Le 15 octobre dernier, le Conseil constitutionnel a rendu une importante décision, dans laquelle il a dégagé un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France : l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale attachées à l’exercice de la force publique. Cette décision est remarquable à plusieurs égards. D’abord, c’est la première fois qu’un principe de ce type est dégagé. Ensuite, elle apporte des éléments de clarification à propos des rapports complexes entre le droit de l’Union européenne et le droit interne. Enfin, elle contribue à l’édification d’une théorie constitutionnelle de la police administrative. D’un côté, le Conseil constitutionnel confirme une évolution. Longtemps, de la même manière que le Conseil d’Etat (Ass., 17 juin 1932, Commune de Castelnaudary, Leb. p. 595), celui-ci a considéré que la police administrative n’était pas délégable au regard de sa « nature », celle-ci relevant par essence d’un noyau irréductible de fonctions relatives à la souveraineté de l’Etat. Il est désormais acquis, dans le prolongement des décisions LOPPSI 2 (n° 2011-625 DC) et Loi pour une sécurité globale préservant les libertés (n° 2021-817 DC), que la police administrative n’est pas délégable au regard de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel « la garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». De l’autre côté, le Conseil constitutionnel esquisse une évolution en affirmant que l’interdiction de délégation est limitée à la police administrative générale, voire aux seules « compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la force publique » (consid. n° 15). Les polices administratives spéciales semblent donc exclues du champ d’application du principe ainsi créé. A première vue, on ne voit pas très bien ce qui justifie pareille exclusion. Aucune précision sur ce point n’est apportée, ni par la décision elle-même, ni par le commentaire qui en est fait sur le site Internet du Conseil. L’incompréhension cède place au trouble lorsqu’après avoir dégagé ce principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, le Conseil constitutionnel l’applique… à une police administrative spéciale, à savoir celle des étrangers, régie par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Dès lors, il est permis de penser que l’adjectif « général » est utilisé ici dans un sens autre que celui donné par la communauté des juristes. On peut formuler l’hypothèse selon laquelle ce « général » pourrait faire référence aux missions de police présentant un caractère régalien, c’est-à-dire celles inhérentes à la souveraineté de l’Etat. De ce point de vue, il ne fait guère de doute qu’en raison de son objet, la police des étrangers en relève. Si cette hypothèse devait se vérifier, ce serait, sur la forme, inutilement maladroit et, sur le fond, une sorte de retour à la « nature », qui ne dirait pas son nom.
Ce ‘général’ qui n’en est pas un. A propos de la décision n° 2021-940 QPC Société Air France
Tribune
Citer : Olivier Renaudie, 'Ce ‘général’ qui n’en est pas un. A propos de la décision n° 2021-940 QPC Société Air France, Tribune ' : Revue générale du droit on line, 2022, numéro 61176 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=61176)
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