Section III – Fait générateur
1594.- Responsabilité pour faute et responsabilité sans faute.– Si la nature de la responsabilité administrative a longtemps été incertaine, il ne fait pas de doute qu’elle est aujourd’hui, en principe, une responsabilité pour faute et dans des cas de moins en moins exceptionnels une responsabilité sans faute.
§I – Données historiques du problème
1595.- Dogme de l’infaillibilité des personnes publiques.- Si l’arrêt Blanco touche à l’ensemble du droit administratif, tant pour les questions de fond que pour les questions de compétence, il concernait au premier chef un problème de responsabilité. Il résulte en effet de cet arrêt que la responsabilité des personnes publiques « n’est ni générale ni absolue, qu’elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’Etat avec les droits privés » (TC, 8 février 1873, requête numéro 00012, préc.).
Si, par conséquent, l’arrêt Blanco définit les grandes lignes de la responsabilité administrative, il ne précise pas la nature même de cette responsabilité. En particulier, l’arrêt Blanco ne se réfère aucunement à la notion de responsabilité pour faute de l’Etat. Or, cette omission est très certainement volontaire. En effet, en 1873, le droit de la responsabilité administrative est encore dominé par l’adage hérité de l’Ancien Régime selon lequel « le souverain ne saurait mal faire ».
Il découlait de cet adage ce que Paul Duez appelait le « dogme de l’irresponsabilité de la puissance publique » (La responsabilité de la puissance publique, Dalloz 2éme éd. 1934). Cette expression est fréquemment employée pour expliquer l’état du droit de la responsabilité administrative jusqu’au début du XX° siècle. Or, cette expression est imprécise : en réalité, s’il existait un dogme c’était celui non pas de l’irresponsabilité administrative, mais celui de son infaillibilité. En effet, ce que refusait de faire le juge, c’était de reconnaître que le souverain pouvait mal faire, c’est-à-dire d’engager la responsabilité pour faute de l’administration. En revanche, aucun obstacle ne s’opposait à la reconnaissance d’une responsabilité sans faute.
1596.- Admission d’une responsabilité sans faute de l’administration.- Et, de fait, les premiers cas dans lesquels la responsabilité de l’administration a été reconnue sont des hypothèses de responsabilité sans faute. Plus précisément, c’est dans le domaine de la réparation des dommages de travaux publics causés aux propriétés privées des tiers que s’est développée cette responsabilité dès le début du XIX° siècle. Un tel système de responsabilité permettait en effet de concilier deux principes très importants à cette époque : celui de l’infaillibilité de l’administration, et le caractère absolu du droit de propriété reconnu par l’article 544 du Code civil, ainsi que les caractères inviolable et sacré de ce droit visé par l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Certes, ces mécanismes de responsabilité sans faute constituaient l’exception. Dans de nombreux domaines, on le verra, l’Etat était à l’origine irresponsable. Les îlots d’irresponsabilité de l’administration ont toutefois progressivement disparu. En l’état actuel de la jurisprudence il semble qu’ils ne recouvrent que deux hypothèses : les actes de gouvernement (et encore semble-t-il que la responsabilité sans faute liée à l’application des traités internationaux pourrait recevoir application V. sur ce point supra Quatrième partie, Chapitre un, Section une) et les dommages occasionnés par les opérations militaires (CE, 23 juillet 2010, requête numéro 328757, Société Touax : Rec. p. 344 ; AJDA 2010, p. 2229, note Belrhali-Bernard).
1597.- Admission d’une responsabilité pour faute de l’administration.- Ce n’est qu’au début du XX° siècle que la responsabilité pour faute de l’administration a été admise et est devenue le régime de responsabilité administrative de droit commun avec l’arrêt Tomaso Grecco du 10 février 1905 (requête numéro 10365, préc.).
§II – Responsabilité pour faute
1598.- Définition de la faute de service.- La faute de service peut se voir appliquer la définition civiliste de Planiol selon laquelle « la faute est un manquement à une obligation préexistante » (Droit civil, t. II, n°913, LGDJ, 3ème éd 1949), la définition de ces obligations pouvant, le cas échéant, résulter d’un texte.
Exemple :
– CAA Bordeaux, 15 janvier 2008, requête numéro 05BX01753, Monges : l’article L. 4151-3 du Code de la santé publique prévoit « (qu’en) cas d’accouchement dystocique … (les sages-femmes) doivent faire appeler un médecin ». Les juges estiment qu’il résulte de ces dispositions que lorsque survient une dystocie pendant un accouchement se déroulant sous la surveillance d’une sage-femme, celle-ci a l’obligation d’appeler un médecin. L’absence d’un médecin dans de telles circonstances est constitutive d’un défaut dans l’organisation et le fonctionnement du service engageant la responsabilité du service public hospitalier, à moins qu’il ne soit justifié d’une circonstance d’extrême urgence ayant fait obstacle à ce que la sage-femme appelle le médecin ou que le médecin appelé ait été, pour des motifs légitimes, placé dans l’impossibilité de se rendre au chevet de la parturiente.
En l’absence de texte, la qualification de faute du comportement à l’origine d’un préjudice n’est pas toujours évidente.
Exemple :
– CE, 22 février 2008, requête numéro 280931, Syndicat mixte central de traitement des ordures ménagères de l’agglomération parisienne : l’Etat ne commet aucune faute du fait de l’abandon d’un projet de construction d’une usine d’incinération d’ordures ménagères.
– CE, 27 juin 2016, requête numéro 382319, Bernabé : une disposition législative – il s’agit des accords d’Evian – posant le principe de l’intervention d’une loi ultérieure ne constitue pas une promesse dont le non-respect serait susceptible d’engager la responsabilité pour faute de l’Etat.
La faute de service peut prendre différents aspects : elle peut résulter d’un acte matériel comme d’un acte juridique, d’une action comme d’une abstention.
1599.- Principales problématiques.- Deux difficultés notables se posent : celle de la charge de la preuve de la faute et celle du degré de gravité de la faute susceptible d’engager la responsabilité de l’administration.
I – Charge de la preuve
1600.- Une responsabilité pour faute prouvée.- La responsabilité administrative est en principe une responsabilité pour faute prouvée. Cependant, il existe, comme en droit civil, un certain nombre d’hypothèses dans lesquelles la faute est présumée.
1601.- Hypothèses de responsabilité pour faute présumée.- Les mécanismes présomptifs recouvrent deux types de procédés logiques différents (V. L. de Gastines, Les présomptions en droit administratif français, Bibliothèque de droit public, t. 163, LGDJ 1998).
1602.- Mécanisme de présomption affirmation.- Le premier procédé est celui de présomption affirmation : dans ce cas une affirmation sera tenue pour vraie jusqu’à la preuve ou la démonstration du contraire ou même, dans certains cas, nonobstant la preuve ou la démonstration du contraire.
Il peut s’agir de présomptions légales résultant d’un texte de loi.
Exemple :
– L’article L. 1142-1 du Code de la santé publique précise que « les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère ».
Il peut également s’agir de présomptions quasi-légales résultant d’une règle jurisprudentielle.
Exemple :
– CE Sect., 6 juin 2008, requête numéro 299203, Société Tradition Securities and Futures (AJDA 2008, p. 1321, chron. Bourgeois-Machureau et Geffray ; JCP A 2008, I, 191, chron. Plessix.- V. également CE Sect., 6 juin 2008, requête numéro 300619, Société CM CIC Securities) : les sociétés prestataires de services d’investissement sont au nombre des personnes auxquelles l’ex-Conseil des marchés financiers et l’ex-Commission des opérations de bourse peuvent, en cas de manquement à leurs obligations professionnelles, infliger une sanction. Pour l’application de ces dispositions et en raison des responsabilités qui incombent à ces prestataires, les manquements commis non seulement par les dirigeants et représentants de ces sociétés mais aussi par leurs préposés sont de nature à leur être directement imputés en leur qualité de personnes morales, sans que soit méconnu le principe constitutionnel de responsabilité personnelle, dès lors que ces préposés ont agi dans le cadre de leurs fonctions. Mais en l’absence, toutefois, au regard de ce principe, de toute présomption de caractère irréfragable, les prestataires ont, au cours de la procédure engagée à leur encontre, la faculté de faire valoir en défense, pour s’exonérer de leur responsabilité, qu’ils ont adopté et effectivement mis en œuvre des modes de fonctionnement et d’organisation de nature à prévenir et à détecter les manquements professionnels de leurs préposés, sauf pour ces derniers précisément à s’affranchir du cadre de leurs fonctions, notamment en agissant à des fins étrangères à l’intérêt de leurs commettants.
– CE, 21 mars 2022, requête numéro 443986, Porini (AJDA 2022, p. 1636, note Tzutzuiano et Maillafet ; JCP A 2022, act. 244, obs. Erstein ; Dr. pén. 2022, comm. 93, note Maron et Haas ; Procédures 2022, comm. 138, note Chifflot) : s’il appartient en principe au demandeur qui engage une action en responsabilité à l’encontre de l’administration d’apporter tous éléments de nature à établir devant le juge, outre la réalité du préjudice subi, l’existence de faits de nature à caractériser une faute, il en va différemment, s’agissant d’une demande formée par un détenu ou ancien détenu, lorsque la description faite par le demandeur de ses conditions de détention est suffisamment crédible et précise pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne. C’est alors à l’administration qu’il revient d’apporter des éléments permettant de réfuter les allégations du demandeur.
– CE Sect., 11 juillet 2011, requête numéro 321225, Montaut (préc.) : il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement. Il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile.
– CE Ass., 30 octobre 2009, requête numéro 298348, Perreux (préc.) : s’il appartient au requérant qui s’estime lésé par une mesure qu’il estime discriminatoire de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte au principe d’égalité de traitement des personnes, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d’établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
L’hypothèse la plus connue est toutefois la notion de défaut d’entretien normal, même s’il s’agit d’une hypothèse atypique, notamment parce qu’à la différence des cas de responsabilité pour faute, le fait du tiers n’a pas ici d’effet exonératoire et parce que cette notion, à la différence de celle de faute, ne relève pas du contrôle de qualification juridique des faits opéré par le juge de cassation (CE Sect., 26 juin 1992, requête numéro 144728, Commune de Béthoncourt, préc.).
Lorsqu’un usager est victime de dommages de travaux publics, l’administration sera condamnée à moins qu’elle ne démontre qu’elle a entretenu normalement l’ouvrage public. Ceci signifie que le mauvais entretien de l’ouvrage est présumé, mais que l’administration peut renverser la charge de la preuve en établissant qu’elle n’a pas commis de faute (CE Sect., 26 juin 1992, requête numéro 114728, Commune de Béthoncourt, préc.- CE, 17 janvier 2020, requête numéro 433506, Société EDF c/ Régie des eaux du canal de Belletrud : Dr. adm. 2020, comm. 21, note Eveillard ; JCP A 2020, comm. 2324, note Reneau).
Un défaut d’entretien normal peut également résulter de la signalisation insuffisante de dangers.
Exemple :
– CAA Douai, 10 avril 2012, requête numéro 11DA00792, Bobkiewicz : l’absence de signalisation particulière du danger constitué par une chaussée déformée, révèle un défaut d’entretien normal de la voie publique de nature à engager la responsabilité d’une commune.
1603.- Mécanisme de présomption induction.- Le second procédé utilisé par les juges, principalement en matière de responsabilité hospitalière, est celui de présomption induction. Il s’agit d’un raisonnement par lequel un fait sera tenu pour établi sur la preuve de faits voisins ou connexes. Cette hypothèse existe notamment dans le cas où le dommage résulte d’une intervention courante et à caractère bénin.
Exemple :
– CE, 19 mai 1976, requête numéro 94813, Centre hospitalier régional de Poitiers : au cours d’exercices de rééducation, un malade a été victime d’un accident qui a entraîné une fracture de la diaphyse de son fémur gauche et a nécessité une intervention chirurgicale. S’agissant de soins courants et de caractère bénin, les troubles qui en sont résultés ne peuvent être regardés que comme révélant une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service, de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier.
Ce type de présomptions se retrouve dans d’autres hypothèses.
– CE, 17 octobre 2012, requête numéro 348440, Bussa (JCP A 2013, comm. 2025, note Vocanson) : la circonstance que la mère biologique d’un enfant confié à sa naissance au service de l’aide sociale à l’enfance, puis adopté, ait eu connaissance des informations relatives à la nouvelle identité de cet enfant et à celle de ses parents adoptifs révèle une faute dans le fonctionnement du service de l’aide sociale à l’enfance du département de nature à engager la responsabilité de ce dernier, sauf à ce que celui-ci établisse que la divulgation des informations en cause est imputable à un tiers ou à la victime elle-même
1604.- Une possible étape intermédiaire avant l’établissement d’un régime de responsabilité sans faute.- Il faut relever que l’exigence d’une faute présumée constitue dans certains cas une étape dans l’évolution des règles de responsabilité, avant l’admission d’un régime de responsabilité sans faute. Cette hypothèse s’est vérifiée par deux fois en matière de responsabilité des établissements hospitaliers.
Tel est le cas, tout d’abord, en matière d’infections nosocomiales. Dans ce domaine, le régime de présomption de faute défini par les juges (CE, 9 décembre 1988, requête numéro 65087, Cohen : Rec. p. 431 ; AJDA 1989, p. 405, obs. Moreau ; D. 1989, somm. obs. Moderne et Bon ; D. 1990, jurispr. p. 487, note Thouroude et Touchard ; Quot. jur. 23 février 1989, note Moderne) a fait place à un régime de responsabilité sans faute institué par la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 (V. Code de la santé, art. L. 1142-1,II).
C’est le cas, ensuite, pour les dommages occasionnés par des produits ou des appareils utilisés par les établissements de santé publics. Mais dans cette hypothèse, l’évolution est liée à un revirement de jurisprudence (CE, 9 juillet 2003, requête numéro 220437, Assistance publique – Hôpitaux de Paris c. Marzouk : Rec., p. 338 ; JCP A 2003, comm. 1897, note Chavrier ; AJDA 2003, p. 1946, note Deguergue.- V. le régime antérieur de présomption de faute défini par CE, 1er mars 1989, requête numéro 67255, Epoux Peyres : Rec. p. 65 ; D. 1990, somm. p. 298, obs. Bon et Terneyre).
II – Gravité de la faute
1605.- Une responsabilité ni générale ni absolue.- L’arrêt Blanco énonce que la responsabilité de l’Etat « n’est ni générale ni absolue » (TC, 8 février 1873, requête numéro 00012, préc.). Par conséquent, si en droit civil une faute légère suffit à engager la responsabilité de la personne mise en cause, il n’en va pas nécessairement ainsi en droit administratif.
Certes, dans de nombreux cas, la preuve d’une faute non qualifiée – c’est-à-dire d’une faute simple – suffit à engager la responsabilité de l’administration. Mais dans d’autres cas, c’est une faute qualifiée qui est exigée. Si l’évolution des règles de responsabilité de l’administration va dans le sens d’un constant recul de la faute qualifiée, et notamment de la faute lourde, celle-ci se maintient néanmoins dans différents domaines.
A – Recul de la faute lourde
1606.- Volonté de mieux protéger les victimes.- Dans de nombreux domaines, l’exigence d’une faute qualifiée a longtemps été liée à la difficulté du service assuré. Elle se justifiait par des considérations d’intérêt général et plus précisément par le fait que la crainte d’être trop facilement condamnée en cas de dommage pouvait inciter l’administration à ne pas agir.
Désormais, cet argument est passé au second plan, derrière la volonté de protéger plus efficacement les intérêts des victimes.
Le recul de la faute lourde s’observe principalement dans quatre domaines : les activités médicales et chirurgicales, les activités de police, les activités des services pénitentiaires et les activités des services fiscaux.
1° Activités médicales et chirurgicales
1607.- Exigence initiale de la faute lourde.- L’état initial de la jurisprudence résultait des arrêts de Section du Conseil d’Etat du 8 novembre 1935, Veuves Loiseau et Philipponeau (requête numéro 31999 : Rec. p.1019 et p.1020 ; D. 1936, III, p. 15, note Heilbronner). Le Conseil d’Etat estimait à cette époque que la gravité de la faute exigée dépendait de l’origine du dommage. Lorsqu’était en cause une activité liée à l’organisation ou au fonctionnement de l’hôpital, la preuve d’une faute simple suffisait à engager sa responsabilité. En revanche, une faute lourde était requise en cas de dommages liés à une activité médicale ou chirurgicale.
Un tel système aboutissait à un rejet quasi-systématique de la demande d’indemnité dans le second cas.
1608.- Recul de la faute lourde.- La rigueur de ces règles a été ensuite atténuée, notamment par l’utilisation de deux techniques.
Il s’agit, tout d’abord, de l’utilisation des présomptions qui se sont développées, comme on l’a vu, dans différents domaines.
Les juges ont également réduit le domaine de la faute lourde qui a été recentré sur les activités médicales des praticiens hospitaliers. Ainsi comme l’évoque le commissaire du gouvernement Fournier dans ses conclusions sur l’arrêt de Section Rouzet du 26 juin 1959 (requête numéro 92099 : Rec. p. 405 ; AJDA 1959, p. 273, concl. Fournier), doivent être considérés « comme médicaux tous les actes, qu’ils soient intellectuels ou matériels, dont l’accomplissement présente des difficultés sérieuses et requiert des connaissances spéciales acquises au prix d’études prolongées ». Ceci permet de distinguer les actes médicaux et chirurgicaux des simples actes de soins qui peuvent être accomplis, par exemple, par des infirmières et des sages-femmes, et qui relèvent du domaine de la faute simple.
1609.- Abandon de la faute lourde.- Finalement, la faute lourde a été abandonnée à l’occasion de l’arrêt d’Assemblée Epoux V. du 10 avril 1992 (requête numéro 79027, préc.).
Il est ici important de relever que si une faute simple est désormais suffisante, le fait qu’un malade ne soit pas guéri ou sauvé ne suffit pas à caractériser une telle faute. Encore faut-il, en effet, que cette faute, qui se distingue d’une simple erreur, soit suffisamment caractérisée. Ainsi, le contexte dans lequel a été commise la faute est toujours déterminant. Notamment, même si le degré de la faute exigée a été abaissé, il sera toujours plus difficile de prouver une faute simple dans des cas où une opération est pratiquée dans des conditions d’extrême urgence, que lorsqu’elle est réalisée dans des conditions normales.
Exemples :
– CAA Nancy, 15 mars 2007, requête numéro 06NC00092, Casel : la cour confirme le jugement du tribunal administratif de Strasbourg qui avait rejeté la demande des requérants tendant à ce que les Hôpitaux universitaires de Strasbourg soient déclarés responsables des conséquences dommageables de la coupure de l’auriculaire de la main gauche occasionnée à leur fils lors d’un accouchement par césarienne.
Plus généralement, l’ensemble des circonstances de l’espèce doivent être prises en compte, notamment l’état de santé du patient, le cas échéant son comportement prévisible au regard de cet état, la réactivité des services, les moyens de l’établissement, etc.
Exemple :
– CE, 29 septembre 2021, requête numéro 432627, CPAM de Roubaix-Tourcoing : pour établir l’existence d’une faute dans l’organisation du service hospitalier au titre du défaut de surveillance d’un patient atteint d’une pathologie psychiatrique, le juge doit notamment tenir compte, lorsque l’état de santé de ce patient fait courir le risque qu’il commette un acte agressif à son égard ou à l’égard d’autrui, non seulement de la pathologie en cause et du caractère effectivement prévisible d’un tel passage à l’acte, mais également du régime d’hospitalisation, libre ou sous contrainte, ainsi que des mesures que devait prendre le service, compte tenu de ses caractéristiques et des moyens dont il disposait.
2° Activités de police
1610.- Exigence généralisée de la faute lourde.- L’arrêt Tomaso Grecco (préc.) avait marqué l’abandon du principe de l’irresponsabilité de l’Etat en matière de police. Par la suite l’arrêt Clef du 13 mars 1925 (Rec., p. 266 ; RDP 1925, p.274, concl. Rivet) a précisé que c’est la preuve d’une faute lourde qui est exigée lorsque sont en cause des activités de police. Comme l’exposait le commissaire du gouvernement Rivet dans ses conclusions sur cet arrêt il s’agissait d’éviter « d’énerver (les services de police) par des menaces permanentes de complications contentieuses ».
