le principe de neutralité de la jonction des requêtes conduit normalement à considérer qu’un moyen soulevé contre un jugement par une partie B s’agit d’un moyen qui avait été présenté dans une autre instance jointe par une partie A n’est pas recevable, puisque si le juge dont la décision était attaquée n’avait pas joint les deux affaires, le motif critiqué par la partie B ne se trouverait pas dans le jugement qu’elle est recevable à contester en appel ou en cassation.
Mais notre situation est particulière : si la cour n’avait pas joint, l’État aurait néanmoins nécessairement été partie dans l’instance où le moyen avait été soulevé. Il nous semble donc que le moyen est recevable, mais vous pourriez ne pas avoir à trancher la question du caractère nouveau du moyen, puisque nous pensons qu’il ne peut être accueilli.
Il est certes patent au vu des pièces du dossier que le maire de la commune au début des années 2000 a fait montre d’une volonté obstinée de ne pas prendre la mesure des risques qui pesaient sur sa commune. La cour d’appel de Poitiers en a tiré les conséquences en le condamnant pénalement, mais elle a malgré tout estimé que les fautes n’étaient pas détachables du service et n’a donc pas statué sur les intérêts civils dont elle était saisie.
La cour administrative d’appel a rappelé le principe que présente le caractère d’une faute personnelle détachable des fonctions de maire, des faits qui révèlent des préoccupations d’ordre privé, qui procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité. En revanche, ni la qualification retenue par le juge pénal, ni le caractère intentionnel des faits retenus contre l’intéressé ne suffisent, par eux-mêmes, à regarder la faute commise par celui-ci comme étant détachable des fonctions, ou dépourvue de tout lien avec elle.
La cour a, appliquant ces principes, estimé qu’il ne résulte pas de l’instruction que le maire ait agi en vue de privilégier des intérêts privés et personnels ou dans le but de nuire à ses administrés. Cette appréciation factuelle est corroborée par le dossier de fond, et va également dans le sens des constatations de la cour d’appel de Poitiers dans le volet pénal. Nous ne pensons pas que vous puissiez retenir l’erreur de qualification juridique sur ce point.
Pourvoi de l’ASVL
3. Le pourvoi 434733 de l’ASVL conduit à examiner d’autres points de l’arrêt litigieux. Comme on l’a dit, la cour a retenu à hauteur de 15 % la responsabilité de l’association syndicale.
Absence de force majeure ?
3.1 L’ASVL critique tout d’abord l’appréciation de l’absence de force majeure exonératoire de responsabilité. La force majeure constitue une catégorie juridique à part entière, et vous contrôlez en cassation la qualification juridique des faits sur cette question6.
Un événement de force majeure exonératoire de responsabilité doit présenter la triple caractéristique d’extériorité par rapport au défendeur, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité.
En matière de dommages résultant d’inondations, vous hésitez à retenir une force majeure exonérant de sa responsabilité le maître d’ouvrage,7. Vous la reconnaissez lorsque les pluies ou les crues revêtent une violence et une intensité exceptionnelle et imprévisible8.
Comme l’indiquait le président Lasserre dans ses conclusions sur une décision Commune de Val d’Isère9, votre « jurisprudence admet […] de plus en plus rarement qu’une calamité naturelle soit regardée comme un cas de force majeure ; elle considère qu’un événement de cette sorte n’est imprévisible que lorsque son rythme de production est au moins séculaire. [La] réticence à admettre la force majeure est encore plus grande lorsque le risque est propre à une région déterminée.
Il est vrai que vous pouvez retenir la force majeure lorsque se combinent plusieurs phénomènes dont aucun n’est à lui seul imprévisible, mais dont la conjonction le devient. Vous l’avez jugé dans une décision CE 27 mars 1987, Société des grands travaux de Marseille10, pour la conjonction exceptionnelle d’une pluviosité d’une extrême intensité, d’une crue importante de la Garonne et d’une marée particulièrement forte. Vous en avez fait une application récente pour confirmer l’appréciation d’une cour dans une affaire Swisslife11, où la conjonction exceptionnelle de précipitations d’une ampleur exceptionnelle et d’une tempête marine en décembre 2003, qui a conduit à une crue majeure du Rhône, caractérisait un cas de force majeure.
