II y a des jeux de l’acte administratif et du référé. L’administration et l’autorité judiciaire s’y escriment avec ardeur sous l’œil bienveillant du Tribunal des conflits. Ces jeux de prince, que les lois sur la dissolution des congrégations, sur les laïcisations d’écoles, sur la séparation des Eglises et de l’Etat, ont rendu fréquents dans ces dernières années, se poursuivent surtout dans la région des amours-propres : l’enjeu n’en est généralement pas une valeur pécuniaire; il s’agit de la possession provisoire d’un local, de la fermeture provisoire d’une école ou d’une église. Cela mérite d’être pris au sérieux, car il peut s’ensuivre l’interruption d’une entreprise ou la violation d’une liberté; il ne convient point de le prendre au tragique, parce que la question de fond, c’est-à-dire de revendication de propriété ou d’indemnité, est réservée et sera jugée ailleurs. Cependant, quand cette question de fonds sera jugée, elle n’intéressera pas le public; tout l’intérêt se porte sur la question de possession provisoire, parce que c’est une lutte de pouvoirs. Il s’agit de savoir qui sera le plus fort, de la Puissance publique ou de la Propriété privée, de l’Administration ou de la Justice.
Nous avons réuni ici trois espèces récentes (aff. Le Coz, Abbé Déliard, Abbé Brunet), desquelles il convient de rapprocher l’affaire Basse, Trib. des conflits, 20 avril 1907, qui a déjà été publiée dans ce Recueil (S. et P. 1907.3.131), avec les conclusions de M. le commissaire du gouvernement Feuilloley. Le rapprochement de ces diverses affaires suggère quelques réflexions sur la situation respective des adversaires en présence. Trois fois sur quatre, la propriété privée a eu raison de l’administration, et le référé a assuré le maintien de la situation acquise à l’encontre de l’acte administratif.
I. — La première hypothèse dans laquelle nous voyons triompher le référé est l’affaire Le Coz (2° espèce).
L’école de Plougar avait été laïcisée en 1906 par arrêté du préfet du Finistère; des institutrices laïques avaient été nominées et installées le 13 novembre 1906 par l’inspecteur d’académie, délégué du préfet, au refus du maire. La laïcisation s’était donc accomplie. Sans perdre de temps, la dame Le Coz, institutrice congréganiste expulsée, avait, par exploit du 19 février 1907, assigné la commune de Plougar devant le tribunal de Morlaix, à l’effet de faire décider qu’elle était propriétaire de l’immeuble servant d’école. Par jugement du 4 juillet 1907, le tribunal de Morlaix, reconnaissant le droit de propriété de la dame Le Coz, ordonna une expertise, qui devait porter uniquement sur le chiffre de l’indemnité par elle due à la commune pour impenses faites par celle-ci sur l’immeuble. Sans attendre l’expiration des délais d’appel, à la date du 6 août 1907, la dame Le Coz assigna en référé les institutrices laïques pour voir ordonner qu’elles seraient tenues d’évacuer les lieux. Le préfet souleva alors un déclinatoire de compétence parce que le jugement du 4 juillet 1907 n’était pas définitif, parce que la commune avait un droit de rétention jusqu’au paiement de ses impenses, et parce que le changement d’affectation d’un immeuble communal ne pouvait avoir lieu sans délibération du conseil municipal et sans approbation de l’autorité supérieure. Le déclinatoire ayant été rejeté par le juge des référés, le préfet prit, à la date du 17 août 1907, un arrêté de conflit.
Le Tribunal des conflits a annulé l’arrêté de conflit par la décision ci-dessus rapportée, que nous analysons en les propositions suivantes :
1° Le juge des référés ne pourrait, sans méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs, retenir la connaissance d’une demande tendant à empêcher l’exécution d’arrêtés administratifs pris eux-mêmes pour l’exécution d’une loi, si cette demande se produisait avant jugement sur le fond. C’est-à-dire que la demande de maintien en possession provisoire d’une propriété, avant jugement sur le fond, est considérée comme tendant à empêcher l’exécution d’un acte administratif qui, lui-même, est pris pour l’exécution d’une loi.
