NOR : CSCX1032706S
Texte intégral
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 8 octobre 2010 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 5444 du 28 septembre 2010), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Boubakar B., relative à la conformité de l’article 207 du code de procédure pénale aux droits et libertés que la Constitution garantit.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par Me Éric Plouvier, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 27 octobre 2010 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 2 novembre 2010 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Plouvier pour le requérant et M. Thierry-Xavier Girardot, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 7 décembre 2010 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article 207 du code de procédure pénale : « Lorsque la chambre de l’instruction a statué sur l’appel relevé contre une ordonnance en matière de détention provisoire, ou à la suite d’une saisine du procureur de la République soit qu’elle ait confirmé cette décision, soit que, l’infirmant, elle ait ordonné une mise en liberté ou maintenu en détention ou décerné un mandat de dépôt ou d’arrêt, le procureur général fait sans délai retour du dossier au juge d’instruction après avoir assuré l’exécution de l’arrêt. Lorsque la chambre de l’instruction décerne mandat de dépôt ou qu’elle infirme une ordonnance de mise en liberté ou de refus de prolongation de détention provisoire, les décisions en matière de détention provisoire continuent de relever de la compétence du juge d’instruction et du juge des libertés et de la détention sauf mention expresse de la part de la chambre de l’instruction disant qu’elle est seule compétente pour statuer sur les demandes de mise en liberté et prolonger le cas échéant la détention provisoire. Il en est de même lorsque la chambre de l’instruction ordonne ou modifie un contrôle judiciaire ou une assignation à résidence avec surveillance électronique.
« Lorsque, en toute autre matière, la chambre de l’instruction infirme une ordonnance du juge d’instruction ou est saisie en application des articles 81, dernier alinéa, 82, dernier alinéa, 82-1, deuxième alinéa, 156, deuxième alinéa, ou 167, quatrième alinéa, elle peut, soit évoquer et procéder dans les conditions prévues aux articles 201, 202, 204 et 205, soit renvoyer le dossier au juge d’instruction ou à tel autre afin de poursuivre l’information. Elle peut également procéder à une évocation partielle du dossier en ne procédant qu’à certains actes avant de renvoyer le dossier au juge d’instruction.
« L’ordonnance du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention frappée d’appel sort son plein et entier effet si elle est confirmée par la chambre de l’instruction.
« En cas d’appel formé contre une ordonnance de refus de mise en liberté, la chambre de l’instruction peut, lors de l’audience et avant la clôture des débats, se saisir immédiatement de toute demande de mise en liberté sur laquelle le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention n’a pas encore statué ; dans ce cas, elle se prononce à la fois sur l’appel et sur cette demande » ;
2. Considérant que, selon le requérant, la faculté, pour la chambre de l’instruction, de se réserver le contentieux de la détention provisoire méconnaît « le principe du double degré de juridiction », le principe de l’égalité devant la justice et « l’exigence de motivation des décisions de justice » ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l’article 207 du code de procédure pénale ;
4. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi… doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ; que son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » ; que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales ;
5. Considérant que les droits de la personne mise en examen placée en détention provisoire sont prévus par les dispositions des articles 143-1 à 148-8 du code de procédure pénale ; qu’il résulte des articles 185, 186, et 187-1 à 187-3 du même code que la chambre de l’instruction est la juridiction d’appel des décisions du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention statuant sur la détention provisoire d’une personne mise en examen ; que le législateur a ainsi prévu que les décisions juridictionnelles rendues en cette matière puissent, à la demande de cette personne ou du ministère public, faire l’objet d’un réexamen, par la chambre de l’instruction, de la régularité et de la nécessité d’une telle mesure privative de liberté ;
6. Considérant que la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 207 du code de procédure pénale déroge au principe selon lequel la chambre de l’instruction est dessaisie par sa décision statuant sur l’appel relevé contre une ordonnance en matière de détention provisoire ; qu’elle permet à la chambre de l’instruction, lorsqu’infirmant une décision du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention, elle rend une décision ayant pour effet d’ordonner la détention provisoire, de la prolonger ou de rejeter une demande de mise en liberté, de se dire seule compétente pour statuer en cette matière, selon un régime dérogatoire, pour la suite de la procédure d’instruction ; que la dernière phrase de cet alinéa étend la même faculté aux décisions rendues en matière de contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec surveillance électronique ;
7. Considérant que ces dispositions confèrent à la chambre de l’instruction le pouvoir discrétionnaire de priver une personne mise en examen, durant toute la procédure d’instruction, des garanties prévues par les articles 144-1 et 147 du code de procédure pénale qui prescrivent au juge d’instruction ou au juge des libertés et de la détention d’ordonner sa mise en liberté immédiate dès que les conditions légales de la détention ne sont plus remplies, de celles prévues par l’article 148 du même code pour l’examen des demandes de mise en liberté en première instance et du droit à un double degré de juridiction instauré pour toute décision en matière de détention provisoire ; que l’éventuelle divergence entre les positions respectives des juridictions de première instance et d’appel relativement à la nécessité ultérieure de la détention de la personne mise en examen ne peut toutefois justifier qu’il soit ainsi porté atteinte aux droits qui sont accordés par la loi à toute personne placée en détention provisoire ; que, par suite, les deuxième et troisième phrases du premier alinéa de l’article 207 du code de procédure pénale méconnaissent les exigences résultant des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789 et doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
8. Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause » ; que la présente déclaration d’inconstitutionnalité prend effet à compter de la date de publication de la présente décision ; que cessent de produire effet, à compter de cette date, les décisions par lesquelles une chambre de l’instruction s’est réservée la compétence pour statuer sur les demandes de mise en liberté et prolonger le cas échéant la détention provisoire ; qu’il en va de même en matière de contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec surveillance électronique ;
9. Considérant que la première phrase du premier alinéa de l’article 207 du code de procédure pénale ne porte atteinte à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
DÉCIDE :
Article 1er.– Les deuxième et troisième phrases du premier alinéa de l’article 207 du code de procédure pénale sont déclarées contraires à la Constitution.
Article 2.– La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par son considérant 8.
Article 3.– La première phrase du premier alinéa de l’article 207 du code de procédure pénale est conforme à la Constitution.
Article 4.– La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 décembre 2010, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 17 décembre 2010.