Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l’article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi relative au secteur de l’énergie,
le 13 novembre 2006, par M. Jean-Marc AYRAULT, Mmes Patricia ADAM, Sylvie ANDRIEUX, MM. Jean-Paul BACQUET, Jean-Pierre BALLIGAND, Gérard BAPT, Claude BARTOLONE, Jacques BASCOU, Christian BATAILLE, Éric BESSON, Jean-Louis BIANCO, Jean-Pierre BLAZY, Serge BLISKO, Patrick BLOCHE, Maxime BONO, Augustin BONREPAUX, Jean-Michel BOUCHERON, Pierre BOURGUIGNON, Mme Danielle BOUSQUET, MM. François BROTTES, Jean-Christophe CAMBADELIS, Thierry CARCENAC, Christophe CARESCHE, Mme Martine CARRILLON-COUVREUR, MM. Laurent CATHALA, Jean-Paul CHANTEGUET, Michel CHARZAT, Alain CLAEYS, Mme Marie-Françoise CLERGEAU, MM. Gilles COCQUEMPOT, Pierre COHEN, Mme Claude DARCIAUX, M. Michel DASSEUX, Mme Martine DAVID, MM. Marcel DEHOUX, Michel DELEBARRE, Bernard DEROSIER, Marc DOLEZ, François DOSÉ, René DOSIÈRE, Julien DRAY, Pierre DUCOUT, Jean-Pierre DUFAU, William DUMAS, Jean-Paul DUPRÉ, Yves DURAND, Henri EMMANUELLI, Claude ÉVIN, Laurent FABIUS, Jacques FLOCH, Pierre FORGUES, Michel FRANÇAIX, Jean GAUBERT, Lilian ZANCHI, Mme Catherine GÉNISSON, MM. Jean GLAVANY, Gaétan GORCE, Alain GOURIOU, Mmes Elisabeth GUIGOU, Paulette GUINCHARD, M. David HABIB, Mme Danièle HOFFMAN-RISPAL, MM. François HOLLANDE, Jean-Louis IDIART, Mme Françoise IMBERT, MM. Serge JANQUIN, Armand JUNG, Jean-Pierre KUCHEIDA, Mme Conchita LACUEY, MM. Jérôme LAMBERT, François LAMY, Jack LANG, Jean LAUNAY, Jean-Yves LE BOUILLONNEC, Gilbert LE BRIS, Jean-Yves LE DÉAUT, Jean LE GARREC, Jean-Marie LE GUEN, Bruno LE ROUX, Mme Marylise LEBRANCHU, MM. Michel LEFAIT, Patrick LEMASLE, Mme Annick LEPETIT, M. Michel LIEBGOTT, Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, MM. François LONCLE, Louis-Joseph MANSCOUR, Philippe MARTIN, Didier MATHUS, Kléber MESQUIDA, Jean MICHEL, Didier MIGAUD, Mme Hélène MIGNON, MM. Arnaud MONTEBOURG, Henri NAYROU, Alain NÉRI, Mme Marie-Renée OGET, M. Christian PAUL, Mmes Marie-Françoise PÉROL-DUMONT, Geneviève GAILLARD, MM. Jean-Jack QUEYRANNE, Paul QUILÈS, Alain RODET, Bernard ROMAN, René ROUQUET, Patrick ROY, Mme Ségolène ROYAL, MM. Michel SAINTE-MARIE, Henri SICRE, Dominique STRAUSS-KAHN, Philippe TOURTELIER, Daniel VAILLANT, André VALLINI, Manuel VALLS, Michel VERGNIER, Alain VIDALIES, Jean-Claude VIOLLET, Philippe VUILQUE, Jean-Pierre DEFONTAINE, Paul GIACOBBI, François HUWART, Simon RENUCCI, Mme Chantal ROBIN-RODRIGO, MM. François ASENSI, Gilbert BIESSY, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jacques BRUNHES, Mme Marie-George BUFFET, MM. André CHASSAIGNE, JacquesDESALLANGRE, Frédéric DUTOIT, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GÉRIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE, Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXES, députés,
et, le 14 novembre 2006, par M. Jean-Pierre BEL, Mme Jacqueline ALQUIER, MM. Bernard ANGELS, Bertrand AUBAN, Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE, M. Jean BESSON, Mme Marie-Christine BLANDIN, MM. Jean-Marie BOCKEL, Yannick BODIN, Didier BOULAUD, Mmes Alima BOUMEDIENE-THIERY, Yolande BOYER, Nicole BRICQ, M. Jean-Pierre CAFFET, Mme Claire-Lise CAMPION, MM. Pierre-Yves COLLOMBAT, Roland COURTEAU, Yves DAUGE, Mme Christiane DEMONTÈS, MM. Jean DESESSARD, Claude DOMEIZEL, Michel DREYFUS-SCHMIDT, Mme Josette DURRIEU, MM. Jean-Claude FRÉCON, Bernard FRIMAT, Charles GAUTIER, Jacques GILLOT, Jean-Pierre GODEFROY, Jean-Noël GUÉRINI, Mmes Odette HERVIAUX, Sandrine HUREL, Annie JARRAUD-VERGNOLLE, MM. Yves KRATTINGER, Serge LAGAUCHE, Serge LARCHER, Mme Raymonde LE TEXIER, MM. André LEJEUNE, Roger MADEC, Philippe MADRELLE, Jacques MAHÉAS, François MARC, Marc MASSION, Pierre MAUROY, Louis MERMAZ, Jean-Pierre MICHEL, Gérard MIQUEL, Michel MOREIGNE, Jean-Marc PASTOR, Jean-Claude PEYRONNET, Jean-François PICHERAL, Mme Gisèle PRINTZ, MM. Marcel RAINAUD, Daniel RAOUL, Paul RAOULT, Daniel REINER, Thierry REPENTIN, Roland RIES, Mmes Michèle SAN VICENTE-BAUDRIN, Patricia SCHILLINGER, MM. Michel SERGENT, Jacques SIFFRE, Jean-Pierre SUEUR, Simon SUTOUR, Mme Catherine TASCA, MM. Michel TESTON, Jean-Marc TODESCHINI, Robert TROPEANO, André VANTOMME, Richard YUNG, Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, Eliane ASSASSI, M. François AUTAIN, Mme Marie-France BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Robert BRET, Yves COQUELLE, Mmes Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Evelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Robert HUE, Gérard LE CAM, Mmes Hélène LUC, Josiane MATHON-POINAT, MM. Roland MUZEAU, Jack RALITE, Yvan RENAR et Jean-François VOGUET, sénateurs ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne, notamment son article 86 ;
