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Un protocole transactionnel conclu par l’administration afin de prévenir ou d’éteindre un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative est-il un document administratif communicable ? – Conclusions sous CE, 18 mars 2019, Ministre de l’Économie et des Finances, n° 403465

Extrait du Bulletin juridique des collectivités locales, avril 2019, p. 267.

Citer : Aurélie Bretonneau, 'Un protocole transactionnel conclu par l’administration afin de prévenir ou d’éteindre un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative est-il un document administratif communicable ? – Conclusions sous CE, 18 mars 2019, Ministre de l’Économie et des Finances, n° 403465, Extrait du Bulletin juridique des collectivités locales, avril 2019, p. 267. ' : Revue générale du droit on line, 2025, numéro 68273 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=68273)


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Décision(s) commentée(s):
  • CE, 18 mars 2019, Ministre de l’Économie et des Finances, requête numéro 403465

L’impression de déjà-vu que plusieurs d’entre vous vont éprouver en se penchant sur cette affaire est normale : vos 10e et 9e chambres réunies, dans une formation légèrement différente, en ont déjà connu par une décision du 3 octobre 2018, qui a réglé la moitié de ce litige de communication de documents administratifs et, pour l’autre moitié, a ordonné avant-dire droit la production, hors contradictoire, du document sollicité – il s’agissait d’une application un peu hétérodoxe, car intervenant en cassation, de votre jurisprudence dite H…1.

Origine du litige

Comme nous vous l’avions expliqué au stade de l’avant-dire droit, le litige trouve son origine dans le bras de fer qui a eu lieu, en 2015, entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes au sujet des tarifs des péages autoroutiers. À la suite de rapports de la Cour des comptes et de l’Autorité de la concurrence dénonçant un niveau de rentabilité net des sociétés concessionnaires d’autoroutes disproportionné aux risques et coûts auxquels elles étaient exposées, le gouvernement avait décidé d’un gel des tarifs des péages à compter du 1er février 2015 par l’arrêté du 27 janvier 2015 relatif aux péages autoroutiers. Les sociétés concessionnaires mécontentes avaient alors formé devant les juridictions administratives des requêtes tendant à l’annulation de la décision de suspendre les hausses tarifaires et à l’indemnisation des préjudices qui en résultaient. Finalement, l’épisode s’était soldé par l’annonce, par communiqué de presse du Premier ministre du 9 avril 2015, de la conclusion d’un accord entre l’État et les sociétés d’autoroutes : selon le communiqué, cet accord devait permettre un investissement de 4,2 milliards d’euros d’investissement dans les infrastructures routières grâce à une mise à contribution financière de ces dernières.

« Avec cet accord », disait le communiqué, « le gouvernement a atteint les trois objectifs qu’il avait fixés : Rééquilibrer les contrats dans l’intérêt des usagers et de l’État […] Dégager des ressources nouvelles pour le financement des infrastructures de transport. […] Contribuer à la relance de l’activité économique et permettre des créations d’emploi dans le secteur des travaux publics. »

Le 28 avril suivant, M. A…, mu par une curiosité que vous lui connaissez bien, s’est empressé de solliciter du ministre de l’Économie de l’époque la communication de l’accord révélé par le communiqué de presse, ainsi que des avenants aux contrats passés entre l’État et les sociétés concessionnaires en application de cet accord, et d’autres documents relatifs à des marchés antérieurement conclus. N’obtenant pas de réponse, il a saisi le 4 juin 2015 la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) et obtenu le 9 juillet 2015 un avis favorable à la communication. Le silence du ministre ayant perduré plus de deux mois à compter de la saisine de la commission2., M. A… a déféré au tribunal administratif de Paris le refus implicite de communication né le 9 septembre 2015, et le tribunal administratif lui a donné entière satisfaction.