1611.- Distinction entre activités juridiques et activités de terrain.- La jurisprudence a ensuite opéré une distinction entre deux catégories d’activités de police, en raison de leur degré différencié de complexité : les activités de terrain, pour lesquelles la faute lourde est en principe exigée, et les activités juridiques qui relèvent en principe de la faute simple.
Exemple :
– CE, 5 avril 1991, requête numéro 76309, Société européenne de location et de service (Dr. adm. 1991, comm. 237 ; JCP G 1991, IV, p. 177) : le Conseil d’Etat précise que seule une faute lourde de l’Etat peut engager sa responsabilité pour le retard dans l’identification du propriétaire d’un véhicule volé. En revanche, une faute simple suffit pour ce qui concerne les dommages subis par le véhicule laissé en fourrière en plein air et sans protection pendant plusieurs mois.
1612.- Restriction du domaine de la faute lourde.- Depuis quelques années, cependant, la jurisprudence a tendu à restreindre le domaine de la faute lourde. Ainsi, dans différents cas, l’exigence d’une faute qualifiée a été abandonnée alors que les activités en cause sont pourtant d’ordre matériel et, en outre, sont très difficiles à mettre en œuvre.
Le premier arrêt ne concerne pas les activités de police, mais un domaine proche de celles-ci, compte tenu des difficultés pratiques présentées. A l’occasion de l’arrêt de Section Theux du 20 juin 1997, le Conseil d’Etat a abandonné la faute lourde en matière de responsabilité des établissements hospitaliers en cas de dommages résultant de l’organisation et du fonctionnement de leurs services d’aide médicale urgente (requête numéro 139495 : Rec., p. 254, concl. Stahl ; RFDA 1998, p. 82, concl. Stahl ; Dr. adm. 1997, comm. 358, obs. Esper ; D. 1999, somm. comm. p. 46, obs. Bon et de Béchillon).
Cet arrêt est le premier d’une série de trois décisions qui ont généralisé l’abandon de la faute lourde pour l’ensemble des activités de secours et de sauvetage mises en œuvre par l’administration.
Dans un arrêt de Section Améon du 13 mars 1998, le Conseil d’Etat a ainsi abandonné l’exigence de la faute lourde pour la réparation des dommages résultant des activités de sauvetage en mer de personnes en détresse (requête numéro 89370 : Rec., p. 82 ; AJDA 1998, p. 418, chron. Raynaud et Fombeur ; JCP G 1998, IV, comm. 2935 ; JCP G 1998, I, comm. 181, chron. Petit ; CJEG 1998, p. 197, concl. Touvet ; D. 1998, p. 535, note Lebreton ; D. 2000, somm. comm. p. 246, obs. Bon et de Béchillon).
A l’occasion de l’arrêt Commune de Hannappes du 29 avril 1998, le Conseil d’Etat revient sur l’exigence de la faute lourde pour la mise en cause des services de lutte contre l’incendie (requête numéro 164012 : Rec., p. 185 ; D. 1998, p. 535, note Lebreton ; D. 2000, somm. comm. p. 247, obs. Bon et de Béchillon ; JCP 1999, comm. 10109, note Genovese ; LPA 1999, n°49, note Pieraccini ; RDP 1998, p. 1001, note Prétot ; Droit adm. 1998, comm. 219 ; RFDA 1998, p. 658). Le même mouvement de recul de la faute lourde s’observe plus généralement concernant les activités de police, y compris en matière de règlementation, dans le domaine de la police du bruit où elle était habituellement exigée, comme cela ressort de l’arrêt du Conseil d’Etat du 28 novembre 2003, Commune de Moissy-Cramayel (requête numéro 238349 : JCP A 2004, comm. 1053, note Moreau ; AJDA 2004, p. 989, note Deffigier ; Dr. adm. 2004, comm. 36 ; RFDA 2004, p. 205).
De nombreuses autres illustrations peuvent être mentionnées : en matière de responsabilité de fait de la police des édifices menaçant ruine (CE, 27 septembre 2006, requête numéro 284022, Commune de Baalon : Rec. tables, p. 986 ; BJCL 2006, p. 838, concl. Olson ; JCP A 2006, comm. 1305, note Pellissier), pour l’édiction des décisions d’hospitalisation d’office des malades mentaux (CE, 14 avril 1999, requête numéro 194462, Société assurances générales de France : Rec. tables, p. 1007), pour l’exercice des pouvoirs de police phytosanitaire (CE, 7 août 2008, requête numéro 278624, Ministre de l’Agriculture c. Société Durance Crau : JCP A 2012, act. 756), pour la responsabilité à raison des activités du service de contrôle de la navigation aérienne (CE, 2 avril 2010, requête numéro 310562, Ministre d’Etat, ministre de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire : Rev. Dr. Transports 2010, comm. 175, note Dhers), ou encore pour les perquisitions administratives accomplies dans le cadre de l’état d’urgence (CE Ass., 6 juillet 2016, Napol et a., avis numéro 398234 et Thomas et a., avis numéro 399135, préc.).
Plus récemment, le Conseil d’Etat a confirmé l’abandon de la faute lourde en cas de carence à édicter une règlementation appropriée, les difficultés de l’activité de police administrative n’exonérant pas les services compétents de leur obligation de prendre des mesures appropriées. Le Conseil d’Etat a toutefois voulu préciser que les autorités de police ne sont pas tenues à une obligation de résultat dans ce domaine. Il est seulement exigé – au cas d’espèce – que les usagers puissent bénéficier d’un niveau raisonnable de sécurité et de salubrité (CE, 9 novembre 2018, requête numéro 411626, requête numéro 411632, Préfet de police et a. : JCP A 2019, comm. 2220, note Pauliat).
Quoi qu’il en soit, il apparaît donc que l’ancienne distinction entre les activités matérielles et les activités juridiques n’a plus de valeur explicative globale. Un avis de la section des travaux publics du 29 juillet 2008 (avis numéro 381725 : EDCE 2009, p. 320 ; Dr. adm. 2009, comm. 120, note Melleray ; Environnement 2009, comm. 138, étude Billet) paraît même indiquer que la faute lourde a été définitivement abandonnée en matière d’activités de police. Dans cet avis, le Conseil d’Etat précise en effet que « la responsabilité des personnes investies d’un pouvoir de police peut être recherchée devant le juge administratif pour faute simple résultant soit de l’illégalité de décisions ou d’agissements contraires aux objectifs de protection de l’ours soit, à l’inverse, d’une carence à prendre les mesures nécessaires ou à faire appliquer les mesures prises, qu’il s’agisse de la protection de l’animal ou de la prévention des risques qu’il cause ».
1613.–Un abandon qui n’est pas généralisé.- Le Conseil d’Etat n’a toutefois pas encore rendu de grand arrêt de principe qui confirmerait à coup sûr l’abandon total de la faute lourde en matière d’activités de police.
L’arrêt du Conseil d’Etat du 30 décembre 2016, sociétés Logidis comptoirs modernes (requête numéro 389835 : AJDA 2017, p. 524, chron. Dutheillet de Lamothe et Odinet ; Dr. adm. 2017, comm. 15, note Diemer ; JCP A 2017, comm. 2087, note Halpern) tendrait même à démontrer que la faute lourde pourrait se maintenir dans certaines hypothèses. Tel est le cas, dans cette affaire, où les juges ont validé le raisonnement des juges du fond qui avaient estimé que l’absence d’intervention des forces de l’ordre lors d’un blocage de la plateforme d’approvisionnement de magasins de grande distribution ne constituait pas une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l’Etat.
Doit aussi être mentionné l’arrêt du Conseil d’Etat du 18 juillet 2018, Chennouf (requête numéro 411156 : Rec. tables, p. 900 ; AJDA 2018, p. 1915, concl. Marion ; Dr. adm. 2018, comm. 56, note Minet-Leleu ; JCP G 2018, comm. 989, note Duprau; JCP A 2018, act. 646, obs. Friedrich) qui retient, dans la tristement célèbre affaire Merah, que « seule une faute lourde est de nature à engager la responsabilité de l’Etat à l’égard des victimes d’acte de terrorisme à raison des carences des services de renseignement dans la surveillance d’un individu ou d’un groupe d’individus. ». Mais il s’agit ici d’activités proches des activités de contrôle et de tutelle qui, comme on le verra, continuent en principe de relever de la faute lourde.
La même analogie se retrouve en matière de police sanitaire relative aux dispositifs médicaux, comme on peut le voir dans une affaire qui se rattache au scandale des prothèses mammaires « PIP ». Le Conseil d’Etat a récemment jugé dans ce domaine que « la responsabilité de l’Etat peut être engagée par toute faute commise dans l’exercice de (ses) attributions, pour autant qu’il en soit résulté un préjudice direct et certain » (CE, 16 novembre 2020, requête numéro 431159, Karatepe : JCP G 2021, comm. 98, note Brimo ; JCP A 2020, act. 685, obs. Erstein ; Resp. civ. et assur. 2021, alerte 1, focus Bloch ; Dr. adm. 2021, comm. 9, note Lantero). Ainsi, une faute simple suffit pour condamner l’Etat « eu égard à la nature des pouvoirs conférés » à l’agence qui agissait en son nom et « aux buts en vue desquels ces pouvoirs lui ont été attribués». On retrouve ici encore un raisonnement proche de celui suivi par le Conseil d’Etat en matière d’activités de contrôle et de tutelle lorsque sont en cause des scandales sanitaires. Dans ces hypothèses, on le verra, la faute simple suffit également à faire condamner l’Etat, « eu égard tant à l’étendue des pouvoirs » qui lui sont conférés par les textes ainsi « qu’aux buts en vue desquels ces pouvoirs leur ont été attribués » (V. notamment concernant l’affaire du sang contaminé, CE Ass., 9 avril 1993, requête numéro 138652, requête numéro 138653, requête numéro 138663, M. D. M.G. et Epoux B., préc.).
3° Activités des établissements pénitentiaires
1614.- Exigence de la faute lourde.- La difficulté de la mission de surveillance des détenus dans les établissements pénitentiaires a longtemps justifié l’exigence d’une faute manifeste et de particulière gravité (CE, 4 janvier 1918, deux arrêts, Zulémaro et Duchesne : Rec., p. 9) puis d’une faute lourde (CE Sect., 3 octobre 1958, Rakotoarivony : Rec., p. 470 ; JCP 1958, II, comm. 10845).
Exemple :
– CAA Bordeaux, 29 mai 1995, requête numéro 94BX00794, Ministre de la justice c. Brioux : un fonctionnaire de police incarcéré dans un établissement pénitentiaire est victime d’une agression commise par d’autres détenus. Cependant, s’il a été placé en cellule au même étage que d’autres détenus condamnés à de lourdes peines et s’est ainsi trouvé en contact avec eux pendant les promenades, aucun incident ne s’est produit entre la date de son incarcération et celle de l’agression. En outre, le requérant n’a informé l’administration pénitentiaire ni de menaces proférées à son encontre, ni de l’existence d’un risque d’agression. Enfin, les conditions dans lesquelles le personnel pénitentiaire a mis fin à l’agression dont il a été victime ne révèlent aucun défaut de surveillance ou retard dans l’intervention. Il en résulte que dans les circonstances de l’espèce, l’administration n’a commis aucune faute lourde susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat.
1615.- Abandon de la faute lourde.- La faute lourde a été abandonnée par le Conseil d’Etat à l’occasion de l’arrêt Chabba du 23 mai 2003 (requête numéro 244663 : AJDA 2004, p. 157, note Albert ; Dr. adm. 2003, comm. 207, note Lombard ; JCP A 2003, comm. 1718, note Broyelle et comm. 1751, note Moreau ; RFDA 2003, p. 850. – V. également CAA Nancy, 17 mars 2005, requête numéro 00NC00415, Tahar Sidhoum : LPA 23 mai 2006, n° 102, note Combeau).
En l’espèce, les juges ont estimé que le suicide d’un détenu devait être regardé « comme la conséquence directe d’une succession de fautes imputables au service pénitentiaire ». Par ailleurs, une faute simple unique est également susceptible d’engager la responsabilité de l’administration. Dans ce sens on peut citer un arrêt garde des Sceaux, Ministre de la justice c/ Boussouar du 31 mars 2008 (requête numéro 291342) dans lequel le Conseil d’Etat a rappelé que « la responsabilité de l’Etat du fait des services pénitentiaires en cas de dommage résultant du suicide d’un détenu peut être recherchée en cas de faute … dès lors, le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en ne recherchant pas si l’administration avait commis une faute lourde ou une succession de fautes de nature à engager sa responsabilité, ne saurait être accueilli ».
4° Activités des services fiscaux
1616.- De l’irresponsabilité à l’exigence de la faute lourde.- A l’origine l’Etat était irresponsable dans ce domaine. A partir du début du XX° siècle, c’est une faute d’une gravité exceptionnelle (CE, 1er juillet 1927, Demoreuil : D. 1928, III, p.21, note Trotabas ; S. 1927, III, p.105, note Hauriou) puis une faute manifeste et de particulière gravité (CE, 30 octobre 1954, Murat : Rec. p.566) dont la preuve a été exigée. Par la suite, à partir de l’arrêt de Section du 21 décembre 1962, Husson-Chiffre le Conseil d’Etat a exigé la preuve d’une faute lourde (Rec. p.701 ; AJDA 1963, p.90, chron. Gentot et Fourré ; D. 1963, p.558, note Lemasurier).
1617.- Partage entre la faute lourde et la faute simple.- Comme en matière hospitalière, la preuve d’une faute lourde était très difficile à établir, ce qui a conduit le Conseil d’Etat à opérer une distinction entre deux types d’activités des services fiscaux, à l’occasion de l’arrêt de Section Bourgeois du 27 juillet 1990 (requête numéro 44676 : Rec., p. 242 ; AJDA 1991, p. 346, note Debbasch ; D. 1991, somm. comm., p. 287, obs. Bon et Terneyre ; RFDA 1990, p. 899, note Chahid-Nouraï).
Dans cette affaire, les juges estiment que les erreurs constatées dans la saisie et le traitement informatisé de déclarations et dans l’exécution automatique de prélèvements mensuels ont été commises lors de l’exécution d’opérations « qui, si elles se rattachent aux procédures d’établissement et de recouvrement de l’impôt, ne comportent pas de difficultés particulières tenant à l’appréciation de la situation des contribuables ». Ces opérations « engagent, lorsqu’elles sont constitutives d’une faute, la responsabilité de l’Etat sur le terrain de la faute simple ».
En revanche, dès lors qu’une opération d’assiette ou de recouvrement de l’impôt présente des difficultés particulières, c’est une faute lourde qu’il fallait établir (V. par exemple CE, 13 mai 1991, requête numéro 79933, Commune de Garges-lès-Gonesse: AJDA 1991, p. 750, note Julien-Laferrière ; Dr. fisc. 1992, comm. 158, concl. Chahid-Nouraï ; D. 1992, somm. comm., p. 146, obs. Bon et Terneyre).
Cette solution a été maintenue par le Conseil d’Etat, dans son arrêt de Section du 29 décembre 1997, Commune d’Arcueil (requête numéro 151472 : Rec., p. 512 ; AJDA 1998, p. 112, chron. Girardot et Raynaud ; RFDA 1998, p. 97, concl. Goulard ; RJF 2/1998, 189, concl. Goulard, p. 81), à l’époque où la faute lourde commençait à être abandonnée dans d’autres domaines.
1618.- Abandon de la faute lourde.- L’exigence de la faute lourde a finalement été abandonnée à l’occasion d’un arrêt de Section Krupa du 21 mars 2011 (requête numéro 306225 : AJDA 2011, p 1278, note Barque ; JCPA 2011, comm. 2185, note Erstein ; RJEP 2011, comm. 30, note Collet ; RJF 2001, comm. 742 ; BDCF 2011, 76, concl. Legras ; RFDA 2011, p. 340, concl. Legras) dont il ressort qu’une « faute commise par l’administration lors de l’exécution d’opérations se rattachant aux procédures d’établissement et de recouvrement de l’impôt est de nature à engager la responsabilité de l’Etat à l’égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice ».
Cette solution a été rapidement étendue au bénéfice des collectivités territoriales (CE, 16 novembre 2011, requête numéro 344621, Commune de Cherbourg-Octeville : Dr. fisc. 2011, n°47, act. 355.- CE, 31 décembre 2011, requête numéro 313100, SA Aprochim : Dr. fisc. 2012, n° 1, act. 31.- CE, 24 avril 2012, requête numéro 337802, Commune de Valdoie.- CE, 4 octobre 2013, requête numéro 365066, Castelnau).
L’abandon de la faute lourde concerne également les opérations de recouvrement de créances non fiscales (CE, 10 février 2014, requête numéro 360677 : AJDA 2014, p. 381 ; JCP A 2014, act. 180, obs. Tesson). Dans ce cas, le préjudice « ne saurait résulter du seul paiement de la créance » mais il « peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l’administration et, le cas échéant, des troubles dans les conditions d’existence dont le débiteur justifie ».
B – Exigence maintenue de la faute lourde
1619.- Absence d’explication globale du maintien de la faute lourde.- Le maintien de l’exigence de la faute lourde dans certains domaines peut trouver plusieurs explications.
Traditionnellement, l’exigence de la faute lourde se justifiait par le fait que les activités en cause présentaient un degré élevé de difficulté. Toutefois, comme on l’a vu, cette explication est insuffisante, puisque le Conseil d’Etat a abandonné l’exigence de la faute lourde pour toute une série d’activités pourtant réputées difficiles, notamment les activités de secours.
Elle pouvait également se justifier par le fait qu’elle s’appliquait principalement à des services régaliens. Mais une fois encore, l’argument n’est pas entièrement convaincant, puisque certaines activités de services publics appartenant par essence à l’Etat – notamment les activités des services fiscaux et des établissements pénitentiaires – ne relèvent plus du régime de la faute lourde
Une autre explication, plus convaincante a priori, résulte de l’observation que dans la plupart des cas la faute lourde est exigée pour la mise en cause d’activités juridiques de l’administration lorsqu’il s’agit de sanctionner des illégalités commises par elle. En effet, à partir du moment où l’on doit considérer que toute illégalité est fautive, ce qui est logique, ne pas exiger la preuve d’une faute lourde aboutirait à une condamnation systématique de l’administration en cas de dommage (CE Sect., 26 janvier 1973, requête numéro 84768, Driancourt : Rec. p. 77 ; AJDA 1973, p. 245, chron. Cabanes et Léger ; Gaz. Pal. 1073, II, p. 859, note Rougeaux ; Rev. Adm. 1974, p. 29, note Moderne). Toutefois, on l’a vu, de nombreuses activités juridiques de l’administration relèvent aujourd’hui du régime de la faute simple.
1620.- Domaines concernés.- Si aucun de ces arguments n’est entièrement satisfaisant, on peut observer un maintien de la faute lourde dans deux domaines : les activités du service public de la justice et les activités de contrôle et de tutelle.
1° Activités du service public de la justice
1621.- Distinction entre trois hypothèses.- Les règles applicables au service public de la justice présentent une certaine originalité, du point de vue de la détermination du juge compétent, mais également du point de vue des règles de fond applicables. Une distinction doit être opérée entre la justice judiciaire et la justice administrative. Cependant, il convient de relativiser cette distinction lorsque les dysfonctionnements relevés concernent à la fois les juridictions administratives et les juridictions judiciaires.
a- Justice judiciaire
1622.- Compétence du juge judiciaire en cas de mauvaise exécution du service public.- A l’occasion de l’arrêt Préfet de Guyane du 27 novembre 1952 (requête numéro 01420, préc.), le Tribunal des conflits a précisé que les litiges relatifs à l’exercice de la fonction juridictionnelle des tribunaux judiciaires – c’est-à-dire tout ce qui concerne la mise en cause de la décision de justice elle-même ainsi que des actes qui la préparent et ceux qui visent à assurer leur exécution – relèvent de la compétence du juge judiciaire.
1623.- Responsabilité reconnue par les textes.- Longtemps, la responsabilité du fait de la justice judicaire n’était admise que dans les cas où elle était expressément prévue par des textes.
Exemples :
– L’article 626-1 du Code de procédure pénale prévoit que suite à une procédure de révision « un condamné reconnu innocent (…) a droit à réparation intégrale du préjudice matériel et moral que lui a causé la condamnation ».
