Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 5 mars 2015
N° de pourvoi: 14-13292
Publié au bulletin Cassation
Mme Batut (président), président
Me Le Prado, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)
Texte intégral
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l’article 1147 du code civil ;
Attendu que l’obligation, pour le médecin, de donner au patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science comporte le devoir de se renseigner avec précision sur son état de santé, afin d’évaluer les risques encourus et de lui permettre de donner un consentement éclairé ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X…, souffrant depuis l’enfance de céphalées, a subi, en 1988, un examen révélant une malformation artério-veineuse, traitée au sein de la Fondation ophtalmologique Adolphe de Rothschild (la fondation), puis par radiothérapie ; qu’à la suite de nouveaux bilans confirmant la présence d’un angiome résiduel et d’une hémianopsie partielle, l’exérèse d’une partie du lobe occipital droit permettant l’ablation totale de cette malformation a été pratiquée le 23 septembre 1998 par M. Y…, chirurgien salarié de la fondation ; que, dans les suites immédiates de l’intervention, une dégradation de l’acuité visuelle de la patiente est survenue, accompagnée d’une double hémianopsie latérale complète ; que Mme X… a assigné la fondation en réparation de ses préjudices ;
Attendu que pour rejeter la demande de Mme X… en indemnisation de ses préjudices corporels, l’arrêt retient que l’indication opératoire était justifiée et qu’aucune faute ne peut être reprochée à M. Y… dans le geste chirurgical, compte tenu de la localisation anatomique de la malformation dans le lobe occipital du cerveau, siège de la vision, ni dans la technique mise en oeuvre qui était la seule possible ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté qu’avant l’intervention, le chirurgien croyait, à tort, que Mme X… était déjà atteinte d’une hémianopsie complète, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 13 décembre 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles ;
Condamne la Fondation ophtalmologique Adolphe de Rothschild et la Société hospitalière d’assurances mutuelles aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme X….
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir dit qu’il ne pouvait être reproché aucune faute aux médecins dans le geste chirurgical, d’avoir dit que le manquement à leur obligation d’information à l’égard de Mme X… relativement à l’intervention d’exérèse chirurgicale du 23 septembre 1998 n’a pas entraîné de perte de chance pour Mme X… de refuser l’opération et d’éviter le risque et d’avoir en conséquence débouté Mme X… de toutes ses demandes au titre de l’indemnisation de ses préjudices corporels ;
AUX MOTIFS QU’il résulte des rapports d’expertise du Pr Z…et du Pr A…ainsi que des pièces médicales produites que Mme X… présentait depuis l’enfance des épisodes de céphalées frontales droits devenues plus intenses à la suite d’une grossesse, les céphalées étant souvent accompagnées d’un scotome central ainsi que de nausées sans vomissement ; qu’un scanner réalisé le 15 décembre 1988 à Dijon a mis en évidence une malformation artério-veineuse temporale droite, confirmée par une artériographie réalisée par le Dr B…à la Fondation Rothschild ; que le docteur B…a réalisé plusieurs séances d’embolisation entre mars 1989 et juin 1991et devant l’impossibilité de poursuivre la réduction du nidus angiomateux, il était alors envisagé de compléter le traitement par une exérèse chirurgicale ; que Mme X… refusait cette intervention et était alors adressée au docteur C…au CH de Lille pour une radiothérapie multifaisceaux réalisée à deux reprises en avril 1994 et décembre 1995 ; que deux contrôles artériographies étaient pratiqués en juin 1995, à un an de la première irradiation et en février 1998 à trois ans de la seconde irradiation, confirmant la persistance d’un résidu angiomateux actif d’environ 2 cm dans son grand diamètre sur 1 cm dans son plus petit diamètre, situé dans la région occipitale droite ; qu’à la suite de ces examens le Dr B…a proposé de procéder à l’exérèse chirurgicale de ce résidu angiomateux ; que l’intervention pratiquée le 23 septembre 1998 par le Dr Y… à la Fondation Rothschild a consisté en une ablation réglée du lobe occipital droit dans ses deux tiers internes permettant de faire l’ablation de la malformation, sans complication hémorragique et avec la quasi-certitude de son ablation totale ; qu’une nouvelle