REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, 1° sous le n° 343943, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 octobre 2010 et 3 janvier 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la CONFEDERATION FRANCAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL (CFDT), dont le siège est 4, boulevard de la Villette à Paris cedex 19 (75955), représentée par son secrétaire général adjoint ; la CFDT demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2010-961 du 25 août 2010 relatif à l’extension du revenu de solidarité active aux jeunes de moins de vingt-cinq ans ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, 2° sous le n° 343973, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 octobre 2010 et 25 janvier 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés par l’ASSOCIATION RESEAU D’ALERTE ET D’INTERVENTION POUR LES DROITS DE L’HOMME (RAIDH), dont le siège est 119, rue du Temple à Paris (75003), représentée par sa présidente ; l’association demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir le même décret ;
2°) d’enjoindre au Premier ministre de prendre un nouveau décret ;
Vu, 3° sous le n° 343974, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 octobre 2010 et 25 janvier 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés par l’ASSOCIATION ETUDIER SANS PRECARITE, dont le siège est 123, rue de Tocqueville à Paris (75017), représentée par son président ; l’association demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir le même décret ;
2°) d’enjoindre au Premier ministre de prendre un nouveau décret ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 octobre 2011, présentée pour la CONFEDERATION FRANCAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL ;
Vu la Constitution ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
Vu le traité sur l’Union européenne ;
Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
Vu la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
Vu le code de l’action sociale et des familles, modifié notamment par l’article 135 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Rémi Decout-Paolini, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de la CONFEDERATION FRANCAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL,
– les conclusions de Mme Claire Landais, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de la CONFEDERATION FRANCAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL ;
Considérant que le 1° de l’article L. 262-4 du code de l’action sociale et des familles réserve le bénéfice du revenu de solidarité active (RSA) aux personnes âgées de plus de vingt-cinq ans ou qui assument la charge d’un ou plusieurs enfants nés ou à naître ; qu’aux termes de l’article L. 262-7-1 introduit dans ce code par l’article 135 de la loi du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 : » Par dérogation au 1° de l’article L. 262-4, une personne âgée de dix-huit ans au moins et de vingt-cinq ans au plus bénéficie du revenu de solidarité active sous réserve d’avoir, dans des conditions fixées par décret, exercé une activité professionnelle pendant un nombre déterminé d’heures de travail au cours d’une période de référence précédant la date de la demande » ;
Considérant que, pour l’application de ces dispositions, est intervenu le décret n° 2010-961 du 25 août 2010 relatif à l’extension du revenu de solidarité active aux jeunes de moins de vingt-cinq ans dont la CONFEDERATION FRANCAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL, l’ASSOCIATION RESEAU D’ALERTE ET D’INTERVENTION POUR LES DROITS DE L’HOMME et l’ASSOCIATION ETUDIER SANS PRECARITE demandent l’annulation pour excès de pouvoir ; qu’il y a lieu de joindre ces trois requêtes pour statuer par une seule décision ;
Sur la légalité externe :
Considérant, en premier lieu, qu’en vertu de l’article L. 1211-4-2 du code général des collectivités territoriales, la commission consultative d’évaluation des normes, créée au sein du comité des finances locales, » est consultée préalablement à leur adoption sur l’impact financier, qu’il soit positif, négatif ou neutre, des mesures réglementaires créant ou modifiant des normes à caractère obligatoire concernant les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics » ; que, selon l’article R. 1213-3 du même code, les projets ou propositions de texte soumis à l’avis de cette commission » sont accompagnés d’un rapport de présentation et d’une fiche d’impact financier faisant apparaître les incidences directes et indirectes des mesures proposées pour les collectivités territoriales » ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, lors de sa séance du 3 juin 2010, la commission consultative d’évaluation des normes a émis un avis favorable sur le projet de décret relatif à l’extension du revenu de solidarité active aux jeunes de moins de vingt-cinq ans, » sous réserve que les modalités de financement du RSA aux jeunes de moins de vingt-cinq ans, et en particulier des montants forfaitaire et forfaitaire majoré, définies dans le projet de loi de finances pour 2011, soient présentées à la commission lors de la séance d’octobre 2010 » ; qu’il ne saurait être sérieusement soutenu que le voeu ainsi émis par la commission d’être informée de la charge prévisible, pour l’année 2011, de l’extension du revenu de solidarité active aux jeunes de moins de vingt-cinq ans, dans la perspective du transfert ultérieur aux départements d’une partie du financement de la prestation et de la détermination de la compensation par l’Etat de ce transfert, entacherait la régularité de l’avis qu’elle a émis ; que, par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que la commission avait été rendue destinataire du rapport de présentation et de la fiche d’impact financier mentionnés à l’article R. 1213-3 ; que cette dernière, qui faisait état du financement par l’Etat, en 2010, de l’extension du revenu de solidarité active aux jeunes de moins de vingt-cinq ans, rappelait qu’il appartenait à la loi de finances de se prononcer sur le transfert, ultérieurement prévu, aux départements d’une partie du financement de la prestation et d’arrêter, sur la base d’éléments actualisés, le montant de la compensation par l’Etat de ce transfert ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l’avis de la commission consultative d’évaluation des normes aurait été rendu au terme d’une procédure irrégulière ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort de la copie de la minute de la section sociale du Conseil d’Etat, versée au dossier par le ministre des solidarités et de la cohésion sociale, que le texte publié ne contient pas de disposition qui différerait à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par la section sociale ;