– Selon l’article 149 du Code de procédure pénale la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
1624.- Application ponctuelle des principes de la jurisprudence administrative par le juge judiciaire.- La Cour de cassation a ensuite admis la responsabilité sans faute de l’Etat au titre du fonctionnement du service public de la justice (Cass. Civ. II, 23 novembre 1956, Trésor public c. Docteur Giry : Bull. civ. II, 407 ; D. 1957, p. 34, concl. Lemoine ; AJDA 1957, II, p. 91, chron. Fournier et Braibant ; JCP G 1956, II, comm. 9681, note Esmein ; RDP 1958, p. 298, note Waline.- notons au passage qu’il s’agit de l’une des rares hypothèses où le juge judiciaire fait application des règles de responsabilité administrative, V. par ailleurs Cass. civ. I, 6 février 2007, pourvoi numéro 06-10.403, Panafieu c. O. et a. : AJDA 2008, p. 530, note Van Lang ; JCP A 2007, comm. 2131, chron. Renard-Payen ; JCPA 2007, comm. 2272, note Massip ; Dr. famille 2007, comm. 53, note Larribau-Terneyre). Cette solution était toutefois réservée aux seuls collaborateurs occasionnels du service public.
1625.- Exigence de la faute lourde par la loi du 5 juillet 1972.- La loi du 5 juillet 1972, codifiée à l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire est alors intervenue pour préciser que « l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ». Cependant, le même texte prévoit qu’il n’y a lieu de réparer les dommages subis par la victime « sauf dispositions particulières » qu’en cas de « faute lourde ou de déni de justice ».
1626.- Contournement de cette exigence.- Pour autant, la Cour de cassation a maintenu la jurisprudence Giry qui continue à s’appliquer lorsque la victime est un collaborateur occasionnel de l’activité des services de police judiciaire.
Exemple :
– Cass. civ. I, pourvoi numéro 91-20.266, 30 janvier 1996 (Bull. civ. I, n°94 ; D. 1997, p. 83) : un mandataire liquidateur, auxiliaire de justice, est un collaborateur occasionnel du service public de la justice. Pour obtenir réparation du préjudice que lui aurait causé le service public de la justice en refusant systématiquement de lui confier un mandat judiciaire, il n’est pas tenu de rapporter la preuve de l’existence d’une faute de service.
La responsabilité sans faute de l’administration peut également être recherchée lorsque la victime est un tiers qui a été blessé lors d’une opération de police judiciaire (comme on le verra il s’agit d’une autre hypothèse de responsabilité sans faute). En effet, il résulte de la jurisprudence que le « service public de la justice » mentionné par la loi n’inclut pas cette activité.
Exemple :
– Cass. civ. I, 10 juin 1986, pourvoi numéro 84-15740, Consorts Pourcel (Bull. civ. I, n° 160 ; JCP G 1986, II, 20683, rapp. Sargos) : bénéficie d’un régime de responsabilité sans faute le tiers blessé par une arme à feu lors d’une opération de police judiciaire.
Enfin, dans les cas où la victime est un usager du service public de la justice, et que le régime de la faute lourde est donc applicable, les juges ont tendance à l’apprécier de façon assez souple, à tel point qu’elle pourrait presque être assimilée à une faute simple. Cette démarche est notamment très visible dans l’arrêt d’Assemblée plénière du 23 février 2001, Consorts Bolle-Laroche dans lequel il est précisé que « toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission qui lui est investie » est constitutive d’une faute lourde (Cass. Ass. plén., 23 février 2001, pourvoi numéro 99-16.165 : Bull. inf. C. cass. 1er avril 2001, p. 9, concl. de Gouttes et rapp. Collomp ; Bull. civ, Ass. plén. n° 5 ; Resp. civ. et assur. 2001, comm. 10, note Vaillier ; D. 2001, p. 1752, note Debbasch).
Toutefois, il arrive également que les manquements reprochés à l’administration ne soient pas constitutifs d’une faute lourde.
Exemple :
– Cass. civ. I, 18 janvier 2023, pourvoi numéro 21-20.029 (Dr. adm. 2023, alerte 28, obs. Roux) : la cour d’appel a retenu, au vu des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, d’une part, que rien ne permettait d’identifier une fragilité particulière de l’individu gardé à vue et de supposer un passage à l’acte en dépit d’un incident lié au retrait du cordon de son pantalon de survêtement, d’autre part, que les services de police avaient pris des précautions adaptées aux éléments portés à leur connaissance pour prévenir tout geste suicidaire en procédant au retrait du cordon et en regardant régulièrement les images de la vidéo-surveillance, même si celle-ci permettait seulement de visualiser, avec une image floue, les déplacements en cellule, enfin, que, si les murs de la cellule présentaient des trous, le mode opératoire choisi était difficilement prévisible, alors que la fabrication du dispositif de pendaison et l’exécution du geste fatal étaient intervenus dans un court laps de temps. La cour d’appel a pu en déduire qu’une faute lourde n’était pas caractérisée, justifiant ainsi légalement sa décision.
b- Justice administrative
1627.- Le principe d’une responsabilité pour faute lourde.- Dans l’arrêt d’Assemblée Darmont du 29 décembre 1978, le Conseil d’Etat a jugé qu’il y a lieu d’appliquer, pour réparer les dommages occasionnés par la justice administrative, non pas les dispositions de l’article L. 781-1 du Code de l’organisation judiciaire, mais les « principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique » (requête numéro 96004 : Rec. p. 542 ; AJDA 1979, n° 11, p. 45, note Lombard ; D. 1979, jurispr. p. 279, note Vasseur ; RDP 1979, p. 1742, note Auby.- V. récemment CE, 16 avril 2019, requête numéro 423643, Société Fauba France). Plus précisément, seule une faute lourde commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d’ouvrir droit à indemnité. Cette action en responsabilité relève du tribunal administratif, quand bien même la personne sanctionnée serait un fonctionnaire nommé par décret du Président de la République (CE, 29 septembre 2017, requête numéro 401679.- V. aussi CE, 21 septembre 2016, requête numéro 394360, SNC Lactalis ingrédients).
1628.- Une responsabilité pour faute simple en cas de violation du principe de délai raisonnable de jugement.- Par exception, cependant, la preuve d’une faute simple suffit dès lors qu’est en cause la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement, tel que ce droit est reconnu par les articles 6§1 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et par « les principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives » (CE Ass., 28 juin 2002, requête numéro 239575, Ministre de la Justice c. Magiera, préc..-V. dans le même sens, CE, 22 janvier 2007, requête numéro 286292, Forzy : AJDA 2007, p. 1036, concl. Keller ; JCP A 2007, act. 114 ; Dr. adm. 2007, comm. 63.- CE, 7 mars 2008, requête numéro 301622, Viallet). Cette solution s’applique y compris dans les cas où l’affaire est encore pendante (CE, 25 janvier 2006, requête numéro 284013, SARL Potchou et a. : AJDA 2006, p. 589, chron. Landais et Lenica ; Dr. fisc. 2006, comm. 494 ; JCPA 2006, comm. 1110, note Guettier ; RFDA 2006, p. 299, note Struillou.- CE, 28 mars 2018, requête numéro 389911). Dans cette hypothèse, la durée excessive de la procédure est présumée occasionner par elle-même un préjudice moral dépassant les préoccupations habituellement causées par un procès, sauf circonstances particulières en démontrant l’absence (CE, 19 octobre 2007, requête numéro 296529, Blin : AJDA 2008, p. 597, note Albert).
L’appréciation de la notion de « délai raisonnable » prend en compte trois critères directement inspirés de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 25 juin 2000, affaire numéro 30979/96, Frydlender c. France) : complexité de l’affaire ; conditions de déroulement de la procédure ; intérêt qu’il peut y avoir pour l’une ou l’autre des parties à ce que le litige soit tranché rapidement.
La grande plasticité de ces critères conduit nécessairement à une jurisprudence particulièrement casuistique.
Exemples :
– CE Sect., 17 juillet 2009, requête numéro 295653, Ville de Brest (Rec., p. 286 ; AJDA 2009, p.1605, chron. Liéber et Botteghi ; Dr. adm. 2009, comm. 121, note Melleray ; RDP 2010, p. 1135, note Braud) : l’Etat est responsable vis-à-vis d’une commune pour la durée excessive d’une procédure qui l’a opposée à des entreprises liées à elle par un marché de travaux. La procédure a duré onze ans et sept mois, dont trois sont considérés comme ayant dépassé le délai raisonnable.
– CE, 13 février 2012, requête numéro 346549, Barellon (AJDA 2012, p. 357) : eu égard à l’absence de difficultés particulières propres à l’affaire et à l’intérêt qui s’attachait à ce que la demande de sursis à exécution de la décision de la section disciplinaire du conseil d’administration de l’université prononçant son exclusion de tout établissement public d’enseignement supérieur pour une durée de deux ans dont un an avec sursis fût examinée rapidement, le délai de onze mois qui s’est écoulé entre la date à laquelle le requérant l’a présentée devant le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche et celle où elle est devenue sans objet du fait de la décision rendue au fond le relaxant au bénéfice du doute est excessif.
1629..- Limite à la responsabilité de l’Etat.- Il faut enfin insister sur le fait que l’autorité qui s’attache à la chose jugée s’oppose, en principe, à la mise en jeu de la responsabilité de l’Etat, dans le cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive (CE Ass., 28 décembre 1978, requête numéro 96004, Darmont, préc.).
Une brèche a toutefois été ouverte dans ce principe par l’arrêt Gestas du 18 juin 2008 (requête numéro 295831 : Rec., p. 230 ; RFDA 2008, p. 755, concl. de Salins et p. 1178, note Pouyaud ; Dr. adm. 2008, comm. 120, note Gautier ; JCPA 2008, comm. 2187, note Moreau). Dans cet arrêt, en effet, le Conseil d’Etat a admis que la responsabilité de l’Etat peut être engagée en cas de faute lourde, lorsque celle-ci résulte du contenu même de la décision juridictionnelle qui est entachée d’une violation manifeste du droit de l’Union européenne ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Mais il s’agit ici d’une conséquence logique de la jurisprudence de la Cour de justice dont il résulte que le « principe de la responsabilité de l’Etat inhérent à l’ordre juridique communautaire exige … une réparation » lorsqu’une violation du droit de l’Union européenne lui est imputable, y compris lorsqu’elle découle du contenu d’une décision d’une juridiction statuant en dernier ressort (CJCE, 30 septembre 2003, affaire numéro C-244/01, Kobler c/ Autriche : AJDA 2003, p. 2146, note Belorgey, Gervasoni et Lambert et p. 423, note Courtial ; RJF 2004, p. 12, note Lhernould, Mavridis et Michéa).
Cette solution a été précisée par l’avis du Conseil d’Etat du 9 octobre 2020, Société Lactalis Ingrédients (requête numéro 414423 : AJDA 2020, p. 2579, note Jacquemet-Gauché ; JCP A 2021, comm. 2024, note Wernert ; Procédures 2020, comm. 239, note Chifflot). Il en résulte qu’il « appartient au juge administratif de tenir compte de tous les éléments caractérisant la situation qui lui est soumise, notamment du degré de clarté et de précision de la règle de droit de l’Union en question, de l’étendue de la marge d’appréciation que cette règle laisse aux autorités nationales, du caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis ou du préjudice causé, du caractère excusable ou inexcusable de l’éventuelle erreur de droit, de la position prise, le cas échéant, par une institution de l’Union européenne et ayant pu contribuer à l’adoption ou au maintien de mesures ou de pratiques nationales contraires au droit de l’Union ainsi que de la méconnaissance, par la juridiction en cause, de son obligation de renvoi préjudiciel ». En l’espèce, les juges estiment qu’une violation du droit de l’Union est suffisamment caractérisée lorsque la décision juridictionnelle concernée est intervenue « en méconnaissance manifeste d’une jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l’Union européenne en la matière ».
Il a été par la suite précisé par le Conseil d’Etat, dans un arrêt Société Kermadec du 1er avril 2022 (requête numéro 443882 : AJDA 2022, p. 161, note Prévost-Gella ; Dr. adm. 2022, comm. 37, note Etame Sone ; Dr. fisc. 2022, n°22, act. 207, note Rutschmann et Vallerie ; Dr. fisc. 2023, comm. 117, note Maitrot de la Motte ; Europe 2022, repère 7, note Simon ; JCP A 2022, comm. 2208, note Ducharme ; JCP G 2022, act. 457, obs. Erstein ; Procédures 2022, comm. 190, note Chifflot) que l’obligation faite à une juridiction nationale statuant en dernier ressort de soumettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne conformément au troisième alinéa de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement du droit de l’Union européenne, ne crée pas de droit au renvoi préjudiciel pour les particuliers, ce qui a pour effet d’écarter l’application de la jurisprudence Gestas. Mais si cette obligation ne constitue donc pas une cause autonome d’engagement de la responsabilité de l’Etat, elle constitue l’un des éléments que le juge doit prendre en considération pour statuer sur une demande en réparation fondée sur la méconnaissance manifeste du droit de l’Union européenne par une décision juridictionnelle.
L’arrêt Société Kermadec présente un autre apport, le Conseil d’Etat précisant que la circonstance qu’il lui incombe d’apprécier lui-même une telle méconnaissance n’est pas contraire au principe d’impartialité dès lors que la formation de jugement saisie est différemment composée de celle qui a rendu la décision querellée.
c- Mise en cause conjointes des juridictions administrative et judiciaire
1630.- Délai déraisonnable de jugement imputable au dualisme juridictionnel.- La durée excessive d’une procédure peut être liée, comme dans l’affaire Magiera, à la lenteur d’un seul ordre de juridiction, mais elle peut également résulter du dualisme juridictionnel et des difficultés éprouvées par le justiciable pour trouver son juge. La première chambre civile de la Cour de cassation avait précisé, dans son arrêt Vallar c. agent judiciaire du Trésor du 22 mars 2005 (pourvoi numéro 03-10355 : Gaz. Pal. 5-6 oct. 2005, p. 10, note Gonzalez) que dans un tel cas, le justiciable devait saisir les juridictions compétentes de chaque ordre pour apprécier la part respective de responsabilité qui leur est imputable dans ce dysfonctionnement.
1631.- Juridiction compétente.- Cette solution présentait le mérite d’être conforme aux principes de répartition des compétences et, plus précisément, de respecter l’indépendance à la fois du juge judiciaire et du juge administratif. Toutefois, elle présentait de sérieux inconvénients d’un point de vue pratique. D’une part, en effet, elle contraignait le justiciable à actionner l’Etat devant deux juridictions différentes. D’autre part, ce n’était pas la lenteur de la procédure devant chaque ordre de juridiction qui était en cause, mais bien le fait qu’il y ait eu une difficulté de procédure qui a conduit le justiciable à saisir successivement les deux ordres de juridiction. En d’autres termes, ce n’est pas la juridiction administrative ou la juridiction judiciaire qui étaient directement en cause, mais l’organisation juridictionnelle dans son ensemble et sa clé de voûte que constitue le dualisme juridictionnel.
Le refus de la Cour de cassation de tenir compte de la durée de la procédure devant les juridictions administratives a été désavoué par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 4 octobre 2007, affaire numéro 27314/02, Vallar c. France). Celle-ci a en effet considéré que cette solution revenait à allonger encore la durée de la procédure, ce qui est donc contraire à l’article 6§I de la Convention européenne des droits de l’homme.
Saisie d’une affaire similaire à celle qui avait donné lieu à ce contentieux, le Conseil d’Etat a préféré recourir à la procédure de l’article 35 du décret du 26 octobre 1849 pour saisir le Tribunal des conflits de ce qu’il considérait être une « difficulté sérieuse » (CE, 5 décembre 2007, requête numéro 297215, Bernardet : AJDA 2008, p. 535, concl. Keller ; RLDC 2008/51, p. 57, obs. Miniato ; RLCT 2008/34, p. 65, note Rouault).
Le Tribunal des conflits, faisant exception aux règles de droit commun de répartition des compétences, a décidé que « lorsque la durée totale de procédure qu’un justiciable estime excessive résulte d’instances introduites successivement devant les deux ordres de juridiction en raison des difficultés de détermination de la juridiction compétente, que le Tribunal des conflits ait été amené à statuer ou non, l’action en réparation du préjudice allégué doit être portée devant l’ordre de juridiction compétent pour connaître du fond du litige, objet desdites instances » (TC, 30 juin 2008, requête numéro 3682, Bernardet, préc.). Dans ce cas, « la juridiction saisie de la demande d’indemnisation, conformément aux règles de compétence et de procédure propres à l’ordre de juridiction auquel elle appartient, est compétente pour porter une appréciation globale sur la durée de la procédure devant les deux ordres de juridiction et, le cas échéant, devant le Tribunal des conflits ».
Les règles ont encore évolué suite à la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relatif au Tribunal des conflits. L’article 13 de cette loi insère dans la loi du 24 mai 1872 un nouvel article 16 conférant un nouveau chef de compétence au Tribunal des conflits en tant que juge du fond : « il est seul compétent pour connaître d’une action en indemnisation du préjudice découlant d’une durée totale excessive des procédures afférentes à un même litige et conduites entre les mêmes parties devant les juridictions des deux ordres en raison des règles de compétence applicables et, le cas échéant, devant lui ». Cette solution, qui n’enlève rien au pragmatisme des nouvelles règles issues de la jurisprudence, est plus satisfaisante du point de vue des principes, puisqu’elle confie à une juridiction paritaire, et non plus à une juridiction judiciaire ou administrative, la compétence pour réparer les dommages directement imputables au système juridictionnel français dans son ensemble.
Exemple :
– TC, 8 juin 2020, requête numéro C4185, Commue de Saint-Esprit (JCP A 2020, act. 356, obs. Estein ; JCP A 2020, comm. 2220, note Yolka) : le 24 juin 2015, le requérant a demandé au magistrat chargé de suivre la mise en oeuvre et la mise à jour des traitements automatisés de données à caractère personnel mentionnés à l’article 230-6 du Code de procédure pénale de procéder à l’effacement d’une mention de sa mise en cause dans le fichier de traitement des antécédents judiciaires. La décision implicite de rejet de ce magistrat est ensuite contestée par le requérant devant la juridiction administrative le 11 mai 2016 puis, celle-ci s’étant déclarée incompétente par une ordonnance du 3 octobre 2016, devant la juridiction judiciaire, saisie le 11 octobre 2016 et s’étant elle aussi déclarée incompétente par une ordonnance du 23 octobre 2019. Saisi par le requérant, le Tribunal des conflits a, par décision du 8 juin 2020, désigné compétente pour statuer sur sa demande la juridiction judiciaire, cette dernière ayant fait droit à la demande d’effacement par une décision du 31 mars 2021. Le Tribunal des conflits juge en l’espèce que la durée totale des procédures depuis la saisine du magistrat chargé de suivre la mise en œuvre et la mise à jour des traitements automatisés de données à caractère personnel, le 24 juin 2015, jusqu’à la décision du 31 mars 2021, qui est de plus de cinq ans, doit être regardée, en l’espèce, comme excessive, eu égard aux spécificités de la procédure devant des autorités judiciaires. Par suite, la responsabilité de l’Etat est engagée.
2° Activités de contrôle et de tutelle
1632.- Principe d’une responsabilité pour faute lourde.- Pour ces activités, également, c’est en principe la faute lourde qui est exigée.
Exemples :
– CE Sect., 6 octobre 2000, requête numéro 205959, Commune de Saint-Florent (préc.) : le retard mis par le préfet, dans le cadre de son contrôle administratif des collectivités territoriales, pour prononcer la dissolution d’un syndicat intercommunal n’est susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat qu’en cas de faute lourde.
– CE Ass., 30 novembre 2001, requête numéro 219562, Ministre de l’Economie c. Kechichian (Rec., p.74, concl. Seban ; AJDA 2002, p. 133, chron. Guyomar et Collin ; CJEG 2002, p. 380, concl. Seban ; Dr. adm. 2002, comm. 58, obs. Fairgrieve ; LPA 8 novembre 2002, p. 11, note Bourrel ; JCP G 2002, II, comm. 10042, note Menuret) : eu égard à la nature des pouvoirs qui sont dévolus à la Commission bancaire, la responsabilité que peut encourir l’Etat pour les dommages causés par les insuffisances ou carences de celle-ci dans l’exercice de sa mission ne peut être engagée qu’en cas de faute lourde.
