REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Tribunal administratif de Paris,
(7ème section – 2ème chambre),
Vu, I), la requête, enregistrée le 13 mai 2008 sous le numéro 0808815, présentée pour la SOCIETE 20 MINUTES FRANCE, dont le siège est 50/52 boulevard Haussmann à Paris (75009), par la SELARL Wilhelm & Associés ; la SOCIETE 20 MINUTES FRANCE demande au Tribunal :
– d’annuler la décision du 18 septembre 2007 par laquelle le directeur de la REGIE AUTONOME DES TRANSPORTS PARISIENS (RATP) a rejeté l’offre présentée par la SOCIETE 20 MINUTES FRANCE dans le cadre de la consultation lancée pour l’occupation du domaine public de la Régie, ensemble la décision de cette dernière de conclure la convention d’occupation du domaine public avec la société BOLLORE SA ;
– de mettre à la charge de la RATP une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, II), la requête, enregistrée le 13 mai 2008 sous le numéro 0808823, présentée pour la SOCIETE 20 MINUTES FRANCE, dont le siège est 50/52 boulevard Haussmann à Paris (75009), par la SELARL Wilhelm & Associés ; la SOCIETE 20 MINUTES FRANCE demande au Tribunal :
– d’annuler la décision par laquelle le directeur de la RATP a signé la convention autorisant la société BOLLORE SA à occuper son domaine public ;
– d’enjoindre à la RATP, si elle ne peut obtenir de la société BOLLORE SA qu’elle accepte la résolution de la convention d’occupation du domaine public, de saisir le juge du contrat, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, afin qu’il constate la nullité de cette convention, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
– de mettre à la charge de la RATP une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, III), la requête, enregistrée le 13 mai 2008 sous le numéro 0808827, présentée pour la SOCIETE 20 MINUTES FRANCE, dont le siège est 50/52 boulevard Haussmann à Paris (75009), par la SELARL Wilhelm & Associés ; la SOCIETE 20 MINUTES FRANCE demande au Tribunal :
– d’annuler la décision née le 19 mars 2008 par laquelle le directeur de la RATP a rejeté la demande présentée par la SOCIETE 20 MINUTES FRANCE le 19 janvier 2008 et tendant à ce qu’il soit mis un terme à la convention d’occupation du domaine public conclue le 30 novembre 2007 avec la société BOLLORE SA ;
– d’enjoindre à la RATP, si elle ne peut obtenir de la société BOLLORE SA qu’elle accepte la résolution de la convention d’occupation du domaine public, de saisir le juge du contrat, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, afin qu’il constate la nullité de cette convention, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
– de mettre à la charge de la RATP une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 22 octobre 2010 :
– le rapport de M. Errera, conseiller,
– les conclusions de M. Le Broussois, rapporteur public ;
– les observations de Me Renaux pour la société requérante, de Me Delelis pour la RATP et de Me Liet-Vaux pour la société BOLLORE SA ;
Après avoir pris connaissance de la note en délibéré présentée par Me Delelis pour la RATP, enregistrée au greffe le 29 octobre 2010, de la note en délibéré présentée par Me Renaux pour la SOCIETE 20 MINUTES FRANCE, enregistrée au greffe le 3 novembre 2010 et de la note en délibéré présentée par Me Liet-Viaux pour la société Bolloré SA, enregistrée le 4 novembre 2010 ;
Considérant qu’aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative : » Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. » ; et qu’aux termes de l’article R. 421-5 du même code : » Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. » ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, si la SOCIETE 20 MINUTES FRANCE a reçu le 18 septembre 2007 notification de la décision rejetant son offre, cette notification ne mentionnait ni les délais ni les voies de recours ouverts à l’encontre de ladite décision ; qu’il résulte des dispositions précitées que l’absence de la mention des voies et délais de recours fait obstacle à ce que les délais fixés par l’article R. 421-1 du code de justice administrative soient opposables à la société requérante ; que la fin de non recevoir opposée par la RATP et tirée de la tardivité du recours dirigé contre la décision de rejet de l’offre de la SOCIETE 20 MINUTES FRANCE doit donc être écartée ;
