Le Conseil d’Etat ; — Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ; — Considérant qu’en raison de la hausse exceptionnelle survenue par suite de la guerre dans le prix du charbon, et qui a généralement bouleversé l’économie des contrats passés entre les communes et les sociétés concessionnaires de l’éclairage au gaz, c’est à tort que le conseil de préfecture a admis qu’il y a lieu à l’application pure et simple des conventions intervenues entre la ville de Nice et la société requérante, comme si l’on se trouvait en présence d’un aléa ordinaire de l’entreprise ; qu’il importait, au contraire, nonobstant l’absence de toute disposition contractuelle faisant varier le prix du gaz suivant celui du charbon, d’examiner si, comme le soutenait la Compagnie, le prix de la houille, rendue à l’usine, a dépassé la limite extrême des majorations ayant pu être envisagées par les parties lors de la passation du contrat, et, dans l’affirmative, de rechercher, pour mettre fin à des difficultés temporaires, une solution qui tînt compte à la fois de l’intérêt général, lequel exige la continuation du service par la Compagnie à l’aide de tous ses moyens de production, et des conditions spéciales qui ne permettent pas aux contrats de recevoir leur application normale ; qu’à cet effet, il convient de décider, d’une part, que la Compagnie concessionnaire, à laquelle l’art. 33 du cahier des clauses et conditions générales des entrepreneurs des ponts et chaussées, invoqué à tort par le conseil de préfecture, n’est pas applicable, est tenue d’assurer le service concédé, et, d’autre part, qu’elle doit supporter seulement, au cours de cette période transitoire, la part des conséquences onéreuses de la situation de force majeure ci-dessus rappelée que l’interprétation raisonnable du contrat permet de laisser à sa charge ; — Considérant que, pour l’application de ces principes, il ne peut être établi de compensation entre les bénéfices réalisés par le concessionnaire avant la période exceptionnelle dont il s’agit et les pertes que la guerre lui fait éprouver ; qu’en effet, le concessionnaire, qui assume seul, à l’exclusion de l’autorité concédante, les risques financiers du service public, et qui doit supporter, en totalité, le déficit, s’il s’en produit en temps normal, est fondé, inversement, à conserver à titre définitif les bénéfices réalisés dans les mêmes conditions, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre les bénéfices déjà répartis et ceux qui auraient été réservés pour faire face aux besoins futurs de l’exploitation ; que, par la même raison, il n’y a pas lieu davantage de tenir compte des perspectives d’avenir que peut comporter la concession en dehors de la période envisagée ; que, par contre, il y a lieu de faire état de tous les avantages assurés par le contrat à la Compagnie pendant la période sus-indiquée ; que, notamment, la société requérante ayant le double privilège du monopole de la distribution du gaz et de celui de l’éclairage électrique, la ville est fondée à exciper des bénéfices qui résultent pour la Compagnie de cette situation particulière ; que, par suite, il devra être tenu compte, dans la fixation de l’indemnité, des résultats donnés par l’exploitation de l’ensemble du service géré par la société, tant pour l’éclairage électrique que pour l’éclairage au gaz ; — Considérant qu’il y a lieu, en conséquence, en annulant l’arrêté attaqué, de renvoyer les parties devant le conseil de préfecture, auquel il appartiendra, à défaut d’accord amiable, de rechercher si le prix de 40 francs par tonne de houille rendue à l’usine, indiqué par la Compagnie comme étant le prix maximum qui a pu entrer dans les prévisions des parties, correspond exactement à l’extrême limite de la majoration de prix qu’ont pu envisager la société et la ville lors de la passation du contrat, ou si l’on doit admettre un prix supérieur ; dans ce dernier cas, de déterminer si la société a droit à une indemnité en raison des conditions extra-contractuelles dans lesquelles elle a assuré son service, à partir du jour ou ce prix-limite de 40 francs a été dépassé, et, dans l’affirmative, d’estimer le montant de ladite indemnité ; — Art. 1er. L’arrêté du conseil de préfecture des Alpes-Maritimes du 25 octobre 1916 est annulé. — Art. 2. Les parties sont renvoyées devant le conseil de préfecture pour être statué, si elles ne s’entendent pas à l’amiable, sur la détermination de l’indemnité à laquelle la société requérante peut avoir droit. — Art. 3. Le conseil : 1° recherchera quel a été le prix maximum du charbon qui a pu entrer dans les prévisions des parties lors de la passation du contrat ; 2° déterminera, au cas où cette limite aurait été dépassée, si la société a droit à une indemnité, à raison des conditions extra-contractuelles dans lesquelles elle a dû assurer son service, à partir du jour où ce prix a été dépassé, et, dans l’affirmative, il estimera le montant de ladite indemnité ; pour fixer cette indemnité, il évaluera le préjudice subi, en tenant compte, notamment, du prix du charbon et des autres matières premières, ainsi que du coût de la main-d’ œuvre, de la diminution éventuelle du rendement du charbon en gaz et en coke, en raison de sa mauvaise qualité, de l’importance des frais généraux, et, inversement, du prix du coke et des autres sous-produits ; d’une manière générale, il fera état de toutes les circonstances ayant pu influer sur les résultats de l’exploitation effectuée par la société pendant la période considérée, tant pour l’éclairage électrique que pour l’éclairage au gaz ; il arbitrera enfin, en appréciant tous les faits de la cause pendant la période litigieuse, la part des conséquences onéreuses de la situation de force majeure ci-dessus relatée que I’interprétation raisonnable du contrat permet de laisser à la charge de la société.
Du 27 juin 1919. —. Cons. d’Etat. — MM. Laurent, rapp.; Riboulet, comm. du gouv.; Boivin-Champeaux et Morillot, av.