DEUXIEME PARTIE- PRINCIPE DE LEGALITE DE L’ACTION ADMINISTRATIVE
Le principe de légalité peut se définir simplement comme la soumission de l’administration au droit. Les sources de ce principe se sont progressivement diversifiées et son efficacité est assurée par le contrôle de légalité opéré par le juge administratif.
Chapitre un- Sources de la légalité administrative
Les actes administratifs sont soumis au principe de légalité. Ce principe doit être compris dans le sens le plus large possible : sont visées l’ensemble des normes écrites ou non qui, au moment où une autorité administrative prend une décision, s’imposent à elle. La violation du principe de légalité entraîne la censure des actes administratifs par le juge administratif lorsqu’ils font l’objet d’un recours. Devra également être mentionnée l’hypothèse où le principe de légalité est atténué, en cas de circonstances de crise.
Section I- La Constitution
La Constitution constitue un ensemble de règles écrites, ou non, placées au sommet de la hiérarchie des normes de l’Etat. En effet, le droit français reconnaît la suprématie des règles à valeur constitutionnelle. Celle-ci vaut tant à l’égard des engagements internationaux (CE Ass., 30 octobre 1998, requête numéro 200286, Sarran, Levacher et autres : Rec. p. 369 ; AJDA 1998, p. 962, chron. Raynaud et Fombeur ; D. 2000, p. 153, note Autin ; RDP 1999, p. 919, note Flauss ; RFDA 1998, p. 1081, concl. Maugüé, note Alland et p. 57, note Dubouis, Mathieu et Verpeaux, Gohin) que du droit de l’Union européenne (CE, 3 décembre 2001, requête numéro 226514, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique : Rec. p. 624 ; RMCUE 2002, p. 595, note Chaltiel- Conseil Constitutionnel, 20 décembre 2007, Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, décision numéro 2007-560 DC : Rec. CC 2007, p. 459).
L’administration est toujours soumise au respect de ces règles, mais en application de la théorie de la loi écran, le juge administratif n’est pas toujours en mesure de sanctionner lui-même la violation de la Constitution par l’administration. De même, toutes les règles de valeur constitutionnelle n’ont pas une portée identique, ce qui fait qu’elles sont plus ou moins contraignantes pour l’administration.
§I- Sanction de la violation des règles constitutionnelles
Le juge administratif peut parfaitement sanctionner un acte administratif pour cause de non-conformité à la Constitution.
Exemple :
– CE, 27 juillet 2005, requête numéro 270833, Louis c. Ministre de l’Outre-mer : les retraités ne sont pas, au regard de l’objet en vue duquel un régime d’assurance maladie est instauré, dans une situation différente de celle des autres assurés, alors même que le taux des cotisations versées par les retraités à ce régime serait inférieur à celui des cotisations versées par les actifs y étant assurés. Sont par suite illégales, comme violant le principe constitutionnel d’égalité devant la loi, des dispositions instaurant un plafond de remboursement des dépenses médicales engagées à l’étranger par un assuré retraité y étant tombé inopinément malade différent de celui instauré pour les dépenses de même nature engagées par les autres assurés.
Un problème particulier se pose dans l’hypothèse où un acte administratif est pris en application d’une loi qui est contraire à une norme constitutionnelle. Dans ce cas, le vice d’inconstitutionnalité de la loi contamine l’acte administratif pris conformément à elle. Pourtant, dans une telle hypothèse, le juge refuse d’annuler l’acte contesté (CE Sect., 6 novembre 1936, Arrighi : Rec. p. 966 ; S. 1937.III. p. 33, concl. Latournerie, note Mestre ; DP 1938, III, p. 1 concl. Latournerie, note Eisenmann ; RDP 1936, p. 671, concl. Latournerie ; S. 1937, III, p. 33, concl. Latournerie, note Mestre.- CE Ass., 20 octobre 1989, requête numéro 108393, Roujansky : JCP 1989, II, 21371, concl. Frydman.- CE, 5 janvier 2005, requête numéro 257341, Deprez et Baillard : Rec. p. 1). En effet, s’il est compétent pour contrôler les actes administratifs par rapport à la loi, il s’estime incompétent pour apprécier la constitutionnalité d’une loi et, le cas échéant, écarter son application. La loi fait alors écran entre l’acte administratif et la Constitution.
Cette solution ne permet pas d’assurer le plein effet du principe de légalité ce qui est d’autant plus contestable que longtemps il n’a pas existé de contrôle de constitutionnalité des lois après leur promulgation.
Exemple :
– CAA Paris, requête numéro 05PA01831, 19 juillet 2005, Singh (AJDA 2005, p. 2009, concl. Bachini ; Dr. adm. 2005, 170 ; JCP A 2005, 45, note Chélini-Pont et Tawil) : la cour est saisie d’un recours contre une décision excluant d’un établissement scolaire un élève de confession sikh en application des dispositions de la loi n°2004-228 du 15 mars 2004 interdisant le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. Les juges estiment que la décision attaquée est conforme à ces dispositions et que, dès lors, les moyens tirés de la violation de l’article 10 de la Déclaration de droits de l’homme et du citoyen et de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 sont inopérants.
