REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 26 mars et le 9 avril 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés par le MINISTRE DE L’ALIMENTATION, DE L’AGRICULTURE ET DE LA PECHE ; le ministre demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’ordonnance du 10 mars 2010 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux a, à la demande de la société Sofunag-Environnement, condamné l’Etat à lui verser une provision d’un montant de 364 513, 53 euros, avec les intérêts à compter de la notification de cet arrêt, ainsi qu’une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) statuant en référé, de confirmer l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Basse Terre du 10 septembre 2009 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 21 juin 1865 relative aux associations syndicales ;
Vu la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 ;
Vu l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 ;
Vu le décret du 18 décembre 1927 portant règlement d’administration publique pour l’exécution de la loi du 21 juin 1865 relative aux associations syndicales ;
Vu le décret n° 2006- 504 du 3 mai 2006 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Frédéric Dieu, Maître des Requêtes,
– les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;
Considérant qu’aux termes de l’article R. 541-1 du code de justice administrative : Le juge des référés peut, même en l’absence de demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie ;
Considérant qu’aux termes du II de l’article 1er de la loi du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public : Lorsqu’une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné une collectivité locale ou un établissement public au paiement d’une somme d’argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice. A défaut de mandatement ou d’ordonnancement dans ce délai, le représentant de l’Etat dans le département ou l’autorité de tutelle procède au mandatement d’office./ En cas d’insuffisance de crédits, le représentant de l’Etat dans le département ou l’autorité de tutelle adresse à la collectivité ou à l’établissement une mise en demeure de créer les ressources nécessaires ; si l’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement n’a pas dégagé ou créé ces ressources, le représentant de l’Etat dans le département ou l’autorité de tutelle y pourvoit et procède, s’il y a lieu, au mandatement d’office ; qu’en vertu de l’article 1-1 de la même loi, ces dispositions sont applicables aux décisions du juge des référés accordant une provision ;
Considérant que, par ces dispositions, le législateur a entendu donner au représentant de l’Etat dans le département ou à l’autorité de tutelle, en cas de carence d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public à assurer l’exécution d’une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée, et après mise en demeure à cet effet, le pouvoir de se substituer aux organes de cette personne publique afin de dégager ou de créer les ressources permettant la pleine exécution de cette décision de justice ; qu’à cette fin, il lui appartient, sous le contrôle du juge, de prendre, compte tenu de la situation de la collectivité ou de l’établissement public et des impératifs d’intérêt général, les mesures nécessaires ; qu’au nombre de ces mesures, figure la possibilité de procéder à la vente de biens lui appartenant dès lors que ceux-ci ne sont pas indispensables au bon fonctionnement des services publics dont cette personne publique a la charge ; que si le préfet ou l’autorité de tutelle s’abstient ou néglige de faire usage des prérogatives qui lui sont ainsi conférées par la loi, le créancier de la collectivité territoriale ou de l’établissement public est en droit de se retourner contre l’Etat en cas de faute lourde commise dans l’exercice du pouvoir de tutelle ; que si cette responsabilité pour faute lourde ne peut être engagée, dans l’hypothèse où, eu égard à la situation de la personne publique concernée, notamment à l’insuffisance de ses actifs, ou en raison d’impératifs d’intérêt général, le préfet ou l’autorité de tutelle a pu légalement refuser de prendre certaines mesures en vue d’assurer la pleine exécution de la décision de justice, le préjudice qui en résulte pour le créancier de la collectivité territoriale ou de l’établissement public est susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat s’il revêt un caractère grave et spécial ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que l’Association syndicale des producteurs agricoles de la Guadeloupe, association syndicale autorisée placée sous la tutelle du préfet de la Guadeloupe et dont l’objet est d’assurer l’irrigation des terres agricoles en Guadeloupe, n’a pas réglé à la SCPA Environnement Antilles, aux droits de laquelle est venue la société Sofunag-Environnement, une somme de 364 513, 53 euros correspondant au solde d’un marché portant sur la fourniture, la livraison et la mise en oeuvre de compost végétal ; que la société Sofunag-Environnement a saisi le tribunal administratif de Basse-Terre puis la cour administrative d’appel de Bordeaux d’une demande de provision à hauteur de ce montant ; que, par un arrêt du 24 mai 2004 devenu définitif, cette dernière a fait droit à sa demande de provision et condamné l’Association syndicale des producteurs agricoles de la Guadeloupe à lui verser une somme de 364 513, 53 euros ; que n’ayant pu obtenir l’exécution de cet arrêt, la société Sofunag-Environnement a alors saisi le tribunal administratif de Basse-Terre d’une demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser une provision d’un même montant en invoquant la faute lourde commise par celui-ci dans l’exercice de son pouvoir de tutelle sur cette association ; que le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté sa demande par une ordonnance du 10 septembre 2009 ; que sur appel de la société Sofunag-Environnement, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux a, par ordonnance du 10 mars 2010, condamné l’Etat à lui verser une provision de 364 513, 53 euros ; que le MINISTRE DE L’ALIMENTATION, DE L’AGRICULTURE ET DE LA PECHE se pourvoit en cassation contre cette ordonnance ;