Abandonnant le combat s’agissant des marchés, le ministre s’est pourvu en cassation contre le jugement en tant seulement qu’il se prononçait sur la communicabilité de l’accord du 9 avril 2015 et des avenants aux concessions. Par votre décision du 3 octobre 2018, vous avez définitivement scellé le sort des avenants, en confirmant l’annulation du refus de communication prononcée par le tribunal administratif, mais en censurant l’injonction de communiquer au motif qu’à la date du jugement, les documents avaient fait l’objet d’une diffusion publique. Ne reste donc plus en litige que le caractère communicable de l’accord du 9 avril 2015. S’agissant de cet accord, le déroulement de l’instance contentieuse a d’abord conduit à amplifier l’enjeu du litige. Il est en effet apparu, dans la défense du ministre, que le communiqué de presse, en annonçant les sacrifices consentis par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, était resté discret sur un autre aspect de l’accord du 9 avril 2015, à savoir que le gouvernement y souscrivait aussi, au bénéfice cette fois des sociétés, des engagements en contrepartie de leur renoncement à toute action contentieuse. Autrement dit, l’accord avait le caractère d’un protocole transactionnel, aiguisant d’autant plus la curiosité de M. A… quant au contenu des avantages consentis aux sociétés.

Pas de non-lieu à statuer

Mais le prolongement de l’instance a par la suite conduit à dégonfler sérieusement l’importance de votre intervention. Le 13 janvier 2019 en effet, Médiapart a publié sur son blog l’intégralité de l’accord du 9 avril 2015 qu’il s’était lui-même procuré. Cet incident extérieur à l’instance ne peut pas vous conduire à prononcer un non-lieu à statuer, même si la diffusion publique d’un document administratif en cours d’instance prive en principe d’objet le recours tendant à sa communication3. D’une part en effet, nous croyons que la CADA a raison d’estimer, en l’absence de jurisprudence de votre part, que la notion de « diffusion publique » ne s’entend que des diffusions officielles et débouchant sur une mise à disposition du document gratuite ou à un coût modique n’excédant pas les coûts de reproduction et l’amortissement du matériel utilisé4 ; or l’accès au blog de Médiapart est payant. D’autre part, cette diffusion ne ressort pas des pièces du dossier. Il reste que la confidentialité à laquelle semble tenir le ministre est d’ores et déjà mise à mal, et que M. A… dispose d’une voie d’accès facile au document qu’il réclame, quel que soit le sens de votre décision.

Celle-ci n’en revêtira pas moins une certaine importance, car elle sera la première à se prononcer sur le caractère communicable ou non des protocoles transactionnels, au sujet desquels la CADA a développé une jurisprudence fournie débouchant – à la notable exception du cas d’espèce, mais parce que la CADA ignorait quand elle s’est prononcée que l’accord était une transaction – sur des refus systématiques de communication.

Thèse du pourvoi

Aux yeux de la CADA, et c’est la thèse que défend le pourvoi du ministre, les protocoles transactionnels conclus sur le fondement de l’article 2044 du code civil « sont […] destinés à terminer ou à prévenir un litige devant une juridiction et ne peuvent être regardés comme des documents administratifs entrant dans le champ d’application de la loi du 7 juillet 1978 »5. Autrement dit, la CADA estime que les protocoles transactionnels se rattachent par nature à la catégorie des documents dits judiciaires ou juridictionnels et que vous excluez en cette qualité purement et simplement du champ d’application de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, désormais codifiée aux articles L. 300-1 et suivants du code des relations entre le public et l’administration (CRPA). Le ministre en déduit qu’il y a erreur de droit à avoir estimé qu’un protocole transactionnel revêtait le caractère d’un document administratif au sens de cette loi.