Vu la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE ;
Vu la directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 96/30/CE ;
Vu la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 modifiée sur la nationalisation de l’électricité et du gaz ;
Vu la loi n° 86-912 du 6 août 1986 modifiée relative aux modalités des privatisations, notamment son titre II ;
Vu la loi n° 93-923 du 19 juillet 1993 de privatisation, notamment son article 2 ;
Vu la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 modifiée relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité ;
Vu la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité et au service public de l’énergie ;
Vu la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2004-501 DC du 5 août 2004 ;
Vu la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 22 novembre 2006 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative au secteur de l’énergie ; qu’ils contestent la conformité à la Constitution de son article 39 ; qu’il y a également lieu pour le Conseil constitutionnel d’examiner son article 17 ;
SUR L’ARTICLE 17 :
2. Considérant que l’article 17 de la loi déférée modifie l’article 66 de la loi du 13 juillet 2005 susvisée relatif aux tarifs réglementés de vente de l’électricité et y insère un article 66-1 ayant le même objet pour le gaz naturel ; que le I des articles 66 et 66-1 rend ces tarifs applicables, pour un site donné, aux consommateurs non domestiques si ceux-ci ou une autre personne n’ont pas, sur ce site, fait usage de leur liberté de choisir un fournisseur d’énergie ; que le II de ces mêmes articles rend les tarifs réglementés applicables aux consommateurs domestiques si ceux-ci n’ont pas eux-mêmes exercé leur liberté de choix sur le site concerné ; que le III de ces mêmes articles oblige notamment les opérateurs historiques qui fournissent, pour un site donné, l’une des deux sources d’énergie à proposer aux consommateurs, à l’exception des plus importants, une offre au tarif réglementé pour les deux sources d’énergie dans les conditions prévues par le I et le II ; qu’en particulier, cette offre doit être faite aux consommateurs domestiques pour l’alimentation de nouveaux sites de consommation ; que l’ensemble de ces obligations n’est pas limité dans le temps ;
3. Considérant que ces dispositions s’insèrent dans une loi ayant pour objet de transposer les directives du 26 juin 2003 susvisées concernant le marché intérieur de l’électricité ainsi que celui du gaz naturel ;
4. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 88-1 de la Constitution : « La République participe aux Communautés européennes et à l’Union européenne, constituées d’États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d’exercer en commun certaines de leurs compétences » ; qu’ainsi, la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle ;
5. Considérant qu’il appartient par suite au Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par l’article 61 de la Constitution d’une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire, de veiller au respect de cette exigence ; que, toutefois, le contrôle qu’il exerce à cet effet est soumis à une double limite ;
6. Considérant, en premier lieu, que la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ;
7. Considérant, en second lieu, que, devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai prévu par l’article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle prévue par l’article 234 du traité instituant la Communauté européenne ; qu’il ne saurait en conséquence déclarer non conforme à l’article 88-1 de la Constitution qu’une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu’elle a pour objet de transposer ; qu’en tout état de cause, il revient aux autorités juridictionnelles nationales, le cas échéant, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes à titre préjudiciel ;
