Approche empirique de la science politique de Christophe de Nantois, 2ème édition
- Contexte
L’histoire universitaire française récente a créé une séparation aujourd’hui assez marquée entre les études juridiques et la science politique. Jusqu’au début des années 1980 la science politique était intégrée au sein des sciences juridiques et les enseignants étaient des professeurs de droit et de science politique. Durant les années 1980 la science politique a pris une forme d’autonomie fonctionnelle et intellectuelle. Au plan fonctionnel, une section science politique a été créée et les professeurs ont été sommés de choisir leur rattachement soit à la section droit public, soit à la section science politique. Une fois créée, chaque section s’est ensuite concentrée sur ce qu’elle estimait être sa spécificité, son cœur de métier pour affirmer son identité. Les juristes se sont focalisés sur l’étude de la jurisprudence du Conseil constitutionnel avec d’autant plus d’attention et d’intérêt que celle-ci était en plein développement. Ce faisant, les constitutionnalistes ont étudié avec moins d’intérêt les institutions politiques et ont délaissé certaines de ces thématiques comme la sociologie des élus1.
Quant aux politistes, ils se sont tournés vers quelques-uns de leurs auteurs-phares : Max Weber, Norbert Elias et Pierre Bourdieu et ont, à partir de cette base, élargi leurs connaissances. Ces auteurs étant essentiellement des sociologues, la science politique française a pris une importante tournure sociologique, se coupant ainsi, peu à peu, de ses racines juridiques historiques.
Ces deux disciplines, en s’autonomisant, et en observant la vie politique avec deux prismes toujours plus différents, ont peu à peu laissé dans l’ombre des aspects qui auparavant étaient centraux. Le gouffre franco-français séparant le droit de la science politique a ainsi englouti certains sujets de recherche qui constituent le cœur d’études effectuées par les politistes anglo-saxons.
Le projet de cet ouvrage est de tenter l’exploration de certaines de ces thématiques qui se sont retrouvées dans l’ombre. En cela, cet ouvrage s’inscrit dans un courant récent initié par quelques juristes qui ont peu à peu constaté les limites et les faiblesses de cette démarche et qui se rapprochent progressivement des analyses et des thèmes qui étaient encore les leurs il y a une trentaine d’années. La création de revues comme Politeia en 2001 puis de Jus Politicum en 2008 ou la réédition d’un manuel classique comme celui de Philippe Ardant par Bertrand Mathieu en 2012, indiquent cette volonté de certains constitutionnalistes de renouer avec leurs sujets d’études classiques.
2. Méthode adoptée : le refus théorique
Destiné à un public débutant des études supérieures, voire à un public encore plus vaste, cet ouvrage a pour objectif d’être aisément accessible. La méthode adoptée est pour cette raison particulièrement simple, on pourra même la trouver simpliste : partir de faits, de constats et d’éléments historiques pour expliquer la vie politique telle qu’elle se présente. L’observation ne se limitera pas à la France ni à la période actuelle, elle sera au contraire élargie à d’autres pays pour relativiser la place de la France. Le recours aux explications théoriques sera, par conséquent, limité à son strict nécessaire. L’objectif poursuivi est donc de décrire la pratique politique pour ensuite la décrypter sans recourir à des explications philosophiques, théoriques, sociologiques ou juridiques qui ont toutes leur intérêt mais qui, toutes, nécessitent de longues explications préliminaires. Dépouillé de toutes ces finesses offertes par ces différentes grilles de lecture, cet ouvrage pourra paraître rustique et terre à terre. Il s’agit d’un parti-pris assumé, d’un contre-pied volontaire à la grande sophistication aujourd’hui atteinte dans ce domaine, aux distinctions byzantines parfois mises en avant.
Cette position iconoclaste, pour ne pas dire hérétique, aura donc pour conséquence regrettable de présenter essentiellement la surface de la réalité sans véritablement pouvoir aborder les causes qui la sous-tendent. Pour les amateurs de métaphores, on pourrait dire que cet ouvrage est une étude géographique qui prend en compte le moins possible la géologie.
Cet ouvrage n’a donc pas pour projet de créer une nouvelle théorie qui s’ajouterait aux précédentes. Le but poursuivi est de donner au lecteur des clefs de lecture simples et accessibles d’une vie politique remarquablement riche et complexe, toujours mouvante.
- Cette évolution est très nette si l’on observe les titres des ouvrages : dans les années 1960 et 1970 le terme « institutions politiques » apparaissait en premier, parfois seul, parfois accompagné de « droit constitutionnel ». Dans les années 1980 et 1990, le « droit constitutionnel » prend la première place, parfois encore accompagné par les « institutions politiques » mais ces derniers termes disparaissent progressivement pour ne laisser que le « droit constitutionnel » sur la couverture dans les années 2000. [↩]