Il faut enfin relever que si ces difficultés persistent, une solution existe désormais depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui introduit dans la Constitution un contrôle de constitutionnalité des lois a posteriori. Selon le nouvel article 61-1 de la Constitution « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». Ces dispositions ont été précisées par la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 complétant l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.
Cette procédure nouvelle met en cause trois juges successifs.
Il s’agit d’abord du juge du fond devant lequel est invoquée une violation de la Constitution par une disposition applicable au litige. Cette étape n’existe pas, bien évidemment, dans les cas où le Conseil d’Etat est compétent en premier et dernier ressort.
Sont ensuite impliquées les juridictions suprêmes – Conseil d’Etat ou Cour de cassation – qui jouent la fonction de « filtre » du bien-fondé de la question posée : il doit s’agir d’une « question nouvelle ou présentant un caractère sérieux » selon la loi organique.
Enfin, le Conseil constitutionnel possède la compétence de décider de l’inconstitutionnalité de la loi et de son abrogation, éventuellement à une date ultérieure fixée par la décision.
Cette relation créée entre ces juridictions et le Conseil constitutionnel est nouvelle en France. Cependant, elle ne transforme pas le Conseil constitutionnel en cour suprême puisque l’appréciation du bien-fondé de la question de constitutionnalité relève du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation.
Le Conseil d’Etat a procédé aux premiers renvois au Conseil constitutionnel à l’occasion de deux décisions du 14 avril 2010 (CE, 14 avril 2010, requête numéro 323830, Union des familles en Europe : JCP G 2010, act. 465, obs. Mathieu ; AJDA 2010, p. 1013, concl. Courrèges. – CE, 14 avril 2010, requête numéro 336753, Labane). Cette procédure est fréquemment mise en œuvre. Elle constitue aujourd’hui le principal fondement des saisines du Conseil constitutionnel. A titre d’exemple, pour l’année 2016, le Conseil constitutionnel a statué sur 81 questions prioritaires de constitutionnalité, pour 18 décisions prises dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori (Nouveaux cahiers constitutionnels n°58, janvier 2018). Au 1er mars 2015, cette procédure elle avait été utilisée dans plus de 10 000 affaires sur une période de 5 ans. Sur cette même période, la Cour de cassation a été saisie de 1504 QPC contre seulement 856 pour le Conseil d’Etat. En revanche, le nombre de saisine par les deux juridictions suprêmes du Conseil constitutionnel est assez proche : on compte 258 saisines par la Cour de cassation (ce qui représente un taux de renvoi de 18%) et 207 pour le Conseil d’Etat (soit un taux de renvoi de 24%). Le constitutionnel a rendu au total 395 décisions dans le cadre de la procédure de QPC invalidant 145 dispositions législatives, dont une majorité de dispositions de droit pénal.
Il est à noter, enfin, que si le mécanisme de question prioritaire de constitutionnalité permet de corriger les effets de la théorie de la loi écran, il n’a pas pour autant mis un terme à son application. Dans un arrêt de Section du 10 novembre 2010, Commune de Palavas-les-flots et Commune de Lattes (requête numéro 314449, requête numéro 314580 : Dr. Adm. 2011, 2, note Martin et Ferrari ; AJDA 2010, p. 2416, chron. Botteghi et Lallet), le Conseil d’Etat a ainsi considéré, conformément à l’article R. 771-3 du Code de justice administrative, que la constitutionnalité d’une loi devant le juge administratif ne peut être contestée que par le dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité selon les formes requises, c’est-à-dire un mémoire distinct et motivé, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
Toutefois, la théorie de la loi écran implique seulement que le juge ne peut directement confronter à la Constitution une disposition réglementaire en ce qu’elle fait application de dispositions législatives. En revanche, il est possible de soulever un moyen d’inconstitutionnalité à l’encontre d’une disposition réglementaire, dès lors qu’il s’agit d’un vice propre à cet acte ne résultant pas de l’application directe de la loi. En d’autres termes, comme l’a exposé le commissaire du gouvernement Abraham dans ses conclusions sur l’arrêt Quintin du 17 mai 1991 (requête numéro 1000436 : RDP 1991, p. 1433), la théorie de la loi écran n’a vocation à jouer que lorsque la loi qui s’interpose entre l’acte administratif et la Constitution a véritablement déterminé l’inconstitutionnalité de l’acte administratif. Dans le cas contraire, l’écran est « transparent ». Dans cette hypothèse, où la loi n’encadre guère le pouvoir réglementaire, il n’y a pas lieu de recourir à la procédure de QPC dès lors que ce n’est pas la constitutionnalité de la loi qui est discutée, mais exclusivement celle de la disposition législative dont elle fait application.
Exemple:
–CE, 27 octobre 2011, requête numéro 343943, requête numéro 343973, requête numéro 343974, CFDT et autres, (Rec. tables, p. 743 ; JCPA 2012, 1080, note Mahé et Roustan de Péron) : l’affaire portait sur la légalité du décret n°2010-961 du 25 août 2010 relatif aux conditions d’obtention du RSA « jeunes ». Le Conseil d’Etat considère qu’il ne lui appartient pas de contrôler la conformité du « principe » d’une condition d’activité définie par la loi n°2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le RSA et réformant les politiques d’insertion au regard des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, qui prévoient la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées. En revanche, il appartient au Conseil d’Etat « de vérifier si les mesures prises pour l’application de la loi n’ont pas elles-mêmes méconnu ces exigences ». En l’espèce, les juges considèrent que le pouvoir règlementaire pouvait, sans méconnaître ces exigences, subordonner au quantum contesté le bénéfice du revenu de solidarité active pour les jeunes de moins de vingt-cinq ans.