Catégorie des documents judiciaires et juridictionnels

Nous éprouvons des difficultés à adhérer au raisonnement du ministre et de la CADA. Comme vous le savez, la catégorie des documents dits tantôt judiciaires, tantôt juridictionnels, est une création prétorienne inventée pour exclure du droit d’accès les documents qui, par les liens trop intimes qu’ils entretenaient avec la fonction de juger (devant les juridictions administratives6 ou judiciaires), n’avaient rien d’administratif à vos yeux, et qui s’est par la suite progressivement étoffée. Vous y avez d’abord rangé l’ensemble des documents, quelle que soit leur nature, qui sont détenus par les juridictions et qui se rattachent à la fonction de juger dont elles sont investies7. Entrent au premier chef dans cette catégorie les décisions, arrêts et ordonnances produits par les juridictions dans l’exercice de la fonction de juger8, auxquels vous rattachez les pièces de la procédure9 et les documents établis dans son cadre10 ; s’y agrègent également les documents de travail internes aux juridictions11.

Au-delà des seuls documents produits par les juridictions, vous avez également rangé dans la catégorie des documents juridictionnels des documents élaborés par une autorité administrative dès lors qu’ils sont indissociables d’une procédure juridictionnelle : CE 2 octobre 1994, B…12, pour le rapport établi par un préfet en vue de la présentation d’un mémoire en défense ; CE 30 novembre 1994, Ministre c/ Association de défense des créanciers déposants de la Lebanese Arab Bank13, pour le rapport d’inspection établi par les services de la commission bancaire dans le cadre de la mission administrative de surveillance de l’activité des établissements de crédit servant de fondement à une sanction prononcée par la commission ; CE 19 juin 2017, M. et Mme B…14, pour les éléments d’information obtenus par perquisition ordonnée par le procureur de la République sur commission rogatoire internationale dans le cadre d’une enquête judiciaire puis transmis par l’autorité judiciaire à l’administration fiscale sur le fondement de l’article L. 101 du livre des procédures fiscales (LPF) ; pour les dossiers relatifs à la procédure devant la Commission des infractions fiscales, CE 26 mai 2010, Mme F… et société X15 ; pour les rapports d’enquête établis sur le fondement de l’article L. 450-2 du code de commerce, CE 19 février 2014, Ministre de l’Économie et des finances c/ Société Speed Rabbit Pizza16 ; CE 31 mars 2017, Garde des Sceaux, ministre de la Justice c/ M. S…17, pour les rapports adressés par les procureurs généraux au garde des Sceaux sur le fondement de l’article 35 du code de procédure pénale ont pour objet d’informer le ministre des procédures les plus significatives en cours dans leur ressort territorial. Le critère utilisé par le juge administratif est donc celui de « l’objet exclusivement juridictionnel » du document18.

Arguments au soutien du pourvoi ?

C’est à cette dernière sous-catégorie des documents indissociables d’une procédure juridictionnelle que le ministre rattache le protocole transactionnel, et il y a certes des arguments au soutien de cette position.

Le premier argument est juridique et tient à ce que la conclusion d’une transaction a bien pour point de départ une préoccupation de nature juridictionnelle. L’article 2044 du code civil dispose que : « La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. » Il n’y a donc de transaction que s’il existe dans le paysage une menace juridictionnelle plus ou moins matérialisée. De la même façon, l’article 2052 du même code dispose que :

« La transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet. » Il y a donc également un effet parajuridictionnel, ou même quasi juridictionnel, de la transaction, puisqu’elle est revêtue entre les parties de l’autorité de la chose jugée. Cette impression est renforcée par la proximité des transactions avec les conventions d’arbitrage, dont vous jugez qu’elles revêtent un caractère juridictionnel. On pourrait ajouter un second argument d’opportunité administrative, tenant à la volonté de ne pas décourager la pratique des transactions, dont on comprend bien sûr qu’elle se développerait plus à son aise à l’abri des regards.

Position discutable

Nous croyons toutefois cette position paradoxale.

