Saisi de la loi relative au secteur de l’énergie, le Conseil constitutionnel a rendu, le 30 novembre 2006, une décision significative, tant du point de vue de ses méthodes de contrôle, que du point de vue du fond du droit. Votée le 8 novembre 2006, la loi contrôlée assurait la transposition des directives 2003/54/CE (JOCE, n° L 176, 15 juillet 2004, p. 37) et 2003/55/CE (JOCE, n° L 176, 15 juillet 2004, p. 57) du 26 juin 2003 relatives à l’ouverture à la concurrence du secteur de l’électricité et du gaz, qui prévoyaient la libéralisation totale du marché au 1er juillet 2007. Elle autorisait, en outre, le transfert de l’entreprise publique GDF au secteur privé (Loi numéro 2006-1537, 7 décembre 2006, article 39, JO 8 décembre 2006, p. 18531).
1°) Contrôlant une loi de transposition, le Conseil a recouru aux méthodes dégagées par sa jurisprudence relative à la transposition des directives. Celle-ci, fondée sur l’article 88-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, a consacré l’existence d’une obligation constitutionnelle de transposition des directives (CC, 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique, décision numéro 2004-496 DC : rec. p. 101). Cette exigence constitutionnelle a d’abord eu pour effet l’incompétence du Conseil constitutionnel à l’égard des dispositions législatives se bornant à reprendre les règles inconditionnelles et précises contenues dans la directive ; l’incompétence du Conseil est cependant tempérée par l’existence d’une réserve de constitutionnalité, lui permettant de censurer de telles dispositions dans la mesure où elles se révéleraient contraires à une disposition expresse de la Constitution. Mais l’exigence constitutionnelle de transposition a aussi eu pour conséquence l’admission implicite (CC, 30 mars 2006, Loi pour l’égalité des chances, décision numéro 2006-535 DC : rec. p. 50) puis expresse (CC, 27 juillet 2006 Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, décision numéro 2006-540 DC : rec. p. 88) de la compétence du Conseil constitutionnel pour contrôler une loi par rapport à la directive qu’elle transpose, et en censurer les incompatibilités manifestes.
Le Conseil constitutionnel a fait application de ces règles dans sa décision du 30 novembre 2006, et a censuré certaines dispositions de la loi en raison de leur contrariété manifeste avec les objectifs des directives, une telle censure constituant une première dans sa jurisprudence. La loi relative au secteur de l’énergie prévoyait, en effet, l’application, dans le secteur du gaz, de tarifs réglementés devant être respectés par GDF. De tels tarifs visaient à protéger les consommateurs domestiques d’une éventuelle hausse trop brutale du prix de l’énergie, une fois la libéralisation du secteur opérée. Cependant, en permettant aux autorités publiques de fixer unilatéralement le prix de vente du gaz, la loi risquait de fausser le fonctionnement du marché du gaz et l’atteinte d’un prix d’équilibre sur celui-ci. En outre, ces tarifs réglementés risquaient de constituer une entrave à l’ouverture effective à la concurrence, des prix maintenus artificiellement bas pouvant constituer une barrière à l’entrée de nouveaux opérateurs sur le marché. Si le Conseil constitutionnel n’a pas condamné le principe même de ces tarifs, il a néanmoins censuré les dispositions de la loi en ce qu’elles n’en faisaient pas un procédé transitoire, voué à une disparition progressive. Au contraire, la possibilité offerte, par la loi, aux consommateurs domestiques de bénéficier à nouveau des tarifs réglementés, en cas d’emménagement sur un site de consommation qui les avait pourtant quittés antérieurement, avait pour conséquence leur survivance à plus long terme. Une telle possibilité apparaissait dès lors, pour le Conseil constitutionnel, manifestement incompatible avec la libéralisation du secteur de l’énergie.
2°) En ce qui concerne la privatisation de GDF, le Conseil a vérifié le respect, par le législateur, des contraintes constitutionnelles encadrant de telles opérations, telles qu’il les a développées dans sa décision fondatrice des 25-26 juin 1986 (CC, 25-26 juin 1986, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social dite « Lois de privatisation », décision numéro 86-207 DC : rec. p. 61). Celles-ci sont fondées sur l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946, lequel dispose que tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. Se posait alors, en l’espèce, la question de savoir si GDF devait être considérée comme un service public national, qualité que lui avait antérieurement reconnue le Conseil (CC, 5 août 2004, Service public de l’électricité et du gaz et entreprises électriques et gazières, décision numéro 2004-501 DC : rec. p. 134). De façon générale, il résulte de la jurisprudence du Conseil que doit être considéré comme un service public national, un service organisé au niveau national et exploité, au niveau national, par un seul opérateur. En se fondant sur l’ouverture totale à la concurrence du secteur de la fourniture de gaz, sur la répartition entre tous les opérateurs des contraintes de service public et sur le caractère local de l’activité de service public de distribution du gaz, le Conseil écarte la qualification de service public national. Ce faisant, il s’inscrit dans la continuité de sa jurisprudence traditionnelle tendant à laisser, au profit du législateur, une large marge d’appréciation. Une telle logique se retrouve d’ailleurs dans la jurisprudence administrative (CE Sect., 27 septembre 2006 Bayrou, requête numéro 290716 : rec. p. 404).
De même le Conseil, s’appuyant notamment sur l’ouverture à la concurrence du secteur gazier déjà entamée et parachevée à partir du 1er juillet 2007, sur l’existence historique de distributeurs non nationalisés, et sur le caractère substituable du gaz comme énergie, écarte l’existence d’un monopole de fait au profit de GDF. Là encore, au regard de la domination de GDF sur le secteur du gaz, à laquelle l’ouverture à la concurrence ne mettra très probablement pas fin, la décision du Conseil constitutionnel apparaît conciliante envers le législateur et démontre le caractère très relatif des limitations prévues à l’alinéa 9. Toutefois, le Conseil, au regard de l’importance que revêt, dans son analyse, la libéralisation complète du marché du gaz, précise que la privatisation ne sera possible qu’à partir du 1er juillet 2007.
3°) Enfin, on se bornera à souligner le contrôle, par le Conseil constitutionnel, du respect du principe de continuité du service public (CC, 25 juillet 1979, Droit de grève à la radio et à la télévision, décision numéro 79-105 DC : rec. p. 33) par le législateur. L’établissement d’obligations d’intérêt général, l’existence d’une action spécifique et d’un pouvoir de police administrative au profit de l’État permettent d’assurer la sécurité de l’approvisionnement en gaz de la France conduisent le Conseil à écarter le moyen selon lequel la loi porterait atteinte au principe de continuité du service public.