Considérant que, pour faire droit à la demande présentée par la société Sofunag-Environnement, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux, après avoir relevé que la responsabilité de l’Etat pour faute lourde ne pouvait être engagée dès lors que le préfet de la Guadeloupe avait pu légalement refuser de prendre les mesures en vue d’assurer la pleine exécution de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 24 mai 2004, a toutefois considéré que la société justifiait d’un préjudice anormal et spécial engageant sur ce fondement la responsabilité de l’Etat ; que le juge n’a cependant pas précisé les éléments sur lesquels il se fondait, dans les circonstances de l’espèce, pour juger que le préjudice subi par la société Sofunag revêtait un tel caractère, entachant ainsi son ordonnance d’une insuffisance de motivation ; que le MINISTRE DE L’ALIMENTATION, DE L’AGRICULTURE ET DE LA PECHE est en conséquence fondé à demander l’annulation de l’ordonnance du juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 10 mars 2010 ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que si le préfet de la Guadeloupe a, par arrêté du 27 avril 2007, procédé au mandatement d’office de la somme que l’Association syndicale des producteurs agricoles de la Guadeloupe avait été condamnée à verser à la société Sofunag-Environnement par l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 24 mai 2004 statuant dans le cadre de la procédure de référé provision, cette mesure n’a pas permis d’assurer l’exécution de la décision de justice ; que saisis le 4 mars 2008 d’une demande de la société en vue de prendre des mesures supplémentaires pour obtenir la pleine exécution de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux rendu en sa faveur le 24 mai 2004, le ministre de l’agriculture et de la pêche et le trésorier-payeur général de Guadeloupe lui ont indiqué que l’Association syndicale des producteurs agricoles de la Guadeloupe ne disposait pas des crédits suffisants pour honorer sa dette et qu’il était en conséquence impossible de procéder au règlement de la somme due ;
Considérant que les dispositions de l’article 9 de la loi du 18 juin 1865 relative aux associations syndicales, applicables à la date de création de l’Association syndicale des producteurs agricoles de la Guadeloupe, prévoyaient qu’une association syndicale autorisée était créée par arrêté préfectoral déterminant les propriétaires réunis en son sein ; qu’il appartenait ensuite à l’autorité préfectorale de tenir à jour la liste des propriétaires membres de l’association et de modifier en conséquence l’arrêté constitutif ; que le représentant de l’Etat tenait en outre des dispositions de l’article 62 du décret du 18 décembre 1927 portant règlement d’administration publique pour l’exécution de la loi du 21 juin 1865 relative aux associations syndicales, le pouvoir de modifier le montant des taxes acquittées par les membres de l’association, de façon à assurer le paiement total de toutes les dépenses inscrites au budget ; qu’en application de l’article 61 du décret du 3 mai 2006 portant application de l’ordonnance du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires, le préfet avait également le pouvoir d’inscrire d’office au budget les crédits nécessaires à l’acquittement des dépenses et de modifier en conséquence le montant des redevances payées par les membres de l’association ; qu’en l’espèce, en s’abstenant de faire usage des prérogatives qui lui étaient ainsi conférées par ces dispositions pour se substituer aux organes de l’Association syndicale des producteurs agricoles de la Guadeloupe afin de créer les ressources permettant la pleine exécution de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 24 mai 2004, au motif notamment qu’il ne disposait pas de la liste des propriétaires membres de l’association alors qu’il l’avait lui-même établie lors de sa création et qu’il lui incombait de la tenir à jour, le préfet de la Guadeloupe a commis une faute lourde dans l’exercice de son pouvoir de tutelle sur cette association ; que cette faute étant de nature à engager la responsabilité de l’Etat, l’obligation de payer dont la société Sofunag-Environnement se prévaut à l’encontre de ce dernier doit être regardée comme non sérieusement contestable ; que cette dernière est ainsi fondée à soutenir que c’est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté sa demande de provision ; qu’il y a lieu dès lors d’annuler l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre en date du 10 septembre 2009 et de condamner l’Etat, compte tenu de ce que le ministre ne conteste pas que les membres de l’association auraient la capacité contributive nécessaire au paiement de l’intégralité des sommes dues, à verser à la société Sofunag-Environnement une provision de 364 513, 53 euros avec les intérêts de droit à compter du 4 mars 2008, date à laquelle la société a demandé à l’Etat, à la suite du caractère infructueux du mandatement d’office auquel le préfet avait procédé, de prendre les mesures nécessaires pour assurer l’exécution de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 24 mai 2004 ; qu’il appartiendra à l’Etat d’exercer, s’il s’y croit fondé, une action récursoire à l’encontre de l’Association syndicale des producteurs agricoles de la Guadeloupe ;
Considérant qu’en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la société Sofunag-Environnement et non compris dans les dépens devant le tribunal administratif de Basse-Terre et la cour administrative d’appel de Bordeaux ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’ordonnance du juge des référés de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 10 mars 2010 et l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre du 10 septembre 2009 sont annulées.
Article 2 : L’Etat est condamné à verser à la société Sofunag-Environnement une provision de 364 513, 53 euros avec les intérêts légaux à compter du 4 mars 2008.
Article 3 : Le surplus de la demande présentée par la société Sofunag-Environnement devant le tribunal administratif de Basse-Terre est rejeté.
Article 4 : L’Etat versera à la société Sofunag-Environnement une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L’ALIMENTATION, DE L’AGRICULTURE ET DE LA PECHE et à la société Sofunag-Environnement.