La justification des solutions dégagées par votre jurisprudence pour apprécier l’existence d’une force majeure pourrait peut-être être différente en fonction de la faute qui est reprochée à la personne publique, s’agissant en particulier de la question de savoir si l’événement présentait un caractère irrésistible et imprévisible. Dans l’affaire Garde des Sceaux c/ Da Silva Costa du 6 juillet 201512 par exemple, était recherchée la responsabilité de l’État s’agissant de la perte des biens d’un détenu, à l’occasion de pluies torrentielles. On voit bien que l’appréciation de l’imprévisibilité du sinistre n’est pas la même s’il s’agit de reprocher à la personne publique le caractère insuffisant des moyens de prévention pour empêcher la survenance de dommages face à un risque, qui mettent en cause les vices de conception ou d’adaptation des moyens de protection, ou s’il s’agit de l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour protéger les biens lorsque l’intempérie survient, qui met en cause l’anticipation d’un épisode de crise particulier. C’est la différence entre l’appréciation de la probabilité et de l’acceptabilité d’un risque d’un côté, et la possibilité d’apprécier qu’il va se produire dans un très court laps de temps de l’autre.
Il nous semble que d’une façon générale, et avec le développement tant des outils de prévision et de calcul que d’une culture de la prévention, culture qui est devenue également juridique avec la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, dite « Loi Barnier », qui a mis en place les outils pour protéger la population contre les risques naturels majeurs, cette réticence à retenir la force majeure est encore plus marquée aujourd’hui.
De plus, un élément de raisonnement qui est souligné en doctrine nous paraît important à rappeler : en raison de son caractère exonératoire, la force majeure est d’interprétation restrictive et le doute ne saurait en aucun cas « profiter » à celui qui l’invoque.
En l’espèce, il a été estimé que la probabilité que soient réunis de façon concomitante une forte dépression atmosphérique, des vents violents et un coefficient de marée élevé était de 0,5 pour mille sur un an, soit un temps de retour de 2 000 ans. Une fois tous les 2000 ans c’est à l’évidence bien plus qu’une fois tous les 100 ans, qui est la barre basse en dessous de laquelle vous ne reconnaissez pas la force majeure. Mais la cour administrative d’appel a poussé plus loin l’analyse. En particulier, ce temps de retour signifie qu’une personne de 78 ans a une probabilité de rencontrer ce phénomène au cours de sa vie de 4 %. Nous avons mentionné très brièvement ce qu’ont enduré les habitants de La Faute-sur-Mer la nuit du 27 au 28 février 2010, s’il fallait raisonner en terme d’acceptabilité du risque, les choses seraient ainsi remises en perspective.
Mais ce n’est pas l’élément déterminant, ce qui compte c’est de savoir si l’événement était imprévisible. La cour a relevé que la commune de La Faute-sur-Mer avait connu depuis 1882, de nombreuses tempêtes majeures, dont la force était, pour celles de décembre 1999 et de janvier 2009, supérieure à celle de Xynthia. En outre, le dossier départemental sur les risques majeurs établi en 1995 par le préfet de la Vendée, et transmis à la commune, indiquait qu’elle était la seule du département à être soumise à trois risques majeurs naturels, l’inondation terrestre, l’inondation maritime et les feux de forêt. L’atlas de submersion marine adressé par le préfet le 30 septembre 2002 aux 38 communes littorales, montrait que la digue Est de la commune de La Faute-sur-Mer était bordée sur 50 m de large par une zone d’aléa fort avec un risque de submersion supérieure à 1 m ou avec une vitesse d’écoulement supérieure à 0,5 m/s. De plus, des précédents de submersion marine sont survenus en 1928, 1940, 1941, 1960 et 1989. Enfin, le diagnostic technique de la digue Est, réalisé en juillet 2006 par le cabinet SCE à la suite de l’arrêté de classement de la digue du 7 juillet 2005, faisait état de la nécessité d’un dispositif d’alerte et de vigilance pour traiter les situations de crise en cas de conjonction d’une dépression et d’une forte marée et qu’en particulier les secteurs D et E étaient les plus fragiles.