– CE Sect., 18 novembre 2005, requête numéro 271898, Société fermière de Campoloro (AJDA 2006, p. 137, chron. Landais et Lenica ; Droit adm. 2006, comm. 33, note Guettier ; JCP 2006, II, comm. 10044, note Moustier et Beatrix ; RFDA 2006, p. 341.- V. également CE, 29 octobre 2010, requête numéro 338001, Ministre de l’agriculture : AJDA 2010, p. 2077, obs. de Montecler ; JCP A 2010, act. 833) : si le préfet s’abstient ou néglige de faire usage du pouvoir de substitution à l’égard des collectivités territoriales qui refusent d’exécuter la chose jugée, le créancier de la collectivité territoriale concernée est en droit de se retourner contre l’Etat en cas de faute lourde commise dans l’exercice du pouvoir de tutelle.
– CE, 16 mars 2012, requête numéro 342490, Pinon et a. : la responsabilité de l’Etat du fait de l’insuffisance du contrôle des mutuelles relève du régime de la faute lourde.
– CE, 6 mars 2015, requête numéro 368730, requête numéro 274340, Ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt (Dr. rur. 2015, comm. 187, note Robbe) : lorsqu’une association foncière s’abstient de réaliser des travaux décidés par les commissions d’aménagement foncier dans le cadre d’une opération de remembrement, la responsabilité de l’Etat ne peut être engagée, s’agissant de l’exercice d’un pouvoir de tutelle, que si, alors que les conditions légales d’exercice de ce pouvoir en cas de carence de l’association étaient réunies, le préfet s’est abstenu de le mettre en oeuvre dans un délai raisonnable à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de son obligation d’agir, dans des conditions constitutives d’une faute lourde.
1633.- Exceptions.- Par exception, cependant, la preuve d’une faute simple suffit à engager la responsabilité de l’administration lorsqu’il apparaît que l’activité en cause ne présentait pas de difficultés particulières. Dans certaines des hypothèses visées, la gravité des fautes commises aurait pourtant certainement pu justifier la reconnaissance d’une faute lourde. Il est probable que c’est pour des raisons de pure opportunité, dans des affaires souvent médiatiques, que le Conseil d’Etat n’a pas voulu recourir à cette notion dans des cas où l’exigence d’une faute lourde, quand bien même elle aurait été reconnue, aurait mal été comprise par le grand public. Elle peut s’expliquer également par les pouvoirs de contrôle approfondis dont dispose l’Etat dans les différents domaines visés et donc de la vigilance accrue qui est exigée de sa part.
Exemples :
– CE Ass., 9 avril 1993, requête numéro 138652, requête numéro 138653, requête numéro 138663, M. D. M.G. et Epoux B. (préc.) : en novembre 1984, un rapport dénonce les dangers de contamination par le virus de l’immuno-déficience humaine présent pour les patients des produits sanguins non chauffés. La responsabilité de l’Etat qui n’a interdit la diffusion des produits sanguins non chauffés qu’en octobre 1985 est engagée pour faute simple.
– CE Ass., 3 mars 2004, requête numéro 241150, Ministre de l’Emploi c/ Bourdignon (V. dans le même sens : CE Ass., 3 mars 2004, requête numéro 241151, Ministre de l’Emploi c. Botella .-CE Ass., 3 mars 2004, requête numéro 241153, Ministre de l’Emploi c. Xueref .- CE Ass., 3 mars 2004, requête numéro 241152, Ministre de l’Emploi c. Thomas : AJDA 2004, p. 974, note Donnat et Casas ; D. 2004, p. 973, note Arbousset ; Dr. adm. 2004, comm. 87, note Delaloy ; Dr. soc. 2004, p. 569, note Prétot ; JCP A 2004, comm. 1224, obs. Benoît ; JCP G 2004, II, comm. 10098, note Trébulle ; JCP G 2004, I, comm. 163, étude Viney ; RDP 2004, p.1431, note Delhoste ; RFDA 2004, p. 612, concl. Prada-Bordenave.- V. également CE Ass., 9 novembre 2015, requête numéro 342468, SAS Constructions mécaniques de Normandie, préc. et requête numéro 359548, MAIF et a. , préc.) : une faute des pouvoirs publics est retenue, dès lors que, bien que le caractère nocif des poussières d’amiante fût connu de longue date, aucune recherche n’avait été entreprise afin d’évaluer les risques pesant sur les travailleurs exposés à ces poussières d’amiante et qu’aucune mesure destinée à éliminer ou à limiter les dangers n’avait été prise.
Le Conseil d’Etat a également condamné pour faute simple l’Etat en raison de l’absence de suspension ou de retrait de l’autorisation de mise sur le marché du Mediator. Mais ici c’est une activité de police administrative, et plus précisément de police sanitaire relative aux médicaments, qui est en cause, même si on reconnaîtra que la frontière entre cette activité et les activités de contrôle est difficile à établir (CE, 9 novembre 2016, requête numéro 393902, requête numéro 393108, requête numéro 393904, Bindjouli, préc. CE, 9 novembre 2016, requête numéro 393902, requête numéro 393926, Faure.- CE, 9 novembre 2016, requête numéro 393904, Georgel, préc.).
On retrouve une logique assez proche de celles des jurisprudences consacrées à l’affaire du sang contaminé et au scandale de l’amiante dans une affaire où était en cause une faute commise par l’inspection du travail dans l’exercice des pouvoirs qui sont les siens pour veiller à l’application des dispositions légales relative à l’hygiène et à la sécurité au travail. Seule une faute simple est exigée ce qui s’explique notamment par le fait que les « membres de l’inspection du travail (…) disposent d’une large marge d’appréciation dans le choix des moyens juridiques qui leur apparaissent les plus appropriés pour assurer l’application effective des dispositions légales par les entreprises soumises à leur contrôle, d’adapter le type et la fréquence de leurs contrôles à la nature et à la gravité des risques que présentent les activités exercées et à la taille des entreprises » (CE, 18 décembre 2020, requête numéro 437314, Ministre du Travail : : AJDA 2021, p. 506, chron. Malverti et Beaufils ; Dr. adm. 2021, comm. 19, note Eveillard ; JCP A 2021, act. 12, obs. Erstein ; JCP A 2021, comm. 2099, note Pauliat ; JCP S 2021, comm. 1028, note Chatelier ; RFDA 2021, p. 381, concl. Villette).
Dans d’autres cas, cependant, l’absence d’exigence de la faute lourde résiste à toute analyse.
Exemple :
– CE, 31 mars 2008, requête numéro 303159, Société Capraro et cie (AJDA 2008, p. 1780, note Toulemonde) : les services de la direction régionale de l’industrie et de la recherche, en ne relevant pas, lors des contrôles annuels effectués entre 1991 et 1998 sur un véhicule tracteur du camion semi-remorque, la non-conformité d’une réparation de fortune réalisée en 1991, ont commis une faute (simple) de nature à engager la responsabilité de l’Etat.
– CE, 24 avril 2017, requête numéro 394651, Aubry-Dumont (AJDA 2017, p. 1469, concl. Domino ; Dr. adm. 2017, comm. 34, note Camguilhem ; JCP A 2017, comm. 2131, note Pauliat : une solution identique a été retenue dans une affaire où une défaillance des services de contrôle aux frontières avait conduit au départ d’une mineure en Syrie où elle avait rejoint les rangs de l’organisation terroriste « Etat islamique ». Dans cette affaire, c’est probablement la proximité des activités en cause avec les activités de police qui a conduit à l’exigence d’une faute simple. Si l’Etat a été condamné en l’espèce, la faute simple n’avait pas été retenue dans une affaire antérieure (CE, 9 décembre 2015, requête numéro 386817, Ali-Mehenni : AJDA 2016, p. 332, concl. Domino ; JCP A 2015, act. 1074, obs. Erstein).
– CE, 27 novembre 2020, requête numéro 417165, Pellegrini (Dr. adm. 2021, comm. 20, note Barbé) : l’octroi d’une aide publique à une entreprise, alors même que sa situation était irrémédiablement compromise à la date à laquelle elle a été accordée, ne permet de caractériser l’existence d’une faute que si cette aide a été accordée en méconnaissance des textes applicables ou qu’il est manifeste, qu’à la date de son octroi, cette aide était insusceptible de permettre la réalisation d’un objectif d’intérêt général ou que son montant était sans rapport avec la poursuite de cet objectif. Il en résulte que si la faute lourde n’est pas exigée, la faute simple n’est reconnue qu’en cas de manquement grave de l’administration à ses obligations, ce qui pourrait tout aussi bien caractériser une faute lourde. En outre, saisi d’une demande indemnitaire sur le fondement d’une aide illégale accordée à une entreprise, il appartient au juge d’apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s’il existe un lien de causalité direct entre la faute de l’administration et le préjudice allégué par les requérants.
§III – Responsabilité sans faute
1634.- Catégories de régimes de responsabilité sans faute.- L’étude de la jurisprudence permet de distinguer deux grandes catégories de régimes de responsabilité sans faute, en fonction des conditions exigées par les juges pour déclencher leur engagement.
Dans certains cas, c’est l’intensité du risque créé par l’administration résultant de l’activité à l’origine du dommage, qui conditionne l’engagement de sa responsabilité.
Dans d’autres hypothèses, c’est la nature des dommages subis par les victimes qui justifient l’engagement de la responsabilité administrative. Plus précisément, lorsque l’activité de l’administration ne présente pas de risque particulier, le principe d’égalité devant les charges publiques impose de réparer les dommages subis par certaines catégories de victimes.
I – Responsabilité pour risque
1635.- Choses dangereuses et méthodes dangereuses.- L’engagement de la responsabilité sans faute pour risque de l’administration est possible dans deux hypothèses : lorsqu’elle utilise des choses dangereuses ou lorsqu’elle fait usage de méthodes dangereuses.
A – Choses dangereuses
1636.- Origine de la notion de choses dangereuses.- La notion de chose dangereuse est apparue à l’occasion de l’arrêt du Conseil d’Etat du 28 mars 1919 Regnault-Desroziers (requête numéro 62273 : Rec. p.329 ; RDP 1919, p. 239, concl. Corneille ; S. 1919, III, p. 25, note Hauriou).
Suite à l’explosion d’un fort, les ayants droit des victimes avaient demandé réparation à l’Etat. En l’espèce il était reproché à l’autorité militaire d’avoir entreposé dans des conditions d’organisation sommaires des munitions en centre-ville. Toutefois, une faute n’est pas retenue, les circonstances de guerre ayant un effet exonératoire. Cependant, les juges estiment que ces opérations « comportaient des risques excédant les limites de ceux qui résultent normalement du voisinage et que de tels risques étaient de nature, en cas d’accident … à engager indépendamment de toute faute la responsabilité de l’Etat ».
Par conséquent, ce qui déclenche la responsabilité de l’administration, dans cette affaire, c’est le fait qu’elle ait soumis des tiers à des risques excédant ceux qui sont normalement inhérents à un type d’activité donné. En effet, si les munitions avaient été stockées dans des conditions normales, seule la responsabilité pour faute de l’Etat aurait pu être recherchée.
1637.- Ouvrages publics exceptionnellement dangereux.- Le même raisonnement se retrouve dans l’arrêt d’Assemblée Dalleau du 6 juillet 1973 (requête numéro 82406 : Rec., p. 482 ; D. 1973, p. 740, note Moderne ; JCP 1974, comm. 17625, note Tedeschi). Si les usagers d’une voie publique se voient appliquer, en cas de dommage, un régime de présomption – l’administration pouvant s’exonérer de toute responsabilité en démontrant qu’elle a normalement entretenu l’ouvrage – ils bénéficient d’un régime de responsabilité sans faute dès lors que l’ouvrage en cause présente un caractère exceptionnellement dangereux. Cette reconnaissance est toutefois soumise à des conditions très strictes, et l’arrêt Dalleau demeure la seule illustration positive de cette jurisprudence (V. ainsi, refusant de qualifier d’ouvrage public exceptionnellement dangereux un passage à niveaux CE, 8 août 2008, requête numéro 290876, Choteau : AJDA 2008, p. 1965, concl. Thiellay.- V. également à propos d’un cheminement piétonnier constitué par le tapis semi-rigide en matière synthétique posé sur le sable d’une plage CAA Marseille, 28 juin 2012, requête numéro 10MA00593, Brunet).
1638.- Armes et engins comportant des risques exceptionnels pour les personnes.- En revanche, les règles appliquées aux tiers victimes de dommages occasionnés par l’utilisation, par les services de police, d’armes et d’engins « comportant des risques exceptionnels pour les personnes et pour les biens » ont vocation à s’appliquer de manière plus fréquente (CE Ass., 24 juin 1949, requête numéro 87335, Lecomte : Rec.; p. 307 ; JCP 1949, comm. 5092, concl. Barbet, note George ; RDP 1949, p. 583, note Waline).
Cependant l’existence de ces risques « exceptionnels » ne suffit pas à engager à elle seule la responsabilité de l’Etat. Il est également nécessaire que « les dommages subis dans de telles circonstances excèdent, par leur gravité, les charges qui doivent être normalement supportées par les particuliers en contrepartie des avantages résultant de l’existence de ce service public ».
L’existence de cette condition restrictive paraît s’expliquer par le fait que les juges considèrent systématiquement que toutes les armes présentent de tels risques exceptionnels, ce qui évite, en cas de dommage, l’engagement automatique de la responsabilité de l’administration.
Originellement, le juge judiciaire était compétent dans le cadre d’un régime de responsabilité pour la faute dans l’hypothèse où la victime est la personne concernée par une opération de police judiciaire. En revanche, le juge administratif était compétent pour statuer sur les dommages occasionnés aux tiers dans le cadre du régime de responsabilité sans faute (TC, 3 juillet 2000, requête numéro 3198 : Rec., p. 766 ; JCP 2000, II, comm. 10444, concl. Schwartz.- CE, 15 février 2006, requête nuémro 271022 : Rec., p. 75 ; RFDA 2006, p. 615, concl. Guyomar ; RFDA 2006, p. 619, note Lemaire).
Exemple :
–CAA Nantes, 5 juillet 2018, requête numéor 17NT00411, Ministre de l’Intérieur (JCP A 2018, comm. 2234, concl. Bréchot) : le flash-ball est une arme dangereuse comportant des risques exceptionnels pour les personnes. En conséquence, la responsabilité de la puissance publique peut être engagée sans faute, si la victime d’un tir est un tiers à l’opération de police, ou pour faute simple du service de police, dans le cas où elle était visée par cette opération.
Cette solution s’appliquait, y compris pour des dommages qui n’étaient pas liés à l’utilisation des armes, dès lors qu’est en cause une activité de police judiciaire.
Depuis l’arrêt du Tribunal des conflits Garde des sceaux du 8 février 2021 (requête numéro 4205 : AJDA 2021, p. 727, chron. Malverti et Beaufils.- V. aussi CE, 15 novembre 2021, requête numéro 443978, Société Aéronord : Dr. adm. 2022, comm. 8, note Lemaire), rendu à propos de dommages causés au colocataire d’une personne visée par une perquisition judiciaire, la compétence du juge judiciaire est étendue à l’ensemble des actions indemnitaires résultant d’une opération de police judiciaire, y compris celles fondées sur la responsabilité sans faute. Cette affaire ne concerne toutefois pas l’utilisation d’armes, mais un dommage occasionné à un meuble.
B – Méthodes dangereuses
1639.- Mineurs délinquants en milieu semi-ouvert.- La responsabilité pour risque du fait de l’utilisation de choses dangereuses a été étendue aux méthodes dites « dangereuses » par l’arrêt de Section Thouzellier du 3 février 1956 (Rec., p. 49 ; D. 1956, jurispr. p. 597, note Auby ; JCP G 1956, II, comm. 9608, note Lévy ; RDP 1956, p. 854, note Waline ; AJDA 1956, p. 51, note Bénoit). Dans cette affaire, les juges appliquent un régime de responsabilité sans faute pour la réparation des dommages causés par les pensionnaires de certains établissements d’éducation surveillée pratiquant des méthodes libérales de rééducation en milieu semi-ouvert. Cette solution s’applique que le mineur ait été confié à un établissement spécialisé, ou à une « personne digne de confiance » au sens de l’ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante et aujourd’hui de l’article L. 112-14 Code de la justice pénale des mineurs entré en vigueur le 30 septembre 2021 (CE, 5 décembre 1997, requête numéro 142263, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice c/ Pelle .- CE, 26 juillet 2007, requête numéro 292391, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice c/ Jaffuer : AJDA 2008, p.101, note Chalus.- CE, 6 décembre 2012, requête numéro 351158, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés c/ Association JCLT).
1640.- Malades mentaux bénéficiant de méthodes thérapeutiques libérales.- La jurisprudence relative aux méthodes dangereuses concerne également les victimes de dommages occasionnés par les malades mentaux qui bénéficient de méthodes thérapeutiques libérales, c’est-à-dire les malades qui sont juridiquement internés sans pour autant entre enfermés (CE, 13 juillet 1967, requête numéro 65735, Département de la Moselle : Rec. p. 341 ; D. 1967, jurispr. p. 675, note Moderne ; RDP 1968, p. 391, note Waline : AJDA 1968, p. 419, note Moreau).
Exemple :
– CE, 13 mai 1987, Piollet et Anson, requête numéro 49199 (Rec. p. 172 ; AJDA 1987, p. 459, chron. Azibert et de Boisdeffre ; D. 1988, jurispr. p. 163, obs. Moderne et Bon) : le Conseil d’Etat précise que le placement familial surveillé fait partie des traitements propres à assurer la réadaptation progressive des malades mentaux à des conditions normales de vie. Si, durant le temps où cette méthode thérapeutique est appliquée, les malades restent sous la responsabilité de l’hôpital, cette méthode crée un risque spécial pour les tiers qui ne bénéficient plus des garanties inhérentes aux habituelles méthodes d’internement. La responsabilité de l’hôpital se trouve en conséquence engagée, même sans faute de sa part, pour les dommages que cause aux tiers un malade placé sous ce régime.
En revanche, cette solution ne s’applique pas à l’hypothèse d’un dommage occasionné par un mineur qui suit un traitement psychiatrique en hôpital de jour, ce mode de traitement ne présentant pas de risque spécial de dommage, ce mineur n’ayant pas vocation, a priori, à être interné (CE, 17 février 2012, requête numéro 334766, Société Maaf Assurances : Dr. adm. 2012, comm. 60, note Muscat ; JCPA 2012, comm. 2182, note Pauliat). Ce raisonnement avait déjà utilisé dans des cas comparables où le patient n’est pas interné mais est en service libre (CE Sect., 30 juin 1978, requête numéro 99514, requête numéro 01582, Hôpital psychiatrique départemental de Rennes c/ Clotault : Rec., p. 289).
1641.- Détenus bénéficiant d’un régime de détention aménagée.- La responsabilité sans faute est également admise en cas de dommages occasionnés par des détenus bénéficiant d’un régime de détention aménagée qui les amène à quitter la prison durant l’exécution de leur peine.
Exemple :
– CE Sect., 29 avril 1987, requête numéro 61015, Banque populaire de la région économique de Strasbourg, (Rec., p .58 ; AJDA 1987, p. 454, chron. Azibert et de Boisdeffre ; D. 1988, somm. comm. p. 60, obs. Moderne et Bon ; RFDA 1987, p. 831, concl. Vigouroux) : les juges précisent que les mesures de libération conditionnelle, de permission de sortie et de semi-liberté constituent des modalités d’exécution des peines qui ont été instituées à des fins d’intérêt général et qui créent, lorsqu’elles sont utilisées, un risque spécial pour les tiers susceptible d’engager, même en l’absence de faute, la responsabilité de l’Etat.
On retrouve, dans toutes ces affaires où il est question de risque comme condition d’engagement de la responsabilité des personnes publiques, la même logique que dans la jurisprudence Regnault-Desroziers : l’utilisation de méthodes libérales n’est pas en principe fautive sauf, par exemple, si une faute de diagnostic permet de faire bénéficier un malade dangereux d’une méthode libérale de traitement. L’absence de faute s’explique, dans tous les cas, par le fait que les méthodes employées sont censées être bénéfiques, non seulement pour le mineur, le malade ou le détenu qui en est le destinataire, mais également pour la société qui tirerait un bénéfice de leur réinsertion. Toutefois, ces méthodes créent un risque spécial de dommage pour les tiers qui y sont exposés, c’est-à-dire un risque supérieur à celui qui aurait existé si le mineur dangereux, le malade ou le détenu étaient demeurés enfermés, ce qui justifie l’engagement de la responsabilité sans faute de l’administration.