Sur le moyen tiré de l’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens :
Considérant que s’il appartient à l’autorité administrative affectataire de dépendances du domaine public de gérer celles-ci tant dans l’intérêt du domaine et de son affectation que dans l’intérêt général, il lui incombe en outre, lorsque, conformément à l’affectation de ces dépendances, celles-ci sont le siège d’activités de production, de distribution ou de services, de prendre en considération le principe de liberté du commerce et de l’industrie ainsi que les règles de concurrence dans le cadre desquelles s’exercent ces activités ;
Considérant que la SOCIETE 20 MINUTES FRANCE fait notamment grief à la RATP d’avoir méconnu le principe de la liberté du commerce et de l’industrie en plaçant la société BOLLORE SA, attributaire unique de l’autorisation d’occupation de son domaine public, dans une situation d’exclusivité ; que la SOCIETE 20 MINUTES FRANCE fait également grief à la RATP d’abuser de sa position dominante en opposant à certains postulants un refus d’autorisation d’occupation, évinçant ainsi les autres éditeurs de presse quotidienne gratuite d’information générale du marché concerné ;
Considérant qu’à l’appui du moyen susvisé, la SOCIETE 20 MINUTES FRANCE articule une argumentation reposant notamment sur le constat que la société BOLLORE SA est la seule à bénéficier d’une autorisation d’occupation du domaine public de la RATP ;
En ce qui concerne la situation d’exclusivité de la société BOLLORE SA pour l’ensemble de 176 stations couvrant 80 % de la clientèle du chemin de fer métropolitain et du RER :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment du » cahier des charges relatif à l’autorisation précaire d’occupation du domaine public pour la distribution de journaux périodiques gratuits d’informations et d’actualités générales « , produit au dossier, que le périmètre de distribution concerné par ladite autorisation comprend, aux termes de l’article 2, » 150 stations de métro et 20 gares de RER (…) qui couvrent 80 % de la clientèle du métro et du RER » ; que ce chiffre de 170 stations est repris dans le règlement de la consultation, notamment à son article 4.2 ; qu’il ressort de l’article 3 a) de la convention portant autorisation d’occupation du domaine public pour la distribution de périodiques gratuits, conclue le 30 novembre 2007 entre la RATP et la société BOLLORE SA, que le périmètre finalement retenu est de 176 stations, étant précisé que le réseau de la RATP comporte au total 300 stations ;
Considérant que la RATP n’a, à l’issue de la consultation lancée fin 2006, retenu que la seule société BOLLORE SA, alors qu’elle avait reçu des offres venant de plusieurs autres sociétés, dont la SOCIETE 20 MINUTES FRANCE ; qu’ainsi, la société BOLLORE SA a bénéficié d’une situation d’exclusivité concernant la distribution de journaux gratuits sur le domaine public de la RATP dans la mesure où elle a été seule désignée comme bénéficiaire d’une autorisation d’occupation dudit domaine public, ainsi qu’en atteste le communiqué de presse de la RATP en date du 18 septembre 2007, entre le 30 novembre 2007, date de la signature de la convention entre la RATP et la société BOLLORE, et le 15 mai 2008, date de la désignation de la société remportant les lots d’emplacements complémentaires ;
Considérant que si la RATP a, le 31 mars 2008, lancé une nouvelle consultation portant sur deux lots complémentaires comprenant, pour le premier, 117 stations et 22 en option, et, pour le second, 78 stations, il demeure constant que la RATP n’a pas autorisé d’autres éditeurs de journaux gratuits à occuper le périmètre de distribution attribué à la société BOLLORE SA ; qu’ainsi, il y a lieu de constater que, depuis le 30 novembre 2007, la société BOLLORE SA jouit d’une exclusivité concernant la distribution de journaux quotidiens gratuits sur le périmètre de 176 stations du domaine public de la RATP, couvrant 80 % de la clientèle du chemin de fer métropolitain et du RER ;