En premier lieu, il y a un paradoxe à soutenir qu’un contrat dont tout l’objet est d’éviter le recours au juge est à ce titre non détachable de la fonction de juger. Ce paradoxe est poussé à l’extrême s’agissant des transactions à vocation préventive. Il est intellectuellement très difficile de justifier qu’un accord scellé avant toute saisine du juge, dans l’objectif précis que cette saisine n’ait surtout jamais lieu, puisse être regardé comme relevant de la fonction de juger, qui ne s’est pas exercée, au motif qu’il serait indissociable d’une procédure juridictionnelle, qui ne s’est jamais engagée. Mais ce paradoxe, bien qu’atténué, se retrouve également à propos des transactions dites extinctives, dont l’objet est de mettre un terme à un contentieux préalablement introduit. À cet égard, il convient de remarquer que toute la jurisprudence qualifiant des actes de juridictionnels au motif qu’ils ne sont pas détachables d’une procédure vise des documents dont l’objet est de rendre possible le déclenchement de cette procédure juridictionnelle ou de la faire vivre : ainsi des signalements produits dans l’objectif de mettre en mouvement l’action judiciaire, des mémoires destinés à l’alimenter et des rapports rédigés pour éclairer l’autorité juridictionnelle de sanction. Il s’agit toujours de documents sans lesquels la procédure juridictionnelle ne pourrait pas se dérouler, ce dont découle le constat d’une adhérence indissociable avec elle. Or dans le cas des transactions extinctives, le rapport est inversé : c’est parce que la procédure existe qu’on signe la transaction, mais le moins qu’on puisse dire est que la procédure pourrait vivre sans la transaction – elle ne peut à dire vrai se poursuivre que sans elle. Même si la transaction a vocation à être produite dans le cadre de cette procédure au soutien d’un désistement, elle n’est pas le désistement lui-même et n’a que le caractère d’une pièce jointe à ce dernier ; hors le cas peut-être, qui n’est pas celui de l’espèce, où elle fait l’objet d’une homologation par le juge, ou est conclue à l’invitation de ce dernier, la transaction ne constitue donc pas une pièce incorporée au dossier de procédure au point qu’on ne puisse pas l’en détacher. Du reste, si la transaction a un effet juridictionnel, elle produit également des effets propres, qui, contrairement à ce qui prévaut pour les documents qualifiés de juridictionnels par votre jurisprudence, ont vocation à se déployer précisément en dehors du prétoire et loin des yeux du juge, qui n’a pas de droit de regard sur eux.

En deuxième lieu, on ne peut occulter le fait que, comme vous l’avez jugé par votre décision d’Assemblée CE Ass. 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des établissements du second cycle du second degré du district de l’Haÿ-les-Roses19, la transaction conclue par une personne publique et ayant pour objet le règlement ou la prévention de litiges pour le jugement desquels la juridiction administrative serait compétente revêt intrinsèquement le caractère d’un contrat administratif. Cette qualification met d’abord à mal la comparaison avec les conventions d’arbitrage, car pour ces dernières, la qualification de document juridictionnel repose sur la nature non administrative des juridictions arbitrales20. Surtout, elle fait ressortir un deuxième paradoxe de la position du ministre : car affirmer qu’un document que votre jurisprudence qualifie de contrat administratif n’est pas un document administratif au sens du droit d’accès n’a tout de même rien d’intuitif – c’est même contraire à ce que vous jugez d’ordinaire21.

En troisième lieu, pour déminer cette fois l’argument d’opportunité selon lequel l’incommunicabilité serait souhaitable au développement des transactions, nous trouverions paradoxal, compte tenu de l’objectif de transparence administrative et même démocratique que s’est assignée la loi du 17 juillet 1978, qu’échappent au droit d’accès des documents dont l’objet est, pour la personne publique, d’octroyer à une autre personne des contreparties de nature à monnayer à un désistement. Pour respectable que soit l’outil transactionnel, il nous semble assez sain qu’il entre dans la catégorie des documents sur lesquels les administrés disposent du droit de regard de portée générale que leur a reconnu le législateur. Nous notons d’ailleurs que pour ce qui est des collectivités territoriales, la qualification de document juridictionnel consacrée par la CADA est, comme le reconnaît la CADA elle-même, impuissante à faire échec à la transparence dans la mesure où les protocoles transactionnels sont annexés à une délibération de l’assemblée délibérante, requise pour autoriser la transaction : de ce fait, les dispositions législatives du code général des collectivités territoriales22 qui disposent que « Toute personne physique ou morale a le droit de demander communication des procès-verbaux du conseil municipal, des budgets et des comptes de la commune et des arrêtés municipaux » emportent par elle-même le droit à communication. La qualification de document juridictionnel ne ferait donc échec qu’à la communication des transactions conclues par l’État dont le recours à cet outil se singulariserait par la faiblesse des garanties de transparence qui l’entourent.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous croyons que la qualification de document juridictionnel et non administratif, que l’état de votre jurisprudence permet mais ne dicte absolument pas, ne doit pas être retenue.

