Du 17 mars 1893 – Cons. d’Etat. – MM. Marguerie, rapp.; Romieu, comm. du gouv.; Devin et Defert, av.
Le Conseil d’État ;
Vu le cahier des charges des concessions ; le traité du 10 févr. 1866, et le tableau des distances approuvé par le ministre de la guerre le 31 mars 1868 ; le traité du 15 quill. 1872 ; la transaction du 28 juin 1877 ;
Vu l’art. 541, C. proc. ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Considérant que les deux recours visés sont connexes ; qu’il y a lieu, dès lors, de les joindre pour y statuer par une seule décision ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que, pour les transports militaires effectués pendant la guerre de 1870-71, les Comp. de chemins de fer ont réclamé, par application d’un traité en date du 10 févr. 1868, la somme de 57,255,116 fr. 95 ; qu’avant tout règlement, il a été ordonnancé au profit des Comp. une somme de 50,016,614 fr. 15, mais que les conditions du règlement à intervenir ont été déterminées dans une convention, du 15 juill. 1872, passée entre les ministre de la guerre et les Comp. et approuvée par le Président de la République ;
Considérant que, par cette convention, à raison des circonstances tout exceptionnelles dans lesquelles avaient été opérés, sur un territoire envahi, les transports qu’ils s’agissait de liquider, les Comp. ont été dispensées de l’obligation de rapporter les justification prescrites par le traité de 1868, autorisées à produire comme pièces justificatives des extraits de leurs propres écritures, et déchargées des pénalités prévues pour le cas de retards dans les livraisons, mais qu’en compensation des concessions faites aux Comp. par l’Etat, ce dernier a obtenu certains avantages, notamment une réduction de 5 p. 100 sur le résultat général du règlement ;
Considérant que les commissions de vérification instituées par le ministre de la guerre pour procéder au règlement des transports par application de la convention de 1872 n’ont admis les demandes des Comp. Que pour 45,315,961 fr. 09 ; que ces dernières n’ont pas accepté ce règlement et quelles ont maintenu leurs précédentes demandes, mais seulement en vue d’obtenir l’allocation d’une somme complémentaire de 6,790,834 fr. 40 ;
Considérant que l’administration de la guerre négociait alors le renouvellement avec les Comp. du traité de 1868, et que ces dernières y mettaient pour condition qu’il serait procédé à un nouvel examen de leurs factures ; que le ministre de la guerre et les Comp., pour mettre fin à leurs désaccords, ont conclu la transaction du 20 juin 1877, dont l’exécution, constatée d’après un arrêté de décompte définitif du 1er juill. 1879, a eu pour résultat de réduire à 1,521,019 fr. 01, le trop-perçu des Comp. sur la provision de 50,016,614 fr. 15, reçue par elles ;
Considérant que le versement, fait à l’Etat par les Comp. Du montant du débet mis à leur charge, a eu pour effet de rendre définitif le règlement des comptes des transports militaires opérés par elles pendant la guerre ;
Mais, considérant qu’à la suite de vérifications qui auraient amené la découverte d’erreurs dans l’application des prix, de doubles et faux emplois et même de faux, le gouvernement a été invité à poursuivre le reversement de toutes sommes indûment payées aux Comp., et que le ministre de la guerre, en prenant les décisions attaquées, a déféré à cette invitation ;
Considérant que les Comp. invoquent à l’appui de leur recours contre la décision du 14 sept. 1885, la transaction du 20 juin 1877, arguée de nullité par le ministre de la guerre dans sa décision du 29 oct. 1891, qui fait l’objet du second recours, qu’il y a lieu, en conséquence, de statuer tout d’abord sur la validité de la transaction du 20 juin 1877 ;
En ce qui concerne la transaction du 20 juin 1877 :
Considérant que le ministre de la guerre soutient que cette transaction doit être réputée nulle et non avenue, comme contenant des stipulations auxquelles il ne pouvait appartenir à un ministre de donner un constamment valable ; que les stipulations auxquelles se réfère le ministre sont celles des art. 1, 2, 3 et 19 ;