2° II en est autrement lorsque le demandeur a préalablement; fait .reconnaître par l’autorité judiciaire, au moyen d’une action au principal, les droits qu’il prétend sur l’immeuble servant d’école, et que, par l’effet d’un jugement rendu sur le fond, l’administration a perdu la libre disposition de cet immeuble; alors il appartient au juge des référés de retenir la connaissance de la demande dont il est saisi, et qui tend à faire ordonner des mesures provisoires pour l’exécution du jugement du fond. C’est-à-dire que la demande de réintégration en possession après jugement sur le fond n’est plus considérée comme tendant à empêcher l’exécution d’un acte administratif, qui, au reste, a été exécuté, mais comme tendant à faire valoir un droit de propriété reconnu sur un immeuble dont, par le fait même de cette reconnaissance du droit de propriété de Ia requérante, l’Administration a perdu la libre disposition.
Notons cet emploi très intéressant du référé pour faire ordonner des mesures provisoires relatives à l’exécution du jugement du fond, et ce, même avant que le jugement du fond soit devenu définitif. II nous sera bien permis de faire remarquer aux nombreux intéressés qui ont à se plaindre de l’exécution administrative des lois de laïcisation ou des dissolutions d’établissements ecclésiastiques, combien la procédure suivie par la dame Le Coz a été plus avantageuse pour elle que celle qu’ils suivent habituellement. Au lieu de heurter de front le pouvoir administratif en s’opposant directement à l’exécution de l’acte administratif de laïcisation ou de séquestre, ce qui est la seule attitude que le Tribunal des conflits condamne, ainsi que nous le verrons plus amplement, il est infiniment plus habile de céder sur la question de dépossession provisoire, d’agir immédiatement et rapidement au fond, puis d’employer le référé pour brusquer l’exécution de la décision judiciaire rendue au fond. En moins d’une année, la dame Le Coz, en agissant ainsi, est rentrée en possession de son immeuble (V. encore, sur cette affaire, les conclusions en sens contraire de M. le commissaire du gouvernement Feuilloley, Gaz. du Pal., 8 janv. 1908).
II. — La seconde hypothèse, affaire Basse (V. Trib. des conflits, 20 avril 1907, précité), était relative au séquestre des établissements ecclésiastiques établi en exécution de la loi du 9 déc. 1905, sur la séparation des Eglises et de l’Etat.
Rappelons que, aux termes d’un acte sous seing privé, passé le 5 novembre 1906 et enregistré le 16 novembre suivant, le bureau des séminaires de Clermont-Ferrand avait donné à bail pour trois, six ou neuf ans, à compter du 1er décembre 1906, et moyennant un loyer annuel de 3.000 fr., à M. Basse, administrateur d’une société civile d’enseignement libre, les locaux du petit séminaire. Immédiatement la société civile y installa une école. Le 14 décembre 1906, aucune association cultuelle n’ayant été constituée pour recueillir les biens des séminaires, le préfet du Puy-de-Dôme nommait un séquestre. Le 21 janvier 1907, le directeur de l’école était avisé par le préfet qu’il considérait le bail comme fictif, et que, dès lors, l’administration reprendrait possession des locaux le 25 janvier suivant. Le 23 janvier, M. Basse, locataire, introduisait contre le séquestre un référé, à l’effet d’être maintenu en possession jusqu’à ce que les tribunaux compétents eussent statué sur la validité du bail, se déclarant d’ailleurs prêt à verser son loyer entre les mains du séquestre. Divers incidents judiciaires; finalement conflit élevé par le préfet du Puy-de-Dôme. Annulation de l’arrêté de conflit par la décision précitée, dont nous extrayons les propositions suivantes :
1° Si M. Basse demandait au juge des référés qu’il fût fait défense au séquestre de le troubler dans la jouissance des lieux loués, par provision due à son titre de locataire, les parties étant renvoyées à se pourvoir au principal, il ne contestait ni la qualité ni les pouvoirs du séquestre nommé par arrêté du préfet.
2° Si le débat sur le caractère sincère ou fictif du bail excédait la compétence du juge des référés, il ne soulevait que des questions de droit civil, et ne mettait en cause ni la validité ni l’exécution de l’arrêté précité du préfet plaçant les biens sous séquestre.
Finalement, la demande de M. Basse ne tendait pas à empêcher l’exécution de l’acte administratif. Elle n’y tendait pas dans les termes où elle était formée; elle n’y tendait pas non plus par sa nature, et ceci mérite attention, parce qu’elle émanait d’un simple locataire et n’impliquait aucune prétention à la propriété ni même à la possession indéfinie de l’immeuble; en somme, elle n’impliquait prétention à aucun pouvoir véritable sur l’immeuble, les droits réels étant seuls des pouvoirs sur la chose. Dans ces conditions, il n’y avait pas et il ne pouvait y avoir conflit de pouvoirs (Adde dans le même sens, Trib. des conflits, 8 juin 1907 [3 arrêts], Abbé Brunner, Abbé Perrotin, et Abbé Jail-Termier, S. et P. 1907.3.131).