Cette jurisprudence appelle deux observations complémentaires.
1642.- Patient bénéficiant d’une méthode thérapeutique nouvelle.- D’une part, en toute logique, seuls les tiers peuvent bénéficier de ce régime, puisque les usagers sont censés avoir accepté les risques présentés par le service. Ce principe ne connaît qu’une exception en application de la solution dégagée par la cour administrative d’appel de Lyon dans l’arrêt Gomez du 21 décembre 1990 (requête numéro 89LY01742 : Rec. p. 498 ; AJDA 1991, p. 126, chron. Jouguelet et Loloum ; D. 1991, somm. comm. p. 292, obs. Bon et Terneyre ; Gaz. Pal. 21 juillet 1991, p. 258, note Medouze ; RFDA 1991, p. 466, obs. C.B.). Dans cette affaire, la cour fait bénéficier un patient d’un régime de responsabilité sans faute dans le cas d’un dommage lié à l’emploi d’une méthode thérapeutique nouvelle. Dans un tel cas, ce sont les risques spéciaux liés à la nouveauté de cette méthode qui justifient la solution retenue.
D’autre part, il convient de relever que la seule condition d’engagement de la responsabilité sans faute, du point de vue du fait générateur, tient à l’exigence d’un risque spécial. En revanche, aucune condition n’est exigée du point de vue de la gravité des dommages subis. Ici encore, cependant, l’arrêt Gomez fait exception à la règle, puisque dans cet arrêt il est exigé, en plus de l’existence d’un risque spécial, un dommage « exceptionnel et anormalement grave ». Le fait que ces conditions soient plus restrictives paraît pouvoir être expliqué par la qualité d’usager de la victime qui ne saurait bénéficier d’un régime aussi avantageux que celui appliqué aux tiers.
II – Responsabilité pour rupture de l’égalité devant les charges publiques
1643.- Logique de garantie sociale.- Le fait générateur de ce type de responsabilité sans faute n’est pas constitué par l’existence d’un risque d’une intensité particulière, mais par la survenance d’un dommage qui doit présenter, dans certaines hypothèses, des caractéristiques particulières. L’engagement de la responsabilité sans faute de l’administration permet alors de rétablir l’égalité entre la victime et le reste de la population.
On se situe ici plus dans une logique de garantie sociale que dans une logique de responsabilité, puisqu’il ne s’agit plus de savoir qui de la victime ou de l’auteur du dommage devra supporter la charge de la dette. C’est pour cette raison que c’est parfois le législateur qui va intervenir en vue de rétablir l’égalité devant les charges publiques, comme on pourra l’observer dans différentes hypothèses.
1644.- Un ensemble hétérogène.- Il est primordial d’insister sur le fait que certains des arrêts relevant de ce type de responsabilité sans faute se réfèrent pourtant à un risque. Toutefois, il s’agit toujours, dans de tels cas, non pas de risques spéciaux mais de risques inhérents à un type d’activité donné. En outre, dans de telles affaires, il est question non pas de l’intensité du risque – qui le distingue du risque inhérent à un type d’activité donné – mais seulement de la réalisation de ce risque, c’est-à-dire d’un dommage.
Relèvent également de ce type de responsabilité sans faute les hypothèses de responsabilité du fait de la garde des choses. Enfin, sont concernées la responsabilité du fait des décisions administratives régulières, la responsabilité du fait des lois et des normes internationales, la responsabilité du fait des difficultés d’accès des handicapés à des bâtiments publics, et la responsabilité du fait des dommages occasionnés à des tiers durant une perquisition administrative ordonnée dans le cadre de l’état d’urgence.
A – Réalisation de risques inhérents à certaines activités administratives
1645.- Hypothèses.- Certains risques inhérents à l’activité administrative permettent d’engager la responsabilité de l’administration lorsqu’ils se réalisent. Cette hypothèse s’applique aux victimes qui ont été placées, pour des raisons liées à une activité professionnelle, dans des situations dangereuses, aux victimes d’attroupements et de rassemblements, aux collaborateurs des services publics, aux tiers victimes de dommages de travaux publics et à certaines victimes de l’activité des établissements hospitaliers et de transfusion sanguine.
1° Situations dangereuses
1646.- Illustrations.- Alors que la jurisprudence consacrée aux choses et aux méthodes dangereuses relève clairement de la responsabilité pour risque, celle relative aux situations dangereuses doit être classée parmi les hypothèses de responsabilité sans faute objective.
En effet, dans ce cas, ce qui conditionne l’engagement de la responsabilité de l’administration, ce n’est pas, comme dans les hypothèses susvisées, le fait que la victime a été soumise à un risque d’intensité supérieure à celui normalement inhérent à un type d’activité donné. En d’autres termes, la réparation n’est pas accordée en raison des risques spécifiques présentés par une méthode particulière d’accomplissement d’une activité donnée, mais parce que le risque, précisément circonscrit, est susceptible d’occasionner, en se réalisant, des dommages particulièrement graves.
Exemples :
– CE, 6 novembre 1968, requête numéro 72636, Dame Saulze (requête numéro 72636 : Rec., p. 550 ; AJDA 1969, p. 287, chron. Dewost et Denoix de Saint Marc ; RDP 1969, p. 505, concl. Bertrand, note Waline Rev. adm. 1968, p. 174, note Chaudet) : dans le cas d’une épidémie de rubéole, le fait pour une institutrice en état de grossesse d’être exposée en permanence aux dangers de la contagion comporte pour l’enfant à naître un risque spécial et anormal qui, lorsqu’il entraîne des dommages graves pour la victime, est de nature à engager au profit de celle-ci la responsabilité de l’Etat.
– CE Sect., 19 octobre 1962, requête numéro 58502, Perruche (Rec., p. 555 ; AJDA 1962, p. 668, chron. Gentot et Fourré) : le Consul de France à Séoul a droit à réparation du pillage de ses biens par les troupes nord-coréennes à raison du fait que le gouvernement l’a placé « dans une situation qui comportait des risques exceptionnels pour sa personne comme pour ses biens ».
– TA Versailles, 3 juillet 1997, Cohen (LPA, 5 septembre 1997, n° 107, note Lemoyne de Forges) : le fait pour un chirurgien d’être exposé dans l’accomplissement de sa fonction exercée dans l’intérêt de la santé publique et selon les règles définies par l’Etat au danger de la contamination par le syndrome de l’immunodéficience humaine constitue un risque anormal et spécial qui, lorsqu’il entraîne des dommages graves pour la victime, est de nature à engager au profit de celle-ci la responsabilité de l’Etat.
Certains régimes législatifs de responsabilité peuvent être rattachés à cette hypothèse. Tel est cas particulièrement de celui dont relèvent les victimes d’essais nucléaires (L. n°2010-2, 5 janvier 2010).
2° Collaborateurs des services publics
1647.- Collaborateurs permanents.- La jurisprudence relative aux collaborateurs de l’administration a pour origine l’arrêt du Conseil d’Etat Cames du 21 juin 1895 (requête numéro 82490 : Rec. p.509, concl. Romieu ; D. 1896, III, p.65, concl. Romieu ; S. 1897, III, p.33, concl. Romieu, note Hauriou). En l’espèce, le Conseil d’Etat était saisi d’une demande de réparation exercée par un ouvrier employé par l’Etat suite à un accident survenu dans un arsenal en l’absence de toute faute. Le Conseil d’Etat accepte néanmoins de condamner l’Etat, sans même se référer à la gravité des dommages subis. En d’autres termes, le fait que des agents publics soient soumis à des risques professionnels, inhérents à leur activité, justifie à lui seul la condamnation de l’administration en cas de dommages.
Le développement des systèmes de couverture sociale a pratiquement vidé de son intérêt cette jurisprudence jusqu’à l’arrêt d’Assemblée du 22 novembre 1946 Commune de Saint-Priest-la-plaine (requête numéro 74725 : Rec., p. 279 ; D. 1947, p.375, note Blavoet ; S. 1947, III, p.105, note Bénoit.- V. également CE, 30 avril 2004, requête numéro 244143, Perroud).
1648.- Collaborateurs occasionnels requis-. Cet arrêt fait bénéficier d’un régime de responsabilité sans faute les collaborateurs occasionnels de l’administration. En l’espèce, deux bénévoles avaient été blessés après avoir accepté à la demande du maire de tirer un feu d’artifice à l’occasion d’une fête locale, ce qui en faisait des collaborateurs du service public.
1649.- Collaborateurs spontanés.- Par la suite, le Conseil d’Etat a également appliqué cette solution, qui était jusqu’alors réservée aux collaborateurs sollicités (V. par exemple CAA Paris, 27 juin 2005, requête numéro 01PA00620, Commune de Jouy-le-Moutier), aux collaborateurs spontanés de l’administration.
Exemple :
– CE Sect., 25 septembre 1970, requête numéro 73707, requête numéro 73727, Commune de Batz-sur-mer (Rec., p. 540 ; AJDA 1971, p. 37, chron. Labetoulle et Cabannes ; D. 1971, jurispr. p. 55, concl. Morizot ; JCP G 1970, II, comm. 16525, note X. ; RTDSS 1971, p. 294, note Dubouis) : est un collaborateur occasionnel du service public de secours un individu qui a péri en tentant de porter secours à des personnes en danger de noyade en mer, alors même que son intervention était spontanée.
L’intervention doit cependant être justifiée par une « urgente nécessité ».
Exemple :
– CE, 12 novembre 2007, requête numéro 06MA00829, Mme. Odile X. : en tentant de porter secours à son fils qui, venant de tomber du sommet d’une barre rocheuse, était accroché à la paroi les pieds dans le vide, et alors qu’il y avait une urgente nécessité d’agir, le requérant s’est comporté en collaborateur bénévole du service public de secours qui incombait à la commune.
1650.- Collaborateurs occasionnels et titulaires d’un contrat de travail.- Une difficulté se pose lorsque le collaborateur occasionnel est titulaire d’un contrat de travail et qu’il est susceptible de se voir ouvrir un droit à réparation en application du régime de couverture des risques professionnels dont il bénéficie. Dans ce cas, pour éviter une double indemnisation, il a le droit, comme le cas échéant ses ayants cause, à être indemnisé, par la collectivité publique ayant bénéficié de son concours, seulement dans la mesure où le préjudice n’a pas été réparé par son employeur ou par son régime de couverture des risques professionnels (CE, 12 octobre 2009, requête numéro 297075, Chevillard et Consorts Bancherelle : Rec., p. 387 ; AJDA 2009, p. 2170, chron. Liéber et Botteghi ; Dr. adm. 2009, comm. 170, note Melleray ; JCP A 2009, comm. 2306, note Idoux ; RD transp. 2011. 228, obs. Carré ; RFDA 2010, p. 410, note Lemaire). Etait concerné dans cette affaire un pilote d’hélicoptère qui avait participé à une opération de secours en mer après avoir été envoyé sur les lieux par une entreprise privée qui relayait une demande de secours des pouvoirs publics.
3° Victimes de rassemblements et d’attroupements
1651.- Un régime législatif.- La loi du 16 avril 1914 portant modification des articles 106, 107, 108 et 109 de la loi municipale du 5 avril 1884 a créé un régime de responsabilité sans faute, sur le fondement de la notion de « risque social » au bénéfice des victimes de dommages occasionnés lors de rassemblements et d’attroupements. En application de ce texte, c’est la responsabilité de plein droit des communes qui devait être recherchée devant le juge judiciaire.
La loi n°83-8 du 7 janvier 1983 a ensuite transféré la charge de la responsabilité sur l’Etat, et la loi n°86-29 du 9 janvier 1986 a prévu la compétence du juge administratif pour connaître des litiges occasionnés par des rassemblements ou des attroupements.
Ces textes ont été codifiés à l’article L. 2216-3 du Code général des collectivités territoriales, abrogé et reproduit à l’article L. 211-10 du Code de sécurité intérieure, qui prévoit que « l’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ». Le même texte précise que l’Etat peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée. Il a été récemment complété par la loi n°2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations qui confirme que l’Etat peut également exercer une action récursoire contre les auteurs du fait dommageable, conformément aux règles de la responsabilité civile extracontractuelle.
Sont réparables tous les dommages matériels ainsi que ceux qui ont le caractère d’un préjudice commercial résultant d’une perte de recettes d’exploitation (CE, 15 juin 2001, requête numéro 215435, SNCF : Rec., p. 272).
Le régime de responsabilité décrit par l’article L. 211-10 du Code de sécurité intérieure est d’ordre public. Il appartient en conséquence au juge administratif de soulever d’office la responsabilité sans faute de l’Etat pour les dommages causés par les attroupements (CE, 30 juin 1999, requête numéro 190038, Foucher : RFDA 1999, p. 1210, concl. Bergeal).
1652.- Conditions d’engagement de la responsabilité sans faute de l’administration.- La mise en œuvre de la responsabilité sans faute de l’administration est conditionnée par le respect de plusieurs conditions.
Tout d’abord, le dommage dont il est demandé réparation doit être en relation avec un rassemblement ou un attroupement précisément identifié et agissant de façon spontanée. Cette question fait l’objet d’une jurisprudence très fournie.
Exemples :
– CE Sect., 29 décembre 2000, requête numéro 188974, Assurances générales de France (AJDA 2001, p. 164, chron. Guyomar et Collin ; D. 2002, somm. p. 527, obs. de Béchillon ; LPA 2002, n°164, p.8, note Guettier) : des jeunes gens se sont regroupés dans un quartier de Meaux à la suite du décès accidentel d’un jeune homme poursuivi par la police et ont procédé, après ce rassemblement, à diverses destructions et dégradations de bâtiments publics. Les dommages ainsi causés ont résulté de délits commis à force ouverte contre des biens. Ces actes doivent être regardés comme étant le fait d’un attroupement ou d’un rassemblement.
– CAA Versailles, 22 avril 2020, requête numéro 17VE01202 : la circonstance que l’incendie d’un entrepôt, commis par des individus isolés, se soit déroulé au cours d’une nuit durant laquelle des violences urbaines ont été commises en attroupement sur l’ensemble du territoire national ne suffit pas à établir que les agissements à l’origine des dommages en cause ont été spontanés et commis par un attroupement ou un rassemblement au sens l’actuel article L. 211-10 du Code de sécurité intérieure.
– TA Grenoble, 9 février 1996, Société Le Fourgan Dauphinois Bellier (Gaz. Pal. 1996, 2, somm. p. 76) : doit être rejetée la requête d’une société qui ne précise pas l’implantation, la nature, les conditions de formation et la durée des barrages routiers à l’origine de son préjudice, et est dépourvue des précisions permettant au tribunal d’apprécier l’existence d’attroupements et le lien éventuel entre ces attroupements et les préjudices qu’elle a subis.
– CAA Bordeaux, 10 juillet 2007, requête numéro 05BX01097, Dornbusch c. Garde des Sceaux, ministre de la Justice (AJDA 2007, p. 1999 et 2008, p.367, note Arbousset ; JCP A 2007, comm. 2257, chron. Garrido) : l’émeute de détenus au sein d’une maison centrale a revêtu le caractère d’un mouvement général, spontané et violent au cours duquel ont notamment été incendiés des ateliers de travail.
– CE, 11 juillet 2011, requête numéro 331669, Société mutuelle d’assurances des collectivités locales (JCP 2010, comm. 2323, obs. Pacteau) : ne peuvent être regardés comme résultant d’attroupements qui engagent la responsabilité de l’Etat, des dommages résultant de la destruction d’un gymnase causée par l’embrasement d’une voiture bélier qui en avait forcé l’accès, les agissements à l’origine des dommages en cause ayant été commis selon des méthodes révélant leur caractère prémédité et organisé.
– CE, 30 décembre 2016, requête numéro 386535, Société Covéa risks : un rassemblement d’une foule très hostile à la suite du décès de deux adolescents ayant péri dans une collision avec un véhicule de police est suivi du déplacement de plusieurs centaines de personnes vers l’endroit où les corps avaient été déposés puis dans une avenue de la commune où un garage a été incendié. Bien que, d’une part, les auteurs des dégradations aient utilisé des moyens de communication ainsi que des cocktails Molotov et des battes de base-ball et qu’ils aient formé des groupes mobiles, et alors que, d’autre part, un restaurant de la même commune avait fait l’objet d’une attaque une heure avant le décès des deux adolescents, cet incendie a été le fait d’un attroupement ou rassemblement dès lors qu’il a été provoqué par des personnes qui étaient au nombre de celles qui s’étaient spontanément rassemblées, peu de temps auparavant, pour manifester leur émotion après le décès des deux adolescents et que l’attaque d’un restaurant était sans rapport avec cette manifestation.
– CE, 30 décembre 2016, requête numéro 389835, Société Generali IARD et a. : un délit d’entrave à la circulation, consistant dans le blocage de l’accès à une plateforme d’approvisionnement des magasins de grande distribution d’une société dans une commune, commis par un groupe de producteurs de lait qui s’était constitué et organisé à seule fin de le commettre à l’aide de moyens matériels révèle une action préméditée. Les dommages dont il est demandé réparation ne peuvent donc être regardés comme résultant d’attroupements qui engagent la responsabilité de l’Etat.
– CE, 28 octobre 2022, requête numéro 451659 : ne permettent pas d’engager la responsabilité sans faute de l’Etat les actes délictuels commis sur une autoroute et procédant d’une action préméditée, organisée, à seule fin de les commettre, par un groupe structuré de personnes qui cherchaient à obtenir l’extraction temporaire de détention pénitentiaire d’un de leurs proches afin qu’il puisse assister à une cérémonie d’obsèques.
Il est nécessaire, ensuite, que les actes à l’origine des dommages soient constitutifs de crimes ou de délits.
Exemple :
– TA Dijon, 20 août 1991, requête numéro 893005, Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône : des camionneurs, qui dressent des barrages sur une autoroute avec leurs véhicules, font obstacle à la circulation et commettent un délit prévu par l’article L. 7 du Code de la route. Par suite, l’Etat doit être condamné à indemniser le concessionnaire de l’autoroute de la perte de recettes d’exploitation subie par lui.
En revanche, ne relèvent pas du régime de responsabilité sans faute les dégâts causés par un attroupement sans qu’il y ait eu commission de délits, les dégradations n’ayant pas de caractère volontaire mais résultant d’accidents ou de mouvements de foule (CE, 19 mai 2000, requête numéro 203546, Région Languedoc-Roussillon : D. 2002, p. 527, obs. de Béchillon).
Enfin, les dommages dont il est demandé réparation doivent être la conséquence directe et certaine de ces crimes ou délits.
Exemple :
– CAA Marseille, 27 février 2007, requête numéro 05MA01397, Société Sofiran : dans la mesure où la société requérante, détentrice de la majorité du capital social de la Société BDA, soutient que les préjudices qu’elle invoque trouvent leur origine dans l’occupation des locaux du fonds de commerce acquis par la seule Société BDA, ces préjudices, à les supposer établis, n’ont pu résulter que des liens juridiques existant entre ces deux sociétés et ne sauraient dès lors être regardés comme procédant directement de cette occupation.
4° Dommages de travaux publics permanents subis par des tiers
1653.- Responsabilité du maître de l’ouvrage.- Le maître de l’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement, le tiers se définissant comme « toute personne qui n’utilise pas effectivement l’ouvrage public » (conclusions Combarnous sur CE Sect. 11 mai 1960, Ministre des transports publics c/ Consorts Duboul de Malafosse : AJDA 1962, p. 588). Il ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d’un cas de force majeure.
La présence ou le fonctionnement d’ouvrages publics est susceptible d’occasionner des dommages aux tiers qui peuvent obtenir leur réparation sans avoir à démontrer qu’une faute a été commise par l’administration. Cette solution est plus favorable que celle appliquée aux usagers, qui se voient appliquer un régime de responsabilité pour faute présumée. La question de la distinction entre les tiers et les usagers a en conséquence une importance singulière dans le droit de la responsabilité du fait des dommages occasionnés par des travaux publics ou un ouvrage public et elle est susceptible de poser un certain nombre de difficultés.