§II- Portée des normes constitutionnelles
Les textes constitutionnels en vigueur définissent des règles de procédure et de répartition des compétences, mais également des règles de fond qui édictent des principes protecteurs des libertés publiques.
I- Règles de procédure et de répartition des compétences
Les règles de procédure et de répartition des compétences se trouvent dans le corps même de la Constitution du 4 octobre 1958.
Certaines répartissent les compétences entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif (art. 34 et 37), alors que d’autres règles dérogent à cette répartition. Par exemple, l’article 38 permet au gouvernement d’intervenir dans des matières législatives. Il existe également des règles qui concernent spécifiquement le pouvoir exécutif et la définition de la compétence du président de la République et du Premier ministre (art 13 et 21) ainsi que la question du contreseing (art. 19 et 22).
Le non-respect par les autorités administratives de ces règles est susceptible de faire l’objet d’une annulation contentieuse.
II- Règles de fond
On trouve- très peu de règles de fond dans le corps même de la Constitution. Il s’agit notamment des principes : d’égalité devant la loi de tous les citoyens (art. 2) ; d’unité, d’égalité et de secret du suffrage (art. 3), de liberté de constitution et d’activité des partis politiques (art. 4), de libre administration des collectivités territoriales (art. 72). Tous ces principes peuvent être invoqués devant le juge administratif à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir contre un acte administratif (V. ainsi pour l’article 2 : CE, 11 juin 2003, requête numéro 246971, Association avenir de la langue française : Rec. p. 249.- pour l’article 72 : CE, 3 octobre 2003, requête numéro 248523, Commune de Ramatuelle : Rec. tables, p. 633).
Les autres règles de fond se trouvent dans le Préambule de la Constitution dont la valeur constitutionnelle a longtemps été discutée. Le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 renvoie lui-même à différents textes et aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Relèvent également de ce qu’il convient d’appeler avec Charles Emeri le bloc de constitutionnalité (Chronique constitutionnelle et parlementaire française, RDP 1970, p. 678) les décisions du Conseil constitutionnel.
A- Valeur du Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958
Le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 fait référence à des textes dont l’objet est de protéger les libertés publiques : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946 et, depuis la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, la Charte de l’environnement de 2004.
La valeur constitutionnelle de ces textes a été longtemps discutée. Traditionnellement, en effet, les préambules constitutionnels n’ont aucune valeur juridique.
Ceci explique en grande partie pourquoi la valeur constitutionnelle du Préambule de la Constitution de 1958 n’a été reconnue par le Conseil constitutionnel que tardivement dans sa décision liberté d’association du 16 juillet 1971 (numéro 71-44 DC : Rec. CC, p. 29 ; GDCC 1971, n°29 ; RDP 1971, p. 1171, note Robert ; AJDA 1971, p. 537, note Rivero ; D. 1974, chron. 83, note Hamon -V.récemment Conseil Constitutionnel, 19 février 2016, décision numéro 2016-535 QPC ).
Le Conseil d’Etat, de son côté, a été beaucoup plus prompt à reconnaître cette valeur. Déjà, sous la Quatrième République, la juridiction administrative suprême avait reconnu la valeur juridique du Préambule de la Constitution de 1946 dans l’arrêt d’Assemblée Dehaene du 7 juillet 1950 (Rec. p. 426 ; D. 1950, p.538, note Gervais ; Dr. Soc. 1950, p. 317, concl. Gazier ; JCP 1950, II, 5681, concl. Gazier ; RDP 1950, p. 691, concl. Gazier, note Waline ; Rev. Adm. 1950, p. 366, concl. Gazier ; S. 1950, III, p.109, note J.D.V.). Cependant, cette reconnaissance avait été grandement facilitée par la façon dont était rédigée la Constitution de 1946 dont l’article 81 reconnaissait aux citoyens le droit « à la jouissance des droits et libertés garantis par le préambule de la présente Constitution ». Par la suite, le Conseil d’Etat avait reconnu la valeur constitutionnelle de la Déclaration des droits de 1789 (CE, 7 juin 1957, Condamine : RDP 1958, p. 98, note Waline).
La Constitution de 1958 posait un problème plus délicat. En effet, le Préambule se contente de proclamer « l’attachement » aux différentes déclarations de droits auxquelles il renvoie. Pourtant, ce rattachement très lâche n’a pas empêché le Conseil d’Etat de reconnaître la valeur constitutionnelle du Préambule, à l’occasion de son arrêt de Section Société Eky du 12 février 1960 (Rec. p.101 ; S. 1960, III, p. 131, concl. Kahn ; D. 1960, jurispr. p. 263, note L’Huillier ; JCP 1960, 11629, note Vedel).