8. Considérant qu’en vertu du 1 des articles 3 des directives susvisées, les États membres doivent veiller à ce que les entreprises d’électricité ou de gaz naturel « soient exploitées en vue de réaliser un marché concurrentiel » ; qu’ils doivent s’abstenir de toute discrimination pour ce qui est des droits et des obligations de ces entreprises ; que, si le 2 des mêmes articles prévoit que les États membres peuvent imposer desobligations à ces entreprises dans l’intérêt économique général, notamment en matière tarifaire, ces obligations doivent se rattacher clairement à un objectif de service public, être non discriminatoires et garantir un égal accès aux consommateurs nationaux ;
9. Considérant que les dispositions de l’article 17 de la loi déférée concernent les tarifs réglementés, qui se distinguent des tarifs spéciaux institués à des fins sociales pour le gaz par l’article 14 de la même loi et pour l’électricité par l’article 4 de la loi du 10 février 2000 susvisée ; qu’elles ne se bornent pas à appliquer les tarifs réglementés aux contrats en cours mais imposent aux opérateurs historiques du secteur de l’énergie, et à eux seuls, des obligations tarifaires permanentes, générales et étrangères à la poursuite d’objectifs de service public ; qu’il s’ensuit qu’elles méconnaissent manifestement l’objectif d’ouverture desmarchés concurrentiels de l’électricité et du gaz naturel fixé par les directives précitées, que le titre premier de la loi déférée a pour objet de transposer ; qu’il y a lieu, dès lors, de déclarer contraires à l’article 88-1 de la Constitution les II et III des nouveaux articles 66 et 66-1 de la loi du 13 juillet 2005 susvisée, ainsi que, par voie de conséquence, les mots « non domestique » figurant dans leur I concernant les contrats en cours ;
SUR L’ARTICLE 39 :
10. Considérant que le I de l’article 39 de la loi déférée donne à l’article 24 de la loi du 9 août 2004 susvisée la rédaction suivante : « Électricité de France et Gaz de France sont des sociétés anonymes. L’État détient plus de 70 % du capital d’Électricité de France et plus du tiers du capital de Gaz de France » ; que son II insère dans cette même loi deux articles 24-1 et 24-2 ainsi rédigés : « Art. 24-1. – En vue de préserver les intérêts essentiels de la France dans le secteur de l’énergie, et notamment la continuité et la sécurité d’approvisionnement en énergie, un décret prononce la transformation d’une action ordinaire de l’État au capital de Gaz de France en une action spécifique régie, notamment en ce qui concerne les droits dont elle est assortie, par les dispositions de l’article 10 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités desprivatisations. – Art. 24-2. – Le ministre chargé de l’énergie désigne auprès de Gaz de France ou de toute entité venant aux droits et obligations de Gaz de France et des sociétés issues de la séparation juridique imposée à Gaz de France par les articles 5 et 13 de la présente loi un commissaire du Gouvernement qui assiste, avec voix consultative, aux séances du conseil d’administration ou du conseil de surveillance de la société, et de ses comités, et peut présenter des observations à toute assemblée générale » ; que son III complète la liste annexée à la loi du 19 juillet 1993 susvisée par les mots : « Gaz de France SA » ;
11. Considérant que les députés et sénateurs auteurs des recours estiment que cet article 39 serait contraire au neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et qu’il méconnaîtrait la libre administrationdes collectivités territoriales, la liberté contractuelle et la continuité du service public ;
En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 :
