Contexte : Dans cette décision rendue le 5 mars 2015, la première chambre civile affirme, pour la première fois, que le médecin a le devoir de se renseigner sur l’état de santé du patient avant de l’informer sur les risques de l’acte médical envisagé. Elle consacre ainsi un nouveau devoir qui s’ajoute à ceux, déjà nombreux, qui pèse sur les professionnels de santé.
Litige : Une patiente souffrant d’un angiome résiduel et d’une hémianopsie partielle subit une opération permettant l’ablation totale de cette malformation. A la suite de cette intervention, l’acuité visuelle de la patiente s’étant dégradée, elle sollicite la réparation de ses préjudices à la Fondation ophtalmologique, prise en sa qualité d’employeur du chirurgien qui a réalisé l’opération. La cour d’appel de Paris rejette cette action en considérant qu’aucune faute ne peut être reprochée au chirurgien dans le geste chirurgical, compte tenu de la localisation anatomique de la malformation dans le lobe occipital du cerveau, siège de la vision, ni dans la technique mise en œuvre. La patiente forme un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision.
Solution : La première chambre civile donne raison à la patiente en censurant l’arrêt de la cour d’appel de Paris aux motifs que « l’obligation, pour le médecin, de donner au patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science comporte le devoir de se renseigner avec précision sur son état de santé, afin d’évaluer les risques encourus et de lui permettre de donner un consentement éclairé».
Analyse : La Cour de cassation s’est manifestement inspirée de solutions qu’elle a dégagées en matière de vente et de contrat d’entreprise.
En effet, elle retient depuis plusieurs années que l’entrepreneur est tenu de se renseigner sur la finalité des travaux qu’il accepte de réaliser (Cass. 3e civ., 15 févr. 2006, n° 04-19.757 : Bull. III, n° 37). Cette solution a été ensuite étendue au vendeur professionnel qui doit lui aussi « se renseigner sur les besoins de l’acheteur afin d’être en mesure de l’informer quant à l’adéquation de la chose proposée à l’utilisation qui en est prévue » (Cass. 1re civ., 28 oct. 2010, n° 09-16.913 : Bull. civ. I, n° 215 ; Resp. civ. et assur. 2011, comm. 27, note S. Hocquet-Berg).
En étendant cette règle au professionnel de santé, la Cour de cassation poursuit le même objectif : empêcher que le débiteur d’une obligation d’information puisse se retrancher derrière son ignorance de la situation ou des besoins du créancier. Comme tout professionnel débiteur d’une obligation d’information, le médecin est donc tenu de s’informer pour informer. Il doit entreprendre des démarches positives aux fins de s’enquérir de l’état de santé de son patient, si celui-ci ne lui a pas spontanément fournis toutes les informations utiles.
Cette solution est classique dans la mesure où, comme l’a par exemple énoncé la Cour de cassation à propos d’informations erronées délivrées par un représentant de l’ASSEDIC au personnel d’une caisse de mutualité sociale agricole,« celui qui a accepté de donner des renseignements a lui-même l’obligation de s’informer pour informer en connaissance de cause» (Cass. 2e civ., 19 oct. 1994, n° 93-14.233 : Bull. civ. II, n° 94).
L’impact de cette jurisprudence risque d’être important en matière de responsabilité médicale si, comme à l’égard de l’entrepreneur et du vendeur, la Cour de cassation juge qu’il appartient au médecin de prouver qu’il s’est acquitté de son devoir de se renseigner.
Il devrait alors non seulement prouver qu’il a délivré une information claire, loyale et adaptée au niveau de compréhension de son patient mais encore démontrer qu’il a soumis ce dernier à un interrogatoire suffisant.
Dans l’attente d’être tout à fait éclairés sur ce point, les médecins seraient donc bien avisés de conserver des éléments de preuve de nature à établir qu’ils ont bien posé à leur patient toutes les questions nécessaires pour déterminer précisément leur état de santé.