B- Portée des principes auxquels renvoie le Préambule
Tous les principes contenus dans le Préambule de la Constitution de 1946, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et la Charte de l’environnement ont valeur constitutionnelle. Mais si une valeur homogène est reconnue au bloc de constitutionnalité, il n’en possède pas moins un contenu hétérogène. En effet, la primauté incontestée de ses différents éléments dans l’ordre juridique français reste conditionnée par la question de leur applicabilité directe.
Il convient donc de distinguer, parmi les principes visés par ces textes, trois types de normes.
Certaines sont assez précises pour produire directement des effets juridiques, et notamment pour permettre la censure d’un acte administratif par le juge administratif.
Exemples :
– CE Ass., 16 décembre 1988, requête numéro 77713, Bleton (Rec. p. 451, concl. Vigouroux ; AJDA 1989, p. 102, chron. de Boisdeffre ; JCP G 1989, II, 21228, note Gabolde ; RFDA 1989, p. 522, note Baldous et Négrin) : pour procéder à des nominations au tour extérieur en qualité d’inspecteur général des bibliothèques le gouvernement doit respecter la règle posée par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel « tous les citoyens … sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».
– CE, 21 mars 2003, requête numéro 189191, Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux (Rec. p. 144) : en vertu de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, auquel se réfère le Préambule de la Constitution, la protection du domaine public est un impératif d’ordre constitutionnel. Le pouvoir règlementaire ne pouvait donc légalement instaurer un régime d’autorisation tacite d’occupation du domaine public, qui fait notamment obstacle à ce que soient, le cas échéant, précisées les prescriptions d’implantation et d’exploitation nécessaires à la circulation publique et à la conservation de la voirie.
De même peuvent notamment être directement invoqués :
– Le principe général d’égalité (CE, 6 février 1980, requête numéro 09870, Guilhaumé : Rec. tables p. 579) ;
– Le principe de liberté (CE Ass., 8 avril 1987, requête numéro 55895, Peltier : Rec. p. 128.- CE, 24 octobre 2003, requête numéro 250084, Benchemachk.-CE, 19 mai 2008, requête numéro 305670, Association SOS Racisme) ;
– Le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines et le principe de non rétroactivité de la loi pénale (CE, 7 juin 1957, Condamine, préc.- CE, 17 mars 1997, requête numéro 124588, Office des migrations internationales : Rec. p. 86 .- CE Ass., 7 juillet 2004, requête numéro 255136, Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales c. Benkerrou : Rec. p. 298) ;
– Le principe de la présomption d’innocence (CE, 7 juin 1957, Condamine, préc.- CE, 25 septembre 1996, requête numéro 160374, Kazkaz : Rec. tables p. 690.- CE, 19 octobre 2011, requête numéro 342405, French Data Network.- CE , 13 avril 2018, requête numéro 417447, M. B…A…) ;
– La liberté de conscience (CE, 2 novembre 1992, requête numéro 130394, Kherouaa : Rec. p. 389 ; RFDA 1993, p. 112, concl. Kessler ; AJDA 1992, p. 790, chron. Maugüé et Schwartz ; D. 1993, jurispr. p. 108, note Koubi ; JCP G 1993, II, 21998, note Tedeschi.- CE, 27 juillet 2001, requête numéro 216903, Fonds de défense des musulmans en justice : Rec. p. 400.- CE, 15 décembre 2017, requête numéro 401378, Association des musulmans de Lagny-sur-Marne) ;
– La liberté d’expression (CE, 4 novembre 1994, requête numéro 121313, Fédération CGT des services publics.- CE, 11 avril 2018, requête numéro 417471, Section française de l’Observatoire international des prisons) ;
– Le principe d’égalité devant les charges publiques (CE Ass., 28 mars 1997, requête numéro 179049, requête numéro 179050, requête numéro 179054 Société Baxter et a. : Rec. p. 114 .- CE, 17 mars 1999, requête numéro 194491, requête numéro 194545 Union professionnelle artisanale et ordre des avocats à la Cour d’appel d’Orléans : Rec. tables p. 602.- CE, 26 avril 2018, requête numéro 417809, requête numéro 418030, requête numéro 418031, requête numéro 418032, requête numéro 418033) ;
– Le droit de demander compte à tout agent public de son administration (CE, 24 février 1988, requête numéro 16870, CGT.- CE, 23 mars 2018, requête numéro 406066, Syndicat Force ouvrière Magistrats) ;
– Le droit au recours effectif (CE, 21 décembre 2001, requête numéro 222862, M. et Mme Hofmann.- CE, 13 avril 2018, requête numéro 417447, M. B…A…, préc.) ;
– Le droit de propriété (CE, 13 septembre 2000, requête numéro 206840, Fédération nationale des syndicats de propriétaires sylviculteurs.- CE, 4 avril 2005, requête numéro 260887, Bonnafoux : Rec. tables, p.698) ;
– Le principe de précaution (CE, 6 avril 2006, requête numéro 283103, Ligue pour la protection des oiseaux.- CE, 13 juillet 2006, requête numéro 293764, Association « France nature environnement ».- CE, 2 février 2007, requête numéro 289758, Association vie et nature pour une écologie radicale.- CE, 25 mai 2011, requête numéro 336477, Association pour la défense du commerce traditionnel et de proximité de la dernière zone humide du nord de Sallanches) ;
– Le principe de conciliation de la protection et la mise en valeur de l’environnement, du développement économique et du progrès social (CE, 17 mars 2010, requête numéro 314114, Association Alsace nature).