12. Considérant que, selon les requérants, le neuvième alinéa du Préambule de 1946 fait obstacle au transfert de la société Gaz de France au secteur privé ; qu’ils font valoir, d’une part, que cette société conserve les caractéristiques d’un service public national en raison des missions qui lui sont confiées et notamment de l’obligation permanente qui lui est faite de fournir du gaz naturel à un tarif réglementé ; qu’ils estiment, d’autre part, que Gaz de France continue à bénéficier d’un monopole de fait tant en matière de transport que de distribution ; qu’ils soutiennent, à titre subsidiaire, que son transfert au secteur privé ne saurait en tout état de cause intervenir avant le 1er juillet 2007, date de l’ouverture à la concurrence du marché de la fourniture de gaz naturel aux clients domestiques ;
13. Considérant qu’aux termes du neuvième alinéa du Préambule de 1946 : « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité » ; que l’article 34 de la Constitution confère au législateur compétence pour fixer « les règles concernant… les transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé » ;
– Quant à l’existence d’un service public national :
14. Considérant que, si la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle, il appartient au législateur ou à l’autorité réglementaire, selon les cas, de déterminer les autres activités qui doivent être ainsi qualifiées, en fixant leur organisation au niveau national et en les confiant à une seule entreprise ; que le fait qu’une activité ait été érigée en service public national sans que la Constitution l’ait exigé ne fait pas obstacle au transfert au secteur privé de l’entreprise qui en est chargée ; que, toutefois, ce transfert suppose que le législateur prive ladite entreprise des caractéristiques qui en faisaient un service public national ;
15. Considérant que, par sa décision du 5 août 2004 susvisée, le Conseil constitutionnel a constaté que Gaz de France conservait la qualité d’un service public national par détermination de la loi ; qu’en effet, le législateur avait maintenu à cette seule entreprise les missions de service public qui lui étaient antérieurement dévolues en ce qui concerne la fourniture de gaz naturel aux particuliers ; que le neuvième alinéa du Préambule de 1946 était respecté dès lors que la participation de l’État ou d’autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public restait majoritaire dans le capital de cette société ; que l’abandon de cette participation majoritaire ne pouvait résulter que d’une loi ultérieure privant Gaz de France de son caractère de service public national ;
16. Considérant, en premier lieu, que l’article 3 de la loi déférée, combiné avec son article 44, met fin, à compter du 1er juillet 2007, à l’exclusivité dont bénéficiait Gaz de France pour la fourniture de gaz naturel aux particuliers ;
17. Considérant, en deuxième lieu, que les obligations de service public définies par l’article 16 de la loi du 3 janvier 2003 susvisée s’imposent non seulement à Gaz de France, mais encore à l’ensemble desentreprises concurrentes intervenant dans le secteur du gaz naturel ; qu’il en est ainsi en ce qui concerne les obligations de service public fixées par la loi, au niveau national, sur chacun des segments de ce secteur d’activité ;
18. Considérant que, si l’article 29 de la loi déférée impose à Gaz de France des sujétions en termes de péréquation, en ce qui concerne les tarifs d’utilisation des réseaux publics de distribution, l’activité de distribution du gaz naturel constitue un service public local et non national ; qu’en outre, en vertu du même article, l’obligation de péréquation des tarifs d’utilisation des réseaux publics de distribution « à l’intérieur de la zone de desserte de chaque gestionnaire » s’impose non seulement à Gaz de France, mais aussi aux distributeurs non nationalisés ;
19. Considérant, enfin, que le grief tiré de ce que le législateur aurait conservé à Gaz de France son caractère de service public national en obligeant cette société à proposer à titre permanent un tarif réglementé de vente doit être écarté compte tenu de la censure des dispositions précitées de l’article 66-1 inséré dans la loi du 13 juillet 2005 susvisée par l’article 17 de la loi déférée ;
20. Considérant qu’il ressort de ce qui précède que la loi déférée fait perdre à Gaz de France, à compter du 1er juillet 2007, son caractère de service public national ;
– Quant à l’existence d’un monopole de fait :
