Vu le recours du Ministre des Travaux publics et des Transports, ledit recours enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 20 avril 1959 et tendant à l’annulation du jugement du 5 juin 1959, par lequel le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a mis à la charge de l’Etat les conséquences dommageables de l’accident mortel survenu le 3 mai 1955 au sieur Y… et à son fils, qui, circulant à motocyclette, fut percuté par un camion appartenant au département de l’Allier ; Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ; Vu la loi du 31 décembre 1957 ; Vu l’ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; Vu l’article 1154 du Code civil ; Sur le principe de la responsabilité et la détermination de la collectivité responsable : Considérant que l’accident au cours duquel le sieur Y… Paul circulant à motocyclette avec son fils a trouvé la mort ainsi que ce dernier a été provoqué par un camion appartenant au département de l’Allier, et ramenant à un chantier de travaux publics en cours sur le chemin départemental n° 175 des agents des Ponts-et-Chaussées employés sur ledit chantier ; que l’accident, se rattachant ainsi à l’exécution de travaux publics, engage la responsabilité du département, pour le compte de qui lesdits travaux étaient exécutés ; que la circonstance que le conducteur du camion a commis une faute personnelle qui lui a valu une condamnation par le Tribunal correctionnel de Cusset, en utilisant irrégulièrement ledit camion et en l’assurant la conduite sans permis régulier n’est pas de nature à exonérer le département de sa responsabilité ; qu’en l’absence de toute circonstance de force majeure et de toute faute des victimes, le département doit supporter l’intégralité du préjudice qui est résulté de l’accident pour les consorts Y… et pour les caisses de Sécurité sociale ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède, d’une part que le Ministre des Travaux publics, des Transports et du Tourisme est fondé à soutenir que c’est à tort que le Tribunal administratif a mis à la charge de l’Etat la responsabilité de l’accident, d’autre part que les consorts Y… et les Caisses de Sécurité sociale sont fondés à demander la condamnation du département à supporter les conséquences dudit accident ; Sur l’évaluation du préjudice subi par les consorts Y… : En ce qui concerne la dame veuve Y… et ses enfants mineurs : Considérant que du fait des dégâts causés par la collision à la motocyclette du sieur Y…, la dame veuve Y… a supporté des frais de réparation s’élevant à la somme non contestée de 605,24 NF ; Considérant que si l’intéressée réclame le paiement d’une somme de 744,44 NF pour « frais consécutifs à l’accident », elle n’a fourni à l’appui de ce chef de sa réclamation aucune précision permettant de déterminer la nature exacte de ces frais et de vérifier le bien-fondé de sa prétention ; que celle-ci ne saurait donc être accueillie ; Considérant que le décès de son fils qui, lors de l’accident, était âgé de 7 ans, a entraîné pour la dame veuve Y… des troubles dans ses conditions d’existence ; qu’il sera fait une exacte appréciation du préjudice par elle subi de ce chef en l’évaluant à 10.000 NF ; Considérant que le décès du sieur Y…, mari de l’intéressée qui était âgé de 41 ans à la date de l’accident et qui subvenait par son travail aux besoins de sa famille, a privé tant la dame Y… que les trois enfants mineurs vivant au foyer de la majeure partie des revenus nécessaires à leur existence ; que cette perte de revenus ainsi que les troubles de toute nature que la disparition du chef de famille a créés dans la vie familiale, notamment pour l’éducation des trois enfants mineurs, ont entraîné des préjudices qui doivent être évalués, pour la dame Y… elle-même, à 35.000 NF, et pour chacun des trois enfants mineurs à 15.000 NF ; En ce qui concerne le sieur Letisserand X… : Considérant que s’il n’est pas établi – ni même allégué – que le décès du sieur Y… Paul ait causé au sieur Letisserand X… un dommage matériel ou ait entraîné des troubles dans ses conditions d’existence, la douleur morale qui est résultée pour ce dernier de la disparition prématurée