artériographie réalisée le 29 septembre 1998 a permis de constater que l’exérèse de la malformation artério-veineuse avait été complète ; mais que Mme X… s’est plainte, immédiatement après cette intervention, d’une dégradation de son état visuel et que l’examen pratiqué le 29 septembre a permis de relever une acuité de 5/ 10 à droite et de 4/ 10 à gauche, et une aggravation de l’hémianopsie latérale homonyme gauche avec atteinte nette de l’axe visuel, alors que les derniers examens pratiqués avant l’intervention les 17 mars et 9 avril 1998, avaient noté une acuité visuelle de 9/ 10 à chaque oeil avec amputation du champ visuel latéral homonyme gauche incomplète mais préservation de la vision centrale et du champ visuel central ; que l’acuité visuelle a ensuite chuté puisque Mme X… présentait, lors de contrôles des potentiels visuels réalisés le 8 février 2007, une acuité visuelle binoculaire de 2/ 10 ; que les deux collèges d’expert retiennent que l’aggravation du champ visuel après l’intervention du 23 septembre 1998, telle que constatée au lendemain de celle-ci, c’est-à-dire une perte de vision à 4/ 10 avec hémianopsie latérale homonyme gauche complète ne laissant qu’une épargne maculaire partielle, est en relation directe et certaine avec l’acte critiqué ; mais qu’ils écartent tout lien de causalité entre la détérioration visuelle subséquente et l’intervention, le Pr D…indiquant : « l’évolution actuelle de l’acuité visuelle qui a chuté à 2/ 010ème en vision binoculaire ce jour ne doit pas être rapportée à cette intervention chirurgicale du 23. 09. 98 puisque l’acuité visuelle chiffrée à 4/ 10ème a été retrouvée stable pendant plusieurs années après cette chirurgie » et le Dr Monique E…retenant que l’aggravation de l’état visuel de Mme X… est à rapporter à la maladie oculaire (glaucome) indépendante des conséquences de l’intervention ; que sous le régime juridique applicable avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 le médecin s’engage dans le cadre du contrat qui le lie à son patient à donner à son patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science à la date de son intervention ; qu’il s’agit d’une obligation de moyens et qu’il appartient au patient d’établir l’existence d’une faute directement en lien de causalité avec le préjudice dont il souffre ; que le tribunal a justement considéré, au regard des constatations médicales concordantes des experts, qu’aucune faute ne pouvait être reprochée au Dr Y…, ni dans le geste chirurgical, compte tenu de la localisation anatomique du résidu de la malformation dans le lobe occipital du cerveau, siège de la vision, et au regard de la qualification d’aléa thérapeutique ou de risque inhérent au geste chirurgical retenue par les experts, ni dans la technique opératoire mise en oeuvre qui était la seule possible ; qu’ainsi, le Pr Z…indique : « l’intervention menée par le Dr Y… est tout à fait conforme aux règles de l’art. (¿) la complication présentée par Mme X… en post-opératoire, c’est-à-dire l’aggravation de son hémianopsie latérale homonyme avec atteinte de sa vision centrale est à considérer comme un aléa de la thérapeutique entreprise » ; et que le Pr A…écrit, dans le même sens : « La seule technique consiste donc à faire le tour de l’angiome en passant au contact de la malformation mais dans le parenchyme cérébral. Ceci provoque forcément des troubles neurologiques en fonction du rôle du cerveau dont l’ablation est faite. En ce qui concerne Mme X… il s’agissait de l’aggravation de son champ visuel » ; que le Tribunal a retenu à juste titre que Mme X… ne rapportait pas la preuve du caractère incomplet de l’exérèse pratiquée par le Dr Y…, le Pr Z…ayant considéré que les comptes rendus d’IRM présentés, d’interprétation difficile eu égard aux divers traitements subis par la patiente, n’étaient pas pertinents sur la persistance d’un résidu angiomateux, alors que l’artériographie réalisée le 29 septembre 1998, soit six jours après l’intervention, montrait que l’exérèse avait été complète ; que la cour ajoute que le chirurgien n’est pas tenu à une obligation de résultat et que sa responsabilité ne pourrait être retenue que pour faute prouvée dans le geste opératoire, faute qui a été écartée par les deux neurochirurgiens intervenus en qualité d’experts dans le dossier ; que Mme X… soutient que le Dr B…et le Dr Y… auraient commis une faute dans l’indication opératoire, au motif que l’intervention ne se justifiait pas selon elle, au regard de la règle de la raison proportionnée entre les avantages et les risques ; qu’elle