La prise en charge des personnes âgées repose traditionnellement sur la distinction entre le domicile et l’établissement. Le développement de structures d’accueil intermédiaires entre le logement et hébergement a cependant posé au droit de l’aide sociale de délicates questions de frontière. Le droit de l’urbanisme y est également confronté, comme le montrent les affaires appelées. L’une d’entre elles doit vous conduire à dire si les dispositions d’un plan local d’urbanisme imposant une proportion minimale de logements sociaux dans les programmes de logement sont applicables à un projet de résidence services pour seniors.
Le statut des résidences services pour personnes âgées
Les résidences-services sont des ensembles d’habitations constitués de logements privatifs permettant à des personnes âgées ou à des personnes handicapées de bénéficier d’une offre de services, en particulier en matière de restauration, de ménage et de blanchisserie. Ces résidences ne relèvent pas de la législation relative aux établissements et services sociaux et médico-sociaux. Elles fonctionnent sur le régime de la copropriété ou sur la souscription d’un bail accompagné d’une prestation de services. Le législateur a modifié la loi du 10 juillet 1965 pour adapter le statut de la copropriété aux spécificités des résidences-services. Puis, en 2015, il a créé un véritable statut des résidences-services aux articles L. 631-13 et suivants du code de la construction et de l’habitat. Il s’agissait notamment de régler le problème lancinant de la répartition des charges liées aux services collectifs. Ces charges ne peuvent désormais comprendre que les « services spécifiques non individualisables », c’est- à-dire les prestations d’accueil, de sécurité et d’accès aux espaces de convivialité et aux jardins aménagés. Tous les autres services sont fournis directement par le prestataire à chaque résident et tarifés en fonction de sa consommation effective.
La résidence-services qui nous intéresse doit être construite dans la commune d’Erquy, dans les Côtes-d’Armor. Elle fait partie d’une opération plus vaste comportant également un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, de l’habitat individuel et un immeuble collectif. Pour rendre cette opération possible, une délibération du 23 mars 2017 a modifié le plan local d’urbanisme et a ouvert à l’urbanisation une vaste zone de près de deux hectares. Un permis d’aménager un lotissement a été délivré le 8 février 2018 aux sociétés Kaufman & Broad Bretagne et Domusvi. Puis, le 20 mars 2018, le maire d’Erquy a accordé aux deux sociétés le permis de construire l’EHPAD et la résidence services pour les seniors. Le permis de construire a été contesté par deux groupes de riverains, l’un mené par M. et Mme O, l’autre par M. et Mme C. Leurs recours ont été rejetés par deux jugements du tribunal administratif de Rennes confirmés par deux arrêts de la cour administrative d’appel de Nantes.
Les deux pourvois dont vous êtes saisis sont identiques, les riverains étant désormais représentés par le même conseil. En revanche, les arrêts attaqués ne sont pas identiques car M. et Mme O avaient soulevé des moyens plus nombreux. Le pourvoi de M. et Mme C ne peut utilement critiquer la réponse faite à des moyens qu’ils n’avaient pas soulevés. Certains des moyens de cassation sont donc inopérants pour ce qui les concerne.
Il en va en particulier ainsi du moyen qui a justifié l’inscription de ces affaires au rôle de votre formation de jugement, moyen qui porte donc sur les règles de mixité sociale.
La faculté d’instaurer des servitudes de mixité sociale trouve son origine dans la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains. En même temps qu’il assignait aux communes un objectif de 20 % de logements sociaux, le législateur a prévu, au b) de l’article L. 123-2 du code de l’urbanisme, que les plans locaux d’urbanisme pourraient réserver des emplacements en vue de la réalisation, dans le respect des objectifs de mixité sociale, de programmes de logements qu’il définit. La loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement a ouvert une possibilité supplémentaire en complétant l’article L. 123-2 par un d) autorisant le PLU « à délimiter des secteurs dans lesquels, en cas de réalisation d’un programme de logements, un pourcentage de ce programme doit être affecté à des catégories de logements locatifs qu’il définit dans le respect des objectifs de mixité sociale ». Ce d) est aujourd’hui repris à l’article L. 151-15 du code de l’urbanisme.
