Voilà une affaire d’impenses pour amélioration et aménagement d’un palais archiépiscopal qui aurait pu tourner aussi mal pour l’archevêque de Besançon qu’avait tourné jadis, pour l’évêque de Moulins, l’affaire célèbre des impenses ecclésiastiques faites dans le domaine d’Yseure. Heureusement pour l’archevêque de Besançon, instruit par l’expérience des déboires de l’évêché de Moulins, qui, en 1896, étaient un événement récent (Cass. req. 4 déc. 1894, Évêque de Moulins c. Min. de l’instruction publique. S. 1897.1.173), et, sans doute, habilement conseillé, il fit le nécessaire pour que les sommes par lui versées en vue des travaux effectués à l’archevêché prissent la figure juridique bien connue en droit administratif sous le nom d’offres de concours à une opération de travaux publics. Sans doute, il n’y eut pas de contrat formel établi, mais notre arrêt explique « qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport des experts, que les sommes effectivement versées à titre de fonds de concours par l’archevêque de Besançon, pour les travaux effectués de 1896 à 1903 à l’archevêché de Besançon, se sont élevées au total à 29.331 francs ; que cette somme était destinée à améliorer pour lui et ses successeurs, l’aménagement du palais archiépiscopal, etc. ».
Du fait de cette catégorie juridique de l’offre de concours ou des fonds de concours à une opération de travaux publics, l’affaire s’est trouvée transformée.
Dans l’espèce Évêque de Moulins, comme les impenses considérables faites par l’évêque (plus de 300.000 francs) n’avaient pas été rattachées à une opération de travaux publics, elles étaient demeurées des impenses faites par un affectataire d’un immeuble domanial, simple détenteur précaire et, comme tel, n’ayant droit à aucun remboursement ; c’était là une opération de nature civile, justiciable des tribunaux civils, car, à cette époque s’établissait la jurisprudence que les affectations d’immeubles domaniaux, lorsqu’elles n’étaient pas en vue d’un service public, étaient affaires purement civiles (Cons. d’Etat, 17 juin 1887, Ville de Paris c. Institution des frères des écoles chrétiennes, immeuble de la rue Oudinot, S. 1889.3.30 ; P. chr., avec les conclusions de M. le commissaire du gouvernement Le Vavasseur de Précourt).
Au contraire, dans notre espèce Archevêque de Besançon, comme les impenses sont rattachées à une opération de travaux publics, elles deviennent une affaire administrative et relèvent du conseil de préfecture en première instance, et du Conseil d’Etat en appel.
Conséquence : alors que la Cour de Paris et la Cour de cassation, en 1891-1894, s’en tiennent à des arguments de droit civil strict, sur la situation de l’affectataire détenteur précaire, sur l’incapacité où se trouvait à cette époque le ministre de consentir à un compromis d’arbitrage, etc., et refusent toute restitution, le Conseil d’Etat, allant tout droit à l’intention des parties et déclarant que cette intention était que les archevêques de Besançon pussent jouir dans la suite des temps des améliorations en vue desquelles les impenses avaient été versées, constate que « du fait des lois de séparation de 1905 et de 1907, cette condition impulsive et déterminante de l’offre de concours avait cessé de subsister et que l’inexécution de ladite condition doit, par suite, en l’absence de toute disposition législative expresse qui y fasse obstacle, entraîner le remboursement des souscriptions ».