21. Considérant que la notion de monopole de fait mentionnée au neuvième alinéa du Préambule de 1946 doit s’entendre compte tenu de l’ensemble du marché à l’intérieur duquel s’exercent les activités desentreprises ainsi que de la concurrence qu’elles affrontent sur ce marché de la part de l’ensemble des autres entreprises ; qu’on ne saurait prendre en compte les positions privilégiées que telle ou telle entreprise détient momentanément ou à l’égard d’une production qui ne représente qu’une partie de ses activités ;
22. Considérant que les activités de transport de gaz naturel ont été exclues de la nationalisation et ouvertes à tout opérateur par la loi du 2 août 1949 portant modification de la loi du 8 avril 1946 susvisée ;
23. Considérant que les activités de distribution ont été confiées non seulement à Gaz de France, mais aussi à des distributeurs non nationalisés par la loi du 8 avril 1946 ; que, depuis la loi du 13 juillet 2005 susvisée, ces activités sont ouvertes, en dehors des zones de desserte historique de ces opérateurs, à la concurrence de l’ensemble des entreprises agréées ;
24. Considérant, par ailleurs, qu’ont également été exclues de la nationalisation en 1949 les activités de production de gaz naturel ainsi que celles de stockage et d’exploitation d’installations de gaz naturel liquéfié ; que les monopoles d’importation et d’exportation du gaz naturel ont été supprimés par la loi du 3 janvier 2003 susvisée ; que, depuis le 1er juillet 2004, les utilisateurs de gaz autres que les clients domestiques peuvent s’adresser au fournisseur de leur choix ; que la loi déférée met fin, à compter du 1er juillet 2007, à tout monopole de fourniture de gaz, y compris pour les clients domestiques ; qu’enfin, le gaz naturel constitue une énergie substituable ;
25. Considérant, dans ces conditions, que la société Gaz de France ne peut être regardée comme une entreprise dont l’exploitation constitue un monopole de fait au sens du neuvième alinéa du Préambule de 1946 ;
– Quant à la date du transfert au secteur privé de Gaz de France :
26. Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, ce n’est qu’au 1er juillet 2007 que Gaz de France perdra sa qualité de service public national ; que, dès lors, le transfert effectif au secteur privé de cette entreprise ne pourra prendre effet avant cette date ;
27. Considérant que, sous la réserve énoncée au considérant précédent, le grief tiré de la violation du neuvième alinéa du Préambule de 1946 doit être écarté ;
. En ce qui concerne les griefs tirés de l’atteinte à la libre administration des collectivités territoriales et à la liberté contractuelle :
28. Considérant que les requérants soutiennent qu’en maintenant de façon illimitée l’obligation, faite aux collectivités territoriales ayant concédé à Gaz de France la distribution publique de gaz naturel, de renouveler leur concession avec cette entreprise, tout en privant cette dernière de son caractère public, le législateur a porté à la libre administration de ces collectivités et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée que ne justifie désormais aucun motif d’intérêt général ;
29. Considérant que, si le législateur peut, sur le fondement des articles 34 et 72 de la Constitution, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations, c’est à la condition notamment que celles-ci concourent à des fins d’intérêt général ; qu’il peut aux mêmes fins déroger au principe de la liberté contractuelle, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;
30. Considérant que le législateur n’a pas remis en cause l’exclusivité des concessions de distribution publique de gaz dont bénéficient Gaz de France et les distributeurs non nationalisés dans leur zone de desserte historique en vertu des dispositions combinées des articles 1er et 3 de la loi du 8 avril 1946 susvisée, ainsi que de l’article 25-1 de la loi du 3 janvier 2003 susvisée et du III de l’article L. 2224-31 du code général descollectivités territoriales ; que seules les communes ou leurs groupements qui, au 14 juillet 2005, ne disposaient pas d’un réseau public de distribution de gaz naturel ou dont les travaux de desserte n’étaient pas en cours de réalisation, peuvent concéder la distribution publique de gaz à une entreprise agréée de leur choix ;