Cas des transactions extinctives

On pourrait encore se demander – le moyen est esquissé par le ministre – si le tribunal administratif ne s’est pas trompé en estimant que le document administratif que constitue la transaction était communicable, en dépit du f du 2° du I de l’article 6 de la loi du 7 juillet 1978 (désormais codifié au f du 2° de l’article L. 311-5 du CRPA). Cet item exclut du droit d’accès les « documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : […] Au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente ».

De cette réserve nous semble découler que, s’agissant du cas particulier des transactions extinctives, le droit de communication joue tant que la procédure juridictionnelle qu’elles entendent éteindre n’est pas close, c’est-à-dire, dans la configuration d’espèce23, que le désistement n’a pas eu lieu. Bien que se déployant à côté de l’instance, la conclusion de la transaction n’est en effet pas sans lien avec elle et a des conséquences sur son issue. On ne peut pas exclure que la communication d’une transaction dont l’encre est encore fraîche et qui donnerait lieu à des contestations de tiers puisse conduire les signataires à souhaiter se rétracter, avec à la clef une renonciation aux désistements envisagés qui devaient constituer le dénouement de l’instance tel que l’envisageaient les parties. À ce titre, elle serait de nature à perturber le cours souhaité de l’instance et donc à porter atteinte à son déroulement au sens de l’article 6.

Toutefois, alors que la qualification de document juridictionnel touche à la nature du document et revêt donc un caractère pérenne, l’incommunicabilité prévue par le f n’est que temporaire, puisqu’elle ne vise que le déroulement de procédures en cours. Elle est en quelque sorte l’équivalent, pour les procédures juridictionnelles, de ce que prévoyait l’article 2 de la loi du 17 juillet 1978 qui excluait du droit à communication les documents préparatoires à une décision administrative le temps seulement qu’intervienne sereinement cette décision.

En l’espèce, qu’il s’agisse des contestations tendant à l’annulation des actes du 7 janvier 2015 décidant la suspension des hausses tarifaires à intervenir au 1er février 2015, de celles tendant à l’indemnisation des préjudices financiers résultant de ces actes, ou de celles tendant à la compensation pécuniaire de l’augmentation de la redevance domaniale, il ressort des explications du ministre que les désistements devaient, aux termes mêmes de la convention, être formés dans les deux jours suivant la publication au Journal officiel des décrets approuvant les avenants aux contrats de concession. Or il ressort des pièces du dossier que ces décrets ont tous été publiés au Journal officiel le 21 août 201524. Si ces désistements étaient conditionnés à l’absence de recours contre ces actes, le ministre reconnaît qu’ils ont pu être formés immédiatement et qu’il en a été donné acte dans la foulée.