Exemple :
– CE, 17 janvier 2020, requête numéro 433506, Société EDF c/ Régie des eaux du canal de Belletrud (préc.) : contrairement aus juges du fond, le Conseil d’Etat décide que pour être considéré comme un usager d’un canal il suffit que la victime ait été autorisée à prélever de l’eau dans le canal et qu’elle ait usé effectivement de ce droit et cela quel que soit le moment exact où le dommage s’est produit.
1654.- Dommages permanents et dommages accidentels.- L’évolution récente de la jurisprudence aboutit toutefois à distinguer deux types de dommages. Les dommages dits « permanents » sont liés à la seule présence de l’ouvrage public, à son fonctionnement et à son entretien normal et aux troubles que cela engendre pour les propriétés voisines. En revanche, si un préjudice est lié à l’absence d’un ouvrage public obligatoire c’est un régime de responsabilité pour faute qui a vocation à s’appliquer (CE, 11 février 2022, requête numéro 449831 : AJDA 2022, p. 1577, note Chiu ; Dr. adm. 2022, comm. 23, note Eveillard). Ces dommages ne sont réparés que s’ils présentent un caractère anormal et spécial. En revanche les dommages « accidentels » sont réparés de plein droit par le gardien de l’ouvrage public.
Dans deux arrêts du 4 mai 2006 le Conseil d’Etat a ainsi eu l’occasion de décider que « le maître d’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la gestion peuvent causer aux tiers en raison tant de leur existence que de leur fonctionnement » (requête numéro 261657, requête numéro 262041, Ministe de l’Ecologie et du Développement durable, Commune de Bollène et a. et requête numéro 262046, Commune de Bollène et Syndicat intercommunal pour l’aménagement et l’entretien du réseau hydraulique du Nord-Vaucluse : AJDA 2007, p. 204, note Deguergue). De façon plus claire encore, dans un arrêt du 10 avril 2019, Compagnie nationale du Rhône (requête numéro 411961 : Rec. tables, p. 961 ; AJDA 2019, p. 1821, note Barbin ; Dr. adm. 2019, comm. 40, note Eveillard) le Conseil d’Etat a jugé que l’envasement «exceptionnel » d’aménagements de la Compagnie nationale du Rhône à la suite d’opérations de chasse de sédiments effectuées par EDF à proximité de barrages avait un caractère accidentel, de sorte que la victime n’avait pas à démontrer le caractère anormal et spécial du préjudice dont elle demandait réparation.
Cette jurisprudence a ensuite été précisée par un autre arrêt du Conseil d’Etat du 8 février 2020 (requête numéro 453105 : Dr. adm. 2020, comm. 17, note Eveillard ; AJDA 2020, p. 1910, note So’o ; BJCL 2020, p. 279, concl. Pichon de Vendeuil) dont il ressort qu’un dommage est accidentel lorsqu’il « n’est pas inhérent à l’existence même de l’ouvrage public où à son fonctionnement », ce qui veur dire a contrario d’un dommage inhérent à l’existence même de l’ouvrage public ou à son fonctionnement doit être qualifié de dommage permanent.
S’agissant des dommages permanents, l’engagement de la responsabilité de la personne publique poursuivie est seulement conditionné par le caractère anormal et spécial des dommages subis, ce qui donne lieu à une jurisprudence assez casuistique.
Exemples :
– CAA Nancy, 19 mars 2007, requête numéro 05NC01521, Schwarz et a. : un chenil construit par la fourrière municipale d’une commune constitue un ouvrage public à l’égard duquel les requérants, victimes de nuisances sonores occasionnées par les cris continuels des chiens hébergés dans l’établissement, ont la qualité de tiers. Le préjudice dont ils se plaignent est la conséquence directe du fonctionnement de cet ouvrage et présente un caractère anormal et spécial sans que la commune soit fondée à opposer le classement des terrains concernés en zone naturelle par le plan d’occupation des sols, rendu public, puis approuvé, postérieurement à la construction de leur habitation par les requérants.
– CAA Douai, 29 décembre 2006, requête numéro 05DA01477, Epoux Giard : depuis la construction d’un parking les requérants sont privés du caractère agréable du lotissement où ils habitent qui résultait de la présence d’un espace vert. Ils supportent, par ailleurs, les inconvénients liés au voisinage d’un parking qui, au-delà de son aspect inesthétique, engendre des nuisances liées à son utilisation et tenant aux allées et venues des véhicules et de leurs occupants. Ainsi, le dommage subi par les requérants présente un caractère anormal et spécial.
1655.- Allongements de parcours.- Il faut également relever que les allongements de parcours, occasionnés par la présence d’un ouvrage public nouvellement édifié, ne sont pas en principe considérés comme constituant un préjudice réparable (CE, 11 février 1991, requête numéro 90975, SCI Croix d’Argent : RD imm. 1991, p. 220, obs. Llorens et Terneyre). Il en va autrement, cependant, si la gêne occasionnée au requérant est importante.
Exemple :
– CE, 22 octobre 2003, requête numéro 217493, EDF : un poste de transformation électrique construit par EDF sur un terrain, est enclavé dans les terres exploitées par les requérants et situé à 150 m des bâtiments de leur ferme et de leur maison d’habitation. Cet ouvrage, dont l’emprise au sol est de quatre hectares et dont la hauteur peut atteindre 60 mètres, oblige l’exploitant à prendre des précautions particulières contre d’éventuels accidents et à contourner les installations avec ses matériels agricoles. Par la gêne visuelle et par les troubles qu’elle induit dans les conditions d’exploitation de la ferme des requérants, la présence de cet ouvrage leur cause un préjudice anormal et spécial de nature à engager la responsabilité d’EDF.
1656.- Problèmes de détermination de la qualité de la victime.- Par ailleurs, il se pose assez fréquemment, en jurisprudence, la question de la détermination de la qualité de la victime. En effet, si les usagers relèvent d’un régime de présomption, l’administration arrivera très fréquemment à démontrer qu’aucun défaut d’entretien normal de l’ouvrage public ne saurait lui être reproché. Dans des situations où la qualité de la victime n’est pas évidente à déterminer, celles-ci auront donc tout intérêt à invoquer un statut de tiers par rapport à l’ouvrage public, de manière à se voir appliquer un régime de responsabilité sans faute.
Exemple :
– CAA Lyon, 24 décembre 2007, requête numéro 04LY01175, Ministre de l’Ecologie, du Développement, et de l’Aménagement durables (AJDA 2008, p. 606) : l’usager d’une voie publique qui s’engage sur une autre voie à une intersection que celui qui s’apprête à cette manœuvre en s’assurant notamment de la possibilité de l’effectuer sans risque, compte tenu de la visibilité d’ensemble de la circulation, doit être considéré à cet instant, non pas comme un tiers, mais comme un usager des deux voies de l’intersection. Ainsi, la victime, dont le véhicule a été percuté alors qu’elle franchissait la route nationale pour partir sur sa gauche et qui s’était engagée sur cette voie après avoir marqué un arrêt obligatoire au débouché de la voie communale, doit être regardée comme usager de cette intersection de voies.
5° Activités des établissements hospitaliers
1657.- Réparation de risques sériels.- A l’occasion de l’arrêt d’Assemblée Bianchi du 9 avril 1993, le Conseil d’Etat a décidé que « lorsqu’un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l’existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l’exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l’état initial du patient comme avec l’évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d’extrême gravité » (requête numéro 69336 : Rec., p. 127, concl. Daël ; RFDA 1993, p. 573, concl. Daël ; AJDA 1993, p. 344, chron. Maugüé et Touvet ; D. 1994, somm. comm. p. 65, obs. Bon et Terneyre ; JCP 1993, II, comm. 22061, note Moreau ; RDP 1993, p. 1099, note Paillet ; Rev. Adm. 1993, p. 561, note Fraissex).
Dans cette affaire, la victime avait subi une artériographie vertébrale, qui constitue un acte médical courant. Cependant, comme tout acte médical, celui-ci présente un aléa : on sait que dans environ 0,0003% des cas, le patient va subir de graves dommages, ce qui était le cas en l’espèce.
Dans de telles hypothèses, la responsabilité pour faute est nécessairement exclue. Il n’y a pas lieu non plus de faire jouer la responsabilité sans faute pour risque, dans la mesure où le risque n’est pas lié à l’emploi d’une méthode particulière créant un risque spécial. C’est donc la situation particulière de la victime, la volonté de ne pas laisser le dommage subi sans réparation, qui justifie l’engagement de la responsabilité de l’établissement hospitalier
Cette jurisprudence, qui ne pouvait bénéficier qu’à une dizaine de personnes par an, a ensuite été étendue aux victimes d’autres dommages présentant les caractéristiques visées par l’arrêt Bianchi. C’est notamment le cas des victimes d’anesthésies générales, y compris dans les hypothèses où l’opération pratiquée n’a pas de visée thérapeutique (CE Sect., 3 novembre 1997, requête numéro 153686, Hôpital Joseph Imbert d’Arles : AJDA 1997, p. 1016, chron. Girardot et Raynaud ; RFDA 1998, p. 90, concl. Pécresse ; RDSS 1998, p. 519, note Clément ; JCP G 1998, II, comm. 10016, note Moreau).
1658.– Loi n°2002-203 du 4 mars 2002.- Cette jurisprudence a été remise en cause par la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui a instauré un régime spécial d’indemnisation des conséquences des accidents médicaux et aléas thérapeutiques fondé sur la solidarité nationale et crée l’office national d’indemnisation des accidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales (ONIAM). Cette loi interdit en principe aux juges de statuer sur un autre fondement que celui de la responsabilité pour faute (V. Code de la santé publique, art. L. 1142-1). Cependant, pour les faits antérieurs au 5 septembre 2001, le juge applique toujours la jurisprudence Bianchi (V. par exemple CE, 19 mars 2010, requête numéro 313457, Ancey : AJDA 2010, p. 586, note Royer ; JCPA 2010, comm.1316, note Lantero).
Il faut insister sur le fait que le régime de responsabilité sans faute de la loi du 4 mars 2002 présente un caractère subsidiaire par rapport au régime de responsabilité pour faute des établissements hospitaliers : si le dommage trouve sa cause directe dans une faute médicale c’est ce dernier régime qui s’applique. De même, si une faute a, sans être la cause directe de l’accident, fait néanmoins perdre à la victime une chance d’y échapper ou de se soustraire à ses conséquences, cette dernière a droit à la réparation intégrale de son dommage au titre de la solidarité nationale. Dans cette hypothèse, toutefois, l’indemnité due par l’ONIAM doit être réduite du montant de l’indemnité mise à la charge du professionnel, de l’établissement, du service ou de l’organisme responsable de la perte de chance, laquelle est égale à une fraction des dommages, fixée à raison de l’ampleur de la chance perdue (CE, 15 octobre 2021, requête numéro 431291, Agence de la biomédecine : JCP A 2021, act. 636, obs. Touzeil-Divina ; Procédures 2022, comm. 28, note Chifflot ; RDSS 2021, p. 1054, note Curier-Roche ; Resp. civ. et assur. 2021, comm. 241, note Hocquet-Berg).
Notons enfin que seuls sont réparés au titre de la solidarité nationale les dommages présentant un caractère de gravité (V. Code de la santé publique, art. D. 1142-1) et d’anormalité (V. CE, 12 décembre 2014, requête numéro 355052 : Rec., p. 385 ; AJDA 2015, p. 769, note Lantero ; JCP G 2015, comm. 193, note Bacache ; Resp. civ. et assur. 2015, comm. 59 et étude 2, Hocquet-Berg ; RDSS 2015, p. 179, obs. Cristol ; RDSS 2015, p. 279, concl. Lambolez).
1659.- Illustrations proches.- Ce type de mécanisme de responsabilité sans faute, fondé sur la notion de garantie sociale, mais également – parfois – sur une volonté inavouée de limiter la réparation des préjudices subis par les administrés, connaît d’autres illustrations. On peut citer ici la loi n°64-643 du 1er juillet 1964 concernant les dommages dus aux accidents vaccinatoires. On doit aussi mentionner la loi n°91-1406 du 31 décembre 1991 dont l’article 47 crée un fonds d’indemnisation au profit des victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus du SIDA causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de produits dérivés du sang. Mentionnons également la loi n°2000-1257 du 23 décembre 2002 qui crée le fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante ou encore – dans un autre domaine que celui de la santé – la loi n°86-1020 du 9 septembre 1986 qui crée le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme.
B – Responsabilité du fait de la garde des choses ou des personnes
1660.- Dommages de travaux publics subis par des tiers.- La responsabilité de la garde du fait des choses, en droit administratif, est plus ancienne qu’il n’y paraît de prime abord. Dans le contentieux de la réparation des dommages de travaux publics occasionnés aux tiers, elle a été reconnue par le Conseil d’Etat dans l’arrêt d’Assemblée Département du Var du 28 mai 1971 (requête numéro 76216 : Rec. p. 630). Dans cette affaire, qui concerne la catastrophe occasionnée par la rupture du barrage de Malpasset, le Conseil d’Etat admet que « le maître de l’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement ». Cette solution a été reprise plusieurs fois par la suite (V. notamment CE, 4 mai 2007, requête numéro 261657, requête numéro 262041, Ministe de l’Ecologie et du Développement durable, Commune de Bollène et a. et requête numéro 262046, Commune de Bollène et Syndicat intercommunal pour l’aménagement et l’entretien du réseau hydraulique du Nord-Vaucluse : AJDA 2007, p. 204, note Deguergue). Elle a surtout été confirmée de façon plus claire encore, dans un arrêt du 10 avril 2019, Compagnie nationale du Rhône (requête numéro 411961, préc.) qui énonce que « les tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu’ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel ». C’est donc bien la responsabilité de plein droit du gardien de la chose qui est engagée dans une telle hypothèse.
1661.- Contaminations par voie transfusionnelle.- L’idée se retrouve ensuite dans la jurisprudence consacrée à certaines hypothèses concernant les dommages occasionnés par des services de santé. Alors que l’arrêt Bianchi concernait des risques exceptionnels, certaines victimes de risques sériels, c’est-à-dire de risques statistiquement élevés, ont également bénéficié d’un régime de responsabilité sans faute objective en application de la solution dégagée par les arrêts d’Assemblée du 26 mai 1995, N’Guyen Jouan et Pavan (requête numéro 143238, requête numéro 143673, requête numéro 151798 : Rec. p. 221 ; AJDA 1995, p. 508, chron. Stahl et Chauvaux ; JCP 1995, comm. 22467, note Moreau ; LPA 17 mai 1996, p. 12, note Mallol ; LPA 31 mai 1996, p. 21, note Cartron ; Quot. Jur. 26 octobre 1995, p. 25, note Deguergue ; RDP 1995, p. 1609, note de Lajartre ; RFDA 1995, p. 748, concl. Daël ; EDCE 1996, n°47, p. 373). Cette solution est réservée aux victimes du sida ou de l’hépatite C contaminées par des produits sanguins non chauffés, à une époque où les risques de contamination présentaient un caractère sériel.
Dans ces arrêts, les juges relèvent « qu’eu égard tant à la mission qui leur est … confiée par la loi qu’aux risques que présente la fourniture de produits sanguins, les centres de transfusion sont responsables, même en l’absence de faute, des conséquences dommageables de la mauvaise qualité des produits fournis ». C’est donc une véritable responsabilité de plein droit du fait des choses que l’on a sous sa garde qu’institue le Conseil d’Etat.
Il faut également relever que pour les victimes de la contamination par le virus du sida, la loi n°91-1406 du 31 décembre 1991 a créé un fonds d’indemnisation. Par la suite la loi n°2004-809 du 13 août 2004 a modifié l’article L. 3122-1 du Code de santé publique qui prévoit désormais une indemnisation par l’ONIAM. Toutefois, l’existence de ce fonds ne constitue pas un obstacle à la saisine du juge administratif en vue de l’obtention d’éventuels compléments d’indemnisation. Enfin, la loi n°2008-1330 du 17 décembre 2008 permet également aux personnes contaminées par l’hépatite C d’être indemnisées par l’ONIAM (Code de la santé publique, art. L. 1221-14).
1662.- Défaillance de produits et d’appareils de santé des établissements hospitaliers.- L’idée de garde de la chose est également présente dans la jurisprudence consacrée aux dommages occasionnés pour les usagers par la défaillance des produits et appareils de santé que les établissements hospitaliers utilisent (CE, 9 juillet 2003, requête numéro 220437, Assistance publique – Hôpitaux de Paris c. Marzouk, préc.). Cette jurisprudence a été reconnue conforme à la directive n°85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (CJUE, 21 décembre 2011, affaire numéro C-495/10, Centre hospitalier universitaire de Besançon c. Dutrueux : JCP A 2012, comm. 2078, note Oberdorff ; AJDA 2012, p. 36, chron. Aubert, Broussy et Donnat ; D. 2012, p. 926, note Borghetti ; Europe 2012, comm. 100, note Larché) ce qui a permis au Conseil d’Etat de la maintenir (CE, 12 mars 2012, requête numéro 327449, Centre hospitalier universitaire de Besançon : AJDA 2012, p. 1665, note Belrhali-Bernard ; D. 2013, p. 40, obs. Brun et Gout ; JCP G 2012, comm. 623, note Tifine ; RFDA 2012, p. 961, obs. Mayeur-Carpentier, Clément-Wilz et Martucci ; RDSS 2012, p. 716, note Peigné ; RTDE 2012, p. 925, obs. Ritleng.- V. également CE, 25 juillet 2013, requête numéro 339922, Falempin : JCP G 2013, comm. 1079, note Paillard ; JCP G 2014, comm. 568, note Bloch ; D. 2013, p. 2433, note Bacache ; D. 2014, p. 55, obs. Gout ; RTD civ. 2014, p. 134, obs. Jourdain). Dans l’hypothèse où la responsabilité sans faute d’un établissement de santé est engagée, celui-ci a toutefois la possibilité d’exercer un recours en garantie à l’encontre du producteur sur le fondement des dispositions du Code civil transposant la directive. C’est le juge administratif qui est compétent pour connaître de cette action, dès lors qu’elle concerne un litige relatif au marché public conclu entre l’établissement de santé et le producteur du produit défectueux (TC, 11 avril 2016, requête numéro 4044, Centre Hospitalier de Chambéry).
1663.- Dommages occasionnés par des mineurs faisant l’objet d’une mesure d’assistance éducative.- Enfin, il existe des hypothèses de responsabilité sans faute du fait des personnes que l’on a sous sa garde. Si le Conseil d’Etat considère que l’Etat crée un risque spécial en mettant en œuvre des méthodes libérales de rééducation des mineurs délinquants, les juges ont longtemps refusé de faire bénéficier d’un même régime les victimes de dommages causés par des mineurs en danger placés au titre de l’assistance éducative (C. civ., art. 775 s.). Cette solution était logique : placer un mineur en danger – même s’il est fragilisé – ne créée aucun risque spécial de dommage, ce qui est le cas, en revanche, lorsqu’un mineur délinquant bénéficie d’une mesure de rééducation au lieu d’être enfermé. La preuve d’une faute était donc nécessaire lorsque le mineur était placé auprès d’une institution de droit public, relevant soit du département soit de l’Etat, alors que la Cour de cassation avait admis, pour les structures éducatives privées, le principe d’une responsabilité de plein droit sur le fondement de la garde d’autrui (Cass. Ass. plén., 29 mars 1991, pourvoi numéro 89-15231, Blieck : JCP G 1991, II, comm. 21673, concl. Doutenwille, note Ghestin ; D. 1991, p. 324, note Larroumet ; D. 1991, p. 157, note Viney ; Gaz. Pal. 1992, II, p. 513, note Chabas ; Defrénois 1991, p. 729, obs. Aubert ; RTD civ. 1991, p. 312, obs. Hauser et p. 541, obs. Jourdain).
