Contexte : Dans un arrêt rendu le 19 juin 2019, la Cour de cassation se prononce dans le contexte du syndrome du Lyell où la frontière entre réaction allergique et défaut du produit n’est pas simple à fixer.
Litige : En février 1998, un enfant de 6 ans souffrant d’une rhinopharyngite fébrile se voit prescrire un traitement à base d’aspirine et de paracétamol, puis un antibiotique. Par la suite, il présente divers troubles, notamment une atteinte de la muqueuse oculaire ayant conduit à une cécité, qui ont été attribués au syndrome de Lyell. Le laboratoire pharmaceutique (la société Sanofi-Aventis), producteur du traitement à base d’aspirine (Aspégic) et celui à base de paracétamol (Doliprane), est assigné en réparation. La cour d’appel de Versailles, statuant sur renvoi après cassation (Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n° 15-20.022, à paraître au bulletin), les déboute de leur demande. Un pourvoi en cassation est formé reprochant à l’arrêt attaqué de ne pas avoir retenu le défaut de l’Aspégic.
Solution : La première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles aux motifs :
« qu’après avoir admis que le syndrome de Lyell présenté par M. H… D… est imputable à la prise d’Aspégic et relevé que la notice de ce médicament ne mentionnait pas un tel risque, tout en indiquant un risque de manifestation allergique potentiellement grave, l’arrêt retient qu’un manquement de la société Sanofi-Aventis à son obligation d’information sur ce risque n’est pas caractérisé, en l’absence de lien établi, à la date de l’administration du médicament, entre le syndrome de Lyell et l’aspirine et qu’en dépit d’effets indésirables de ce produit, la balance bénéfices-risques demeure positive ; que, de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu déduire que l’Aspégic n’était pas affecté d’un défaut ; qu’il en résulte qu’est vainement invoquée une absence d’exonération de responsabilité de la société Sanofi-Aventis au titre d’un risque de développement ».
Analyse : Après avoir franchi, non sans mal, l’obstacle de la prescription (Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n° 15-20.022, à paraître au bulletin), les demandeurs en réparation échouent sur celui la preuve du défaut du défaut du produit de santé qui est pourtant bien à l’origine des graves atteintes dont souffre l’enfant auquel il a été administré.
Bien qu’antérieurs à la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 portant transposition de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, les juges nationaux sont tenus d’interpréter leur droit national à la lumière de celle-ci.
Il en résulte que les producteurs sont responsables de plein droit des défauts des produits de santé qui causent un dommage aux patients auxquels ils sont administrés.
Au terme de l’article 1245-3 du code civil, le produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Le texte précise que, dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Lorsque le patient est victime d’un syndrome de Lyell, il est difficile de considérer que son dommage résulte d’un défaut du produit de santé. En effet, le syndrome de Lyell peut être provoqué par une allergie provoquée par des médicaments aussi courants que sont l’aspirine ou le paracétamol. Le patient va être victime d’une pathologie aiguë, caractérisée par une destruction de la couche superficielle de la peau et des muqueuses, aux conséquences parfois dramatiques, comme ici la cécité. Il s’agit là d’un effet indésirable ne remettant pas en cause la balance bénéfices-risques qui demeure positive. Il n’existe donc pas de défaut intrinsèque au produit, en l’occurrence l’aspirine qui est utilisé massivement dans le monde entier, ainsi que l’a relevé la cour d’appel de Versailles.
En l’occurrence, les demandeurs en réparation l’ont bien compris puisqu’ils se sont placés sur le terrain de la présentation du produit en reprochant au laboratoire producteur de ne pas avoir mentionné un risque de manifestation allergique potentiellement grave. Cependant, relevant que le lien entre les atteintes et les médicaments n’était pas encore scientifiquement établi à l’époque de leur administration, la Cour de cassation approuve, à juste titre, les juges du fond d’avoir considéré qu’il n’est pas possible de reprocher au laboratoire de ne pas en avoir informé les utilisateurs. Le défaut du produit ne résulte donc pas davantage de sa présentation. Sans avoir nullement besoin d’invoquer l’existence d’un risque de développement pour s’exonérer, le laboratoire échappe donc à toute responsabilité après avoir convaincu les juges que ses produits n’étaient pas affectés, au jour de leur mise en circulation, d’un défaut.