Déterminer ce que le tribunal administratif devait déduire de cette chronologie pourrait potentiellement poser la question de savoir à quelle date doit se placer le juge pour apprécier la légalité d’un refus de communication qui lui est déféré. En l’état actuel de la jurisprudence, vous exigez, conformément aux canons de l’excès de pouvoir, qu’il l’examine à la date d’édiction de ce refus : vous l’avez rappelé dans ce même litige, en jugeant le 3 octobre dernier que le tribunal administratif avait eu raison d’annuler pour excès de pouvoir le refus de communiquer les avenants qui, à la date du refus, ne faisaient pas l’objet d’une diffusion publique, avant de censurer l’erreur consistant à enjoindre, en qualité de juge de plein contentieux, une communication à laquelle, à la date du jugement, la diffusion publique faisait désormais obstacle. Il ne serait pas inconcevable, compte tenu de ce que l’annulation du refus n’emporte aucune conséquence rétroactive et n’a d’autre effet juridique qu’une obligation de communication pour l’avenir, que vous fassiez évoluer cette jurisprudence pour imposer au juge de vider le litige en se plaçant à la date à laquelle il statue, comme il le fait déjà pour déterminer si le recours dirigé contre le refus de communiquer conserve un objet25, et par analogie avec l’appréciation dynamique de la légalité que vous pratiquez dans le domaine voisin du contentieux des refus d’abroger26. Mais cette affaire n’invite pas à cette évolution car en tout état de cause, lorsqu’est né le refus implicite de communication litigieux, le 9 septembre 2015, il n’existait déjà plus de procédures juridictionnelles en cours au déroulement desquelles la communication de la transaction aurait pu faire obstacle. A fortiori, il n’en existait pas non plus à la date à laquelle le tribunal administratif a statué.

On pourrait certes objecter que les désistements prononcés n’étaient que des désistements d’instance, consentis par les sociétés concessionnaires d’autoroute sous condition résolutoire que l’État honore les engagements souscrits dans la transaction. On peut donc imaginer que de nouvelles contestations puissent naître à l’avenir en cas d’inexécution alléguée. Il reste qu’en visant le déroulement des procédures engagées devant les juridictions, le f du 2° de l’article 6 de la loi qui, s’agissant d’une exception au droit d’accès, doit faire l’objet d’une interprétation stricte, n’a entendu viser que les procédures actuelles et non virtuelles. On ne saurait soutenir qu’un document est incommunicable du seul fait qu’il puisse potentiellement à l’avenir donner prise à un contentieux.

Nous pensons donc in fine que le tribunal administratif de Paris n’a pas commis l’erreur de droit alléguée par le ministre en jugeant que l’accord transactionnel du 9 avril 2015 était un document administratif communicable et en enjoignant sa communication sous la réserve habituelle de l’occultation de mentions couvertes par un éventuel secret, par exemple industriel et commercial, qui ne nous a toutefois pas sauté aux yeux en prenant connaissance du document et que le ministre n’a jamais pris la peine d’invoquer.