C’est sur le fondement de l’article L. 123-2 alors en vigueur que le plan local d’urbanisme d’Erquy, adopté en 2008, a prévu que : « Dans les zones 1 AU, au moins 20 % du nombre des logements de toutes les opérations en comprenant au moins 8 devront être affectés à la réalisation de logements locatifs à vocation sociale, dans le respect des objectifs de mixité sociale. »
Les pétitionnaires ont estimé que cette règle ne s’appliquait pas à l’EPHAD ni à la résidence-services pour seniors qu’ils ont regardés comme des constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif, et non comme des habitations. Cette qualification n’était pas justifiée pour la résidence-services. Certes, dans une décision Commune de La Baule-Escoublac du 13 février 2013, vous avez regardé une résidence pour personnes âgées non médicalisée comme un équipement collectif, mais vous avez pris soin de relever que cette résidence était au nombre des établissements sociaux ou médico-sociaux soumis à autorisation en vertu du code de l’action sociale et des familles. Et dans ses conclusions Suzanne Von Coester indiquait qu’il fallait distinguer le cas des résidences avec services qui ne constituaient pas à ses yeux un équipement collectif mais une offre particulière de logements.
Habitation, logement, hébergement
Ce n’est pas sur la notion d’équipement collectif que s’est placée la cour administrative d’appel de Nantes pour écarter l’application des règles de mixité sociale à la résidence services. La cour a jugé que « la résidence services, qui assure la prise en charge collective des besoins des occupants, doit être regardée, comme l’indique […] l’arrêté du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions […] comme relevant de l’hébergement et non du logement ».
Cet arrêté est une nouveauté issue de la réforme de la classification des destinations de construction résultant du décret du 28 décembre 2015 recodifiant le livre Ier du code de l’urbanisme, qui a substitué à l’énumération très générale de l’article R. 123-9 du code une liste de destinations et de sous-destinations fixées respectivement par les articles R. 151-27 et R. 151-28, liste qui doit être encore précisée par arrêté en vertu de l’article R. 151-29. L’arrêté du 10 novembre 2016 rappelle que la destination de construction « habitation » comprend les sous-destinations logement et hébergement. Il précise que : « La sous-destination “hébergement” recouvre les constructions destinées à l’hébergement dans des résidences ou foyers avec service. Cette sous-destination recouvre notamment les maisons de retraite, les résidences universitaires, les foyers de travailleurs et les résidences autonomie. » La sous-destination « logement » quant à elle recouvre les constructions destinées au logement principal, secondaire ou occasionnel des ménages à l’exclusion des hébergements couverts par la sous-destination « hébergement ».
Les requérants soutiennent d’abord que la cour a commis une erreur de droit en se référant à l’arrêté du 10 novembre 2016. L’arrêté est pris pour l’application de l’article L. 151-9 du code de l’urbanisme qui dispose que le règlement du plan local d’urbanisme « peut définir, en fonction des situations locales, les règles concernant la destination et la nature des constructions autorisées ». La classification des destinations sert donc avant tout à l’élaboration et à l’interprétation des PLU. Vous avez néanmoins admis dans une récente décision Lapeyre du 17 décembre 2020 que cette classification puisse aussi servir à interpréter des dispositions législatives du code de l’urbanisme. Il s’agissait en l’espèce de la notion de « construction destinée principalement à l’habitation » au sens de l’article L. 152-6, qui permet au maire de déroger aux règles d’urbanisme de droit commun pour autoriser ce type de construction. Nous aurions quelques hésitations à faire de même pour la notion de « programmes de logements » et à lire la loi à la lumière de l’arrêté. Mais c’est en réalité le plan local d’urbanisme que la cour a interprété à la lumière de l’arrêté, ce qui soulève un nouveau problème car, comme le relèvent les requérants, le PLU est de 2008 alors que l’arrêté est de 2016. La nouvelle classification des destinations n’est applicable, en vertu du décret du 28 décembre 2015 qu’aux plans locaux d’urbanisme élaborés ou révisés après le 1er janvier 2016, ce qui n’est pas le cas du PLU en litige.
Vous pourriez neutraliser l’erreur commise par la cour sur le champ d’application de l’arrêté du 10 novembre 2016 en relevant qu’elle n’a mentionné l’arrêté que par une incise, à titre d’illustration, et que la distinction entre logement et hébergement reste opérante pour l’application des règles de mixité sociale.