D’autres normes, ensuite, nécessitent l’intervention d’une loi ou d’un autre texte qui vont les préciser.
Exemples :
– CE, 7 juillet 1950, Dehaene (préc.) : le Conseil d’Etat est saisi d’un recours contre la décision d’un ministre règlementant, dans ses services, l’exercice du droit de grève. D’après le Préambule de la Constitution de 1946, « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le règlementent ». Le Conseil d’Etat interprète ces dispositions comme une invitation faite au législateur « à opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève constitue une modalité et la sauvegarde de l’intérêt général auquel elle peut être de nature à porter atteinte ». En l’absence de dispositions législatives règlementant le droit de grève, c’est au pouvoir règlementaire qu’il appartient d’intervenir pour opérer cette conciliation.
– CE, 28 juillet 2004, requête numéro 253927, Préfet de Police c. Nait Saada: le principe posé par les dispositions du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 aux termes desquelles « la Nation garantit à tous la protection de la santé, de la sécurité matérielle, le repos et les loisirs » ne s’impose à l’autorité administrative, en l’absence de précision suffisante, que dans les conditions et les limites définies par les dispositions contenues dans les lois ou dans les conventions internationales incorporées au droit français. Dès lors, un étranger ne saurait utilement, pour critiquer la légalité d’un arrêté de reconduite à la frontière, invoquer ce principe indépendamment desdites dispositions.
Enfin, certaines dispositions constitutionnelles sont beaucoup trop vagues pour être directement invocables devant un juge ou même être concrètement mises en œuvre par des dispositions législatives ou réglementaires. Il en va ainsi du « bonheur pour tous » – traduction française du « pursuit of happiness » de la Déclaration d’indépendance américaine du 4 juillet 1776 – visé par la Déclaration de 1789 ou encore du droit aux loisirs visé par le Préambule de la Constitution de 1946 (V. sur ce point CE, 13 avril 2018, requête numéro 417447, M. B…A…, préc.).
Ceci étant, dans la pratique, la distinction opérée entre les normes directement invocables et celles qui ne le sont pas n’est pas toujours évidente.
Exemples :
– CE Ass., 8 décembre 1978, requête numéro 10097, requête numéro 10677, requête numéro 10679, GISTI, CFDT et CGT (Rec. p.493, concl. Dondoux ; AJDA 1979, p. 38): l’alinéa 10 du Préambule de la Constitution de 1946 prévoit que « la nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », ce qui de prime abord paraît particulièrement vague. Pourtant, pour le Conseil d’Etat, ces dispositions sont directement applicables et c’est sur leur fondement qu’il annule un décret limitant les possibilités de regroupement familial et portant, par conséquent, atteinte au droit des étrangers de mener une familiale normale.
– CE, 27 septembre 1985, requête numéro 44484, requête numéro 44485, France terre d’asile et a. (Rec. p.263) : l’alinéa 4 du Préambule de la Constitution de 1946 prévoit que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République », ce qui paraît assez précis. Pourtant, le Conseil d’Etat estime que ce principe n’est pas directement applicable.
Enfin, une place à part doit être réservée aux droits mentionnés par la Charte de l’environnement.
Dans sa décision du 28 avril 2005, Loi relative à la création du registre international français, le Conseil constitutionnel a estimé que le principe de développement durable visé par l’article 6 de la Charte, constitue un simple objectif dont « il appartient au législateur de déterminer, dans le respect du principe de conciliation posé par ces dispositions, les modalités de (…) mise en œuvre » (CC, 28 avril 2005, DC numéro 2005-514, Loi relative à la création du registre international français : Rec. CC. p.78 ; JO 4 mai 2005, p. 7702 ; RFDC 2005, p.751, note Capitani ; RGDIP 2005, p.739, note Jacob ; LPA, 19 juillet 2005 p.3, note Schoettl).
De son côté, le Conseil d’Etat a estimé, à l’occasion de l’arrêt Association eaux et rivières de Bretagne du 19 juin 2006 (requête numéro 282456 : BDEI septembre 2006, p. 41, concl. Guyomar ; AJDA 2006, p.1584), que si une loi s’interpose entre la Charte de l’environnement et un acte administratif, c’est cette loi qui est déterminante pour vérifier la légalité de l’acte en cas de litige (sont ici visés les articles 1,2 et 6 de la Charte .- V. également s’agissant de l’article 7 de la Charte, CE, 12 juin 2013, requête numéro 360702, Fédération des entreprises du recyclage). Ce principe connaît toutefois une exception pour les dispositions législatives antérieures à la Charte, qui n’auront vocation à s’appliquer que dans les cas où elles ne sont pas elles-mêmes incompatibles avec la Charte. Dans ce cas de figure, les juges peuvent contourner la théorie de la loi écran et considérer que la loi en cause a été implicitement abrogée.