La cour se fonde donc sur des éléments concrets, propres à la commune de La Faute-sur-Mer, pour estimer que la force majeure ne peut pas être retenue. C’est une appréciation d’espèce à laquelle elle s’est livrée, et nous vous proposons de confirmer son analyse dans le cadre de votre contrôle d’erreur de qualification juridique des faits. Soulignons que cela ne signifie pas que désormais, quelles que soient les situations locales que le juge administratif rencontrera, la probabilité de survenance d’un événement tous les 2 000 ans conduirait toujours à écarter la force majeure au motif qu’il serait prévisible. En outre, les éléments ainsi mis en avant par la cour tendent bien à démontrer que l’événement n’était pas irrésistible. Ajoutons, sans que les choses se situent sur le même plan que cette appréciation est cohérente avec ce que nous vous proposons de juger sur l’insuffisance de l’élaboration du PPRI. Vous écarterez donc le moyen.
Principe de la responsabilité de l’ASVL
3.2. Les moyens suivants concernent le principe de la responsabilité de l’ASVL.
Tout d’abord s’agissant de sa faute. La règle générale est depuis l’article 33 de la loi du 16 septembre 1807 relative au dessèchement des marais, que la responsabilité de la protection contre les inondations relève des propriétaires riverains. La responsabilité du maintien et du contrôle de la bonne sécurité des digues appartient aux propriétaires, réunis au sein d’associations syndicales autorisées.
Comme l’a relevé la cour, la digue est la propriété de l’Association syndicale autorisée des marais de La Faute dite « des Chauveau » fondée en 1863. La question est de savoir si l’entretien, le terrassement, le renforcement et l’exhaussement de la digue relevaient de cette association ou au contraire de l’association requérante.
La cour a estimé à la lecture des statuts de l’ASVL, que ces travaux relevaient bien que celle-ci, et leur lecture, en particulier celle de l’article 4, confortent cette appréciation souveraine. L’article 4 dispose notamment que : « l’association pourra exécuter à l’intérieur de son périmètre tous travaux d’intérêt général de défense contre les inondations. L’association pourra avoir recours à tous moyens adaptés. »
Le pourvoi croit voir une contradiction de motif entre l’affirmation du rôle de l’ASVL et ce que la cour juge à un autre moment, lorsqu’elle se penche sur la faute de l’État dans la tutelle de l’ASA, dont nous vous parlions plus tôt. La Cour ayant jugé au point 33 que : « Le rôle respectif des deux associations syndicales autorisées ne ressortait pas clairement de leurs statuts qui tous deux prévoyaient des interventions sur la digue Est. » pour considérer que l’État aurait dû clarifier ces statuts.
Mais il est difficile d’isoler cette assertion et de simplement l’accoler au raisonnement qui a conduit la cour à estimer que l’ASVL avait commis une faute au regard de sa mission statutaire.
On peut ici citer plus longuement la cour lorsqu’elle caractérise de façon très claire la faute : « l’ASVL, […] disposait toutefois d’engins et de matériels de gros œuvre et d’un budget plus conséquent que celui de l’ASMF, incluant des activités rémunérées de prestation de service et intervenait pour les travaux plus importants. Alors même que l’ASVL soutient qu’elle n’était ni propriétaire, ni maître d’ouvrage, ni gestionnaire de la digue Est et qu’elle ne pouvait intervenir sur cet ouvrage que sur demande des propriétaires, elle n’établit pas que ses actions devaient être soumises à une autorisation préalable de l’ASMF ou de la commune. Ni ses statuts, ni ceux de l’ASMF, ne le prévoyaient. En outre, si l’ASVL affirme qu’elle ne disposait pas des moyens financiers lui permettant de réaliser des travaux de renforcement de la digue, elle avait néanmoins le pouvoir de suggérer ces travaux tant à l’ASMF, qu’à la commune ou même à l’État. Il ne résulte pas de l’instruction qu’elle ait suffisamment attiré l’attention de ces acteurs locaux sur son incapacité à réaliser de tels travaux. Dans ces conditions, l’ASVL a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. » L’argumentation de l’ASVL ne permet pas de retenir une erreur de qualification juridique des faits s’agissant de l’existence de la faute, les éléments retenus par la cour étant matériellement exacts.
Est également critiqué le fait d’avoir jugé que cette faute était en lien de causalité directe avec les préjudices invoqués. Mais, le raisonnement de la cour nous paraît solide : plus de 4 ans s’écoulent entre le diagnostic concernant la nécessité des travaux de rehaussement de la digue, établi en 2005 et affiné en 2006 par l’étude, et leur démarrage en 2010. La part de responsabilité que la cour retient, à hauteur de 15 %, si elle est également critiquée, paraît en réalité en adéquation avec la faute, en tout cas, l’appréciation de la cour nous paraît sans hésitation échapper à la critique de dénaturation.