Cette divergence a finalement conduit le Conseil d’Etat à reconnaître la responsabilité sans faute de l’Etat pour les dommages causés par les mineurs faisant l’objet d’une mesure d’assistance éducative (CE Sect., 11 février 2005, requête numéro 252169, GIE Axa Courtage : Rec. p. 45, concl. Devys ; AJDA 2005, p. 663, chron. Landais et Lenica ; BJCL 2005, p. 260, note Robineau-Israel et Vialettes ; JCP G 2005, II, comm. 10070, concl. Devys, note Rouault ; JCP A 2005, comm. 1132, note Moreau ; RDSS 2005, p. 466, note Cristol ; RFDA 2005, p. 595, concl. Devys, note Bon). Cet arrêt emprunte au droit privé la notion de garde d’autrui et ne se réfère plus à la notion de « méthode dangereuse », ce qui est logique dans la mesure où les mineurs qui font l’objet de ces mesures de placement ne sont pas censés être « dangereux ».
Les critères d’identification du gardien ont été précisés par le Conseil d’Etat à l’occasion de son arrêt du 13 février 2009, Département de Meurthe-et-Moselle (requête numéro 294265 : Rec. tables p. 632 ; JCP A 2009, act. 225 ; RDSS 2009, p.377, obs. Cristol) : sont concernées les décisions par lesquelles le juge des enfants confie la garde d’un mineur, dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative à l’une des personnes mentionnées à l’article 375-3 du Code Civil, transférant à la personne qui en est chargée la responsabilité d’organiser, diriger et contrôler la vie du mineur. Le Conseil d’Etat a précisé que la responsabilité du gardien est engagée, même lorsque le placement est fait à la demande des parents (CE, 26 mai 2008, requête numéro 290495, Département des Côtes-d’Armor : AJDA 2008, p. 2081, note Fort). Il en va de même lorsque cette demande est faite par le président du conseil régional (CE, 1er juillet 2016, requête numéro 375076, Groupama Grand Est : AJDA 2016, p. 2292, note Camguilhem ; JCP A 2016, comm. 2230, concl. Decout-Paolini, note Habchi ; JCP G 2016, comm. 1114, note Perdrix). En revanche, cette solution ne s’applique pas à un mineur souffrant de troubles psychologiques traité en hôpital de jour. Dans ce cas, en effet, la garde du mineur incombe aux parents et non à l’établissement hospitalier (CE, 17 février 2012, requête numéro 334766, Société Maaf Assurances, préc.).
Le Conseil d’Etat avait jugé que cette solution s’appliquait y compris lorsque le mineur ne se trouve pas au moment des faits sous la surveillance effective du gardien (CE, 17 décembre 2008, requête numéro 319782, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice c. Lauze : Rec., p. 906 ; AJDA 2009, p. 661, concl. de Silva), et même lorsqu’il est momentanément hébergé chez ses parents (CE, 3 juin 2009, requête numéro 300924, Garde des Sceaux, ministre de la Justice c/ Société Gan assurances). Dans cette dernière affaire il a ainsi été jugé que dans le cas où le mineur a été confié à un service ou un établissement qui relève de son autorité, l’Etat est responsable « dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a suspendu ou interrompu cette mission éducative ».
Ces deux solutions ont été en partie remises en cause par le Conseil d’Etat qui a considéré, dans un arrêt Groupama Grand Est du 1er juillet 2016, qu’est responsable celui qui assure « la prise en charge durable et globale du mineur » (CE, 1er juillet 2016, requête numéro 375076, Groupama Grand Est, préc.). L’existence d’une décision judiciaire de placement n’est donc plus le seul critère d’identification du gardien du mineur. Cet arrêt met en oeuvre un critère matériel dont l’utilisation s’avère beaucoup plus incertaine.
Exemple :
– Dans cette affaire les juges relèvent que les agissements délictueux du mineur avaient été commis à proximité du domicile de son père dans le Jura, alors qu’il était accueilli durant la semaine dans un centre de formation de la Haute-Saône et les samedis et dimanches par son père à son domicile. Les juges du fond en ont déduit que, intervenus alors que le mineur était sous la garde de l’un de ses parents, les faits n’engageaient pas la responsabilité du département du Jura. Le Conseil d’Etat estime qu’en se fondant sur la seule circonstance que le mineur était accueilli en fin de semaine par son père pour en déduire que la responsabilité du département n’était pas engagée, sans rechercher si la décision par laquelle le président du conseil général avait décidé de le prendre en charge, formalisée dans des contrats de placement, avait eu pour effet de transférer au département la responsabilité d’organiser, diriger et contrôler sa vie pendant la durée de cette prise en charge, la cour a commis une erreur de droit.
Il faut noter également que la circonstance que la victime soit un usager, et non pas un tiers, ne fait pas obstacle à l’application du régime de responsabilité sans faute du fait des dommages causés par des mineurs placés (CE, 13 novembre 2009, requête numéro 306517, Ministre de la Justice : JCP A 2010, comm. 2033, concl. de Silva, note Albert ; JCP G 2010, comm. 32, note Van Lang ; RDSS 2010, p.141, note Cristol). Cette responsabilité demeure encourue même si le juge avait formulé le souhait que l’enfant soit placé dans un foyer privé désigné par sa décision (CE, 13 février 2009, requête numéro 294265 : D. 2009, p. 631 ; JCP G 2009, comm. 10059, note Tifine ; RTD civ. 2009, p. 314, obs. Hauser). Il faut aussi préciser que la responsabilité du gardien peut également être engagée à l’égard de la personne auprès de laquelle le mineur a été placé par le département. Tel est le cas dans une affaire où la garde de mineurs avait été confiée au département, qui les a ensuite placés dans une fondation, qui assurait leur prise en charge en qualité de participante à l’exécution du service public de l’aide sociale à l’enfance (CE, 19 juin 2015, requête numéro 378293, Département des Bouches-du-Rhône : JCP A 2015, comm. 2301, concl. Daumas).
1664..- Modification des règles de responsabilité en cas de dommages occasionnés par un mineur délinquant.- Cette innovation jurisprudentielle a conduit le Conseil d’Etat à modifier les règles applicables à la responsabilité de l’Etat du fait des mineurs délinquants, en intégrant la notion de garde d’autrui tout en en conservant la possibilité d’engager la responsabilité sans faute de l’Etat pour le risque spécial occasionné par lui (CE Sect., 1er février 2006, requête numéro 268147, Garde des Sceaux, ministre de la Justice c/ MAIF, préc.- V. également (CE, 17 février 2012, requête numéro 334766, Société MAAF Assurances : Rec., p. 51 ; JCP G 2012, act. 256, obs. Touzeil-Divina). La même solution s’applique pour la réparation des dommages occasionnés aux tiers lorsque, au cours d’une phase d’instruction d’une infraction mettant en cause un mineur et en dépit des risques découlant du comportement délictueux antérieur de l’intéressé, le juge d’instruction ou des enfants a décidé, plutôt que de mettre en œuvre les mesures de contrainte prévues à l’article 11 de l’ordonnance de 1945, de confier, par une mesure de placement, la garde du mineur à une personne digne de confiance (CE, 26 juillet 2007, requête numéro 292391, Ministre de la Justice c. Jaffuer, préc.). La même décision précise que les grands-parents du mineur doivent être regardés comme ayant la qualité de personnes dignes de confiance au sens des dispositions de l’article 10 de l’ordonnance du 2 février 1945, alors même que ceux-ci ne sont pas liés avec l’Etat par une convention spécifique, une habilitation ou un agrément particulier. En revanche, cette solution demeure réservée aux tiers victimes de dommages. Ainsi, un mineur victime d’une agression perpétrée par un autre mineur accueilli comme lui dans un lieu de vie et d’accueil en vue de son insertion sociale est un usager du service public de la justice qui a décidé d’un tel placement et il ne peut donc bénéficier du régime de responsabilité sans faute de l’Etat (CE, 17 décembre 2010, requête numéro 334797, Garde des Sceaux : Dr. adm. 2011, comm. 43, note Pauliat).
C – Responsabilité du fait des décisions administratives régulières
1665.- Décisions concernées et conditions d’engagement de la responsabilité sans faute de l’administration.- Il est nécessaire de déterminer la nature des décisions administratives régulières pouvant permettre l’engagement de la responsabilité sans faute de l’administration avant de définir les conditions de cet engagement.
1° Nature des décisions susceptibles de permettre l’engagement de la responsabilité sans faute de l’administration
1666.- Jurisprudence Couitéas.- Le principe d’une responsabilité sans faute du fait de décisions administratives individuelles régulières a été admis par le Conseil d’Etat à l’occasion de l’arrêt Couitéas du 30 novembre 1923 (requête numéro 38284, requête numéro 48688 : Rec. p. 789 ; D. 1923, III, p.59, concl. Rivet ; RDP 1924, p. 75, concl. Rivet et p. 208, note Jèze ; S. 1923, III, p.57, concl. Hauriou.- V. dans le même sens CE Sect., 27 mai 1977, requête numéro 98122, requête numéro 98123, SA Victor Delforge : Rec., p. 253 ; JCP G 1978, II, comm. 18778, note Pacteau ; Rev. adm. 1977, p.489, note Darcy.- CE, 19 décembre 2007, requête numéro 296453, Margaillan c/ Ministre de l’Intérieur.- CE, 17 janvier 2011, requête numéro 325663, SA HLM France Habitation).
En l’espèce, un préfet avait refusé au requérant le concours de la force publique pour exécuter une décision de justice ordonnant l’expulsion de tribus nomades du terrain dont il était propriétaire en Tunisie. Des impératifs d’ordre public justifiaient cette décision qui ne pouvait ainsi être considérée comme fautive. Cependant, les juges estiment que « le préjudice qui peut résulter de ce refus ne saurait, s’il excède une certaine durée, être regardé comme une charge incombant normalement à l’intéressé et qu’il appartient au juge de déterminer la limite à partir de laquelle il doit être supporté par la collectivité (…) la privation de jouissance totale et sans limitation de durée résultant, pour le requérant, de la mesure prise à son égard, lui a imposé, dans l’intérêt général, un préjudice pour lequel il est fondé à demander une réparation pécuniaire ».
1667.- Loi n°91-650 du 9 juillet 1991.- Ces principes ont été repris par l’article 16 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution, codifié à l’article L. 153-1 du Code des procédures civiles d’exécution qui précise que « l’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation» (sur l’application de cette loi V. par ex. CE, 19 octobre 2016, requête numéro 383543, Ministre de l’Intérieur). De même, pour le Conseil constitutionnel « toute décision de justice est exécutoire (…) la force publique devant (…) prêter main-forte à cette exécution ». Toutefois « dans des circonstances exceptionnelles tenant à la sauvegarde de l’ordre public, l’autorité administrative peut (…) ne pas prêter son concours » (CC, 29 juillet 10998, numéro 98-403 DC : AJDA 1998, p. 705, chron. Schoettl ; RFDC 1998, p. 765, note Trémeau).
1668.- Jurisprudence de la CEDH.- De son côté, la Cour européenne des droits de l’homme considère qu’un Etat peut refuser le concours de la force publique pour l’exécution d’une décision de justice dans la mesure où des considérations tenant à la préservation de l’ordre public justifient l’inexécution (CEDH, 28 juillet 1999, affaire numéro 22774/93, Immobiliare Saffi c. Italie : JCP G 2000, I, 203, chron. Sudre. – CEDH, 31 mars 2005, affaire numéro 62740/00, Matheus c. France : AJDA 2005, p. 1886, chron. Flauss ; AJDI 2005, p. 928, obs. Raynaud ; Europe 2005, comm. 234, note Deffains ; JCP G 2005, I, comm. 159, chron. Sudre ; JCP G 2005, I, comm. 181, chron. Périnet-Marquet ; RDP 2006, p. 785). Cette inexécution peut également être valablement fondée sur des raisons liées à la politique sociale de l’Etat (CEDH, 31 mars 2005, Matheus c. France, préc.) ou plus généralement sur la prise en compte de la situation sociale particulière des occupants (CEDH, 2 décembre 2010, affaire numéro 6722/05, Sud Est Réalisations c. France). Cependant, ces considérations ne permettent pas l’inexécution permanente de la décision de justice. Elles créent un « sursis à l’exécution » pendant un temps « strictement nécessaire » qui doit permettre à l’Etat de trouver une issue. Ainsi, une inexécution qui a duré plus de seize ans a pu être qualifiée par la Cour de non « strictement nécessaire » ce qui caractérise une violation de l’article 1 du Protocole n°1 de la Convention européenne des droits de l’homme (même décision).
1669.- Autres hypothèses.- Cette jurisprudence n’a pas vocation à s’appliquer qu’aux seuls cas de refus du concours de la force publique pour l’exécution des jugements, mais également à d’autres décisions administratives.
C’est le cas notamment des décisions refusant d’expulser des grévistes d’un lieu de travail (CE, 3 juin 1938, requête numéro 58698, requête numéro 58699, Société La Cartonnerie et Imprimerie Saint-Charles : Rec. p. 539 ; DP 1938, III, p. 65, note Appleton ; DP 1939, III, p. 9, concl. Darras.- V. aussi concernant le blocage du domaine public portuaire CE, 30 septembre 2019, requête numéro 416615 : Contrats-Marchés publ. 2019, comm. 385, note Soler-Couteaux ; Dr. adm. 2020, comm 5., note Eveillard ; JCP A 2019, act. 625, obs. Touzeil-Divina).
De nombreux autres exemples peuvent être mentionnés :
– CE Sect., 23 décembre 1970, requête numéro 73453, EDF c. Farsat (Rec., p. 790 ; AJDA 1971, 16820, note Beaufrère) : les juges réparent les dommages subis par un propriétaire du fait de la renonciation d’EDF à poursuivre l’expropriation de son terrain.
– CE, 15 novembre 2000, requête numéro 03BX01092, Chambre de commerce et d’industrie de Colmar et du Centre Alsace et Commune de Morschwiller-le-Bas (CJEG 2001, p. 118, concl. Seban) : en renonçant à la réalisation du projet de liaison fluviale à grand gabarit entre la Saône et le Rhin, l’Etat n’a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité à l’égard d’une commune. Toutefois, cette commune a subi un préjudice particulier, en raison de l’incidence de l’abandon du projet Saône-Rhin sur la fréquentation d’une voie navigable reliant le canal d’Alsace au port de Mulhouse, dont elle n’avait contribué à financer les travaux de mise à grand gabarit que dans la perspective de la réalisation de l’ensemble du projet de liaison Saône-Rhin.
– CE, 8 juin 2017, requête numéro 390424, Bozidarevic (JCP A 2017, comm. 2166, note Vioujas) : un praticien hospitalier suspendu pendant huit ans a subi une diminution difficilement remédiable de ses compétences chirurgicales compromettant ainsi la possibilité pour lui de reprendre son exercice professionnel. Ce préjudice grave, qui a revêtu un caractère spécial, ne peut être regardé, alors que le requérant a été relaxé des poursuites pénales qui avaient motivé la suspension et n’a pas fait l’objet d’une sanction disciplinaire, comme une charge qui lui incombait normalement
– CE, 13 juin 2022, requête numéro 437160, Société Immotour (Dr. adm. 2022, comm. 44, note Le Bot ; JCP A 2022, comm. 2285, note François ; AJDA 2022, p. 2139, note Marchand) : la responsabilité sans faute d’une commune peut être recherchée du fait des décisions légales de préemption puis de renonciation à l’exercice de ce droit.
A l’occasion de l’arrêt de Section Commune de Gavarnie du 22 février 1963, le Conseil d’Etat a étendu la jurisprudence Couitéas aux actes règlementaires (requête numéro 50438 : Rec., p. 113 ; AJDA 1963, p. 208, chron. Gentot et Fourré ; RDP 1963, p.1019, note Waline).
Enfin, si l’Etat engage sa responsabilité et doit dédommager le bailleur pendant toute la période où l’occupant s’est maintenu dans les lieux, il convient de prendre en considération les sursis accordés par la loi ou par le juge pour quitter les lieux. De la même façon, il a été jugé que la responsabilité de l’Etat à raison de son refus d’accorder le concours de la force publique cesse d’être engagée à compter de la signature d’un protocole d’accord de prévention de l’expulsion entre le bailleur et l’occupant comportant les engagements réciproques prévus par les dispositions de l’article L. 353-15-2 du Code de la construction et de l’habitation. L’organisme bailleur retrouve le droit de poursuivre l’exécution de l’ordonnance une fois constatée la défaillance de l’occupant du logement à remplir ses engagements financiers. La notification par le bailleur au préfet de la dénonciation du protocole doit être regardée, même lorsqu’elle ne le mentionne pas expressément, comme valant réquisition de prêter le concours de la force publique à l’expulsion du locataire. En conséquence, le défaut de réponse à cette réquisition dans un délai de deux mois équivaut à un refus, qui est de nature à engager la responsabilité de l’Etat (CE, 16 avril 2008, requête numéro 300268, OPHLM de Seine et Marne).
2° Conditions d’engagement de la responsabilité sans faute de l’administration
1670.- Exigence d’un dommage anormal et spécial.- Quelle que soit la nature de la décision à l’origine du dommage, celui-ci ne sera réparé que s’il présente un caractère anormal et spécial ce qui, une fois encore, donne lieu à une jurisprudence particulièrement casuistique.
Exemples :
– CE, 31 mars 1995, requête numéro 137573, Lavaud (AJDA 1995, p. 422, chron. Touvet et Stahl) : la décision d’un office public d’HLM, de fermer dix tours d’un ensemble immobilier, en liaison avec de graves incidents survenus dans le quartier des Minguettes dans la banlieue lyonnaise, a causé un préjudice commercial grave et spécial pour un pharmacien.
– CE, 22 février 2002, requête numéro 224809, Michel (Dr. adm. 2002, comm. 97) : les maladies infectieuses qui peuvent toucher les animaux sauvages et les mesures que sont, dans ces cas, amenées à prendre les autorités compétentes et qui peuvent, comme dans les circonstances de l’espèce, consister, notamment, en une interdiction de commercialiser le gibier abattu, constituent un aléa que doivent, en principe, supporter les personnes titulaires de droit de chasse. En l’espèce, le dommage qu’a pu subir un chasseur, mis dans le cours de l’année cynégétique 1992-1993 dans l’impossibilité de commercialiser les sangliers abattus sur les lots de chasse dont il est titulaire dans la commune, ne peut être regardé comme anormal.
1671.- Hypothèse de l’exclusion de la responsabilité sans faute.- Enfin, quelle que soit la nature des mesures contestées, le principe d’une responsabilité sans faute de l’administration est écarté dans deux hypothèses.
C’est le cas, tout d’abord, lorsque l’objet même de la mesure à l’origine du dommage est de provoquer une rupture d’égalité devant les charges publiques.
Exemple :
– CE, 15 mai 1987, requête numéro 46257, Société Transports et affrètements fluviaux (Rec., p. 176 ; D. 1988, somm. comm. p. 167, obs. Moderne et Bon) : en l’absence de dispositions législatives en disposant expressément autrement et eu égard à l’objet en vue duquel a été établie la règlementation des activités de transport par voie navigable, les décisions légalement prises en application de cette règlementation ne sauraient engager la responsabilité de l’Etat ou de l’Office national de la navigation sur le fondement du principe d’égalité devant les charges publiques.
De même, la responsabilité sans faute de l’administration est écartée lorsque la décision à l’origine du dommage poursuit un intérêt général considéré comme prééminent. Dans ce cas, le silence de l’auteur de la décision quant à la question de l’indemnisation est interprété comme un refus implicite.
Exemples :
– CE, 30 juillet 1997, requête numéro 118521, Boudin : les mesures permettant au ministre de la Santé de mettre en garde le public contre des produits dont la consommation présente un risque grave pour la santé, eu égard à l’objectif de protection de la santé publique qu’elles poursuivent, ne peuvent ouvrir droit à indemnisation que si elles sont constitutives d’une faute.
– CE, 23 décembre 1988, requête numéro 75201, Martin (Rec., p. 470 ; D. 1989, p.267, note Moulin ; D. 1989, somm. comm. p.344, obs. Moderne et Bon) : la loi n° 66-1006 du 28 décembre 1966 a eu pour objet de restreindre le transfert des capitaux à l’étranger en vue de la protection de la monnaie. En l’absence de toute disposition législative en disposant expressément, les règlements légalement pris en application de cette législation ne sauraient engager la responsabilité sans faute de l’Etat.
Cependant, la responsabilité sans faute est malgré tout admise lorsque l’intérêt invoqué ne présente pas un tel caractère prééminent.
