Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l’article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi pour l’égalité des chances, le 14 mars 2006, par M. Jean-Marc AYRAULT, Mmes Patricia ADAM, Sylvie ANDRIEUX, MM. Jean-Marie AUBRON, Jean-Paul BACQUET, Jean-Pierre BALLIGAND, Gérard BAPT, Claude BARTOLONE, Jacques BASCOU, Christian BATAILLE, Jean-Claude BATEUX, Jean-Claude BEAUCHAUD, Éric BESSON, Jean-Louis BIANCO, Jean-Pierre BLAZY, Serge BLISKO, Patrick BLOCHE, Jean-Claude BOIS, Daniel BOISSERIE, Maxime BONO, Augustin BONREPAUX, Jean-Michel BOUCHERON, Pierre BOURGUIGNON, Mme Danielle BOUSQUET, MM. François BROTTES, Jean-Christophe CAMBADÉLIS, Thierry CARCENAC, Christophe CARESCHE, Mme Martine CARRILLON-COUVREUR, MM. Laurent CATHALA, Jean-Paul CHANTEGUET, Michel CHARZAT, Alain CLAEYS, Mme Marie-Françoise CLERGEAU, MM. Gilles COCQUEMPOT, Pierre COHEN, Mme Claude DARCIAUX, M. Michel DASSEUX, Mme Martine DAVID, MM. Marcel DEHOUX, Michel DELEBARRE, Jean DELOBEL, Bernard DEROSIER, Michel DESTOT, Marc DOLEZ, François DOSÉ, René DOSIÈRE, Julien DRAY, Tony DREYFUS, Pierre DUCOUT, Jean-Pierre DUFAU, William DUMAS, Jean-Paul DUPRÉ, Yves DURAND, Mme Odette DURIEZ, MM. Henri EMMANUELLI, Laurent FABIUS, Albert FACON, Jacques FLOCH, Pierre FORGUES, Michel FRANÇAIX, Jean GAUBERT, Mmes Nathalie GAUTIER, Catherine GÉNISSON, MM. Jean GLAVANY, Gaétan GORCE, Alain GOURIOU, Mmes Elisabeth GUIGOU, Paulette GUINCHARD, M. David HABIB, Mme Danièle HOFFMAN-RISPAL, MM. François HOLLANDE, Jean-Louis IDIART, Mme Françoise IMBERT, MM. Eric JALTON, Serge JANQUIN, Jean-Pierre KUCHEIDA, Mme Conchita LACUEY, MM. Jérôme LAMBERT, François LAMY, Jack LANG, Jean LAUNAY, Jean-Yves LE BOUILLONNEC, Gilbert LE BRIS, Jean LE GARREC, Jean-Marie LE GUEN, Bruno LE ROUX, Mme Marylise LEBRANCHU, MM. Michel LEFAIT, Patrick LEMASLE, Guy LENGAGNE, Mme Annick LEPETIT, MM. Jean-Claude LEROY, Michel LIEBGOTT, Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, MM. François LONCLE, Victorin LUREL, Bernard MADRELLE, Louis-Joseph MANSCOUR, Philippe MARTIN, Christophe MASSE, Didier MATHUS, Kléber MESQUIDA, Jean MICHEL, Didier MIGAUD, Mme Hélène MIGNON, MM. Arnaud MONTEBOURG, Henri NAYROU, Alain NÉRI, Mme Marie-Renée OGET, MM. Christian PAUL, Christophe PAYET, Germinal PEIRO, Jean-Claude PEREZ, Mmes Marie-Françoise PÉROL-DUMONT, Geneviève PERRIN-GAILLARD, MM. Jean-Jack QUEYRANNE, Paul QUILÈS, Alain RODET, Bernard ROMAN, René ROUQUET, Patrick ROY, Mme Ségolène ROYAL, M. Michel SAINTE-MARIE, Mme Odile SAUGUES, MM. Henri SICRE, Dominique STRAUSS-KAHN, Pascal TERRASSE, Philippe TOURTELIER, Daniel VAILLANT, André VALLINI, Manuel VALLS, Michel VERGNIER, Alain VIDALIES, Jean-Claude VIOLLET, Philippe VUILQUE, Paul GIACOBBI, Joël GIRAUD, François HUWART, Simon RENUCCI, Mme Chantal ROBIN-RODRIGO, M. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Mme Christiane TAUBIRA et M. Emile ZUCCARELLI, députés,
et, le même jour, par M. Jean-Pierre BEL, Mmes Jacqueline ALQUIER, Michèle ANDRÉ, MM. Bernard ANGELS, David ASSOULINE, Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE, M. Jean BESSON, Mme Marie-Christine BLANDIN, MM. Yannick BODIN, Didier BOULAUD, Mmes Alima BOUMEDIENE-THIERY, Yolande BOYER, Nicole BRICQ, M. Jean-Pierre CAFFET, Mme Claire-Lise CAMPION, MM. Bernard CAZEAU, Michel CHARASSE, Pierre-Yves COLLOMBAT, Raymond COURRIÈRE, Roland COURTEAU, Yves DAUGE, Jean-Pierre DEMERLIAT, Mme Christiane DEMONTÈS, MM. Jean DESESSARD, Claude DOMEIZEL, Michel DREYFUS-SCHMIDT, Mme Josette DURRIEU, MM. Bernard DUSSAUT, Jean-Claude FRÉCON, Bernard FRIMAT, Charles GAUTIER, Jacques GILOT, Jean-Pierre GODEFROY, Jean-Noël GUÉRINI, Claude HAUT, Mmes Odette HERVIAUX, Sandrine HUREL, Bariza KHIARI, MM. Yves KRATTINGER, Serge LAGAUCHE, Serge LARCHER, Louis LE PENSEC, Mme Raymonde LE TEXIER, MM. André LEJEUNE, Roger MADEC, Jacques MAHÉAS, François MARC, Jean-Pierre MASSERET, Marc MASSION, Jean-Luc MÉLENCHON, Louis MERMAZ, Jean-Pierre MICHEL, Gérard MIQUEL, Michel MOREIGNE, Jean-Marc PASTOR, Jean-Claude PEYRONNET, Jean-François PICHERAL, Bernard PIRAS, Jean-Pierre PLANCADE, Mme Gisèle PRINTZ, MM. Daniel RAOUL, Paul RAOULT, Daniel REINER, Thierry REPENTIN, Roland RIES, Mme Michèle SAN VICENTE, M. Claude SAUNIER, Mme Patricia SCHILLINGER, MM. Michel SERGENT, Jacques SIFFRE, René-Pierre SIGNÉ, Jean-Pierre SUEUR, Simon SUTOUR, Mme Catherine TASCA, MM. Michel TESTON, Jean-Marc TODESCHINI, Pierre-Yvon TRÉMEL, André VANTOMME, André VÉZINHET, Marcel VIDAL, Mme Dominique VOYNET, M. Richard YUNG, Mmes Nicole BORVO, Eliane ASSASSI, Marie-France BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Robert BRET, Yves COQUELLE, Mmes Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Evelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Robert HUE, Gérard LE CAM, Mmes Hélène LUC, Josiane MATHON, MM. Roland MUZEAU, Jack RALITE, Ivan RENAR, Bernard VERA, Jean-François VOGUET, François AUTAIN, Pierre BIARNES, Mme Gélita HOARAU, MM. Jean-Michel BAYLET, André BOYER, Yvon COLLIN, Gérard DELFAU, François FORTASSIN et François VENDASI, sénateurs ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la convention internationale du travail n° 158 concernant la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur adoptée à Genève le 22 juin 1982 ;
Vu la Charte sociale européenne (révisée) faite à Strasbourg le 3 mai 1996 ;
Vu la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ;
Vu le code de l’action sociale et des familles ;
Vu le code civil ;
Vu le code de l’éducation ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 21 mars 2006 ;
Vu les observations en réplique présentées par les députés auteurs de la première saisine, enregistrées le 27 mars 2006 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi pour l’égalité des chances ; qu’ils contestent la conformité à la Constitution de ses articles 8, 21, 48, 49 et 51 ;
– SUR L’ARTICLE 8 :
2. Considérant que le I de l’article 8 de la loi déférée autorise les employeurs, dans les entreprises dont l’effectif est supérieur à vingt salariés, à conclure un contrat de travail dénommé » contrat première embauche » pour tout recrutement d’un jeune âgé de moins de vingt-six ans ; que le II du même article précise que ce contrat, établi par écrit et conclu sans détermination de durée, est soumis aux dispositions du code du travail, à l’exception, pendant les deux premières années courant à compter de la date de sa conclusion, de celles des articles L. 122-4 à L. 122-11, L. 122-13 à L. 122-14-14 et L. 321-1 à L. 321-17 du même code ; qu’il fixe les conditions dans lesquelles ce contrat peut être rompu pendant les deux premières années ;
3. Considérant que les requérants critiquent la procédure suivie pour l’adoption de cet article ; qu’ils estiment qu’il est entaché d’incompétence négative et méconnaît les exigences de clarté et d’intelligibilité de la loi ; qu’ils dénoncent une violation du principe d’égalité devant la loi, du droit à l’emploi, de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des droits de la défense et du droit au recours ; qu’ils invoquent enfin son incompatibilité avec la convention internationale du travail n° 158, la Charte sociale européenne et la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ;
. En ce qui concerne la procédure :
4. Considérant que les requérants mettent en cause » les conditions du débat parlementaire ayant abouti au vote de la loi critiquée, et particulièrement de son article 8 » ; qu’ils reprochent au Gouvernement d’avoir introduit l’article 8 par voie d’amendement en faisant valoir que cette disposition, » par sa nature, sa portée et son ampleur aurait dû figurer dans le projet de loi initial soumis à l’examen du Conseil d’Etat en application de l’article 39 de la Constitution » ; qu’ils jugent cette insertion par amendement d’autant plus critiquable qu’elle a été réalisée dans le cadre d’un projet examiné en urgence pour lequel l’article 49, alinéa 3, de la Constitution de 1958 a été mis en oeuvre et dont le vote conforme par le Sénat a empêché toute discussion au stade de la commission mixte paritaire ; qu’enfin, ils estiment que l’application qui a été faite du règlement du Sénat, notamment pour déclarer irrecevables certains amendements ou sous-amendements, pour s’opposer à leur examen ou pour réserver leur vote, aurait porté une atteinte excessive au droit d’amendement des sénateurs de l’opposition ;
5. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789 : » La loi est l’expression de la volonté générale… » ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article 34 de la Constitution : » La loi est votée par le Parlement » ; qu’aux termes de son article 39 : » L’initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement. – Les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat et déposés sur le bureau de l’une des deux assemblées… » ; que le droit d’amendement que la Constitution confère aux parlementaires et au Gouvernement est mis en oeuvre dans les conditions et sous les réserves prévues par ses articles 40, 41, 44, 45, 47 et 47-1 ;
6. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de la combinaison des dispositions précitées que le droit d’amendement, qui appartient aux membres du Parlement et au Gouvernement, doit pouvoir s’exercer pleinement au cours de la première lecture des projets et des propositions de loi par chacune des deux assemblées ; qu’il ne saurait être limité, à ce stade de la procédure et dans le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité ainsi que par la nécessité pour un amendement, quelle qu’en soit la portée, de ne pas être dépourvu de tout lien avec l’objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie ;
7. Considérant, dès lors, que ne peut être utilement invoqué le grief tiré de ce que les dispositions de l’article 8 de la loi déférée, issues d’un amendement adopté au cours de l’unique lecture ayant précédé la réunion de la commission mixte paritaire, auraient dû figurer, du fait de leur portée, dans le projet de loi initial ; que cet amendement n’était pas dépourvu de tout lien avec un projet de loi qui, lors de son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale, première assemblée saisie, comportait déjà des dispositions destinées à favoriser l’accès à l’emploi des jeunes ;
8. Considérant, par ailleurs, que le deuxième alinéa de l’article 39 de la Constitution n’impose la consultation du Conseil d’Etat et la délibération en conseil des ministres que pour les projets de loi avant leur dépôt sur le bureau de la première assemblée saisie et non pour les amendements ;
9. Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution aient été utilisées cumulativement pour accélérer l’examen de la loi déférée n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à son adoption ;
10. Considérant, en troisième lieu, que l’utilisation combinée des différentes dispositions prévues par le règlement du Sénat pour organiser l’exercice du droit d’amendement ne saurait davantage avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution ; que, s’il est soutenu que certains amendements ou sous-amendements auraient été écartés sans justification appropriée, cette circonstance, à la supposer établie, n’a pas revêtu un caractère substantiel entachant de nullité la procédure législative eu égard au contenu des amendements ou des sous-amendements concernés et aux conditions générales du débat ;
11. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la procédure suivie pour l’adoption de la loi déférée, et notamment de son article 8, n’a pas été irrégulière ;
. En ce qui concerne les griefs tirés de l’incompétence négative et de la violation des exigences de clarté et d’intelligibilité de la loi :
12. Considérant que les requérants reprochent au législateur d’avoir défini de façon imprécise le régime juridique applicable à la période de deux ans suivant la conclusion du » contrat première embauche » ; qu’ils soutiennent que cette période, que le législateur a refusé de qualifier, risque d’être jugée incompatible avec la convention internationale du travail n° 158 ; qu’ils font également valoir que l’articulation des nouvelles dispositions avec les règles applicables à la procédure disciplinaire n’est pas clairement définie et qu’il sera dès lors loisible à un employeur d’écarter les garanties propres à cette procédure ; que le législateur aurait ainsi méconnu l’étendue de sa compétence, le principe de clarté et l’objectif constitutionnel d’intelligibilité de la loi, ainsi que la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration de 1789 ;
13. Considérant, en premier lieu, que le législateur a exclu, pendant les deux premières années du » contrat première embauche « , l’application des dispositions du code du travail relatives, en cas de rupture du contrat de travail, à l’entretien préalable avec l’employeur, à l’énoncé des motifs dans la lettre de licenciement et au » caractère réel et sérieux » de la cause du licenciement ; qu’il a prévu, en cas de rupture pendant cette période, le droit du salarié à un préavis variable en fonction de l’ancienneté, à une indemnité égale à 8 % de la rémunération brute due depuis la conclusion du contrat, à une allocation forfaitaire si le salarié ne bénéficie pas de l’assurance chômage, ainsi qu’à une convention de reclassement personnalisé et à la formation professionnelle ; qu’en énumérant de façon limitative les articles du code du travail qui ne sont pas applicables et en prévoyant expressément des règles spécifiques relatives à la rupture du contrat de travail au cours de cette période, le législateur a défini de manière suffisamment précise le régime juridique des deux premières années du » contrat première embauche » et n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence ;