fonde son raisonnement sur le fait que la malformation dont elle souffrait n’était pas évolutive, qu’elle n’avait pas entraîné de modification dans son état, que le risque comitial était maitrisé sous monothérapie et que le risque hémorragique n’était que de 1 % par an ; qu’elle ajoute que le bilan des risques d’une abstention thérapeutique par rapport aux risques propres à l’intervention et à l’aggravation de son état visuel inhérente au geste chirurgical n’était pas positif ; mais que les deux experts ont de manière argumentée et raisonnée, indiqué que Mme X… avait bénéficié depuis 1989 d’une prise en charge tout à fait adaptée, d’abord dans le cadre du traitement endovasculaire, puis par la mise en oeuvre de deux séances de radiothérapie multifaisceaux et que, devant la persistance d’un résidu de la malformation, la seule possibilité était le recours à la chirurgie, sauf à admettre une abstention thérapeutique ; mais que le Pr Z…indique : « La complication la plus redoutable (d’un malformation artério-veineuse) est l’hémorragie pouvant entraîner un hématome intracérébral pouvant conduire lui-même soit au décès du patient, soit à un déficit neurologique séquellaire (¿). Il est évident que Mme X… présentait une malformation artério-veineuse dont l’angioarchitecture avec en particulier un anévrisme d’hyperdébit rendait le risque d’hémorragie plus important que dans d’autres malformations artério-veineuses » ; que le Pr A…confirme totalement cette analyse puisqu’il écrit : « Compte tenu du caractère très circulant de cette malformation, les risques d’hémorragie avec au minium des troubles du champ visuel et au maximum hémiplégie ou issue fatale étaient très importants et justifiaient donc tout à fait l’indication thérapeutique » ; que le risque d’une hémorragie cérébrale susceptible d’entraîner une issue fatale ou une lésion séquellaire sur le plan neurologique était donc majeur, contrairement à ce que soutient Mme X… ; que c’est en vain que Mme X… fait état des avis du Pr F…, neurochirurgien à Dijon et du Dr G…, neurochirurgien à la Fondation Rothschild, ayant disqualifié la proposition d’intervention chirurgicale en 1991, la cour observant que la situation de l’intéressée à cette date était fort différente puisqu’il existait alors une autre possibilité thérapeutique, le recours à la radiothérapie, et qu’à l’issue des divers traitements mis en oeuvre, le reliquat de la malformation était devenu en 1998 compatible avec une exérèse chirurgicale, ainsi que le proposait le 18 février 1998 le Dr Didier H…, du service de neuroradiologie du CHU de Dijon à l’issue du dernier contrôle artériographique de Mme X… ; qu’il convient de remarquer en outre, comme l’a fait le tribunal, que l’angiome cérébrale était à l’origine e la quadrinopsie puis de l’hémianopsie latérale homonyme gauche incomplète dont souffrait Mme X…, que les troubles visuels se sont aggravé au cours des premières années, Mme X… ne s’en plaignant pas trop compte tenu d’une bonne conservation de la vision centrale, et que l’évolution de la malformation artérioveineuse restante, si elle n’avait pas été opérée, aurait pu entraîner soit progressivement, soit rapidement à l’occasion d’une hémorragie, une aggravation de son état visuel ; que le risque d’atteinte visuelle lié à l’intervention était donc contrebalancé par le risque également important d’une aggravation naturelle de l’état visuel évolutif de Mme X… ; qu’il sera donc retenu qu’aucune faute n’a été commise par les médecins de la Fondation Rothschild dans l’indication thérapeutique d’exérèse chirurgicale du résidu angiomateux résistant aux divers traitements mis en place précédemment ; que Mme X… fait également grief au Dr B…et au Dr Y… d’avoir manqué à l’obligation de se renseigner, avant de prescrire ou de procéder à l’intervention d’exérèse, sur l’état ophtalmologique antérieur de leur patiente et d’avoir ainsi, à tort retenu qu’elle était atteinte d’une hémianopsie latérale homonyme gauche complète, alors qu’il est avéré que cette hémianopsie était incomplète ; mais que comme l’a relevé le tribunal, cette erreur est sans lien avec l’indication opératoire puisque la décision d’opérer pour procéder à l’exérèse totale de l’angiome résiduel a été prise, ainsi qu’il a été vu plus haut, au regard du risque hémorragique majeur que présentait Mme X… et qu’il ne peut être non plus méconnu le fait, ainsi que cela a été rappelé précédemment, que l’état visuel de la patiente ne pouvait que s’aggraver du fait de l’emplacement de la lésion ; que Mme X… reproche enfin aux