Un autre moyen du pourvoi de l’ASVL vous conduira toutefois à une censure partielle de l’arrêt.
Dans ses motifs, la cour statue successivement sur les appels en garantie présentés par chacune des personnes publiques, et elle fait droit à ces appels en garantie fort logiquement à proportion de la responsabilité qu’elle a retenue pour chacun de ces acteurs. C’est ainsi par exemple que lorsqu’elle se prononce sur les appels en garantie présentés par l’ASVL à l’encontre de l’État et de la commune, elle retient que l’État garantira l’ASVL à concurrence de 35 % et que la commune le fera à hauteur de 50 %.
Dans le dispositif de l’arrêt, la présentation est différente : elle ne se place plus du point de vue de celui qui présente des appels à garantie, mais de celui des personnes appelées à garantir. Et l’ASVL a raison de soulever une contradiction entre les motifs et ce dispositif : si l’on prend l’article 2 par exemple, il dispose que : « L’État garantira la commune et l’ASVL à hauteur respectivement de 35 % et de 15 % des condamnations prononcées à leur encontre. » En réalité dans les motifs comme on vient de le voir, la cour a estimé que l’État devait garantir l’ASVL à concurrence de 35 % et non de 15 %. Pour que le dispositif soit cohérent avec les motifs, il aurait fallu qu’il indique que l’État garantirait les deux autres acteurs à hauteur de 35 % chacun, que la commune garantirait les autres à hauteur de 50 % et que l’ASVL le ferait à hauteur de 15 %. C’est une erreur malheureuse et sans doute involontaire de la cour mais il faut la réparer. Un dernier moyen touche à un autre appel en garantie présenté par l’ASVL, à savoir la société MMA, assureur de l’ASA. C’est la nature administrative du contrat d’assurance conclu entre la personne publique et son assureur qui fonde en effet la compétence de la juridiction administrative pour ce qui concerne l’appel en garantie de l’assureur par la personne publique assurée13.
La cour a écarté cet appel en garantie en relevant qu’il ressort des stipulations du contrat conclu avec MMA Iard et prenant effet au 1er janvier 2011 que si cette dernière garantit la commune pour des faits antérieurs à cette date, sont exclues de cette garantie les conséquences pécuniaires des sinistres dont l’assuré avait connaissance à la date de souscription de la garantie. La cour juge qu’en l’espèce, alors même que l’ASVL n’a pas été poursuivie pénalement, elle ne peut sérieusement soutenir avoir été dans l’ignorance des conséquences humaines et matérielles provoquées par la tempête Xynthia.
Dans son principe, cette solution est cohérente avec ce que juge la cour de cassation dans des configurations analogues : la seule circonstance par exemple que l’assuré n’ait pas été directement mis en cause dans une action contentieuse à l’époque ne suffit pas à établir qu’il n’avait pas connaissance du fait dommageable, dès lors qu’il avait en revanche connaissance de l’action judiciaire engagée à l’encontre de partenaires commerciaux14.
Pour l’association requérante, la cour a commis une erreur de droit en recherchant, pour trancher la question de l’application des clauses d’exclusion de garantie du contrat d’assurance, si l’ASVL ignorait les dommages causés par Xynthia alors qu’elle aurait dû plutôt rechercher si elle se doutait que sa responsabilité pouvait être engagée en raison de ces dommages. Mais cette nuance nous paraît assez sémantique, et n’aurait pas conduit à une différence de solution de la cour. Vous pourrez donc écarter le moyen.
Pourvoi incident de l’ACM
4. Il reste à examiner le pourvoi incident que la société d’assurance ACM a formé à l’appui de ses mémoires en défense dans chacun des 3 pourvois. Les moyens du pourvoi incident concernent uniquement la réformation du montant du préjudice auquel la cour a procédé, en ramenant la somme mise à la charge des 3 personnes publiques de 1,57 M€ environs à un peu moins de 1,20 M€.
Ce pourvoi incident est selon nous recevable. Il ne le serait pas s’il porte sur un litige distinct. Dans le cas où le pourvoi principal émane de la collectivité, vous considérez que le pourvoi incident soulève un litige distinct lorsqu’il émane d’une personne dont les premiers juges ont rejeté les conclusions, relatives à des préjudices distincts de ceux en cause dans le pourvoi principal et dont la réparation était demandée sur un fondement différent15.