14. Considérant, en deuxième lieu, que l’éventuelle incompatibilité de l’article 8 avec les engagements internationaux et les obligations communautaires de la France n’est pas, en tout état de cause, de nature à entacher la clarté ou l’intelligibilité de la loi ;
15. Considérant, en troisième lieu, qu’en cas de licenciement pour motif disciplinaire, l’employeur a l’obligation de mettre en oeuvre la procédure prévue par les articles L. 122-40 à L. 122-44 du code du travail ; qu’il ne pourrait s’y soustraire que par une violation de la loi qu’il appartiendrait au juge de sanctionner ; que l’éventualité d’un détournement de la loi lors de son application n’entache pas celle-ci d’inconstitutionnalité ;
. En ce qui concerne le grief tiré de la violation du principe d’égalité devant la loi :
16. Considérant que les requérants soutiennent que l’institution du » contrat première embauche » porte atteinte au principe d’égalité devant la loi ; qu’ils font valoir qu’un jeune de moins de vingt-six ans embauché dans le cadre d’un tel contrat pourra être licencié sans motif pendant une période de deux ans, alors qu’un jeune du même âge et de même qualification, embauché sous contrat à durée indéterminée, sera licencié selon les règles de droit commun ; qu’aucun motif d’intérêt général particulier, ni aucun critère objectif et rationnel en rapport avec l’objet de la loi, ne justifierait, notamment dans les grandes entreprises, cette différence de traitement entre deux salariés se trouvant dans une situation identique ;
17. Considérant qu’aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’interdit au législateur de prendre des mesures propres à venir en aide à des catégories de personnes défavorisées ; que le législateur pouvait donc, compte tenu de la précarité de la situation des jeunes sur le marché du travail, et notamment des jeunes les moins qualifiés, créer un nouveau contrat de travail ayant pour objet de faciliter leur insertion professionnelle ; que les différences de traitement qui en résultent sont en rapport direct avec la finalité d’intérêt général poursuivie par le législateur et ne sont, dès lors, pas contraires à la Constitution ;
. En ce qui concerne le grief tiré d’une atteinte au droit à l’emploi :
18. Considérant que, selon les requérants, la motivation du licenciement et le caractère contradictoire de la procédure constituent des garanties du droit à l’emploi ; que la suppression de ces garanties porterait au droit à l’emploi des jeunes une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi ; qu’ils relèvent, par ailleurs, que l’impossibilité pour le salarié de justifier le motif de son licenciement compromettrait sa recherche d’un nouvel emploi ;
19. Considérant qu’il incombe au législateur, compétent en vertu de l’article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, de poser des règles propres à assurer, conformément au cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, le droit pour chacun d’obtenir un emploi tout en permettant l’exercice de ce droit par le plus grand nombre et, le cas échéant, en s’efforçant de remédier à la précarité de l’emploi ;
20. Considérant, d’une part, comme il a été dit ci-dessus, que, compte tenu de la précarité de la situation des jeunes sur le marché du travail, et notamment des jeunes les moins qualifiés, le législateur a entendu créer un nouveau contrat de travail ayant pour objet de faciliter leur insertion professionnelle ; qu’ainsi, par sa finalité, l’article 8 tend à mettre en oeuvre, au bénéfice des intéressés, l’exigence résultant du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ; que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu’il ne lui appartient donc pas de rechercher si l’objectif que s’est assigné le législateur pouvait être atteint par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi déférée ne sont pas manifestement inappropriées à la finalité poursuivie ;
21. Considérant, d’autre part, que la faculté donnée à l’employeur de ne pas expliciter les motifs de la rupture du » contrat première embauche « , au cours des deux premières années de celui-ci, ne méconnaît pas l’exigence résultant du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;
. En ce qui concerne les griefs tirés de la violation de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des droits de la défense et du droit au recours :