médecins de la Fondation Rothschild, le Dr B…et le Dr Y… d’avoir manqué à leur obligation d’information sur les risques propres à l’intervention qu’ils envisageaient et sollicite l’indemnisation totale de son préjudice en affirmant que, mieux informée, elle aurait choisi la prudence et aurait refusé l’opération, comme elle l’avait fait en 1991 ; qu’il convient de rappeler comme l’a fait le tribunal, que le médecin est tenu d’une obligation d’information de son patient, préalable à un consentement éclairé de celui-ci et ce avant même l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 qui a consacré cette obligation ; que le praticien doit fournir à son patient une information loyale, claire et appropriée sur les risques des actes qu’il lui propose ; que cette information peut être dispensée oralement et complétée par un écrit mais qu’elle incombe à chaque professionnel de santé et ne peut être déléguée à un confrère prenant également en charge le patient ; que la charge de la preuve de l’exécution de cette obligation incombe au médecin qui peut toutefois rapporter cette preuve par tous moyens, notamment par présomptions ; qu’il ressort des opérations d’expertise, qu’aucune feuille d’information et de consentement éclairé n’a été signée par Mme X… pour l’intervention de 1998, alors qu’un document de consentement avait été signé en 1989 avant les séances d’embolisation ; que Mme X… affirme n’avoir jamais reçu aucune information de la part du Dr Y… qu’elle n’a, dit-elle rencontré qu’après l’intervention, et n’avoir eu aucune information du Dr B…sur le risque de perte de vision du fait du geste chirurgical sur le lobe occipital ; que le Dr Y… a prétendu lors des opérations d’expertise menées par le Pr Z…, avoir longuement discuté avec Mme X…, en présence du Dr B…des risques éventuels de l’intervention, mais que ses affirmations ne sont corroborées par aucun élément, à défaut notamment de compte rendus de consultations préalables à l’opération, et qu’elles sont, au surplus fort contestables puisqu’il indique avoir prévenu Mme X… qu’elle ne pouvait être aggravée sur le plan visuel par l’intervention dans la mesure où elle était déjà atteinte, selon lui, d’une hémianopsie latérale homonyme complète, alors que ce n’était pas le cas, ce que n’aurait pas manqué de lui dire l’intéressée si cette information erronée lui avait été donnée ; que le Dr B…quant à lui, a adressé à la patiente un courrier en date du 29 juin 1998 lui proposant l’intervention, sans en préciser les risques potentiels, la renvoyant à consulter le Dr Didier H…; que les médecins de la Fondation Rothschild ne peuvent ni se retrancher derrière l’information qui aurait été donnée par leurs confrères, ni invoquer les courriers échangés entre eux dont il n’est pas établi que Mme X… aurait eu connaissance ; que la réticence des professionnels de santé à informer pleinement la patiente sur son état de santé et sur les risques encourus ressort des mentions de certains des courriers échangés, notamment celui du Dr Didier H…au Dr B…du 18 février 1998 qui indique : « compte tenu du contexte psychoaffectif un peu particulier, je n’ai fait aucune déclaration à la patiente » ; que le fait que Mme X… ait été pleinement informée des risques du traitement par embolisation et les ait acceptés en 1989 ne permet pas de retenir qu’elle aurait été informée des risques propres à l’intervention en 1998 ; que force est donc de constater que les médecins de la Fondation Rothschild ne démontrent pas avoir pleinement rempli leur obligation d’information à l’égard de Mme X… ; que le défaut d’information est susceptible de priver le patient d’une chance d’échapper, par une décision plus judicieuse, au risque qui s’est finalement réalisé ; que le dommage réparable s’apprécie au regard des effets qu’une information exhaustive du patient auraient pu avoir sur son consentement et correspond à une fraction des différents chefs de préjudices subis déterminée en mesurant la chance perdue d’éviter le risque, la réparation intégrale n’étant admise que s’il était démontré que l’intéressé, dûment informé, aurait renoncé à l’acte médical, alors qu’aucune réparation n’est au contraire retenue lorsqu’il n’existe aucune alternative thérapeutique ; qu’en l’espèce il a été vu que Mme X… ayant été traitée par embolisation puis par radiothérapie et qu’à l’issue de ces traitements, il subsistait un résidu angiomateux non résorbable pour l’élimination duquel seule une exérèse chirurgicale était possible, à l’exclusion de toute alternative thérapeutique ; que Mme X…, suivie en cela par le tribunal, prétend qu’informée du risque d’aggravation de son état visuel, elle aurait opté pour une abstention thérapeutique, mais que cette affirmation est contredite par les éléments suivants :