Mais dans une configuration très proche de la nôtre, il n’y a pas litige distinct lorsque le pourvoi principal émane d’une société qui se plaint de ce que certains frais ont été exclus du préjudice indemnisable, et que le pourvoi incident de la personne publique conteste l’arrêt en tant qu’il juge que la victime n’a pas commis de faute atténuant sa responsabilité et en tant qu’il indemnise d’autres frais, alors même que ce pourvoi incident ne porte pas sur les mêmes chefs de préjudice que le pourvoi principal16.
Pour en venir au fond, la cour est partie du principe que l’assureur ne pouvant bénéficier de plus de droits que le subrogeant, il y a lieu de vérifier que les différents postes d’indemnisation pour lesquels la subrogation est invoquée correspondent aux préjudices indemnisables des assurés. Ce postulat de principe est valable dans le cadre de l’article
L. 121-12 du code des assurances, qui instaure un mécanisme légal de subrogation au profit de l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance. Celui-ci, dit la loi, est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur.
Cette subrogation légale ne vaut qu’à hauteur de l’indemnité payée, et la jurisprudence judiciaire a précisé plusieurs points : elle ne peut en particulier pas être invoquée lorsque le versement n’a pas été effectué en exécution du contrat d’assurance, les conditions de la garantie n’étant pas réunies17, et le juge judiciaire doit rechercher si les clauses d’exclusion n’étaient pas de nature à empêcher que l’indemnité ait été payée en application du contrat d’assurance18. La distinction entre action subrogatoire et action récursoire est souvent déterminante : une action récursoire implique que le requérant fasse valoir des droits propres à l’encontre de la collectivité publique en défense. Une action subrogatoire est fondée sur les droits de la victime, on va donc appliquer au litige indemnitaire les règles de responsabilité applicable aux victimes, et on pourra opposer au subrogé l’ensemble des moyens de défense qui auraient pu l’être à la victime. C’est ce que rappelle notamment votre décision CE 31 décembre 2008, Société foncière Ariane19, en application du principe que le subrogé ne peut pas avoir plus de droit que la victime.
La cour administrative d’appel s’est donc intégralement placée dans cette logique de subrogation : elle a regardé ce que les victimes étaient en droit d’obtenir en vertu de leurs contrats d’assurance et a considéré que tout ce que la société d’assurance avait versé qui ne découlait pas de l’exécution de ces contrats ne pouvait pas faire l’objet d’une action subrogatoire de cette société.
Dans ce cadre de l’action subrogatoire, une première faiblesse de l’arrêt est mise en avant par le pourvoi incident : pour calculer le préjudice indemnisable, la cour a noté que les contrats prévoyaient un remboursement à la valeur de reconstruction « vétusté déduite », et a retenu un taux de vétusté de 25 %. Mais la société fait valoir que les expertises propres à la situation de chaque victime avaient évalué le degré de vétusté, qui pouvait parfois n’être que de 3 %. Nous ne nous expliquons pas le choix retenu par la cour de ne pas tenir compte de ces éléments qui figuraient parmi les pièces qui lui étaient soumises : cela ne signifie pas qu’elle était tenue de retenir les indices de vétusté retenus par ces expertises, mais s’agissant de la situation propre à chaque victime, dont les biens n’avaient probablement pas la même vétusté, elle ne pouvait pas appliquer un taux unique pour évaluer le droit de chaque victime.
Mais la cour a, plus largement exclu d’indemniser le préjudice résultant de sommes déboursées par la société ACM, au motif que ces sommes ne correspondaient pas aux garanties prévues par les contrats. Certains points sont discutables, comme par exemple les frais de mesures conservatoires, ou les frais de déblais et de démolition, pour lesquels l’assureur se prévaut, sinon de la lettre des contrats, des préconisations de la fédération française des sociétés d’assurance et, par analogie d’un arrêt de la cour de cassation. Mais l’interprétation des clauses d’un contrat relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, avec la réserve de l’éventuelle nécessité d’un renvoi préjudiciel s’agissant de contrats de droit privé.
Mais ce que souligne la société ACM dans son pourvoi, c’est que ses demandes indemnitaires ne présentaient pas toutes un caractère subrogatoire, et que l’analyse au regard des garanties prévues par les polices d’assurance n’était pas appropriée.
