SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 13539/88
présentée par Christiane DUFAY
contre les Communautés européennes, subsidiairement,
la collectivité de leurs Etats membres et leurs
Etats membres pris individuellement
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La Commission européenne des Droits de l’Homme, siégeant en
chambre du conseil le 19 janvier 1989 en présence de
MM. C.A. NØRGAARD, Président
G. SPERDUTI
E. BUSUTTIL
G. JÖRUNDSSON
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.C. SOYER
H.G. SCHERMERS
H. DANELIUS
G. BATLINER
H. VANDENBERGHE
Mme G.H. THUNE
Sir Basil HALL
MM. F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ;
Vu l’article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de
l’Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 24 septembre 1987 par Christiane
DUFAY contre les Communautés européennes, subsidiairement, la
collectivité de leurs Etats membres et leurs Etats membres pris
individuellesment et enregistrée le 15 janvier 1988 sous le No de
dossier 13539/88 ;
Vu le rapport prévu à l’article 40 du Règlement intérieur de
la Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
La requérante, de nationalité française, est née en 1935. Elle
occupe un poste de secrétaire et réside à Fontenay-aux-Roses.
Dans la procédure devant la Commission, elle est représentée
par Me Stanley Chaney, avocat au barreau de Paris.
Les faits, tels qu’ils ont été exposés par la requérante,
peuvent se résumer comme suit :
La requérante a été engagée par le Parlement européen en
qualité d’agent temporaire à compter du 1er juillet 1973.
En avril 1981, et à la suite d’un remaniement d’un groupe
politique, la requérante fut contrainte d’accepter une rétrogradation
de sa fonction assortie d’une diminution de salaire et des avantages
sociaux y attachés. Un avenant a été régularisé en ce sens le 7 avril
1981 avec effet au 1er novembre 1980.
En date du 15 octobre 1984, son contrat d’agent temporaire fut
dénoncé avec effet au 1er septembre 1984. Toutefois, le Parlement
européen lui accorda une allocation d’attente d’emploi.
Le 11 avril 1985, la requérante adressa au Parlement européen
une réclamation qui est demeurée sans suite. Elle saisit alors, en
date du 18 août 1985, la Cour de Justice des Communautés européennes
d’un recours visant à obtenir, d’une part, le versement d’un
complément de préavis de sept mois de salaire, calculé sur la base du
dernier traitement, d’autre part, le rétablissement en catégorie B à
compter du 1er novembre 1981 suivant la progression normale de la
carrière, avec toutes les conséquences de droit qui s’y rattachent, et
enfin, la réparation du préjudice résultant de la perte de salaire,
estimé par la requérante à 200.000 francs français (entre 1981 et
1984) et à une somme au moins égale pour la période qui a suivi son
« licenciement brutal ».
Rappelant dans son arrêt du 1er avril 1987, que les rapports
entre fonctionnaires et Communautés européennes sont soumis uniquement
à leur réglementation interne, à l’exclusion de tout autre régime, la
Cour de Justice des Communautés européennes rejeta le recours formé
par la requérante en raison de ce qu’il avait été présenté hors délai.
GRIEFS
La requérante se plaint de son licenciement par le Parlement
européen et, en particulier, de la procédure devant la Cour de Justice
des Communautés européennes. Elle allègue à cet égard la violation de
l’article 6 par. 1 de la Convention en ce qu’elle n’aurait pas
bénéficié devant ladite Cour d’un procès équitable.
Elle soutient que le délai de trois mois pour introduire son
recours devant la Cour de Justice des Communautés européennes ne
saurait courir qu’à l’expiration de son préavis et non pas à la date
de la lettre de licenciement ni à la date d’effet de celui-ci. Elle
estime avoir été placée dans une situation discriminatoire par rapport
aux salariés régis par le droit commun, tant en France que dans les
autres pays de la Communauté européenne.
Elle demande le versement d’un montant de 500.000 francs à
titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi.
EN DROIT
La requérante se plaint de son licenciement par le Parlement
européen et, en particulier, de la procédure telle qu’elle s’est
déroulée devant la Cour de Justice des Communautés européennes. Elle
soutient à cet égard qu’elle n’a pas bénéficié d’un procès équitable au sens de
l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, dont elle allègue la violation.
1. Pour autant que la requête vise les Communautés européennes en
tant que telles, la Commission relève que les Communautés européennes
ne sont pas Parties Contractantes à la Convention européenne des Droits
de l’Homme (article 66 de la Convention). Dans cette mesure, l’examen
du grief de la requérante échappe à la compétence ratione personae de
la Commission (voir No 8030/77, C.F.D.T. c/Communautés européennes,
déc. 10.7.1978, D.R. 13 p. 231).
2. Pour autant que la requête est dirigée contre les Etats
membres des Communautés européennes, qui sont en même temps Parties
Contractantes à la Convention, la question se pose de savoir si l’acte
mis en cause, accompli par un organe des Communautés européennes, est
susceptible d’engager la responsabilité de chacun des douze Etats
membres des Communautés européennes sur le terrain de la Convention.
A supposer même que l’on puisse admettre une telle éventualité,
il est entendu que la compétence de la Commission ne se trouverait
établie qu’une fois épuisées les voies de recours spécifiques prévues
en matière de contrôle des actes communautaires. Dans cette
hypothèse, le système de recours, tel qu’il est prévu en matière de
droit communautaire, se trouverait assimilé aux recours généralement visés par
l’article 26 (art. 26) de la Convention. Il s’ensuit que les voies de recours
prévues par le droit communautaire constitueraient alors des voies de recours
internes au sens de ladite disposition de la Convention (Voir mutatis mutandis,
No 9378/81, X. c/R.F.A., déc. 7.12.82, D.R. 31 p. 217).
La Commission estime que, cela étant, il ne lui appartient de
déterminer si et dans quelles conditions il y a atteinte à l’un des droits
garantis par la Convention par un acte émanant d’un organe communautaire que si
la condition de l’épuisement des voies de recours préalable se trouve remplie à
l’égard de cet acte.
En l’espèce, la requérante ne saurait être considérée comme ayant
satisfait à la condition de l’épuisement des voies de recours internes prévue à
l’article 26 (art. 26) de la Convention qui dispose que « la Commission ne peut
être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est
entendu selon les principes de droit international généralement reconnus … ».
En effet, il résulte de l’arrêt de la Cour de Justice des Communautés
européennes du 1er avril 1987 que le recours dont elle avait saisi cette
dernière, a été déclaré irrecevable pour cause de tardiveté, la requérante
n’ayant pas respecté quant aux délais la réglementation applicable en matière
de recours émanant du personnel du Parlement européen.
La Commission rappelle qu’il appartient aux autorités compétentes de
fixer les formes des délais que les justiciables doivent respecter pour accéder
aux juridictions appelées à statuer sur les recours dont ils les saisissent.
Dès lors, il appartient à ces juridictions d’interpréter et d’appliquer les
dispositions de la réglementation en matière de saisine.
Il s’ensuit que cet aspect de la requête doit être rejeté pour
non-épuisement des voies de recours internes, au sens de l’article 27 par. 3
(art. 27-3) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
Le Secrétaire adjoint Le Président
de la Commission de la Commission
(J. RAYMOND) (C.A. NØRGAARD)