III. — Dans la troisième hypothèse (Cons. d’Etat, 8 févr. 1908, Abbé Déliard, 3e espèce), il s’agit bien toujours d’un référé et d’un acte administratif, mais il n’y a pas eu conflit; l’affaire s’est dénouée devant le Conseil d’Etat, qui a annulé l’acte administratif pris pour échapper aux conséquences du référé.
Dans la commune de St-Hilaire-la-Croix (Puy-de-Dôme), une association cultuelle s’était constituée, qui n’était point en communion avec l’autorité ecclésiastique. Le maire crut pouvoir lui attribuer la jouissance de l’église paroissiale. L’abbé Déliard, curé de la paroisse, obtint du président du Tribunal de Riom une ordonnance de référé décidant que l’église paroissiale serait remise en sa possession. Le maire prit aussitôt un arrêté ordonnant la fermeture immédiate de l’église, sous le prétexte que la célébration du culte pouvait entraîner des désordres, mais en réalité pour empêcher la remise de l’église au curé en exécution de l’ordonnance de référé: Le Conseil d’Etat a annulé pour excès de pouvoir l’arrêté du maire, sur requête de l’abbé Déliard. De cette décision nous extrayons les propositions suivantes :
1° L’abbé Déliard, prêtre catholique, exerçant son ministère dans la commune de St-Hilaire-la-Croix, a intérêt, comme d’ailleurs tout fidèle de cette commune, à poursuivre l’annulation d’un arrêté prononçant la fermeture de l’église; par suite, son recours est recevable.
Le ministre de l’intérieur, dans ses observations sur le pourvoi, avait contesté la qualité du desservant à former recours, vu la disparition de son caractère officiel depuis la loi de séparation. Mais, si le caractère officiel a disparu, il est resté une situation légale, puisque la liberté des cultes est reconnue par la loi du 9 déc. 1905. Tous les fidèles et tous les ministres appartenant à un même culte sont dans une certaine situation légale, qui leur donne qualité pour former requête contre les actes administratifs qui porteraient atteinte à cette situation. Spécialement, contre un arrêté du maire de la commune, tous les fidèles de la commune et le ministre du culte exerçant son ministère dans la commune ont qualité à cet effet. Cette décision ne pouvait faire doute; la profession de catholique est une situation légale au même titre que la profession de journaliste ou celle d’épicier; elle est une situation légale depuis que la liberté de conscience et la liberté des cultes ont été organisées par la loi de séparation, parce qu’elle est le résultat de l’exercice d’un droit individuel reconnu. C’est une conséquence de la loi du 9 décembre 1905 sur laquelle nous avions appelé l’attention (V. noire Précis de dr. admin., 6e éd., p. 865, et 10e éd., p. 535 et s.), mais que nous sommes heureux de voir consacrée par la jurisprudence (V. sur ce point les excellentes conclusions de M. le commissaire du gouvernement Chardenet, au Sirey 1908, IIIe part., p. 52 et s.).
2° Le maire avait motivé son arrêté sur ce que la célébration du culte pouvait entraîner des désordres; mais, s’il lui appartenait de prendre, aux termes de l’art. 97 de la loi du 5 avril 1884, les mesures qu’exigeait le maintien de l’ordre dans l’église (V. comme application de ce principe, Cons. d’Etat., 22 nov. 1907, Abbé Voituret, 1re espèce ci-dessus; adde les conclusions précitées de M. le commissaire du gouvernement Chardenet), il était tenu, par contre, de concilier l’accomplissement de ce devoir avec le respect du libre exercice des cultes, garanti par l’art. 1er de la loi du 9 décembre 1905 et l’art. 5 de la loi du 2 janvier 1907; en ordonnant la fermeture de l’église, alors qu’il ne s’était produit aucune circonstance exceptionnelle pouvant rendre une telle mesure nécessaire, il avait excédé ses pouvoirs.
Autrement dit, le maire pourrait prononcer la fermeture d’une église pour mettre fin à des troubles, mais il ne le peut pour les prévenir ou sous prétexte de les prévenir. Il y a longtemps que nous demandions cette distinction entre le pouvoir de réprimer ou d’arrêter les troubles et le pouvoir de les prévenir, notamment en matière de processions sur la voie publique, et, d’une façon générale, dans toutes les matières de tranquillité publique. Notre décision nous permet d’espérer qu’elle finira par s’établir.