– le risque hémorragique dépeint par les experts et qui lui aurait été nécessairement exposé par le chirurgien dans le cadre du bilan avantages/ risques était majeur et les risques d’une intervention étaient bien supérieurs aux risques de l’intervention,
– Mme X… était consciente des risques d’hémorragie cérébrale liés à l’existence de ce résidu angiomateux, son angoisse transparaissant dans le « contexte psychoaffectif » noté par le Dr Didier Martin en février 1998, et ne pouvait méconnaitre que son état visuel s’aggravait même si elle s’en accommodait en raison de la préservation de la vision centrale,
– Mme X… souffrait depuis des années de céphalées invalidantes et était soumise à des traitements contraignants en vue d’obtenir une guérison, guérison qu’elle appelait de ses voeux et qu’elle évoque d’ailleurs dans ses conclusions au titre des pertes de gains professionnels en indiquant qu’elle était à mi-temps dans toute la période précédant l’intervention en raison des traitements reçus mais qu’elle envisageait de reprendre à plein temps dès que son état serait stabilisé,
– Il ne peut être tiré argument du refus opposé par Mme X… en 1991 à l’intervention chirurgicale qui lui était proposée alors qu’il existait, à cette époque, une alternative thérapeutique consistant en une radiothérapie réalisée à Lille ;
Qu’il convient en conséquence de retenir que, compte tenu de l’absence d’alternative thérapeutique, des risques encourus en cas d’abstention thérapeutique et de l’évolution en aggravation de l’état visuel de Mme X…, le défaut d’information n’était pas de nature à lui faire perdre une chance de refuser l’intervention proposée ;
1°) ALORS QUE le médecin est tenu d’une obligation de fournir des soins attentifs et consciencieux conformes aux données acquises de la science ; que commet une faute le médecin qui se livre à l’amputation d’une partie du cerveau responsable de la vision, sans s’être préalablement renseigné sur l’état de cette fonction de sa patiente, et dans la croyance erronée de l’absence de risque lié à cette intervention sur la vision centrale compte tenu de la préexistence d’une hémianopsie homonyme complète (absence de vision centrale) quand en réalité, cette hémianopsie était incomplète et la vision centrale de la patiente était préservée ; qu’en qualifiant la croyance du Dr Y… à l’existence d’une hémianopsie homonyme complète de simple erreur, la Cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil ;
2°) ALORS QUE le médecin est tenu d’une obligation de fournir des soins attentifs et consciencieux conformes aux données acquises de la science ; qu’en se bornant à énoncer que l’« erreur » du Dr Y… serait sans lien avec l’indication opératoire puisque la décision d’opérer pour procéder à l’exérèse totale de l’angiome résiduel a été prise au regard du risque hémorragique majeur que présentait Mme X… et que l’état visuel de la patiente ne pouvait que s’aggraver, sans s’expliquer ainsi qu’elle y était invitée sur le compte rendu opératoire du Dr Y… qui précisait lui-même que « du fait de l’existence d’une hémianopsie homonyme complète, on va faire en fait une amputation du lobe occipital pratiquement réglée ¿, on fait une exérèse monobloc de la malformation résiduelle », duquel il résultait clairement que l’indication opératoire et en tous les cas l’approche chirurgicale de la malformation avait été déterminée par la croyance fautive du médecin à l’existence d’une hémianopsie homonyme complète alors qu’elle était incomplète et que la vision centrale était préservée, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil ;
3°) ALORS QUE Mme X…, faisait valoir (conclusions p. 17) que l’atteinte fonctionnelle ne constituait pas un simple risque inhérent à l’intervention ou un aléa, mais bien plus, une suite normale incontournable de l’intervention et que les médecins savaient que son champ visuel serait nécessairement totalement hypothéqué par une telle intervention, mais qu’ils ont jugé qu’ils pouvaient la pratiquer parce qu’ils croyaient par erreur, ainsi que l’a d’ailleurs admis l’arrêt attaqué, que son champ visuel était déjà atteint de manière complète ; que l’arrêt attaqué constate lui-même expressément (arrêt p. 7 dernier §) que selon l’expert A…« la seule technique consiste donc à faire le tour de l’angiome en passant au contact de la malformation