22. Considérant que, selon les requérants, en n’obligeant pas l’employeur à indiquer au salarié les motifs de la rupture pendant les deux premières années du contrat, l’article 8 de la loi déférée ne répondrait pas aux exigences, découlant de l’article 4 de la Déclaration de 1789, relatives à la nécessité d’assurer pour certains contrats la protection de l’une des parties et porterait atteinte à la dignité des jeunes ; que l’absence de procédure contradictoire ne respecterait pas les droits de la défense et priverait le salarié du droit au recours garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789 ;
23. Considérant, en premier lieu, qu’il ne résulte ni du principe de la liberté contractuelle qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789 ni d’ailleurs d’aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle que la faculté pour l’employeur de mettre fin au » contrat première embauche » devrait être subordonnée à l’obligation d’en énoncer préalablement les motifs ;
24. Considérant, en deuxième lieu, que, si le principe des droits de la défense qui résulte de l’article 16 de la Déclaration de 1789 impose le respect d’une procédure contradictoire dans les cas de licenciement prononcé pour un motif disciplinaire, il ne résulte pas de ce principe qu’une telle procédure devrait être respectée dans les autres cas de licenciement ;
25. Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte des termes mêmes de l’article 8 de la loi déférée, selon lequel » toute contestation portant sur la rupture se prescrit par douze mois à compter de l’envoi de la lettre recommandée prévue au 1° « , que toute rupture d’un » contrat première embauche » pendant les deux premières années pourra être contestée devant le juge du contrat ; qu’il appartiendra à l’employeur, en cas de recours, d’indiquer les motifs de cette rupture afin de permettre au juge de vérifier qu’ils sont licites et de sanctionner un éventuel abus de droit ; qu’il appartiendra notamment au juge de vérifier que le motif de la rupture n’est pas discriminatoire et qu’il ne porte pas atteinte à la protection prévue par le code du travail pour les femmes enceintes, les accidentés du travail et les salariés protégés ;
. En ce qui concerne les griefs tirés de la violation de la Charte sociale européenne, de la convention internationale du travail n° 158 et de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 :
26. Considérant que les requérants soutiennent que l’article 8 de la loi déférée est incompatible avec la Charte sociale européenne, la convention internationale du travail n° 158 ainsi qu’avec la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 susvisée ;
27. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 55 de la Constitution : » Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie » ; que, toutefois, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu’il est saisi en application de l’article 61 de la Constitution, d’examiner la conformité d’une loi aux stipulations d’un traité ou d’un accord international ; qu’ainsi, les griefs tirés de la violation de la convention internationale du travail n° 158 et de la Charte sociale européenne ne peuvent qu’être écartés ;
28. Considérant, d’autre part, qu’aux termes du premier alinéa de l’article 88-1 de la Constitution : » La République participe aux Communautés européennes et à l’Union européenne, constituées d’Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d’exercer en commun certaines de leurs compétences » ; que, si la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu’il est saisi en application de l’article 61 de la Constitution, d’examiner la compatibilité d’une loi avec les dispositions d’une directive communautaire qu’elle n’a pas pour objet de transposer en droit interne ; qu’ainsi, le grief tiré de la violation de la directive susvisée du 27 novembre 2000 doit être écarté ;
– SUR LES ARTICLES 21 ET 22 :
29. Considérant que l’article 21 de la loi déférée, qui modifie les articles L. 423-7, L. 433-4 et L. 620-10 du code du travail, exclut du décompte des effectifs d’une entreprise, pour la mise en oeuvre de ces dispositions, les salariés intervenant dans cette entreprise en exécution d’un contrat de sous-traitance ;
30. Considérant que, selon les requérants, une telle disposition porterait atteinte au principe de participation résultant du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ; qu’ils soutiennent également que l’amendement à l’origine de cet article 21 était dépourvu de tout lien avec l’objet de la loi ;