Considérant que, d’après l’art. 1er, en l’absence de lettre de voiture ou de réquisition en tenant lieu, les transports, justifiés par les seules écritures des Comp., sont réglés d’après les vitesses mentionnées sur ces écritures, sans qu’il y ait lieu de rechercher quelle a été la vitesse effective, et que, d’après l’art. 2, il est admis que l’immobilisation des wagons, dont le stationnement est réclamé dans les comptes des Comp. de chemins de fer, a été amenée par des événements militaires ; qu’en conséquence, les Comp. ne devront justifier que le fait et non la cause du stationnement ;
Considérant que le ministre de la guerre prétend que ces stipulations ont eu pour résultat de mettre à la charge de l’Etat des transports dont la réalité n’était pas établie, et aussi les conséquences d’événements de force majeure ;
Considérant, d’une part, que dans l’exécution des marchés passés pour le service de leurs département respectifs, rien ne s’oppose à ce que les ministres acceptent pour l’administration les conséquences des cas de force majeure ; que, d’autre part, les transports justifiés par les seules écritures des Comp. ne peuvent être assimilés à des transports non exécutés ; que ce mode de justification ne saurait être considéré comme ayant eu pour but et pour effet d’engendrer contre l’Etat des créances sans cause d’obligations préexistantes, et entachant de nullité pour ce motif la transaction de 1877 ;
Considérant que, si l’art. 3 stipule que les factures de transports, qui ont été produites après l’expiration des délais fixés par l’art. 8 de la convention du 15 juill. 1872, ainsi que celles qui seraient présentées à l’administration avant l’approbation de la transaction par le ministre de la guerre, seront liquidées dans la forme ordinaire, mais avec une retenue supplémentaire de 20 p. 100, cette stipulation n’a fait que proroger les délais primitivement fixés par la convention de 1872, aux termes de laquelle les Comp. avaient été relevées, à raison de la force majeure, des déchéances édictées par le traité de 1868, et que la prorogation dont s’agit, fondée sur le même motif, a pu faire de la part du ministre l’objet d’un consentement engageant l’Etat ;
Considérant, enfin, que l’art. 10 stipule que toutes les questions qui ne peuvent être tranchées au moyen du traité des transports de la guerre ou de la convention du 15 juill. 1872 seront résolues à l’amiable entre le représentant dûment autorisé de l’administration de la guerre et l’agent général des Comp., auquel celles-bidonnent pleins pouvoirs à cet effet ; que cette stipulation ne constitue pas un compromis ayant pour effet d’établir un arbitrage pour le jugement de contestations nées ou à naître ; qu’elle témoigne simplement de l’intention commune des parties contractantes de chercher à prévenir les contestations par une entente de leurs mandataires ; mais qu’elle ne faisait pas obstacle, si cette entente ne pouvait se réaliser, à ce que les difficultés contentieuses fussent portées devant la juridiction compétente ; qu’elle ne faisait pas obstacle davantage à ce que le ministre refusât son approbation à la liquidation proposée par son représentant ;
Considérant, en outre, qu’aucune disposition de loi ou de règlement n’interdit à l’Etat la faculté de transiger, et que tout ce qui précède il résulte que la convention de 1877 doit être reconnue comme valable et sortir son plein et entier effet ; que, toutefois, nonobstant l’art. 59 de la convention susindiquée et le libellé de l’arrêté de compte définitif du 1er juill. 1879, le ministre est recevable à poursuivre le redressement des comptes dans les termes du droit commun ;
En ce qui concerne les renversements ordonnés à titre de provision par la décision du 29 oct. 1891 :