Considérant, en troisième lieu, que l’article 22 de la Constitution dispose que les décrets du Premier ministre sont contresignés par les ministres chargés de leur exécution ; que l’exécution du décret litigieux n’implique nécessairement l’intervention d’aucune mesure individuelle ou réglementaire que le ministre de l’éducation nationale ou le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche auraient compétence pour signer ou contresigner ; que, par suite, le moyen tiré de ce que ces ministres auraient dû contresigner le décret attaqué doit être écarté ;
Sur la légalité interne :
Considérant qu’il résulte du premier alinéa de l’article D. 262-25-1, introduit dans le code de l’action sociale et des familles par l’article 1er du décret attaqué, que pour l’application de l’article L. 262-7-1 – qui, ainsi qu’il a été dit, n’ouvre le bénéfice du revenu de solidarité active qu’à celles des personnes âgées de dix-huit ans au moins et de vingt-cinq ans au plus qui ont » exercé une activité professionnelle pendant un nombre déterminé d’heures de travail au cours d’une période de référence précédant la date de la demande » – ce bénéfice » est ouvert aux demandeurs ayant exercé une activité professionnelle pendant un nombre d’heures de travail au moins égal au double du nombre d’heures annuelles mentionné au 1° de l’article L. 3122-4 du code du travail. » que le deuxième alinéa de l’article D. 262-25-1 spécifie que » Ces heures doivent avoir été effectuées au cours d’une période de référence de trois années précédant la date de la demande (…) » ;
Considérant, en premier lieu, que, la loi ayant fixé la nature de la condition à laquelle est subordonné le bénéfice de cette prestation, il appartenait au pouvoir réglementaire de déterminer la durée d’activité requise et de définir la période de référence ; qu’en fixant, conformément, au demeurant, à ce qui avait été évoqué lors de la discussion devant le Parlement des dispositions de l’article L. 262-7-1, à un nombre d’heures de travail au moins égal à une durée de deux ans d’activité à temps plein, soit 3 214 heures, sur une période de référence de trois ans, la condition d’activité professionnelle préalable permettant aux jeunes de moins de vingt-cinq ans de bénéficier du revenu de solidarité active, le pouvoir réglementaire n’a pas dénaturé la volonté du législateur ;
Considérant, en deuxième lieu, que si l’article L. 115-2 du code de l’action sociale et des familles définit en termes généraux les objectifs et les principes du revenu de solidarité active, il précise que cette prestation est mise en oeuvre » dans les conditions prévues au chapitre II du titre VI du livre II » ; qu’ainsi, il ne saurait être sérieusement soutenu qu’en fixant la durée de la condition d’activité professionnelle préalable prévue par l’article L. 262-7-1 du même code, le décret attaqué aurait méconnu l’article L. 115-2 ;
Considérant, en troisième lieu, que le législateur ayant, ainsi qu’il a été dit, posé le principe d’une condition d’activité à laquelle est subordonné le bénéfice de cette prestation, la conformité d’une telle condition, dans son principe, aux exigences constitutionnelles résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, qui impliquent la mise en oeuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées, ne saurait être contestée devant le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, en dehors de la procédure prévue à l’article 61-1 de la Constitution ; qu’en revanche, il appartient à celui-ci de vérifier si les mesures prises pour l’application de la loi n’ont pas elles-mêmes méconnu ces exigences ; qu’en l’espèce, le pouvoir réglementaire pouvait, sans les méconnaître, subordonner au quantum contesté le bénéfice du revenu de solidarité active pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans ;
Considérant, en quatrième lieu, qu’eu égard à l’objectif d’intérêt général qui s’attache à ce que les jeunes travailleurs, qui commencent leur insertion dans la vie professionnelle au sortir de leurs études ou après une période de formation, soient encouragés à exercer durablement une activité professionnelle et à s’intégrer ainsi dans le monde du travail, la différence de traitement entre, d’une part, les jeunes de moins de vingt-cinq ans, soumis au quantum d’activité professionnelle préalable prévu par le décret attaqué pour bénéficier du revenu de solidarité active, et, d’autre part, les travailleurs de plus de vingt-cinq ans, éligibles sans condition d’exercice d’une activité professionnelle préalable au bénéfice de cette prestation, n’est pas manifestement disproportionnée ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué revêtirait un caractère disproportionné et méconnaîtrait le principe d’égalité garanti par les articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne peut qu’être écarté ; qu’il en est de même du moyen tiré de ce que le quantum contesté introduirait une discrimination illégale et méconnaîtrait, en conséquence, les articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 1er de son premier protocole additionnel ; qu’il en est enfin de même, en tout état de cause, des moyens tirés de la méconnaissance de l’article 21 de la charte européenne des droits fondamentaux et du principe général du droit de l’Union européenne de non-discrimination à raison de l’âge ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation du décret attaqué ; que les conclusions aux fins d’injonction présentées par l’ASSOCIATION RESEAU D’ALERTE ET D’INTERVENTION POUR LES DROITS DE L’HOMME et l’ASSOCIATION ETUDIER SANS PRECARITE doivent, en conséquence, être également rejetées ; qu’il en est de même des conclusions présentées par la CONFEDERATION FRANCAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la CONFEDERATION FRANCAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL, de l’ASSOCIATION RESEAU D’ALERTE ET D’INTERVENTION POUR LES DROITS DE L’HOMME et de l’ASSOCIATION ETUDIER SANS PRECARITE sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la CONFEDERATION FRANCAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL, à l’ASSOCIATION RESEAU D’ALERTE ET D’INTERVENTION POUR LES DROITS DE L’HOMME, à l’ASSOCIATION ETUDIER SANS PRECARITE, au Premier ministre et à la ministre des solidarités et de la cohésion sociale.