31. Considérant, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, qu’une disposition ne peut être introduite par voie d’amendement lorsqu’elle est dépourvue de tout lien avec l’objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie ;
32. Considérant, en l’espèce, que l’article 21 de la loi déférée est dépourvu de tout lien avec un projet de loi, intitulé » pour l’égalité des chances « , qui, lors de son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale, première assemblée saisie, comportait exclusivement des mesures relatives à l’apprentissage, à l’emploi des jeunes, aux zones franches urbaines, à la lutte contre les discriminations, à l’exercice de l’autorité parentale, à la lutte contre les incivilités et au service civil volontaire ; qu’il suit de là que cet article a été adopté selon une procédure irrégulière et qu’il y a lieu, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre grief de la saisine, de le déclarer contraire à la Constitution ;
33. Considérant que, pour la même raison, il convient également de déclarer contraire à la Constitution l’article 22 de la loi déférée, qui modifie le premier alinéa du III de l’article 14 de la loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005 de financement de la sécurité sociale pour 2006, afin de rendre applicable à compter du 1er janvier 2003, au lieu du 1er janvier 2006, la nouvelle définition des heures de travail servant de base aux mesures de réduction de cotisations de sécurité sociale prévues par la loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi ;
– SUR LES ARTICLES 48 ET 49 :
34. Considérant que l’article 48 de la loi déférée insère dans le code de l’action sociale et des familles un article L. 222-4-1 ; que cet article prévoit la conclusion d’un » contrat de responsabilité parentale » entre le président du conseil général et les parents d’un mineur en cas d’absentéisme scolaire, de trouble porté au fonctionnement d’un établissement scolaire ou de toute autre difficulté liée à une carence de l’autorité parentale ; qu’il permet au président du conseil général, » lorsqu’il constate que les obligations incombant aux parents ou au représentant légal du mineur n’ont pas été respectées ou lorsque, sans motif légitime, le contrat n’a pu être signé de leur fait « , de décider la suspension des prestations familiales afférentes à l’enfant ; que l’article 49 de la même loi rétablit dans le code de la sécurité sociale un article L. 552-3 qui précise les modalités de la suspension des prestations familiales par l’organisme débiteur à la suite de la décision du président du conseil général ;
35. Considérant que les requérants soutiennent que, par leur imprécision, les dispositions contestées, qui attribuent au président du conseil général un pouvoir de sanction administrative, méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et portent atteinte aux droits de la défense ;
36. Considérant que le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu’aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu’une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l’accomplissement de sa mission, dès lors que l’exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer les droits et libertés constitutionnellement garantis ; qu’en particulier doivent être respectés le principe de la légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d’une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle ;
37. Considérant, en premier lieu, que les faits susceptibles de justifier la suspension de certaines prestations familiales sont définis en termes suffisamment clairs et précis au regard des obligations qui pèsent sur les parents ; qu’en particulier, la notion de » carence parentale » fait référence à l’article 371-1 du code civil ; que, par suite, le grief tiré de la violation du principe de la légalité des délits et des peines n’est pas fondé ;
38. Considérant, en second lieu, qu’en vertu des dispositions combinées de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 susvisée et de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 susvisée, la décision du président du conseil général de faire suspendre le versement des allocations familiales et du complément familial n’interviendra qu’après que les parents ou le représentant légal du mineur auront été mis à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, à leur demande, des observations orales, en se faisant assister par un conseil ou représenter par un mandataire de leur choix ; que, dès lors, le grief tiré d’une violation des droits de la défense manque en fait ;
– SUR L’ARTICLE 51 :