Le cas de figure le plus simple porte sur les expertises qui ont été diligentées auprès de chacun des assurés et dont ACM demande le remboursement dans le cadre de ce litige indemnitaire. La cour administrative d’appel a estimé à la lecture des contrats d’assurance que sauf stipulations particulières contraires, les honoraires de l’expert choisi par l’assuré n’étaient pas pris en charge. ACM estime que la souscription de la garantie « honoraires d’expert » était totalement étrangère au remboursement qu’elle sollicitait, qui ne s’appliquerait de toute façon qu’aux sinistres incendie ou explosion.
Mais, surtout, nous suivons la société lorsqu’elle indique qu’elle ne s’inscrivait pas dans une démarche subrogatoire, où elle aurait demandé le remboursement des frais d’expertises supportés par ses assurés et qu’elle leur aurait elle-même remboursés. Elle estimait que les expertises réalisées permettaient d’évaluer le montant des dommages indemnisables. Vous jugez que les frais d’expertises diligentés par la victime d’un dommage peuvent être inclus dans l’indemnité due, si cette expertise a été utile au juge administratif pour la détermination du préjudice indemnisable20. Vous l’avez aussi jugé, au moins une fois dans une décision inédite du 3 juin 1988, Min. Agri c/ MACIF21, s’agissant déjà du recours incident d’un assureur, et concernant des frais d’expertises engagés par l’assureur, avec ce même critère de l’utilité de l’expertise pour arrêter la solution du litige.
Ceci nous paraît traduire l’idée que ces frais engagés par l’assureur sont susceptibles d’être indemnisés en tant que préjudice, si bien sûr ils trouvent leur cause dans la faute invoquée. Il y a donc place, à côté de l’action subrogatoire, qui se confond en termes de plafond indemnisable pour le subrogé, en tout cas pour la subrogation légale, avec les sommes versées au titre du contrat d’assurance, pour une action récursoire de l’assureur, lorsqu’il fait état de préjudices qui lui sont propres.
Nous ne voyons aucun argument logique au regard des principes de la responsabilité administrative pour qu’un cumul d’action subrogatoire et d’action récursoire soit proscrit dans notre configuration. Et la 3e chambre civile pour sa part ne considère pas davantage que ce qui n’entre pas la subrogation exclut nécessairement une action récursoire : elle juge ainsi que celui qui, par erreur, a payé la dette d’autrui de ses propres deniers, a, bien que non subrogé aux droits du créancier, un recours contre le débiteur22.
L’erreur de la cour administrative d’appel sur ce point nous paraît patente.
Dans le même ordre d’idée, mais sur une question moins balisée par votre jurisprudence nous semble-t-il, ACM faisait valoir qu’elle avait indemnisé les victimes sur la base d’une valeur à neuf de leurs constructions et de prendre en charge les préjudices accessoires à la demande de l’État. La cour en est restée à son raisonnement constatant que ces dépenses débordaient le champ de l’action subrogatoire. Ceci est vrai, comme nous l’avons déjà dit, mais nous ne parvenons pas à considérer que la cour pouvait en rester là. Comme le notait le président Piveteau dans ses conclusions sur une décision du 30 juillet 2003, GIE Soccram c/ Dalkia23, vous préférez en général, lorsque ne se pose pas de question de compétence juridictionnelle, traiter la subrogation comme l’invocation d’un droit plutôt que comme un recours à une voie d’action particulière. Ceci vous conduit donc à appliquer le cadre de l’action récursoire ou celui de la subrogation à l’action engagée plutôt que d’opposer une irrecevabilité lorsque l’auteur de l’action s’est mépris sur la nature de son action.
Pour en revenir à notre affaire, nous n’affirmerons pas que les sommes ainsi déboursées ont un lien direct et certain avec les fautes qui justifiaient l’engagement du recours indemnitaire dont nous vous parlons depuis un moment, même dans le cadre d’une action récursoire sur ce point. Mais ce n’est pas de cette façon que la cour a justifié son rejet, elle en est restée sur ce point comme sur d’autres chefs de préjudice voisins au fait qu’ils n’entraient pas dans le cadre d’une action subrogatoire. Vous devrez donc censurer ces motifs pour erreur de droit.
Vous aurez compris que la censure que nous vous proposons de retenir est en définitive assez limitée par rapport à ce qu’a jugé la cour et qu’elle s’en tient au calcul du préjudice et aux appels en garantie. Il nous semble que cela doit se traduire dans le dispositif de votre décision, si vous nous suivez.