Exemple :
– CE Ass., 23 mars 1984, requête numéro 24832, Société Alivar (Rec., p. 127 ; AJDA 1984, p. 396, note Genevois ; AJDA 1985, p. 536, chron. Hubac et Schoettl ; D. 1986, inf. rap. p. 24, obs. Moderne et Bon ; JCP 1985, comm. 20423, note Davignon ; Rev. adm. 1984, p. 375, note Pacteau ; RTDE 1984, p. 351, concl. Denoix de Saint Marc) : le refus de visa d’une déclaration d’exportation en Italie de pommes de terre a été pris pour des motifs d’intérêt général tirés de l’état de pénurie de ce marché (et non des marchés en général). Dès lors l’Etat français ne saurait être tenu à réparation envers cette société que sur le fondement de la responsabilité sans faute au cas où il serait justifié d’un préjudice anormal et spécial imputable à l’intervention de l’administration française.
Si l’on raisonne par analogie avec les solutions retenues en matière de responsabilité du fait des lois, il faut enfin relever, comme on l’évoquera plus loin, que cette notion d’intérêt prééminent est en net recul. Il n’est pas sûr, à l’heure actuelle, qu’elle permette d’écarter l’application du régime de responsabilité sans faute.
D – Responsabilité du fait des lois et des conventions internationales
1° Responsabilité du fait des lois
1672.- Rejet de la responsabilité pour faute.- L’existence d’une responsabilité sans faute du fait des lois est liée, en grande partie, au refus longtemps inflexible de considérer que le législateur peut commettre une faute dans le cadre de ses activités. L’admission d’une responsabilité pour faute de l’Etat législateur s’est en effet très longtemps heurtée au vieux principe, hérité du légicentrisme, selon lequel « le souverain ne peut mal faire ». En d’autres termes, le Parlement, parce qu’il représente la nation souveraine, ne saurait commettre de faute dans le cadre de son action.
1673.- Hypothèse particulière de la méconnaissance par le législateur des normes internationales.- Cette solution pose toutefois un problème dans les cas où le législateur est mis en cause pour avoir méconnu ses obligations résultant des normes internationales, et notamment du droit de l’Union européenne. En effet, en refusant de reconnaître une faute, le juge administratif n’assure pas le respect de l’article 55 de la Constitution qui prévoit la supériorité des traités sur les lois ni celui de l’article 88-1 qui impose le respect du droit de l’Union.
Après avoir longtemps esquivé la question, le Conseil d’Etat a finalement admis la responsabilité de l’Etat législateur pour non transposition des objectifs d’une directive à l’occasion de l’arrêt Gardedieu du 8 février 2007 (requête numéro 279522, préc.). Il reconnaît en l’espèce que « la responsabilité de l’Etat du fait des lois est susceptible d’être engagée … en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de l’intervention d’une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France ». Cette solution s’applique également en cas de méconnaissance par la loi des principes généraux du droit de l’Union européenne (CE, 23 juillet 2014, requête numéro 354365, Société d’éditions et de protection route, préc.). En revanche, elle ne s’applique pas dans les cas où ce n’est pas la loi elle-même qui est en cause, mais la portée qui lui a été ultérieurement conférée par la jurisprudence (Ibid.).
1674.- Transposition de ce raisonnement à l’hypothèse de la violation par le législateur de normes constitutionnelles.- C’est ce raisonnement qui a ensuite été transposé par le Conseil d’Etat pour la réparation des préjudices résultant de lois contraires à la Constitution à l’occasion de trois arrêts d’Assemblée du 24 décembre 2019 (requête numéro 425983, Société hôtelière Paris Eiffel Suffren ; requête numéro 428162, Laillat ; requête numéro 425981, Société Paris Clichy, préc). Ainsi, la responsabilité de l’Etat peut être engagée « en raison des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes, pour réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de l’application d’une loi méconnaissant la Constitution (…) ». Toutefois, cette hypothèse de responsabilité pour faute -qui ne dit pas son non- est cantonnée aux cas où le Conseil constitutionnel a au préalable déclarée inconstitutionnelle la loi incriminée. Sa mise en œuvre concrète est également rendue difficile par une appréciation stricte du lien de causalité entre le fait générateur (la loi inconstitutionnelle) et le préjudice subi et par une application restrictive de la règle de la déchéance quadriennale.
En outre, le législateur ne pouvant lui-même se lier, une disposition législative posant le principe de l’intervention d’une loi ultérieure ne saurait constituer une promesse dont le non respect constituerait une faute susceptible d’engager, devant le juge administratif, la responsabilité de l’Etat (CE, 27 juin 2016, requête numéro 382319, Bernarbé et a. : Rec., p. 935 ; AJDA 2017, p. 67, note Jacquemet-Gauché).
Les exceptions visées par l’arrêt Gardedieu et les arrêts du 24 décembre 2019 mises à part, c’est le principe d’une responsabilité sans faute de l’Etat législateur qui prévaut, tel qu’il a été admis par le Conseil d’Etat à l’occasion de l’arrêt d’Assemblée du 14 janvier 1938, Société des produits laitiers La Fleurette (requête numéro 51704 : Rec. p. 25 ; D. 1938, III, p. 41, concl. Roujou, note Rolland ; RDP 1938, p. 87, concl. Roujou, note Jèze ; S. 1938, III, p. 25, concl. Roujou, note Laroque).
C’est ainsi qu’en matière de responsabilité de l’Etat législateur du fait des lois inconstitutionnelles le Conseil d’Etat a mis en place un régime dual. Ainsi, cette responsabilité « est susceptible d’être engagée, d’une part, sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques », ce qui est la solution classiquement retenue en matière de responsabilité du fait des lois. Elle peut également être engagée « d’autre part, en raison des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes, pour réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de l’application d’une loi méconnaissant la Constitution ou les engagements internationaux de la France ». On retrouve ici la même hypothèse que dans l’arrêt Gardedieu.
1675.– Responsabilité sans faute de l’Etat législateur.- Pour en revenir à la responsabilité sans faute, dans l’affaire Société des produits laitiers La Fleurette était en cause la loi du 9 juillet 1934 relative à la protection du marché du lait avait interdit la fabrication de produits présentant l’aspect de la crème, destinés aux mêmes usages, mais ne provenant pas exclusivement du lait. Elle occasionnait un préjudice important à la société requérante qui avait dû renoncer à la production d’un produit portant le nom bien peu appétissant de « gradine ».
Les juges estiment que « rien, ni dans le texte même de la loi ou dans ses travaux préparatoires, ni dans l’ensemble des circonstances de l’affaire, ne permet de penser que le législateur a entendu faire supporter à l’intéressée une charge qui ne lui incombe pas normalement ». Il en résulte que cette charge, créée dans l’intérêt général, doit être supportée par la collectivité.
Comme pour ce qui concerne les décisions administratives régulières, le principe d’une responsabilité sans faute est écarté lorsque l’objet même de la mesure à l’origine du dommage est de provoquer une rupture d’égalité devant les charges publiques. En revanche, la notion d’intérêt général prééminent qui manifesterait la volonté tacite du législateur d’exclure la responsabilité est aujourd’hui abandonnée (CE, 2 novembre 2005, requête numéro 266564, Société coopérative agricole Ax’ion : AJDA 2006, p. 142, chron. Landais et Lenica ; RFDA 2006, p. 214 et p. 349, concl. Guyomar, note Guettier ; Droit adm. 2006, comm. 34.- CE, 25 juillet 2007, requête numéro 278190, Leberger : Rec., p. 392.- CE, 1er février 2012, requête numéro 347205, Bizouerne et a. : JCP A 2012, comm. 2146, note Pacteau.- CAA Douai, 24 avril 2008, requête numéro 05DA00307, Société Lepicard : AJDA 2008, p. 1559).
Exemples :
– CE Sect., 30 juillet 2003, requête numéro 215957, Association pour le développement de l’aquaculture en région Centre (Rec., p. 367 ; JCP A 2003, comm. 1896, note Broyelle ; JCP G 2003, II, comm. 10173, note Jobart ; AJDA 2003, p. 1815, chron. Donnat et Casas ; RFDA 2004, p. 144, concl. Lamy, notes Bon et Pouyaud) : il ne ressort ni de l’objet ni des termes de la loi n°76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, non plus que de ses travaux préparatoires, que le législateur ait entendu exclure que la responsabilité de l’Etat puisse être engagée en raison d’un dommage anormal que l’application de ces dispositions pourrait causer à des activités – notamment agricoles – autres que celles qui sont de nature à porter atteinte à l’objectif de protection des espèces que le législateur s’était assigné. Le préjudice résultant de la prolifération des animaux sauvages appartenant à des espèces dont la destruction a été interdite en application de ces dispositions doit faire l’objet d’une indemnisation par l’Etat lorsque, excédant les aléas inhérents à l’activité en cause, il revêt un caractère grave et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés.
– CE, 12 octobre 2016, requête numéro 383423, Fonds départemental d’indemnisation du Bas-Rhin : l’article L. 429-27 du Code de l’environnement institue un dispositif de mutualisation entre les titulaires du droit de chasse de la charge de l’indemnisation des dégâts causés par les sangliers aux cultures, dont ils ont la responsabilité collective de réguler la population. Il ne résulte toutefois ni de ces dispositions, telles qu’éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux dont elles sont issues, ni de celles sur le fondement desquelles le décret du 2 septembre 1997 a été pris, ni d’aucune autre disposition législative, que le législateur aurait entendu exclure que les fonds départementaux d’indemnisation des dégâts de sangliers puissent rechercher la responsabilité de l’Etat sur le fondement de la rupture d’égalité devant les charges publiques, au titre d’un préjudice financier grave et spécial causé par des décisions légales de l’administration, telles que celles ayant pour objet d’interdire l’exercice de la chasse dans une réserve naturelle.
Pour être réparé, le préjudice subi doit présenter un caractère anormal et spécial, ce qui est susceptible de poser un certain nombre de difficultés.
Exemples :
– CE, 23 juillet 2014, requête numéro 354365, Société d’éditions et de protection route (préc.) : quelle que soit la portée conférée par la Cour de cassation aux dispositions de l’article L. 321-1-3 du Code du travail en ce qui concerne notamment l’obligation d’établir un plan social, ces dispositions se sont appliquées à tous les employeurs envisageant, dans le cadre d’une restructuration, le licenciement de plus de dix salariés à la suite de leur refus d’une modification substantielle de leur contrat de travail. La cour administrative d’appel n’a pas dénaturé les faits de l’espèce en jugeant qu’au regard de ce texte, tous les employeurs étaient placés dans la même situation. La société requérante n’était donc pas fondée, faute de pouvoir se prévaloir d’un préjudice spécial, à mettre en cause la responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’égalité devant les charges publiques.
– CE, 1er février 2012, requête numéro 347205, Bizouerne (Rec., p. 14 ; AJDA 2012, p. 1079, note Belrhali-Bernard ; Dr. adm. 2012, comm. 53, note Broyelle ; JCP A 2012, comm. 2146, note Pacteau ; RFDA 2012, p. 333, concl. Roger-Lacan) : le juge indemnise les préjudices résultant de la prolifération des animaux sauvages appartenant à des espèces dont la destruction a été interdite en application des dispositions de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976. Ces préjudices ne doivent toutefois faire l’objet d’une indemnisation que lorsque, et dans la mesure où, excédant les aléas inhérents à l’activité en cause, ils revêtent un caractère grave et spécial et ne sauraient, dès lors, être regardés comme une charge incombant normalement aux intéressés. Par conséquent, l’indemnisation est seulement due pour la part du préjudice excédant les pertes résultant normalement de l’aléa d’exploitation.
Enfin, il faut relever que la mise en cause de l’Etat législateur ne peut avoir lieu que devant les juridictions administratives (TC, 31 mars 2008, requête numéro C3631, Société Boiron c. Direction générale des douanes et droits indirects.- CE, 15 février 2016, requête numéro 378625, Département de la Guadeloupe : Rec., p. 683).
2° Responsabilité du fait des conventions internationales
1676.- Conditions d’engagement de la responsabilité sans faute de l’Etat.- Le principe d’une responsabilité sans faute pour la réparation des dommages causés par les conventions internationales a été admis à l’occasion de l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat du 30 mars 1966, Compagnie générale d’énergie radioélectrique (requête numéro 50515, préc.). Les juges relèvent que « la responsabilité de l’Etat est susceptible d’être engagée sur le fondement de l’égalité devant les charges publiques pour assurer la réparation du préjudice né de conventions conclues par la France avec d’autres Etats et incorporées régulièrement dans l’ordre interne, à la condition que ni cette convention, ni la loi qui en a éventuellement autorisé la ratification, n’aient entendu exclure toute indemnisation, et que le préjudice soit suffisamment grave et présente un caractère spécial ».
Encore faut-il toutefois que l’acte en cause soit bien une convention internationale et que le préjudice subi découle directement de son application. Tel n’est pas le cas des accords d’Evian relatifs à l’indépendance de l’Algérie (CE, 27 juin 2001, requête numéro 230383, Tounsi-Mohand).
Depuis l’arrêt Almayrac et a. du 29 décembre 2004 (requête numéro 262190, requête numéro 262323 : Rec., p. 465 ; AJDA 2005, p. 427, chron. Landais et Lenica ; Droit adm. 2005, comm. 42 ; RFDA 2005, p. 586, concl. Stahl), il n’est plus exigé, cependant, que le traité ait été régulièrement incorporé dans l’ordre juridique interne. A partir de cet arrêt, il suffit en effet qu’il y soit entré en vigueur.
Mais à l’occasion d’un arrêt Susilawati du 11 février 2011 (requête numéro 325253 : AJDA 2011, p. 906, note Belrhali-Bernard ; Dr adm. 2011, comm. 42, note Melleray ; JCP A 2011, act. 133, obs. Dubreuil ; JCP A 2011, comm. 2103, note Pacteau ; RFDA 2011, p. 573, concl. Roger-Lacan ; LPA, 21 avril 2011, p.5, note Muller ; RDP 2012, p. 491, comm. Pauliat), le Conseil d’Etat est revenu à son exigence initiale en réservant l’application du régime de responsabilité sans faute au cas des traités régulièrement incorporés dans l’ordre juridique interne.
Notons également que dans un arrêt de Section Om Hashem Saleh et a. du 14 octobre 2011 (requête numéro 329788, requête numéro 329789, requête numéro 329790, requête numéro 329791 : Rec., p. 473, concl. Roger-Lacan ; AJDA 2011, p. 2482, note Broyelle ; JCPA 2012, comm. 2097, note Pacteau ; RFDA 2012, p.46, concl. Roger-Lacan ; RFDA 2013, p. 417, chron. Santulli), le Conseil d’Etat a étendu le principe de la responsabilité de l’Etat français pour la réparation du préjudice grave et spécial né d’une règle de droit international coutumier, en l’espèce relative aux immunités diplomatiques, qui interdit le recouvrement de créances. Cependant, le Conseil d’Etat a aussi précisé que le juge qui doit statuer sur la responsabilité de l’Etat en raison de la créance non réglée par un débiteur bénéficiant d’une immunité, doit tenir compte d’une éventuelle autre voie de droit ouverte au demander, notamment à l’arbitrage, dès lors qu’elle lui offre « une chance raisonnable de recouvrer sa créance » (CE, 11 déc. 2015, requête numéro 383835, Ministre des Affaires étrangères et du développement international).
E – Responsabilité du fait des difficultés d’accès des handicapés à des bâtiments publics
1677.- Une hypothèse précisément circonscrite.- Dans un arrêt d’Assemblée Bleitrach du 22 octobre 2010 (requête numéro 301572 : Rec. p. 399, concl. Roger-Lacan ; AJDA 2010, p. 2207, chron. Botteghi et Lallet ; Dr adm. 2010, 162, note Busson ; JCP A 2011, comm. 2186, note Baudoin ; JCP G 2010, comm. 1284, note Dagorne-Labe ; RDP 2011, p. 568, note Pauliat) le Conseil d’Etat retient la responsabilité sans faute de l’Etat à l’égard d’une avocate contrainte de se déplacer en fauteuil roulant et ayant souffert de l’étalement important de travaux d’accessibilité de certains palais de justice.
Il est à noter ici que le préjudice indemnisé n’est pas un préjudice matériel mais un préjudice moral dont les éléments sont très particuliers : il s’agit des troubles de toute nature causés à la requérante dans les conditions d’exercice de sa profession eu égard notamment au caractère pénible des situations régulièrement provoquées pour elle par ses difficultés d’accès au palais de justice. C’est la première fois que la réparation d’un tel préjudice est reconnue dans le cadre d’une responsabilité fondée sur le principe d’égalité devant les charges publiques.
F – Responsabilité du fait des dommages occasionnés à des tiers durant une perquisition administrative ordonnée dans le cadre de l’état d’urgence
1678.- Distinction entre les personnes visées par l’opération et les tiers.- Comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans un avis d’Assemblée du 6 juillet 2016, Napol et a. et Thomas et a. (avis numéro 398234, avis numéro 399135, préc.) dans le cadre de l’état d’urgence, c’est la responsabilité pour faute de l’Etat qui est susceptible d’être engagée, dans l’exécution de perquisitions administratives, lorsque la victime est une personne concernée par la perquisition. Peut d’abord être mise en cause l’illégalité de la décision de perquisition. Il s’agit ici d’une hypothèse classique de responsabilité pour illégalité commise par les autorités administratives. Ensuite, le requérant peut faire condamner l’Etat pour une faute commise dans les conditions d’exécution de la perquisition. Dans ces deux hypothèses, la démonstration d’une faute simple suffit.
En revanche, lorsque la victime est un tiers, par exemple une personne perquisitionnée par erreur, la responsabilité de l’Etat est engagée sans faute, sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques. Il est probable, même si l’avis du Conseil d’Etat ne le dit pas expressément, que la réparation des dommages subis soit conditionnée par leur caractère anormal et spécial.
Pour aller plus loin :
– Amselek (P.), La responsabilité sans faute des personnes publiques d’après la jurisprudence administrative : Mélanges Eisenmann, Cujas 1975, p. 233.
– Chavrier (G.), Essai de justification et de conceptualisation de la faute lourde : AJDA 2003, p. 1026.
– Cotteret (J.-M), Le régime de la responsabilité pour risque en droit administratif : Etudes de droit public, Cujas 1964.
– Disant (M.), La responsabilité de l’Etat du fait de la loi inconstitutionnelle : RFDA 2021, p. 1181.
– Deguergue (M.), Le contentieux de la responsabilité : politique jurisprudentielle et jurisprudence politique : AJDA, no spécial, juin 1995, p. 211.
– Deliancourt (S.), La responsabilité pour faute de l’Etat du fait des suicides en milieu carcéral : JCP A 2005, comm. 1124.
– Dubouis (L.), La responsabilité médicale devant la distinction droit public – droit privé : Mélanges Waline, Dalloz 2002, p. 195.
– Fraysse (E.), Le collaborateur occasionnel du service public, catégorie d’avenir du droit administratif : RDP 2020, p. 915.
– Guettier (C.), Du droit de la responsabilité administrative dans ses rapports avec la notion de risque : AJDA 2005, p. 1499.
– Gaudemet (Y.), La responsabilité de l’administration du fait de ses activités de contrôle : Mélanges Waline, Dalloz 2002, p. 561.
– Jacquemet-Gauché (A.), La jurisprudence Couitéas, du mythe doctrinal à la réalité indemnitaire : AJDA 2014, p. 1821.
– Lantero (C.), Les consolidations de la responsabilité hospitalière : AJDA 2020, p. 714.
– Lombard (M.), La responsabilité du service public de la justice : Mélanges Waline, Dalloz 2002, p.657.
– Moreau (J.), L’évolution des sources du droit de la responsabilité administrative : Mélanges Terré, Dalloz, 1999 p. 719.
– Poulet-Gibot Leclerc (N.), La faute lourde n’a pas disparu, elle ne disparaîtra pas ? : LPA 2002, n°132, p. 16.
– Tesson (F.), La responsabilité administrative du fait de la garde des mineurs : un mécanisme de réparation à l’âge adulte ? : JCP A 2015, comm. 2005.
– Tifine (P.), La place des ouvrages publics exceptionnellement dangereux dans la structure de la responsabilité du fait des ouvrages publics : RDP, p. 1405.
– Tifine (P.), La responsabilité des hôpitaux publics du fait des produits et appareils de santé : RGDM 2012/3, p. 131.
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