de son fils est par elle-même génératrice d’un préjudice indemnisable ; qu’il sera fait une exacte appréciation des circonstances de l’affaire en allouant de ce chef au sieur Letisserand X… une indemnité de 1.000 NF ; Sur les droits de la Caisse régionale de Sécurité sociale du Massif Central et de la Caisse primaire de Sécurité sociale de l’Allier : Considérant que la dame veuve Y… et ses enfants mineurs ont, du chef du décès de leur mari et père, victime d’un accident du travail, perçu les prestations prévues par la législation sur les accidents du travail ; que les Caisses de Sécurité sociale sont fondées à demander que les prestations servies aux consorts Y… soient imputées par priorité sur les réparations dues par le département à ces derniers ; Considérant que la Caisse primaire de Sécurité sociale a droit au remboursement par le département du capital-décès versé à la dame Y… et s’élevant à 795 NF ; Considérant que la Caisse régionale de Sécurité sociale doit, de même, se voir rembourser par le département les arrérages échus et à échoir des rentes servies tant à la dame Y… qu’à ses enfants mineurs ; que toutefois les arrérages échus postérieurement à la présente décision ne sont remboursables qu’à concurrence du montant correspondant aux taux, majorations comprises, en vigueur à la date de ladite décision ; Considérant que la Caisse régionale ne saurait prétendre se faire rembourser les frais de procès-verbal d’enquête, lesdits frais n’étant pas au nombre des dépenses que l’article 68 de la loi du 30 octobre 1946 autorise à mettre à la charge du tiers responsable de l’accident ; Sur le montant de l’indemnité due aux consorts Y… : Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le sieur Letisserand X… , qui ne bénéficie d’aucune prestation au titre de la législation sur les accidents du travail, doit recevoir l’indemnité ci-dessus évaluée de 1.000 NF ; Considérant, de même, qu’aucune imputation ne saurait être opérée, ni sur l’indemnité de 605,24 NF due à la dame Y… pour les frais de réparation de la motocyclette, ni sur l’indemnité de 10.000 NF due à celle-ci du chef du décès de son fils ; Considérant, pour le surplus, que les indemnités dues par le département à la dame Y… et à ses enfants mineurs doivent être égales à la différence entre le montant du préjudice subi par ces derniers, tel qu’il a été évalué ci-dessus, et le montant des sommes que le département est tenu de verser aux Caisses de Sécurité sociale ; que la dame Y… doit ainsi recevoir en réparation de son préjudice propre, une indemnité égale à la différence entre d’une part la somme de 35.000 NF et d’autre part le total : 1° du capital-décès, soit 795 NF ; – 2° du montant des arrérages de sa rente de veuve échus à la date de la présente décision ; – 3° du capital correspondant à ladite rente évalué à la date de la présente décision sur la base du taux, majorations comprises, applicable à ladite date ; que la dame Y… doit d’autre part recevoir, au nom de ses enfants mineurs, une indemnité égale à la différence entre d’une part la somme de 45.000 NF et d’autre part le total : 1° des arrérages des rentes d’orphelins échus à la date de la présente décision ; – 2° du montant cumulé des capitaux correspondant auxdites rentes évalués à la date de la présente décision sur la base des taux, majorations comprises, applicables à ladite date ; Considérant que le paiement à la dame veuve Y… et au sieur Letisserand X… des indemnités qui leur sont dues devra être subordonné à la subrogation du département de l’Allier par les intéressés dans leurs droits contre le sieur Z…, conducteur du camion, lequel a été, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, condamné à indemniser les consorts Y… par jugement du Tribunal correctionnel de Cusset en date du 21 octobre 1955 ; Sur les intérêts : Considérant que les sommes dues à la dame veuve Y… pour elle-même et pour ses enfants mineurs et au sieur Letisserand X… doivent porter intérêts au taux légal à compter du 6 décembre 1956, date de réception de leurs demandes par le Tribunal administratif ; Sur les intérêts des intérêts : Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée par la dame veuve Y… pour elle-même et pour ses enfants mineurs le 3 mai 1961 ; qu’à cette date il était dû au moins une année d’intérêts ; qu’il y a donc lieu de faire droit à ces conclusions par application de l’article 1154 du Code civil ; Sur les dépens de première instance : Considérant que dans les circonstances de l’affaire il y a lieu de mettre les dépens de première instance à la charge du département de l’Allier ; DECIDE : Article 1er : Les articles 3, 5, 6, 7, 8, 9 et 10 du jugement susvisé du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand en date du 5 juin 1959 sont annulés. Article 2 : L’Etat est déchargé des condamnations prononcées contre lui par le jugement susvisé. Article 3 : Le département de l’Allier paiera au sieur Letisserand X… la somme de 1.000 NF. Ladite somme portera intérêt au taux légal à compter du 6 décembre 1956. Article 4 : Le département de l’Allier paiera à la Caisse primaire de Sécurité sociale de l’Allier la somme de 795 NF. Article 5 : Le département de l’Allier paiera à la Caisse régionale de Sécurité sociale du Massif Central une somme égale au montant total des arrérages des rentes de veuve et d’orphelins versés au titre de la législation sur les accidents du travail à la dame Y… pour elle-même et pour ses enfants mineurs et échus jusqu’à la date de la présente décision. Il remboursera à la même Caisse les arrérages à échoir postérieurement à ladite date au fur et à mesure de leur versement, à concurrence du montant correspondant aux taux en vigueur, majorations comprises, à la date de la présente décision. Article 6 : Le département de l’Allier paiera à la dame veuve Y… : 1° la somme de 10.605,24 NF ; – 2° pour elle-même, une indemnité égale à la différence entre d’une part la somme de 35.000 NF et, d’autre part, le total : a de la somme de 795 NF ; – b du montant des arrérages de sa rente de veuve échus à la date de la présente décision ; – c du montant du capital correspondant à ladite rente, évalué à la date de la présente décision sur la base du taux, majorations comprises, applicable à ladite date ; – 3° pour ses enfants mineurs, une indemnité égale à la différence entre, d’une part, la somme de 45.000 NF et, d’autre part, le total : a du montant des arrérages des rentes d’orphelins échus à la date de la présente décision ; – b du montant cumulé des capitaux correspondant auxdites rentes évalués à la date de la présente décision sur la base des taux, majorations comprises, applicables à ladite date. Lesdites sommes porteront intérêt au taux légal à compter du 6 décembre 1956. Les intérêts échus le 3 mai 1961 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêt à compter de ladite date. Article 7 : Le paiement par le département de l’Allier des indemnités dues au sieur Letisserand X… et à la dame veuve Y… pour elle-même et pour ses enfants mineurs est subordonné à sa subrogation par les consorts Y…, jusqu’à concurrence de leur montant, dans les droits qui ont pu ou pourraient résulter pour eux des condamnations prononcées à leur profit à l’encontre du sieur Z… ; Article 8 : Le surplus des conclusions des demandes présentées devant le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand tant par le sieur Letisserand X… que par la dame veuve Y… pour elle-même et pour ses enfants mineurs, par la Caisse de Sécurité sociale de l’Allier et par la Caisse régionale de Sécurité sociale du Massif Central ainsi que le surplus des conclusions présentées par les intéressés devant le Conseil d’Etat sont rejetés. Article 9 : Les dépens de première instance et d’appel sont mis à la charge du département de l’Allier. Article 10 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre des Travaux publics et des transports et au Ministre de l’Intérieur.
Conseil d’Etat, Assemblée, 24 novembre 1961, Letisserand, requête numéro 48841, rec. p. 661
Citer : Revue générale du droit, 'Conseil d’Etat, Assemblée, 24 novembre 1961, Letisserand, requête numéro 48841, rec. p. 661, ' : Revue générale du droit on line, 1961, numéro 10151 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=10151)
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