La position du Conseil constitutionnel et celle du Conseil d’Etat ont fini par évoluer puisque ces deux juridictions ont ensuite reconnu la valeur constitutionnelle de l’ensemble des dispositions contenues dans la Charte de l’environnement (V. respectivement CC, 19 juin 2008, numéro 2008-564 DC, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés.- CE, 3 octobre 2008, requête numéro 297931, Commune d’Annecy): Rec. p. 322 ; AJDA 2008, p. 2166, chron. Geffray et Liéber ; RFDA 2008, p. 1147, concl. Aguila).
Dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement Aguila a notamment rappelé que si certains principes contenus dans la Charte ont un caractère imprécis, cela ne leur enlève pas pour autant leur caractère normatif. En effet, certains principes aussi imprécis, par exemple, que la laïcité ou la dignité de la personne humaine ont néanmoins valeur constitutionnelle. Le fait qu’un principe constitutionnel renvoie à une loi ne constitue pas non plus un obstacle. Ainsi, comme on l’a vu, les dispositions constitutionnelles relatives au droit de grève, ou encore au principe de libre administration des collectivités territoriales, ont déjà été utilisées par le juge administratif, alors qu’elles renvoient pourtant à des textes de lois.
En revanche, reconnaître un caractère normatif à la Charte ne revient pas à attribuer une même portée à l’ensemble des principes qu’elle édicte. Le commissaire du gouvernement Aguila relève en effet que l’imprécision d’un principe devrait l’empêcher de créer directement un droit subjectif au bénéfice des particuliers. A titre d’exemple, le principe de participation ne devrait pas autoriser un particulier à demander d’être associé à l’élaboration d’une décision publique, un texte de loi étant bien sûr nécessaire pour organiser une procédure de consultation. En revanche, dans le cadre d’un contentieux objectif, le même particulier doit pouvoir invoquer la Charte dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte règlementaire, dès lors en tout cas qu’il a une incidence directe et significative en la matière (CC. 24 mai 2013, numéro 2013-317 QPC.- CE, 23 novembre 2015, requête numéro 381249, Sociétés Altus Energy et Solaïs.- CE, 28 décembre 2016, requête numéro 394696, requête numéro 395115, Fédération du négoce agricole).
En l’espèce, le Conseil d’Etat, se fondant sur l’article 7 de la Charte consacrant le principe de participation du public a ainsi décidé que « ces dernières dispositions, comme l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement, et à l’instar de toutes celles qui procèdent du Préambule de la Constitution, ont valeur constitutionnelle ; qu’elles s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs ». Dans cette affaire, le Conseil d’Etat annule pour incompétence un décret relatif aux lacs de montagne au motif qu’en vertu de l’article 7 de la Charte, seul le législateur est compétent pour préciser les conditions et les limites du droit de participation du public (V. également, requête numéro 357839, requête numéro 358128, requête numéro 358234).
En revanche, le Conseil d’Etat a considéré dans un arrêt Association du quartier Les Hauts de Choiseul du 19 juillet 2010 (requête numéro 328687 : Rec. p.333 ; AJDA 2010, p. 2114, note Dubrulle ; JCPA 2011, 2119, note Billet ; RDI 2010, p.508, note Soler-Couteaux) que le principe de précaution visé par l’article 5 de la Charte de l’environnement s’impose aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs, sans qu’il appelle nécessairement des dispositions législatives ou réglementaires en précisant la mise en oeuvre. Ce principe peut donc être pris en compte par l’autorité administrative lorsqu’elle se prononce sur l’octroi d’une autorisation délivrée en application de la législation sur l’urbanisme. Cependant, les juges considèrent « qu’en l’état des connaissances scientifiques sur les risques pouvant résulter, pour le public, de son exposition aux champs électromagnétiques émis par les antennes de relais de téléphonie mobile » la décision du maire de la commune autorisant l’installation d’un pylône de relais de téléphonie est légale. Dans le même sens, il a été jugé qu’un maire ne peut s’opposer à l’implantation d’une antenne que s’il rapporte la preuve « d’éléments circonstanciés faisant apparaître, en l’état des connaissances scientifiques, des risques, même incertains, de nature à justifier un tel refus » (CE, 30 janvier 2012, requête numéro 344992, Société Orange France : Dr. Adm. 2012, 44, note Pissaloux, V également CE, 26 février 2014, requête numéro 351514, Association Ban Asbestos France : Rec. tables, p. 752 ; AJDA 2014, p. 1566, note Deharbe).
Par ailleurs, les dispositions de l’article 1er de la Charte en application desquelles « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » peuvent être invoquées devant le juge de l’excès de pouvoir. En effet, « il appartient aux autorités administratives de veiller au respect du principe énoncé par l’article 1er de la Charte de l’environnement lorsqu’elles sont appelées à préciser les modalités de mise en œuvre d’une loi définissant le cadre de la protection de la population contre les risques que l’environnement peut faire courir à la santé et il incombe au juge administratif de vérifier, au vu de l’argumentation dont il est saisi, si les mesures prises pour l’application de la loi, dans la mesure où elles ne se bornent pas à en tirer les conséquences nécessaires, n’ont pas elles-mêmes méconnu ce principe » (CE, 26 février 2014, requête numéro 351514, Association Ban Asbestos France, préc.).
