Contexte : Dans une décision rendue le 5 avril 2018, la Cour de cassation nous renseigne sur la possibilité de se référer aux recommandations émises postérieurement aux soins pour apprécier la qualité des soins dispensés par le médecin.
Litige : En septembre 2017, une femme accouche d’un enfant né en état de mort apparente et présentant une agénésie des quatrième et cinquième doigts d’un main et une microcéphalie. L’enfant survit mais présente d’importantes séquelles neurologiques. A la suite de la saisine de la commission régionale de conciliation et d’indemnisation d’Aquitaine (CRCI), les deux experts désignés concluent que, alerté à deux reprises au cours du travail sur l’existence d’anomalies du rythme cardiaque fœtal, le gynécologue obstétricien aurait dû pratiquer une césarienne et que son attitude attentiste a abouti à un état d’hypoxie majeure de l’enfant qui a perdu des chances, estimées à 70 %, de ne présenter aucune lésion neurologique, du moins de présenter des lésions beaucoup moins importantes. A la suite de l’échec de la procédure de règlement amiable, les parents de l’enfant ainsi que sa grand mère maternelle ont saisi le juge judiciaire d’une action en réparation. Pour échapper à sa responsabilité, le praticien a sollicité une expertise judiciaire en produisant plusieurs avis médicaux remettant en cause les conclusions des experts relatives à la nécessité de procéder à une césarienne en urgence ainsi qu’à l’origine des séquelles présentées par l’enfant. La cour d’appel de Bordeaux approuve les premiers juges d’avoir rejeté la demande d’expertise et condamné le praticien à réparation en considérant que les avis médicaux versés aux débats n’étaient pas pertinents puisque édictés trois mois après la naissance de l’enfant. La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi en cassation formé par le praticien.
Solution : La première chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la cour d’appel de Bordeaux aux motifs :
« qu’en statuant ainsi, alors qu’un professionnel de santé est fondé à invoquer le fait qu’il a prodigué des soins qui sont conformes à des recommandations émises postérieurement et qu’il incombe, alors, à des médecins experts judiciaires d’apprécier, notamment au regard de ces recommandations, si les soins litigieux peuvent être considérés comme appropriés, la cour d’appel a violé » l’article L. 1142-1, I, alinéa 1er du code de la santé publique.
Analyse : La qualité des soins que le professionnel de santé doit dispenser à son patient est précisé par l’article R. 4127-32 du code de la santé publique (article 32 du code de déontologie médicale) qui énonce que :
« Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents ».
L’article L. 1110-5 du code de la santé publique, issu de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, reprend cette même exigence dans une formulation différente :
« Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées ».
Le technicien, désigné par une CRCI ou une juridiction, a pour mission d’éclairer la commission ou le juge sur l’état des connaissances médicales au regard desquelles doit être apprécié l’acte de soins dommageable. Dans cette perspective, il doit se placer à la date où les soins ont été dispensés (Cass. 1re civ., 6 juin 2000, n° 98-19.295, Bull. I, n° 176). L’expert ne peut donc pas se référencer à des publications postérieures à la date des soins pour exposer l’état des connaissances médicale (Cass. 1re civ., 13 juillet 2016, n° 15-20.268). Il s’agit d’une règle de bon sens. Il n’est pas envisageable de reprocher à un praticien de ne pas avoir mis en œuvre une thérapeutique qui n’était pas d’un usage reconnu à la date des soins (Cass. 1re civ., 10 juillet 2001, n° 00-12.359).
Cependant, dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation apporte une limite nouvelle à cette règle en jugeant que le professionnel de santé est fondé à invoquer le fait qu’il a prodigué des soins qui sont conformes à des recommandations émises postérieurement à ses soins comme permettant d’établir le caractère approprié des soins prodigués. Là encore, le bon sens impose cette solution. Il ne serait guère logique de reprocher à un médecin d’avoir dispensé des soins que la science médicale a validés, fût-ce après coup. De la même façon qu’une nouvelle loi qui abroge une incrimination profite aux délinquants ayant commis des faits antérieurs à son entrée en vigueur, les recommandations médicales nouvelles profitent au professionnel de santé qui invoque le caractère approprié des soins qu’il a dispensés. Dans les deux cas, l’incrimination et, par voie de conséquence, la sanction ne sont socialement plus nécessaires.
Il n’en résulte pas moins une forme de déséquilibre entre les parties. Le professionnel de santé est autorisé à se prévaloir des connaissances médicales en vigueur avant la date des soins mais également celles qui lui sont postérieures. La victime, quant à elle, ne peut établir la faute qu’en démontrant que les soins n’étaient pas conformes aux données de la science à la date des soins. Une pratique médicale, autorisée à la date des soins mais condamnée par la suite, ne peut donc jamais être constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité du professionnel de santé.