Par ces motifs, nous concluons :
– à l’annulation de l’arrêt en tant qu’il ramène la somme que les personnes publiques ont été condamnées à verser à la société Assurances du Crédit Mutuel IARD à 1 198 769, 40 € et en tant qu’il fixe, par ses articles 2 à 4, les parts respectives des responsabilités de la commune de La Faute-sur- Mer, de l’État et de l’association syndicale de la Vallée du Lay ;
– au renvoi de l’affaire dans cette mesure à la cour administrative d’appel de Nantes ;
– au rejet des conclusions des pourvois de la commune de la Faute sur Mer et de l’État ;
– s’agissant de l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : à ce que l’État et la commune versent chacun une somme de 2000 € à l’ASVL, à ce que la Commune, l’État et l’ASVL versent chacun une somme de 1 500 € à la société ACM, à ce que l’ASVL verse 2 000 € à la société MMA ;
– et au rejet du surplus ■
- LDA et MTES n° 423681, 423721. [↩]
- Articles R. 125-10 et R. 125-11 du code de l’environnement. [↩]
- Cass. civ. (1re ch.) 27 octobre 1982, pourvoi n° 81-14386. [↩]
- Cass. civ. (3e ch.) 4 juin 1997, Société GA c/ Société EFI et a., pourvoi 95-17.322 arrêt n° 943 P, RDI 1997, p. 601. [↩]
- CE 29 octobre 2010, Ministre de l’Alimentation, de l’agriculture et de la pêche c/ Société Sofunag Environnement, n° 338001 : Rec., T., p. 646 ; et plus récemment pour un autre cas de tutelle : CE 6 mars 2015, M. Bourgouin, n° 368730. [↩]
- CE 16 octobre 1995, Époux Meriadec, n° 150319 : Rec., p. 355. [↩]
- CE 19 octobre 1979, Société Difamelec-au roy de la télévision, n° 05858 : Rec., T., p. 909 ; CE 9 juillet 1980, Ville de l’Aigle, n° 11908 : Rec., T., p. 924 ; CE 11 Janvier 1978, Ville de Marignane : Rec., T., p. 943 ; CE 10 avril 1974, Ville de Cannes, n° 80969 : Rec., p. 232 ; CE 13 novembre 2009, Commune de Bordes, n° 306992 : Rec., T., p. 920 sur un autre point. [↩]
- CE 25 mai 1990, Abadie et autres, n° 39460 : Rec., T., p. 1026 ; CE 23 janvier 1981, Ville de Vierzon : Rec., T., p. 28. [↩]
- CE 14 mars 1986, Commune de Val d’Isère et autres, nos 96272 et 99725 : Rec., T., p. 635. [↩]
- Rec., T., p. 992. [↩]
- CE 15 novembre 2017, Société Swisslife assurance de biens et autres, n° 403367 : Rec., T., p. 840. [↩]
- N° 373267. [↩]
- TC 22 mai 2006, OPHLM de la ville de Montrouge c/ Société mutuelle d’assurances des collectivités locales, 3503. [↩]
- Cass. civ. (1re ch.) 18 janvier 1989, n° 86-16427. [↩]
- CE 11 avril 2014, Commune de Dieudonné, n° 357153 : Rec., T., p. 828 ; cf., pour un contentieux contractuel lorsque le pourvoi incident porte sur un contrat distinct, CE 21 octobre 1992, SETEC, n° 115355 : Rec., T., p. 1124. [↩]
- CE 4 avril 1997, Société d’ingénierie immobilière Sud, n° 127884 : Rec., T., p. 1038. [↩]
- Cass Com. 16 juin 2009, n° 07-16.840. [↩]
- 8 Cass. civ. (1re ch.) 19 septembre 2007, RCA 2007. Comm. 372, note H. Groutel. [↩]
- N° 294078 : Rec., p. 498. [↩]
- CE S. 26 juillet 1985, Gaz de France, n° 43524. [↩]
- N° 64656. [↩]
- Cass. civ. (3e ch.) 21 mars 2019, n° 18-11.890 : RCA 2019, n° 204, note Groutel ; RGDA mai 2019. 21, note Mayaux. [↩]
- N° 244051 : Rec., T., p. 866. [↩]
Table des matières