Considérant que ces reversements, prescrits pour quinze articles énumérés dans la décision attaquée, ne pourraient être maintenus à la charge des Comp., par application de l’art. 541, C. proc., que dans le cas où le ministre de la guerre rapporterait la preuve que ces articles ont été admis en liquidation par suite d’erreurs matérielles, de faux ou doubles emplois ; que cette preuve n’a été faite pour aucun des articles visés dans la décision ministérielle ; que le ministre n’est pas recevable à se prévaloir aujourd’hui de l’insuffisance des justifications faites par les Comp.; qu’il appartenait à l’administration de la guerre, avant d’arrêter définitivement la liquidation, de procéder à toutes les investigations qui lui auraient paru utiles pour contrôler l’exactude et l’authenticité des pièces produites par les Comp., mais qu’il ne lui appartient plus maintenant, revenant sur ses appréciations antérieures, de contester la valeur des pièces qu’elle a acceptées comme base du règlement devenu définitif :
Mais considérant que le ministre de la guerre ne se borne pas à alléguer des erreurs matérielles, des faux ou doubles emplois dans les comptes de transports ; qu’il prétend en outre relever des faux dans les pièces jointes aux factures produites par les Comp. ;
En ce qui concerne les pièces arguées de faux :
Considérant, d’une part, qu’il n’est pas allégué qu’une seule de ces pièces ait été découverte depuis les arrêtés de compte ; qu’il résulte, au contraire, de l’instruction qu’elles ont toutes figuré au nombre des éléments du compte et qu’elles ont comme telles été connues de l’administration de la guerre ;
Considérant, d’autre part, que le ministre n’apporte aucune justification de nature à faire supposer que les mentions et signatures incriminées soient l’œuvre des Comp. Ou de personnes à leur service ; qu’en tenant ces inexactitudes matérielles pour établies, elle trouvent leur explication dans la confusion produite par les événements de guerre, sans que rien dans l’instruction permette de les rattacher à une intention frauduleuse ; qu’au surplus, s’agissant de transports dont l’exécution est constatée par les pièces jointes au dossier, les Comp. étaient sans intérêt aucun à l’existence de ces prétendus faux ; qu’en conséquence, les Comp. requérantes sont fondées à demander l’annulation dans son ensemble de la décision du 29 oct. 1891 ;
Sur le recours dirigé contre la décision du 14 sept. 1885 :
En ce qui touche les transports effectués pendant la période de guerre :
1º Sur le retranchement d’une somme de 800,140 fr. 40, pour inapplication aux Comp. qui avaient été réquisitionnées de l’art. 54 du cahier des charges des concessions :
Considérant que le ministre de la guerre prétend que les transports effectués pendant la guerre par les Comp. de l’Est, du Nord, de P.-L.-M. et de l’Ouest, lesquelles avaient été réquisitionnées, ont été à tort liquidés d’après les prix du traité du 10 févr. 1868, et non d’après la base indiquée au §2 de l’art. 54 du cahier des charges des concessions, lequel porte : « Si le gouvernement avait besoin de diriger des troupes et un matériel militaire ou naval sur l’un des ports desservis par le chemin de fer, la Comp. serait tenue de mettre immédiatement à sa disposition, pour la moitié de la taxe du même tarif (tarif fixé par le présent cahier des charges), tous les moyens de transports » ;
Mais considérant que la convention de 1872, passée indistinctement avec toutes les Comp. de chemins de fer a admis comme base unique du règlement des transports de la période de guerre les prix du traité de 1868, sans faire aucune distinction entre les transports effectués par les Comp. avec ou sans réquisition préalable ;
Considérant que la convention de 1872 est devenue la loi des parties, et que le ministre ne saurait à son gré invoquer tour à tour la convention de 1872 et le cahier des charges ; que la convention de 1872 forme un tout indivisible, qui a été exécuté intégralement dans sa forme et teneur ;
Considérant, au surplus, que, dans le cas même où l’assentiment du ministre à ladite convention aurait été le résultat d’une erreur d’appréciation de sa part sur l’étendue des avantages pouvant résulter pour l’Etat de l’application de l’art. 54 du cahier des charges, cette erreur ne serait pas du nombre de celles qui peuvent donner lieu à un redressement de comptes définitivement arrêtés ; …
Art. 1er. Les décisions… sont annulées.
Art. 2. Les Comp. sont déchargées de l’obligation de reverser au Trésor public les sommes indiquées dans lesdites décisions.