Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 2 novembre 2020, le préfet du Doubs demande au juge des
référés d’ordonner, sur le fondement des dispositions des articles L. 554-1 du code de justice
administrative et L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, la suspension de
l’exécution de l’arrêté du 31 octobre 2020, par lequel le maire d’Audincourt a autorisé l’ensemble
des commerces à rouvrir à compter du samedi 31 octobre 2020.
Il soutient que :
– en tant qu’il autorise les commerces autres que ceux mentionnés à l’article 37 du décret
du 29 octobre 2020, l’arrêté contesté méconnaît les dispositions de ce décret et est donc entaché
d’erreur de droit ;
– alors même qu’il n’a pas à justifier de l’urgence de prononcer la suspension de
l’exécution de l’arrêté contesté, l’urgence est caractérisée du fait que cette mesure, d’une part, est
source de confusion pour les commerçants et le public et, d’autre part, est de nature à favoriser les
comportements préjudiciables à l’amélioration de la situation sanitaire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 novembre 2020, la commune d’Audincourt,
représentée par Me Suissa, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l’Etat de la
somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le moyen tiré de l’urgence à ordonner la suspension de l’arrêté contesté est inopérant dès
lors que le préfet n’a pas, dans le cadre d’un déféré suspension, à faire la démonstration de
l’urgence ;
– il n’y a pas de doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté dès lors qu’il ne contredit
pas l’article 37 du décret du 29 octobre 2020 qui n’ordonne pas la fermeture des
établissements dont l’activité n’est pas énumérée, mais prescrit qu’ils ne peuvent recevoir
du public, que l’arrêté contesté complète, par des mesures plus rigoureuses, le décret du 29
octobre 2020 qui ne précise pas les conditions de livraison et de retrait dans les
établissements de catégorie M, que ce décret devra être écarté dans la mesure où il n’existe
aucune certitude scientifique stigmatisant une circulation plus importante du virus dans les
petits commerces plutôt que dans les grandes surfaces et où il crée une rupture d’égalité
entre les grandes surfaces et les petits commerçants.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de la santé publique ;
– le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;
– le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Au cours de l’audience publique qui s’est tenue le 5 novembre 2020 en présence de
Mme Chiappinelli, greffier, ont été entendus :
– le rapport de M. Trottier, juge des référés ;
– les observations de M. F., représentant le préfet du Doubs, qui reprend l’argumentation
de la requête et ajoute qu’il appartient au Conseil d’Etat de se prononcer sur la légalité du décret
du 29 octobre 2020 et qu’il y a eu 330 décès dans le Doubs dont 200 dans le nord du département ;
– et les observations de Me Suissa, représentant la commune d’Audincourt, qui reprend
l’argumentation développée en défense et ajoute que le déféré du préfet est irrecevable dès lors
qu’il attaque un acte superfétatoire dans la mesure où il n’est pas différent du décret du 29 octobre
2020 qui n’ordonne pas la fermeture des établissements, qu’à cet égard, l’arrêté contesté aurait dû
mentionner « maintenir ouverts » et non « rouvrir » les commerces, que l’arrêté contesté est rédigé
en termes différents de ceux pour lesquels d’autres juridictions ont fait droit aux déférés des préfets
et que les chiffres avancés par le représentant du préfet ne sont pas justifiés.
La clôture d’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l’article L. 554-1 du code de justice administrative : « Les demandes
de suspension assortissant les requêtes du représentant de l’Etat dirigées contre les actes des
communes sont régies par le 3ème alinéa de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités
territoriales ci-après reproduit : » Art. L. 2131-6, alinéa 3.-Le représentant de l’Etat peut assortir
son recours d’une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l’un des moyens
invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de
l’acte attaqué. Il est statué dans un délai d’un mois. « … ».
2. D’une part, aux termes de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique : « L’état
d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du
territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la NouvelleCalédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé
de la population. ». Aux termes de l’article L. 3131-15 : « I.- Dans les circonscriptions
territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret
réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la
santé publique : (…) 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris
les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du
public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l’accès des personnes aux biens et services
de première nécessité (…) ». Par un décret du 14 octobre 2020 le Président de la République a
déclaré l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020 sur l’ensemble du territoire de la
République.