31. Considérant, toutefois, que cette limitation de la libre administration des collectivités territoriales et de la liberté contractuelle trouve sa justification dans la nécessité d’assurer la cohérence du réseau desconcessions actuellement géré par Gaz de France et de maintenir la péréquation des tarifs d’utilisation des réseaux publics de distribution ; que les griefs invoqués doivent, dès lors, être rejetés ;
. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe de continuité du service public :
32. Considérant que les requérants soutiennent qu’en s’abstenant de prévoir les mécanismes de nature à empêcher Gaz de France, après son transfert au secteur privé, de céder les actifs stratégiques affectés à ses missions de service public, le législateur n’a pas garanti le respect des exigences constitutionnelles qui s’attachent à la continuité du service public ;
33. Considérant, en premier lieu, qu’en vertu de l’article 16 de la loi du 3 janvier 2003 susvisée, les diverses obligations de service public définies par le législateur et relatives notamment à la « continuité de la fourniture de gaz », à la « sécurité d’approvisionnement », à la « sécurité des personnes et des installations en amont du raccordement des consommateurs finals », au « développement équilibré du territoire » et à la « fourniture de gaz naturel au tarif spécial de solidarité » s’imposent à Gaz de France comme à l’ensemble des autres opérateurs du secteur gazier ; que le respect de ces obligations est garanti par les contrôles et les sanctions prévus notamment à l’article 31 de la loi du 3 janvier 2003 précitée ;
34. Considérant, en deuxième lieu, que l’article 24-1 inséré par l’article critiqué dans la loi du 9 août 2004 susvisée prévoit qu’afin de préserver « les intérêts essentiels de la France » dans le secteur de l’énergie, et notamment « la continuité et la sécurité d’approvisionnement en énergie », un décret prononcera la transformation d’une action ordinaire de l’État au capital de Gaz de France en une « action spécifique » ; que cette dernière sera régie, notamment en ce qui concerne les droits dont elle est assortie, par les dispositions de l’article 10 de la loi du 6 août 1986 susvisée ; que l’État pourra ainsi s’opposer, en particulier, « aux décisions de cession d’actifs ou de certains types d’actifs de la société ou de ses filiales ou d’affectation de ceux-ci à titre de garantie » qui seraient de nature à porter atteinte aux intérêts essentiels de la Nation ; que seront notamment concernées les décisions de l’entreprise ou de ses filiales relatives aux canalisations de transport de gaz naturel, aux actifs liés à sa distribution, à son stockage souterrain, ainsi qu’aux installations de gaz naturel liquéfié ;
35. Considérant, enfin, qu’en cas de circonstances exceptionnelles, les autorités compétentes de l’État pourront, en tant que de besoin, procéder, dans le cadre de leurs pouvoirs de police administrative ou en vertudes dispositions du code de la défense, à toute réquisition de personnes, de biens et de services ;
36. Considérant, dès lors, que le principe de continuité du service public n’est pas méconnu par l’article 39 de la loi déférée ;
37. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au considérant 26, l’article 39 de la loi déférée n’est pas contraire à la Constitution ;
38. Considérant qu’il n’y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d’office aucune autre question de conformité à la Constitution,
Décide :
Article premier.- Sont déclarés contraires à la Constitution, à l’article 17 de la loi relative au secteur de l’énergie :
· les II et III du nouvel article 66 de la loi du 13 juillet 2005 susvisée, ainsi que les mots : « non domestique » figurant à son I,
· les II et III du nouvel article 66-1 de la même loi, ainsi que les mots : « non domestique » figurant à son I.
Article 2.- Sont déclarés non contraires à la Constitution :
· le surplus de son article 17 ;
· sous la réserve énoncée au considérant 26, son article 39.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 novembre 2006, où siégeaient : M. Pierre MAZEAUD, Président, MM. Jean-Claude COLLIARD et Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Pierre JOXE et Jean-Louis PEZANT, Mmes Dominique SCHNAPPER et Simone VEIL.