Le logement nous paraît effectivement devoir être entendu dans un sens plus étroit que celui d’habitation. Ce n’est pas simplement le lieu où l’on vit, c’est le lieu où l’on est chez soi, par opposition à un hébergement car on est toujours hébergé chez quelqu’un. La circonstance que des services soient associés à un logement ne conduit pas à le regarder comme un hébergement sans quoi l’on qualifierait d’hébergement tous les immeubles avec gardien. La frontière peut être difficile à tracer. Ainsi l’arrêté du 10 novembre 2016 classe parmi les hébergements les résidences autonomie qui ont pour objet, comme les résidences services, d’accueillir des personnes relativement autonomes dans des logements privatifs associés à des services collectifs. La différence tient au fait que les résidences autonomie sont des établissements soumis au code de l’action sociale et des familles, autorisés et tarifés par la puissance publique, et liés aux résidents par de simples contrats de séjour. Les personnes logées en résidence-services le sont dans les conditions de droit commun, en vertu d’un bail ou d’un titre de propriété, et, si elles y reçoivent des services, c’est parce qu’elles les ont personnellement souscrits auprès d’un prestataire privé et pas parce qu’elles font l’objet d’une prise en charge déterminée par l’établissement sous le contrôle de la puissance publique.
Le ministre chargé de l’urbanisme, que vous avez invité à produire des observations, indique qu’un critère supplémentaire permet de caractériser les hébergements, c’est qu’ils sont destinés à un public spécifique : personnes âgées, jeunes travailleurs, étudiants, etc. Le ministre ne vous explique pas ce qui justifie de recourir à ce critère, il se borne à indiquer que c’est celui retenu par le Guide de la modernisation du contenu du plan local d’urbanisme, toujours pour la classification des destinations de construction donc. On peinerait à en trouver trace dans les travaux préparatoires de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains et de la loi portant engagement national pour le logement, à l’origine de la notion de « programmes de logements ».
Vous pourriez néanmoins consacrer de manière prétorienne le critère du « public spécifique » si des considérations tenant aux objectifs poursuivis par les règles de mixité sociale ou aux contraintes propres aux « résidences et foyers avec services » vous y conduisaient. Mais nous ne voyons pas d’incompatibilité de principe à appliquer aux résidences-services l’exigence d’une proportion minimale de logements sociaux. Et, dans un autre registre, vous avez déjà accepté de contrôler la compatibilité d’un projet de construction dédiée à une catégorie de la population avec une orientation d’aménagement prévoyant des objectifs de mixité sociale pour les opérations de logement, il s’agissait en l’espèce d’une résidence étudiante.
Nous sommes d’autant moins enclins à retenir une définition restrictive des programmes de logements ou, pour parler comme le PLU, des opérations de logement, que les servitudes de mixité sociale sont destinées à permettre aux communes de respecter un objectif de 20 % de logements sociaux qui est apprécié sur une base large puisqu’elle inclut toutes les résidences principales figurant au rôle de la taxe d’habitation.
Nous vous invitons donc à juger que la cour administrative d’appel de Nantes a commis une erreur de droit en retenant qu’une résidence services n’était pas une opération de logements au sens de la disposition du PLU imposant une proportion minimale de logements sociaux. Les défendeurs vous invitent à une substitution de motifs. Ils font valoir qu’il résulte de l’orientation d’aménagement et de programmation du secteur, spécifiquement adoptée pour permettre l’opération, que les auteurs du PLU ont entendu traiter la résidence services comme un équipement et non comme une opération de logement, de sorte que la règle de mixité sociale ne lui était pas applicable. Ces motifs alternatifs supposent une interprétation du PLU, ce qui nous paraît faire obstacle à une substitution en cassation.
Si vous ne nous suiviez pas, il vous faudrait rejeter le pourvoi de M. et Mme O. tout comme vous rejetterez le pourvoi de M. et Mme C. En effet les quatre autres moyens ne sont pas fondés.
Autres questions de droit relatives à l’application du code de l’urbanisme
En premier lieu, la cour a jugé que le projet autorisé n’était pas une extension de l’urbanisation au sens de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme, qui prévoit que l’urbanisation des espaces proches du rivage doit être limitée, justifiée et motivée. L’appréciation de la cour est souveraine sur ce point et vous pourrez relever que le projet est situé au sein même de l’agglomération, dans un vaste espace vacant mais encerclé par l’urbanisation, et qu’il ne conduira pas à une modification importante des caractéristiques et de la densité du quartier.
En deuxième lieu, les motifs par lesquels la cour a écarté le moyen tiré de la méconnaissance du règlement de l’aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine nous paraissent également exempts de dénaturation, étant précisé que le projet a été revu avec l’architecte des bâtiments de France, qui lui a donné un avis favorable, et que l’obligation faite aux constructions nouvelles de respecter la morphologie urbaine du secteur ne nous paraît pas interdire toute autre construction que des maisons individuelles.