39. Considérant que l’article 51 de la loi déférée insère dans le code de procédure pénale un article 44-1 ; que ce nouvel article prévoit que le maire d’une commune peut, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, proposer à l’auteur de certaines contraventions ayant causé un préjudice à la commune une transaction de nature à éteindre l’action publique ; que, lorsqu’elle a été acceptée par l’auteur des faits, cette transaction doit être homologuée soit par le procureur de la République, si elle consiste en la réparation du préjudice, soit par le juge du tribunal de police ou le juge de proximité, s’il s’agit de l’exécution d’un travail non rémunéré ; que, selon le sixième alinéa de ce nouvel article 44-1, lorsque ces contraventions ont été commises sur le territoire de la commune mais n’ont pas causé de préjudice à celle-ci, le maire peut proposer au procureur de la République de procéder à l’une des mesures alternatives aux poursuites prévues aux articles 41-1 ou 41-3 du code de procédure pénale ;
40. Considérant que les requérants soutiennent que ces dispositions, en confiant au maire, autorité administrative, un pouvoir de transaction pénale, méconnaissent le principe de la séparation des pouvoirs ; qu’ils leur reprochent de ne prévoir aucune garantie quant aux conditions dans lesquelles l’accord de l’auteur des faits est recueilli et la transaction homologuée, et de porter ainsi atteinte tant aux droits de la défense qu’au droit à un procès équitable garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789 ; qu’ils estiment, enfin, que les dispositions qui autorisent le maire à proposer des mesures alternatives aux poursuites créent une » action publique populaire » et méconnaissent, elles aussi, le principe de la séparation des pouvoirs ;
41. Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : » Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution » ; que le respect des droits de la défense découle de ce même article ; qu’en vertu de l’article 66 de la Constitution, l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle ;
42. Considérant, en premier lieu, que le maire ne peut mettre en oeuvre une procédure de transaction que si l’action publique n’a pas été mise en mouvement ; que l’autorité judiciaire, qui homologue l’accord intervenu entre le maire et l’auteur des faits, n’est liée ni par la proposition du maire ni par son acceptation par la personne concernée ; qu’aucune des mesures pouvant faire l’objet de la transaction n’étant de nature à porter atteinte à la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution, il était loisible au législateur de confier ce pouvoir d’homologation à un magistrat du parquet ou à un magistrat du siège ; que, dans ces conditions, le législateur n’a pas méconnu le principe de la séparation des pouvoirs ;
43. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions contestées n’organisent pas un procès mais une procédure de transaction, qui suppose l’accord libre et non équivoque, avec l’assistance éventuelle d’un avocat, de l’auteur des faits ; que la transaction homologuée par l’autorité judiciaire ne présente, par elle-même, aucun caractère exécutoire ; que, dès lors, le grief tiré de la violation des droits de la défense et du droit à un procès équitable est inopérant ;
44. Considérant, enfin, que le principe de la séparation des pouvoirs ne saurait être méconnu par une disposition qui, dans les cas où les contraventions ne causent pas de préjudice à la commune, se borne à reconnaître au maire la faculté de proposer au procureur de la République des mesures alternatives aux poursuites, sans affecter le choix, qui n’appartient qu’à ce dernier, d’engager des poursuites, de recourir à de telles mesures ou de classer la procédure sans suite ;
45. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’article 51 de la loi déférée n’est pas contraire à la Constitution ;
46. Considérant qu’il n’y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d’office aucune autre question de conformité à la Constitution,
Décide :
Article premier.- Les articles 21 et 22 de la loi pour l’égalité des chances sont déclarés contraires à la Constitution.
Article 2.- Les articles 8, 48, 49 et 51 de la même loi sont déclarés conformes à la Constitution.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 mars 2006, où siégeaient : M. Pierre MAZEAUD, Président, MM. Jean-Claude COLLIARD, Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Pierre JOXE et Jean-Louis PEZANT, Mme Dominique SCHNAPPER, M. Pierre STEINMETZ et Mme Simone VEIL.