Considérant qu’il y a lieu, par ailleurs, de relever que dans un document intitulé » L’offre de presse quotidienne gratuite référente « , élaboré par Bolloré Intermédia, en date du mois de septembre 2009 et produit au dossier, la société BOLLORE SA présente elle-même sa convention avec la RATP comme une exclusivité, la mentionnant dans la page intitulée » Des partenariats de distribution exclusifs « , dans les termes suivants : » Direct Matin et Direct Soir sont présents dans 176 stations de métro-RER à plus fort trafic » ;
Considérant qu’il y a également lieu de relever que, nonobstant la circonstance que la convention conclue avec la société BOLLORE SA stipule en son article 3 que » la présente convention ne confère aucune exclusivité à l’occupant « , ladite convention, en son article 8 b), envisage l’hypothèse dans laquelle » la RATP n’aurait pas accordé des droits d’occupation, pour la même activité, à d’autres éditeurs de la presse gratuite, dans les emprises du métro et du RER « , auquel cas la redevance d’occupation exigée de la société Bolloré sera majorée de 12 500 euros par trimestre ; qu’une telle clause démontre que la RATP n’excluait pas l’hypothèse d’une exclusivité et l’envisageait même explicitement dans la convention ;
Considérant qu’ainsi que l’a relevé le Conseil de la concurrence dans son avis n° 04-A-19 du 21 octobre 2004 rendu précisément au sujet des questions que pose, au regard du droit de la concurrence, l’occupation du domaine public par une activité de distribution de journaux gratuits, la personne publique doit veiller au fait qu’en accordant à l’entreprise retenue une autorisation domaniale exclusive pour y exercer une activité commerciale, elle confère à ladite entreprise un avantage exclusif, notamment par rapport aux concurrents n’ayant pas accès aux stations du réseau de transport urbain pour y installer des présentoirs pour leurs journaux, et qu’il existe un risque que cette situation de monopole constitue une discrimination anticoncurrentielle s’exerçant au détriment des concurrents et qu’elle donne à son bénéficiaire la possibilité d’abuser de cette position extrêmement favorable ;
En ce qui concerne les modalités retenues par la RATP pour l’occupation de son domaine public, et notamment le découpage de son réseau en trois lots d’inégale importance :
Considérant qu’ainsi que l’a relevé le Conseil de la concurrence dans son avis n° 04-A-19 du 21 octobre 2004 précité, au point 31, » l’accès aux stations des transports en commun, par le contact privilégié obtenu avec un grand nombre de lecteurs potentiels, apparaît ainsi essentiel à la réussite d’une activité de journal gratuit d’information » ; qu’il est de même observé, au point 32, que » les stations de transport en commun, qui constituent des espaces disponibles pour l’installation de présentoirs, sont nécessairement en nombre limité et constituent une ressource rare pour les entreprises de distribution de journaux gratuits. Les restrictions d’accès à cette ressource doivent donc être justifiées par des raisons objectives. » ;
Considérant que dès lors que le domaine public de la RATP est susceptible d’accueillir un nombre d’opérateurs au moins égal au nombre d’opérateurs agissant sur le marché de la distribution de journaux gratuits d’information générale, la décision d’accorder un titre d’occupation à un nombre inférieur à celui-ci, ou à un seul comme c’est le cas en l’espèce, doit être justifiée par des raisons objectives ou des impératifs d’intérêt général ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, et qu’il n’est pas contesté par la défense, que, dans les réseaux de transports en commun des autres grandes villes françaises dans lesquelles se pratique la distribution de journaux gratuits, et notamment Lille, Lyon et Marseille, les trois principaux éditeurs de journaux gratuits, à savoir les sociétés 20 Minutes, Métro et Bolloré, sont autorisés à installer leurs présentoirs ; qu’il y a ainsi lieu de relever la singularité des choix arrêtés par la RATP, Paris apparaissant comme l’unique grande ville française où un éditeur de journaux gratuits est seul autorisé à distribuer ses titres, de façon exclusive, dans une partie significative du réseau de transports en commun ;