Enfin, le Conseil d’Etat, dans un arrêt (Conseil d’Etat, Assemblée, 12 juillet 2013, Fédération de la pêche en France, requête numéro 344522, publié au recueil : Rec. p.192, concl. Cortot-Boucher ; AJDA 2013, p. 1737, chron. Domino et Bretonneau ; JCP G 2013, II, 1215, note Janicot ; RFDA 2013, p. 1259, note Roblot-Troizier ; RFDA 2014, p. 97, concl. Cortot-Boucher, note Robbe.- V. également Conseil d´Etat, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 10 juin 2015, Chambre de commerce et d’industrie de Rouen, numéro de requête 371554) a estimé que les dispositions de l’article 3 de la Charte de l’environnement selon lequel « toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences » peuvent être invoquées par le justiciable. Les juges estiment en effet qu’il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, au pouvoir réglementaire et aux autres autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes énoncés par cet article, les modalités de la mise en œuvre de ces dispositions. Dans cette affaire, le décret contesté avait pour objet de déterminer les modalités de prévention de l’extinction de l’anguille européenne. Les juges considèrent que les dispositions litigieuses ont prévu la possibilité d’encadrer avec une précision suffisante la pêche de cette espèce. Dès lors, en adoptant les mesures contestées du décret attaqué, le pouvoir réglementaire n’avait pas méconnu les exigences qui découlent de l’article 3 de la Charte.
C- Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République
Ces principes sont intégrés au bloc de constitutionnalité du fait d’un renvoi qui est opéré par l’alinéa 1er du Préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « le peuple français … réaffirme solennellement les droits et libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». Ces principes ne sont pas énumérés par le Préambule de la Constitution de 1946, contrairement aux « principes particulièrement nécessaires à notre temps ».
Ce que voulait faire le constituant de 1946, c’est rendre hommage à l’œuvre du législateur de la Troisième République et aux grandes lois républicaines.
Le Conseil d’Etat, dans son arrêt d’Assemblée du 11 juillet 1956, Amicale des annamites de Paris (Rec. p. 317 ; AJDA 1956, p. 400, chron. Fournier et Braibant) a ainsi estimé que le principe de liberté d’association, qui trouve sa source dans la célèbre loi du 1er juillet 1901, est un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Depuis cet arrêt, une dizaine de ces principes ont été dégagés, principalement par le Conseil constitutionnel.
Exemples :
– CC, 16 juillet 1971, numéro 71-44 DC, Liberté d’association (préc.) : le Conseil constitutionnel reconnaît, quelques années après le Conseil d’Etat, que la liberté d’association est un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
– CC, 22 juillet 1980, numéro 80-119 DC, Loi portant validation d’actes administratifs (préc.) : cette décision reconnaît le principe de l’indépendance de la juridiction administrative qui trouve sa source dans la loi du 24 mai 1872 qui confère la justice déléguée au Conseil d’Etat.
Le dernier principe en date a été reconnu par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 5 août 2011, Société SOMODIA (numéro 2011-157 QPC : JCPA 2011, 2319, note Abi Rached). Dans cette affaire, le Conseil a considéré que la législation républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 a consacré le principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel, tant qu’elles n’ont pas été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et règlementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur.
Le Conseil d’Etat peut utiliser les principes généraux dégagés par le Conseil constitutionnel mais, en tant qu’interprète de la Constitution, il a lui-même dégagé dans un période récente deux nouveaux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
A l’occasion de l’arrêt d’Assemblée Koné du 3 juillet 1996, le Conseil d’Etat s’est inspiré de la loi sur l’extradition du 10 mars 1927 pour décider qu’il existe un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui interdit l’extradition d’un étranger lorsqu’elle est demandée dans un but politique (requête numéro 169219 : Rec. p. 255 ; RFDA 1996, p. 882, concl. Delarue et notes Favoreu, Gaïa, Labayle et Delvolvé ; AJDA 1996, p. 722, chron. Chauvaux et Girardot ; RDP 1996, p. 1751, note Braud ; D. 1996, jurispr. p. 509, note Julien-Laferrière). Le Conseil d’Etat a fait une première application positive de cette jurisprudence à l’occasion de l’arrêt de Section Abliazov du 9 décembre 2016 (requête numéro 394399 : Rec. p. 550).
De façon plus surprenante, compte tenu de l’existence de normes écrites applicables (art. 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen) le Conseil d’Etat a également reconnu que le principe de laïcité était un principe fondamental reconnu par les lois de la République (CE, 6 avril 2001, requête numéro 219379, requête numéro 221699, requête numéro 221700, Syndicat national des enseignements du second degré : Rec. p. 521).
A l’opposé, le Conseil d’Etat, comme le Conseil constitutionnel, ont refusé de reconnaître l’existence de certains principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, alors que dans certains cas ils étaient consacrés par des lois en vigueur sous les Troisième et Quatrième Républiques.
Exemple :
– Dans sa décision Loi réformant le Code de la nationalité du 20 juillet 1993, le Conseil constitutionnel estime qu’il n’existe pas de principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel une personne née en France de parents étrangers également nés en France serait française (numéro 93-321 DC : Rec. CC p.196 ; AJDA 1993, p.755, note Schrameck ; RFDA 1993, p.820, note Philippe). Or, plusieurs lois de la Troisième République avaient consacré ce principe dit de « double droit du sol ».