3° Enfin, et ceci nous ramène au référé, il résulte des motifs de l’arrêté que le maire a eu pour but de mettre obstacle à l’exécution provisoire de l’ordonnance de réfère; il a ainsi usé de ses pouvoirs pour un objet autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés; autrement dit, il a commis un détournement de pouvoirs.
Il faudrait se garder d’interpréter cette décision par une formule trop absolue. Il serait peut-être inexact d’affirmer que tout acte administratif pris par une autorité quelconque pour mettre obstacle à l’exécution provisoire d’une ordonnance de référé est entaché d’excès de pouvoir. II faut distinguer, semble-t-il, entre les autorités chargées directement de l’exécution d’une loi et ayant à lutter directement contre l’autorité judiciaire au sujet de l’exécution de cette loi et les autorités qui, n’étant chargées que d’une police générale, voudraient user de cette police générale pour entraver l’action de la justice. Les premiers pourraient peut-être, dans certaines circonstances qu’il est impossible de prévoir d’avance, être amenées à contrecarrer l’action de la justice sans être accusées de commettre un excès de pouvoir. En tout cas, c’est déjà un résultat appréciable que d’avoir neutralisé l’action de la police administrative générale, et particulièrement celle de la police municipale.
IV. — Dans la quatrième hypothèse, le pouvoir administratif l’a emporté sur le juge des référés, parce qu’il s’agissait d’une demande tendant directement à empêcher l’exécution d’un acte administratif, qui, lui-même, était pour l’exécution d’une loi.
Aux termes d’un acte notarié du 23 mars 1862, l’abbé Auguste Bel, ancien desservant de la paroisse de Combret (Aveyron), avait vendu à la fabrique de Combret une parcelle de terre, à la condition expresse que « la terre sera toujours jouie par les prêtres se succédant et qui desserviront la paroisse de Combret ». En effet, cette terre avait été transformée en jardin pour le presbytère. Survient la loi de séparation. Par deux arrêtés en date du 14 décembre 1906, le préfet de l’Aveyron place sous séquestre les biens ayant appartenu à la fabrique de Combret, y compris le susdit jardin. Le 29 septembre 1907, bail de ce jardin consenti par le séquestre aux enchères. Le 27 octobre suivant, notification au desservant actuel, l’abbé Brunet, d’un arrêté préfectoral le mettant en demeure de déguerpir au cas où il occuperait encore le jardin.
L’abbé Brunet et un héritier du vendeur, M. Bel, assignent devant le juge des référés du Tribunal de Saint-Affrique le séquestre, pour voir dire, par provision due au titre, qu’à raison de l’acte de vente du 23 mars 1862, le desservant sera maintenu en possession de l’immeuble dont s’agit. Déclinatoire de compétence, puis finalement arrêté de conflit du préfet de l’Aveyron. Jugement du conflit avec cette particularité que, le Tribunal des conflits s’étant trouvé à une première séance en état de partage, il a fallu faire appel au garde des sceaux comme juge départiteur. Nous extrayons de cette décision, rendue sur les conclusions de M. le commissaire du gouvernement Feuilloley (Gaz. des Trib., 9 mars 1908; Gaz. du Pal., 11 mars 1908), les propositions suivantes :
1° La demande en référé avait pour but de suspendre ou d’entraver, quant à la disposition de l’immeuble dont s’agit, l’exécution des mesures prises par le préfet, agissant, sous l’autorité des ministres, comme délégué du pouvoir exécutif, dans le cercle de ses attributions, pour l’application de la loi du 9 décembre 1905; il s’agit là d’actes administratifs qui ne pouvaient être déférés qu’au ministre compétent ou au Conseil d’Etat statuant au contentieux, et qui ne pouvaient l’être à l’autorité judiciaire (V. dans le même sens, Trib. des conflits, 23 mars 1907, Mgr Chapon, éveque de Nice, C. préfet des Alpes-Maritimes, S. et P. 1907.3.130, et la note; Comp. Trib. de Melun, [référé], 3 mai 1907, S. et P. 1907.2.257, et la note, n. V, de M. Tissier).
2° A la vérité, les demandeurs invoquent des droits qui dériveraient de l’acte du 23 mars 1862, mais il n’appartenait pas au juge des référés, avant jugement sur le fond, c’est-à-dire avant que la vente n’eût été résolue pour inexécution des conditions, de donner provision au titre; la provision appartient au contraire à l’acte administratif.
