Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 mars et 15 juillet 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Albert X, demeurant … ; M. X demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 27 décembre 2001 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté sa demande tendant, d’une part, à l’annulation du jugement du 26 juin 1996 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à ce que la commune de Sillingy (Haute-Savoie) soit déclarée responsable des conséquences dommageables de l’accident dont il a été victime le 18 mars 1989 et soit condamnée à lui verser une indemnité de 1 600 000 F (243 918,43 euros) en réparation du préjudice subi ;
2°) statuant au fond, de condamner la commune de Sillingy à lui payer ladite indemnité, assortie des intérêts légaux et des intérêts capitalisés ;
3°) de condamner la commune à lui payer la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ; Vu le code de la sécurité sociale ; Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Artaud-Macari, Conseiller d’Etat,
– les observations de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de M. X,
– les conclusions de Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. X a été grièvement blessé, le 18 mars 1989, par l’explosion d’une fusée du feu d’artifice qu’il préparait bénévolement, avec du matériel appartenant à la commune, pour fêter l’élection des conseillers municipaux de Sillingy, compte tenu des connaissances en matière de sécurité qui étaient les siennes en sa qualité de sapeur-pompier volontaire ; que les tirs de feux d’artifice le soir des élections municipales constituent à Sillingy une manifestation de caractère traditionnel à l’intention de l’ensemble des habitants de la commune ; que cette manifestation répond ainsi à un but d’intérêt général ; que, dès lors, en déniant à M. X la qualité de collaborateur occasionnel du service public, la cour administrative d’appel de Lyon a inexactement qualifié les faits de l’espèce ; qu’ainsi, M. X est fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant qu’en vertu de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, en préparant le tir des fusées de feu d’artifice, M. X assurait, pour le compte et dans l’intérêt de la commune, à l’occasion de la fête locale organisée après l’élection des conseillers municipaux, une mission de service public destinée à l’ensemble des habitants de la commune de Sillingy ; que ses blessures ont été provoquées par l’explosion inopinée de la charge qu’il préparait, sans qu’aucune faute puisse lui être imputée ; que la responsabilité des dommages qu’il a subis à l’occasion de l’exécution de cette mission incombe en totalité à la commune ; que, dès lors, M. X est fondé à soutenir que c’est à tort que, par son jugement du 26 juin 1996, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d’indemnité dirigée contre la commune de Sillingy ;
Sur l’indemnisation :
Considérant, d’une part, qu’il résulte de l’instruction, notamment du rapport de l’expert commis par le président du tribunal administratif, que M. X, qui était âgé de quarante-deux ans à la date de l’accident, dont la main et le poignet droits ont dû être amputés et qui présente une incapacité permanente partielle de 48 % a supporté, du fait de cet accident, d’importantes difficultés d’ordre physiologique, psychologique et professionnel ; qu’il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature subis par le requérant dans ses conditions d’existence en les évaluant à un montant de 100 000 euros ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de fixer à 15 000 euros chacune des indemnités dues, d’une part, au titre des souffrances physiques et, d’autre part, au titre du préjudice esthétique ;
Considérant, d’autre part, que la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Savoie a exposé, à la suite de l’accident subi par M. X, des frais médicaux, pharmaceutiques, d’hospitalisation, d’appareillage et de transport et des indemnités journalières, qui s’élèvent au montant non contesté de 20 413,76 euros (133 905,46 F) ;
Considérant qu’il suit de là que le montant total des préjudices consécutifs à l’accident s’élève à 150 413,76 euros ; que la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Savoie a droit, en application des dispositions de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, au remboursement des frais qu’elle a exposés et dont le montant est, comme il a été dit ci-dessus, de 20 413,76 euros ; que cette somme doit être imputée sur la part de l’indemnité mise à la charge de la commune de Sillingy qui répare l’atteinte à l’intégrité physique de la victime ; qu’après imputation des droits de la caisse, M. X peut prétendre à l’allocation d’une indemnité de 130 000 euros ;
Sur les intérêts :
Considérant que M. X a droit aux intérêts au taux légal à compter du 22 mars 1991, date à laquelle il a présenté sa demande d’indemnisation à la commune ; que la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Savoie a droit aux intérêts au taux légal à compter du 30 mars 1992, date à laquelle elle a présenté sa demande d’indemnisation devant le tribunal administratif ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que M. X a demandé la capitalisation des intérêts le 15 mars 2002 ; qu’à cette date il était dû au moins une année d’intérêts ; que, par suite, il y a lieu de faire droit à sa demande de capitalisation à cette date ainsi qu’à chacune des échéances annuelles à compter de celle-ci ;
Considérant que la caisse a demandé la capitalisation des intérêts le 11 décembre 2001, date à laquelle les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; que, par suite, et alors même que la caisse n’a pas ultérieurement présenté de nouvelles demandes de capitalisation, il y a lieu de faire droit à sa demande tant à ladite date qu’à chacune des échéances annuelles à compter de celle-ci ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de Sillingy la somme de 2 300 euros que demande M. X et la somme de 750 euros que demande la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Savoie pour les frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. X, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande, au même titre, la commune de Sillingy ;
D E C I D E : ————–
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon en date du 27 décembre 2001 et le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 26 juin 1996 sont annulés. Article 2 : La commune de Sillingy est condamnée à payer à M. X une indemnité de 130 000 euros. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 22 mars 1991. Les intérêts échus à la date du 15 mars 2002 puis à chaque échéance à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts. Article 3 : La commune de Sillingy est condamnée à payer à la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Savoie une indemnité de 20 413,76 euros. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 30 mars 1992. Les intérêts échus à la date du 11 décembre 2001 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts. Article 4 : La commune de Sillingy versera à M. X et à la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Savoie respectivement la somme de 2 300 euros et la somme de 750 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. X devant le Conseil d’Etat et devant la cour administrative d’appel de Lyon et le surplus des conclusions de sa demande devant le tribunal administratif de Grenoble sont rejetés. Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Albert X, à la commune de Sillingy, à la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Savoie et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.