– Le Conseil constitutionnel a également jugé qu’aucune loi de la République antérieure à la Constitution de 1946 n’a fixé le principe selon lequel les poursuites disciplinaires sont nécessairement soumises à une règle de prescription (CC, 25 novembre 2011, numéro 2011-199 QPC, Gourmelon : Dr. Adm. 2012, 31, note Froger).
– La clause générale de compétence des départements ne constituait pas un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui aurait pu trouver sa source dans la loi du 10 août 1871 susvisée ( Conseil constitutionnel, 9 décembre 2010, Loi de réforme des collectivités territoriales, décision numéro 2010-618 DC , préc.).
– Le Conseil d’Etat considère qu’il n’existe pas de principe fondamental reconnu par les lois de la République dont il résulterait que l’imposition foncière doit être établie sur une base nette (CE, 30 mai 2012, requête numéro 355287, GFA Fielouse-Cardet : Dr. fisc. 2012, 399 ; RJF 2012, n°855).
Enfin, plutôt que de se référer à des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République préexistants, il arrive que le Conseil d’Etat choisisse de se référer directement aux textes constitutionnels. C’est ce qui s’est produit s’agissant du principe du respect des droits de la défense : alors qu’il avait été initialement qualifié de principal fondamental reconnu par les lois de la République (CC, 23 juillet 1999, n°99-416, Loi portant création d’une couverture maladie universelle) le Conseil constitutionnel choisit aujourd’hui de rattacher ce principe à l’article 16 de la Déclaration de 1789 (CC, 30 mars 2006, numéro 2006-635 DC, Loi pour l’égalité des chances).
D- Décisions du Conseil constitutionnel
L’article 62 alinéa 2 de la Constitution précise que « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».
Il en résulte que le Conseil d’Etat est soumis à l’autorité de la chose jugée des décisions par lesquelles le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution d’une disposition législative.
Exemple :
– CE Ass., 13 mai 2011, requête numéro 316734, M’Rida (Rec. p. 211, concl. Geffray ; AJDA 2011, p. 1136, chron. Domino et Bretonneau ; RFDA 2011, p. 789, concl. Geffray et p. 806, note Verpeaux) : lorsque le Conseil constitutionnel, après avoir abrogé une disposition déclarée inconstitutionnelle, détermine lui-même les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause, ou lorsqu’il décide que le législateur aura à prévoir une application aux instances en cours des dispositions qu’il aura prises pour remédier à l’inconstitutionnalité constatée, il appartient au juge, saisi d’un litige relatif aux effets produits par la disposition déclarée inconstitutionnelle, de les remettre en cause en écartant, pour la solution de ce litige, le cas échéant d’office, cette disposition, dans les conditions et limites fixées par le Conseil constitutionnel ou le législateur.
Cependant, l’autorité de la chose jugée ne s’applique que pour le texte de loi soumis à l’examen du Conseil constitutionnel et non pas à la jurisprudence constitutionnelle en général. En d’autres termes, lorsqu’est en cause une autre disposition législative que celle censurée par le Conseil constitutionnel, le juge administratif n’est pas lié par l’autorité de la chose jugée. Ceci étant, par souci de cohérence, le juge administratif, lorsqu’il interprète la constitution, va généralement aboutir à une solution conforme à la position du Conseil constitutionnel.
Pour aller plus loin :
– Brunet (F.), La norme-reflet – Réflexions sur les rapports spéculaires entre normes juridiques : RFDA 2017, p.85.
– Delvolvé (P.), Le Conseil constitutionnel et la liberté d’enseignement : RFDA 1985, p.624.
– De Montalivet (P .), Question prioritaire de constitutionnalité et droit administratif : Dr. adm. 2011, étude 2.
– Domingo (L.) QPC : Questions de procédure contentieuse, JCP A 2011, 2163
– Genevois (B.), La marque des idées et principes de 1789 dans la jurisprudence du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel : EDCE, n° 40, 1988, p. 181.
– Genevois (B.), Normes de référence du contrôle de constitutionnalité et respect de la hiérarchie en leur sein : Mélanges Braibant, Dalloz, 1996, p. 323.
– Genevois (B.), Une catégorie de principes de valeur constitutionnelle : les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République : RFDA 1998, p.477.
– Jegouzo (Y.) et Loloum (F.), La portée juridique de la Charte de l’environnement : Droit adm., 2004, 8.
– Mbongo (P.), Constitution française et libertés. Dits, non-dits, clairs-obscurs et idées reçues : Rev. adm. 2002, p. 594.
-Roblot-Troizier (A.), La question prioritaire de constitutionnalité devant les juridictions ordinaires : entre méfiance et prudence : AJDA 2010, p. 74.
-Roblot-Troizier (A.), Le non-renvoi des questions prioritaires de constitutionnalité par le Conseil d’Etat : RFDA 2011, p. 691.
– Rousseau (D.), Le Conseil constitutionnel et le Préambule de 1946 : Rev. adm. 1997, p. 160.
– Teitgen-Colly (C.), Le droit d’asile : la fin des illusions : RDP 1994, p.5.
– Verpeaux (M.), Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ou les principes énoncés dans les lois des Républiques ? : LPA 1993, n° 84, p. 9.
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