Par ces motifs, nous concluons au rejet. ■

  1. CE S. 23 décembre 1988, Banque de France c/ H…, n° 95310 : Rec., p. 688 ; v. aussi, pour son applicabilité au cas où il s’agit de déterminer le caractère non pas seulement communicable, mais administratif ou non du document : CE 14 mars 2003, M. K…, n° 231661 : Rec., T., p. 787. [↩]
  2. Article R. 343-4 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA). [↩]
  3. CE S. 17 janvier 1986, Ministre de l’Économie, des finances et du budget c/ S. A. Dumons-Office des prix du bâtiment, n° 62282 : Rec., p. 7, au motif que la loi dispose que : « Le droit à communication ne s’exerce plus lorsque les documents font l’objet d’une diffusion publique. » [↩]
  4. Pour les photographies aériennes de l’IGN : avis CADA n° 20071023 du 3 mai 2007 ; pour le dépôt de documents au greffe des tribunaux de commerce, dès lors qu’ils peuvent ensuite aisément être consultés soit sur place, soit, pour une somme modique, par l’intermédiaire du réseau Infogreffe, accessible par internet : conseil CADA n° 20050524 du 3 juillet 2005 ; pour les normes homologuées par l’AFNOR, consultables gratuitement au siège de l’organisme, dans ses antennes régionales et ses points d’accueil et accessibles par voie postale moyennant le paiement d’un montant fixé par l’émetteur de la norme : conseil CADA n° 20050541 du 17 février 2005. [↩]
  5. Avis n° 20132534 du 25 juillet 2013, à propos d’un projet de protocole d’accord présenté à un conseil municipal sur le remboursement d’une créance ; n° 20143101 du 18 septembre 2014, à propos d’un protocole d’accord pour mettre fin à un litige entre la ligue de football professionnel et l’AS Monaco ; n° 201519178 du 4 juin 2015 pour un accord conclu entre voies navigables de France et une société à propos du calcul des redevances d’occupation du domaine. [↩]
  6. CE 26 janvier 1990, V…, n° 104236 : Rec., T., p. 780 ; JRCE 20 janvier 2005, H…, n° 276625 : Rec., T., p. 1039. [↩]
  7. CE S. 7 mai 2010, B…, n° 303168 : Rec., p. 154. [↩]
  8. CE S. 27 juillet 1984, Association SOS Défense c/ Cour de cassation, n° 30590 : Rec., p. 284. [↩]
  9. CE 29 avril 1983, Association SOS Défense et autre, n° 26908 : Rec., T., p. 727 ; CE 3 novembre 1990, B…, n° 74415 : Rec., T., p. 782. [↩]
  10. CE 25 mars 1994, M…, n° 106696 : Rec., T., p. 952. [↩]
  11. Pour une brochure sur l’indemnisation du préjudice corporel établie par le centre de documentation du Conseil d’État, 9 mars 1983, Association SOS Défense, n° 43501 : Rec., T. p. 727. sur un autre point ; pour des fiches de connexité, CE 28 avril 1993, Mme P…, n° 117480 : Rec., T., p. 782. [↩]
  12. N° 123584 : Rec., T., p. 951. [↩]
  13. N° 133540 : Rec., p. 521. [↩]
  14. N° 396089 : Rec., T., p. 612-655. [↩]
  15. N° 304621 : Rec., T., p. 720. [↩]
  16. Nos 366707, 366708, 371215 et 371216 : Rec., p. 665. [↩]
  17. N° 408348 : Rec., T., p. 613-655. [↩]
  18. V. les commentaires d’A. Lallet dans son fascicule Droit d’accès au répertoire de contentieux administratif, Dalloz. [↩]
  19. N° 249153 : Rec., p. 433. [↩]
  20. V. CE Ass. 9 novembre 2016, Société Fosmax LNG, n° 388806 : Rec., p. 466. [↩]
  21. V., pour le dernier état de la jurisprudence à propos des contrats administratifs en matière de commande publique, CE 30 mars 2016, Centre hospitalier de Perpignan, n° 375529 : Rec., p. 108. [↩]
  22. Article L. 2121-6 pour les communes. [↩]
  23. On peut en imaginer d’autre, dans la mesure où le juge administratif peut être amené à prendre acte de l’existence d’une transaction pour constater que les conclusions d’une requête sont devenues sans objet (CE 24 mars 1928, Sieur Guillabert : Rec., p. 444 ; CE 28 janvier 1994, Société Raymond Camus et compagnie : Rec.,T.,p. 1041), et doit aussi déclarer irrecevable une requête portant sur le même objet que celui qui a donné lieu à une transaction (CE 8 juillet 1925, Sieur Renaud : Rec., p. 653 ; CE 28 novembre 1990, Office public d’HLM de la Meuse : Rec., T., p. 871). [↩]
  24. Décrets nos 2015-1044, 2015-1045 et 2015-1046. [↩]
  25. CE S. 17 janvier 1986, Ministre de l’Économie c/ SA Dumons-Office des prix du bâtiment : Rec., p. 7. [↩]
  26. CE S. 5 octobre 2007, Ordre des avocats du barreau d’Évreux, n° 282321 : Rec., p. 411 ; CE 30 mai 2007, V…, n° 268230 : Rec., T., p. 664. [↩]

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Table des matières

  • Origine du litige
  • Pas de non-lieu à statuer
  • Thèse du pourvoi
    • Catégorie des documents judiciaires et juridictionnels
    • Arguments au soutien du pourvoi ?
    • Position discutable
  • Cas des transactions extinctives

About Aurélie Bretonneau

Rapporteur public

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Aurélie Bretonneau

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