3. D’autre part, l’article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales dispose
que : « Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le
département, de la police municipale (…) ». L’article L. 2212-2 du code général des collectivités
territoriales précise que : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté,
la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (…) 3° Le maintien du bon
ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes, tels que les foires,
marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux
publics (…) ; 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la
distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les
pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les
éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies
épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d’urgence à toutes les mesures
d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration
supérieure (…) ».
4. Il résulte de ces dispositions que le législateur a institué une police spéciale donnant
au Premier ministre la compétence pour édicter, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les
mesures générales visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l’épidémie de covid19, en vue, notamment, d’assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur
cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné et de les adapter en fonction de
l’évolution de la situation. Les articles L. 2212‑1 et L. 2212‑2 du code général des collectivités
territoriales autorisent quant à eux le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à
prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la
salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des
dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des
mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat, notamment en interdisant, au vu des
circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements.
En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle
trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des
mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses
liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas
compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités
compétentes de l’Etat. Cette police spéciale fait également obstacle à ce que le maire prenne au
titre de son pouvoir de police générale des mesures allégeant les mesures décidées par les
autorités compétentes de l’Etat en vue de mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que
l’épidémie de covid-19.
5. Par l’article 37 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales
nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le
Premier ministre a fixé la liste limitative des activités des magasins de vente susceptibles
d’accueillir du public. Par un arrêté du 31 octobre 2020, le maire d’Audincourt a pour sa part
autorisé l’ensemble des commerces de cette commune à rouvrir à compter du samedi 31 octobre
2020. Contrairement à ce que soutient la commune d’Audincourt, en autorisant l’accès du public
à l’intérieur de l’ensemble des commerces de la commune, l’arrêté contesté méconnaît, en les
allégeant, les dispositions de l’article 37 du décret du 29 octobre 2020 qui n’autorise l’accueil du
public, en dehors des livraisons et retraits de commandes, que dans les établissements qui
assurent une activité de distribution de biens et services de première nécessité. Pour le même
motif, la fin de non-recevoir opposée en défense et tirée de ce que l’arrêté du maire d’Audincourt
serait superfétatoire par rapport au décret du 29 octobre 2020 doit donc être écartée.
6. Ainsi qu’il a été dit au point 4, le maire ne pourrait prendre que des mesures
supplémentaires destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire sauf si des raisons impérieuses
liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas
compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités
compétentes de l’Etat. En faisant valoir qu’il n’existe aucune certitude scientifique stigmatisant
une circulation plus importante du virus dans les petits commerces plutôt que dans les grandes
surfaces et en se prévalant d’une rupture d’égalité entre les grandes surfaces et les petits
commerçants, la commune d’Audincourt non seulement ne justifie pas de raisons impérieuses
liées à des circonstances locales rendant indispensable l’ouverture de l’ensemble des commerces,
mais en allégeant les mesures prises par les autorités compétentes de l’Etat, en compromet la
cohérence et l’efficacité.
7. Il en résulte qu’alors même que l’autorisation générale accordée par le maire est
conditionnée au respect des mesures d’hygiène et de distanciation prescrites par ailleurs par le
décret du 29 octobre 2020, le moyen tiré de ce que l’arrêté du maire d’Audincourt méconnaît les
dispositions de l’article 37 du décret du 29 octobre 2020 est, en l’état de l’instruction, propre à
créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté. Par suite, le préfet est fondé à
demander la suspension de l’exécution de l’arrêté du 31 octobre 2020.
8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle
à ce qu’une somme quelconque soit mise à la charge de l’Etat, qui ne présente pas la qualité de
partie perdante dans la présente instance.
ORDONNE :
Article 1er : L’exécution de l’arrêté en date du 31 octobre 2020 du maire d’Audincourt est
suspendue jusqu’à ce que le tribunal se prononce au fond sur la légalité de cet acte.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune d’Audincourt sur le fondement de l’article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au préfet du Doubs et à la commune d’Audincourt.
Fait à Besançon, le 5 novembre 2020.