mais dans le parenchyme cérébral. Ceci provoque forcément des troubles neurologiques en fonction du rôle du cerveau dont l’ablation est faite. En ce qui concerne Mme X…, il s’agissait d’une aggravation de son champ visuel » ; que dès lors en statuant comme elle l’a fait sur le fondement de la réalisation d’un aléa thérapeutique, sans rechercher si la perte de la vision centrale ne constituait pas bien plus qu’un risque, une conséquence certaine de l’acte médical envisagé, et en s’abstenant dès lors d’apprécier la faute des médecins et la perte d’une chance de refuser l’intervention à la lumière de cette certitude du dommage qui devait en résulter, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil ;
4°) ALORS QUE hormis les cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, un médecin est tenu de lui donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés et il n’est pas dispensé de cette information sur la gravité du risque par le seul fait qu’il n’existerait pas d’autre alternative thérapeutique ; que dès lors ni la responsabilité du médecin, ni la perte d’une chance de refuser l’intervention ne peuvent être exclues en conséquence de l’absence d’alternative thérapeutique ; qu’en affirmant qu’aucune réparation ne pourrait être retenue en cas de manquement du médecin à son obligation d’information lorsqu’il n’existe aucune alternative thérapeutique la Cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil ;
5°) ALORS QUE hormis les cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, un médecin est tenu de lui donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés et il n’est pas dispensé de cette information sur la gravité du risque par le seul fait que l’intervention serait médicalement nécessaire ; que dès lors ni la responsabilité du médecin, ni la perte d’une chance de refuser l’intervention ne peuvent être exclues sur le fondement du caractère nécessaire de l’intervention ; qu’en se fondant pour exclure toute réparation, sur la circonstance que l’intervention était nécessaire compte tenu des risques encourus en cas d’abstention thérapeutique, la Cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil ;
6°) ALORS QUE le praticien qui manque à son obligation d’informer son patient des risques graves inhérents à un acte médical d’investigations ou de soins prive ce dernier de la possibilité de donner un consentement ou un refus éclairé à cet acte ; qu’en se fondant pour exclure la perte d’une chance de refuser l’intervention sur le risque majeur d’une hémorragie cérébrale susceptible d’entraîner une issue fatale ou une lésion séquellaire sur le plan neurologique en cas d’abstention thérapeutique, sans s’expliquer ainsi qu’elle y était invitée par Mme X… (conclusions p. 17), sur la circonstance qu’elle était restée sans soin visant à l’éradication de l’angiome pendant trois ans à l’issue des embolisations et de nouveau pendant trois ans à l’issue de la radiothérapie, ce dont il résulte que les risques liés à l’angiome puis au résidu angiomateux restant après la radiothérapie n’étaient pas considérés comme des risques majeurs par les médecins qui la suivaient, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté la demande de Mme X… tendant à voir condamner la Fondation Rothschild in solidum avec la SCHAM à réparer le préjudice moral résultant des fautes commises par les médecins en période post-opératoire ;
ALORS QUE Mme X… faisait valoir (conclusions p. 23 et 24) que paniquée à son réveil de se trouver quasi aveugle, elle n’a à aucun moment été prise au sérieux, qu’elle a même été prise pour une folle agitée qu’il convenait de calmer, qu’elle avait dû attendre 6 jours après l’intervention pour bénéficier d’un examen ophtalmologique, que le docteur Y… a par la suite refusé de la recevoir et personne ne s’est préoccupé de son état psychique à la suite de l’atteinte qu’elle avait subie, qu’il n’y a aucune trace d’une visite des médecins postérieure à la période de réanimation et que l’établissement niant le préjudice de sa patiente n’avait préconisé aucun soin, aucune rééducation de la vision résiduelle ni prise en charge psychologique ; qu’elle sollicitait la réparation du préjudice moral qui est résulté pour elle de ce comportement post-opératoire fautif (conclusions p. 38) ; qu’en statuant comme elle l’a fait, sans aucun motif de nature à justifier le rejet de cette demande, la Cour d’appel a violé l’article 455 du Code de procédure civile.
ECLI:FR:CCASS:2015:C100240
Analyse
Publication :
Décision attaquée : Cour d’appel de Paris , du 13 décembre 2013