Ces deux propositions peuvent s’analyser encore davantage : 1° la question est bien de savoir si l’on donnera provision au titre judiciaire ou à l’acte administratif, par conséquent il s’agit bien du règlement d’une situation provisoire; 2° il s’agit bien simplement de la disposition de l’immeuble à titre provisoire et non pas de l’attribution définitive; 3° l’acte administratif auquel on donne provision est bien spécifié comme émanant du pouvoir exécutif central et dans sa mission d’exécuteur de la loi; 4° enfin, il est à remarquer que le titre judiciaire dont se prévalait le requérant, l’acte de vente de 1862, n’était pas directement exécutoire, en ce sens qu’il fallait s’adresser au juge pour faire prononcer la résolution de la vente avant que l’héritier du vendeur pût exercer sa reprise de l’immeuble à titre de propriétaire; par conséquent, il y avait bien une question de fond à juger avant que le droit de propriété ne pût s’exercer. A contrario, on pourrait conclure que, dans les hypothèses où le droit du propriétaire pourrait s’exercer d’une façon directe, sans qu’au préalable il fût nécessaire de faire juger une question de fond, provision lui serait due à l’encontre de l’acte administratif, et qu’une mesure administrative ne pourrait même pas enlever au propriétaire la disposition provisoire de son local. Par exemple, lors de la laïcisation, à la suite de la loi du 1er juillet 1901, des écoles privées tenues par des congréganistes, ouvertes sans autorisation spéciale et considérées comme un nouvel établissement, au sens de l’art. 13, § 2, de cette loi, si l’exécution de ces mesures avait eu lieu par la voie administrative, les propriétaires des locaux auraient pu opposer directement leur droit de propriété, notamment dans le cas où l’instituteur congréganiste n’était même pas locataire, mais était directement aux gages du propriétaire; le référé, dans ces conditions, eût pu assurer le triomphe de la propriété privée sur la mesure administrative. Aussi la loi du 1er juillet 1901, sagement inspirée, avait-elle écarté l’exécution par mesure administrative pour s’en tenir à l’exécution par sanction pénale (V. Cons. d’Etat, 20 juin 1903, Le Conte [1re espàce], Drouet de Mongermon [2e espèce], S. et P. 1905.3.154; et les conclusions de M. le commissaire du gouvernement Saint-Paul; Pand. pér., 1904. 4.25; 10 mars 1905, Emoingt de Lavaublanche, Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 244).
Même avec ces précisions, la thèse du Tribunal des conflits, sur la provision due à l’acte administratif qui assure l’exécution d’une loi, n’apparaît point comme douée d’une évidence indiscutable. La preuve en est que le Tribunal des conflits lui-même s’est partagé, et qu’en 1880, lorsque cette jurisprudence fut inaugurée à propos de l’exécution des décrets sur les congrégations religieuses, le même Tribunal s’était déjà partagé (V. Trib. des conflits, 14 janv. 1880, Frères des écoles chrétiennes, Maille et autres, S. 1881.3.39; P. chr. et la note). II n’y a pas de conviction bien décidée au sein de cette haute juridiction, et il y en a moins encore autour d’elle.
C’est qu’en réalité, cette thèse de la provision due à l’acte administratif dans l’exécution de la loi est sous la dépendance d’un certain nombre d’idées et de sentiments qui vont tous les jours s’affaiblissant, ou dont le renforcement momentané est tout à fait factice.
1° La procédure d’exécution des lois par la voie administrative est condamnée par l’expérience, au moins lorsqu’il s’agit des expulsions et de la disposition provisoire des locaux (Comp. la note de M. Hauriou sous Trib. des conflits, 4 février 1905, Supérieure de la congrégation des Ursulines de Malet, S. et P. 1905.3.49).
2° La force d’exécution provisoire des actes administratifs, sans contrôle préalable du juge, est elle-même en baisse, même aux yeux de la juridiction administrative (V. la note de M. Hauriou sous Cons. d’Etat, 31 mai 1907, Deplanque, S. et P. 1907.3.113).
3° Le principe de la séparation de pouvoirs n’est plus interprété en ce sens qu’il y aurait une sphère de la vie publique et du droit public qui serait supérieure à celle de la vie privée et du droit prive; bien au contraire, tout en admettant l’indépendance du droit public et son autonomie, on tend à reconnaître que le droit privé est le droit commun, et le juge privé le juge de droit commun.
4° Enfin, il se manifeste une certaine lassitude pour les opérations purement politiques, et l’on tend à considérer que l’administration doit se préoccuper avant tout des intérêts économiques du pays.
Si cet état d’esprit se répand, nous verrons dans l’avenir moins d’expulsions, moins de fermetures de locaux, et moins de conflits sur référé.