En troisième lieu, la cour aurait commis une erreur de droit en jugeant légale l’exception aux règles de hauteur et de stationnement consentie par le plan local d’urbanisme au bénéfice des constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif. Le règlement d’un plan local d’urbanisme peut autoriser des constructions ne respectant pas les règles générales qu’il fixe à condition que ces exceptions soient suffisamment encadrées. Les requérants font valoir que l’exception est très large en l’espèce puisqu’il résulte de l’article 1AU 2 du PLU que les constructions en cause sont soumises aux seules règles relatives aux distances aux voies et aux limites séparatives et qu’elles sont exemptées des règles relatives aux conditions d’accès et de voirie, de desserte par les réseaux, de hauteur, d’aspect extérieur, de places de stationnement ou encore d’espaces verts. Mais l’éventuelle illégalité des exceptions prévues par le PLU doit s’apprécier règle par règle et en l’espèce l’article 1 AU 2 n’était contesté qu’en tant qu’il excluait l’application des règles de hauteur et de stationnement.
Dans sa version applicable, l’article R. 123-9 du code de l’urbanisme n’imposait pas que le règlement fixe des règles relatives à la hauteur maximale des constructions et au nombre de places de stationnement, de sorte que l’on ne saurait reprocher au PLU de s’être abstenu de fixer de telles règles pour les constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif((Voyez dans cette esprit votre décision 15 février 1993, Commune d’Épinay-sur- Seine, n° 131087 : Rec., T., p. 584.)). De plus, l’article R. 123-9 prévoyait que des règles particulières pouvaient être applicables aux constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif.
La hauteur est de toute façon indirectement encadrée par les règles de prospect et par l’encadrement d’ordre public des atteintes à l’intérêt ou au caractère des lieux avoisinants, des sites et des paysages en vertu de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme.
Quant au stationnement, l’exception n’en est pas vraiment une puisque l’article 1AU 12 fixe un nombre minimal de places pour les établissements hospitaliers ou médicalisés, les établissements gérontologiques ou encore les établissements d’enseignement, qui sont pourtant des constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif.
Les exceptions sont donc suffisamment encadrées et la cour n’a pas erré en écartant l’exception d’illégalité de l’article 1AU 12 du PLU.
En dernier lieu, les requérants reprochent à la cour d’avoir commis une erreur de droit en jugeant que, pour l’application des règles de stationnement, la résidence-services relevait des « établissements de type foyer-logement » plutôt que de l’habitat collectif. Le moyen n’est opérant que pour le pourvoi de M. et Mme O. L’article L. 633-1 du code de la construction et de l’habitat définit le logement-foyer comme « un établissement destiné au logement collectif à titre de résidence principale de personnes dans des immeubles comportant à la fois des locaux privatifs meublés ou non et des locaux communs affectés à la vie collective. Il accueille notamment des personnes âgées, des personnes handicapées, des jeunes travailleurs, des étudiants, des travailleurs migrants ou des personnes défavorisées ». Les logements-foyers qui accueillent des personnes âgées sont des « résidences autonomie ». En vertu de l’article L. 633-5 du même code, les dispositions relatives aux logements-foyers ne s’appliquent pas aux résidences avec services sous le statut de la copropriété ni aux résidences avec services dont les personnes logées sont titulaires d’un bail d’habitation. Une résidence-services n’est donc pas un foyer-logement. Mais le PLU vise plus largement les « établissements de type foyer-logement ». On peut y faire rentrer des structures qui n’ont pas le statut de foyer-logement. Il nous semble en outre qu’au regard de l’objet de la règle, qui est de garantir un nombre suffisant de places de stationnement, les résidences services sont dans une situation identique aux résidences autonomie qui, comme on l’a dit, sont des foyers-logements. La cour n’a donc pas commis l’erreur de droit qui lui est reprochée.
Par ces motifs nous concluons :
– dans l’affaire 443815, à l’annulation de l’arrêt attaqué (erreur de droit sur les règles de mixité sociale), au renvoi de l’affaire devant la cour, à ce qu’une somme de 3 000 € soit mise à la charge des pétitionnaires au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, au rejet des conclusions présentées par ces derniers à ce titre ;
– dans l’affaire 443817 au rejet du pourvoi et à ce qu’une somme de 3 000 € soit mise à la charge des requérants au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. ■
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