De cette simple histoire comparative de deux jurisprudences, des enseignements de deux sortes doivent être tirés : un enseignement pratique pour les affectataires de biens domaniaux ; un enseignement théorique en ce qui concerne la doctrine des offres de concours :
1° Les affectataires de biens domaniaux qui ne sont pas affectés à un service public, doivent savoir que leur situation relève du droit civil et des tribunaux judiciaire ; que, d’après les principes du droit civil, ils sont considérés comme de simples détenteurs précaires, non pas même comme des possesseurs de bonne ou de mauvaise foi, auxquels serait applicable l’art. 555, C. civ., mais comme de simples détenteurs auxquels cet article n’est pas applicable ; que s’ils font des impenses dans l’immeuble et que ces impenses ne se présentent pas comme des fonds de concours à une opération de travaux publics, elles ne leur seront aucunement remboursées ; les tribunaux civils n’ont imaginé aucune solution d’équité qui leur assure ce remboursement ; ils n’admettent même pas l’enrichissement sans cause, de peur que l’Administration concédante ne soit gênée dans sa liberté de révoquer l’affectation par la perspective d’avoir à rembourser de l’argent (Paris, 23 avril 1891, Évêque de Moulins, sous Cass. req. 4 déc. 1894, précité) ; alors même que l’Administration propriétaire aurait entrepris des travaux d’amélioration auxquels l’affectataire se serait associé par des fonds de concours, si ces travaux conservaient le caractère de travaux civils et relevaient de la compétence judiciaire, l’affectataire ne saurait se flatter que les juridictions civiles appliqueraient la solution si équitable tirée de la conception contractuelle des offres de concours permettant de faire jouer la condition résolutoire pour défaut d’exécution des conditions ; nous ne connaissons pas encore de jurisprudence civile ayant admis le contrat sui generis d’offre de concours à des travaux privés.
II serait donc très prudent, de la part des affectataires, d’obtenir de l’Administration qu’elle donnât à ses travaux la forme de travaux publics, par les procédures d’usage, de façon à s’assurer de la compétence administrative qui entraîne ici l’application de la théorie administrative des offres de concours.
Ce conseil s’adresse particulièrement aux affectataires ecclésiastiques, s’il en subsiste encore, ou si, dans l’avenir, il devait s’en révéler de nouveaux. Avertis dès longtemps des fluctuations de la politique qui leur inflige périodiquement le régime de douche écossaise des faveurs succédant à des rigueurs ; avertis aussi de l’étroitesse d’esprit de certains juges qui n’ont pas encore compris que l’intérêt de la public policy est de ne pas étrangler et ruiner des entreprises d’utilité sociale et souvent d’utilité nationale pour le stérile plaisir d’appliquer des principes de droit strict (dans l’affaire du domaine d’Yseure, le gouvernement, représenté par Jules Ferry, avait essayé d’arranger les choses par un arbitrage ou une transaction qui contenaient, tout au moins, une reconnaissance de la dette de l’Etat, et la Cour de cassation, dans son arrêt de 1894, avait brutalement fermé cette voie) ; avertis donc de toutes ces choses, les affectataires ecclésiastiques doivent, le cas échéant, se couvrir soigneusement par la procédure révélée par notre arrêt ;
2° Et maintenant, au point de vue de la théorie juridique de l’offre de concours en matière de travaux publics, notre affaire confirme les deux règles suivantes :
a) L’offre de concours, bien qu’étant une convention synallagmatique, n’exige pas un contrat formel ; elle se conclut aussi bien par le versement de fonds de concours et par l’acceptation de ces fonds par l’Administration, laquelle peut être tacite (Cfr. Cons. d’Etat, 5 janv. 1921, Min. des travaux publics, Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 8 ; 27 févr. 1924, Charbonnel, Id., p. 224) ;
b) L’offre de concours, en sa qualité de convention synallagmatique et à titre onéreux admet l’application de la condition résolutoire pour inexécution des conditions de l’art. 1184, C. civ., et, même, lorsque l’exécution des conditions déterminantes de l’offre est successive, comme il arrive dans l’affectation d’un bâtiment, laquelle peut être révoquée après avoir duré un certain temps, le Conseil d’Etat admet que l’impense ne soit pas remboursée intégralement, mais dans une certaine proportion qu’il arbitre lui-même et qu’il estime être en corrélation avec le temps pendant lequel l’affectataire aura joui des travaux.
L’admission de la condition résolutoire implicite dans le contrat sui generis de l’offre de concours paraît bien être un développement jurisprudentiel dû à notre arrêt. Jusqu’ici nous ne connaissions que la soumission du contrat à une condition explicite et formelle (Cons. d’Etat, 22 mai 1909, Ville de Beaune, Rec. des arrêts du Cons. d’Etat, p. 533). Ce développement est logique et, dans l’espèce, aboutit à une solution équitable permettant de remédier à des situations fâcheuses.