Afin de rééquilibrer le budget de la sécurité sociale, une contribution exceptionnelle avait été instaurée par l’article 12 de l’ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996, relative aux mesures urgentes tendant au rétablissement de l’équilibre financier de la sécurité sociale (JO 25 janvier 1996, p. 1230). Suite à l’annulation de cette disposition par le Conseil d’État, en raison de son incompatibilité avec le Traité instituant la communauté européenne (CE, 15 octobre 1999, Société Baxter et autres, requête numéro 179049, rec. tables, p. 688 ; appliquant CJCE, 8 juillet 1999, Société Baxter et autres c/ Premier ministre et autres, affaire C-254/97, rec. p. I-4809), le législateur a compensé la perte engendrée par cette annulation juridictionnelle en instituant une nouvelle contribution à l’occasion du vote de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 (Loi numéro 99-1140, 29 décembre 1999, article 30, JO 30 décembre 1999, p. 19706). Pris pour son application, le décret attaqué par le syndicat national de l’industrie pharmaceutique (SNIP) fixe le taux de cette seconde imposition.
Au prix d’une confusion entre ces deux impositions, le requérant soutient que l’intervention de cette loi et de son décret d’application méconnaît l’autorité relative de la chose jugée attachée aux décisions rendues respectivement par la Cour de justice des communautés européennes et par le Conseil d’État. Ce moyen est aisément rejeté par la haute juridiction administrative. En effet, la seconde contribution présente des caractères distincts de la première. Elle ne vise pas les mêmes assujettis, prévoit une assiette différente de celle de la première contribution et ne permet pas des exonérations identiques. Par conséquent, les deux impositions ne portent pas sur le même objet. Dès lors, la méconnaissance de l’autorité de la chose jugée ne pouvait être caractérisée (CE Sect., 29 novembre 1974, Époux Gevrey, requête numéro 89756, rec. p. 600 ; article 1351 du code civil) et le juge administratif a rejeté sans difficulté ce moyen. En définitive, cet arrêt n’aurait guère présenté d’intérêt si les juges du Palais-Royal n’avaient pas poussé plus loin le raisonnement.
Par des considérations qui ne semblent pas nécessaires à la résolution du litige, la Haute juridiction apporte deux précisions importantes concernant la place dans l’ordre juridique interne des principes généraux du droit communautaire qui étaient invoqués au soutien du précédent moyen. D’une part, le Conseil d’État juge que ces principes ont une valeur identique à celle des stipulations du Traité instituant la communauté européenne. D’autre part, le juge administratif confirme la suprématie de la constitution dans l’ordre interne.
1°) Le Conseil d’État affirme que les principes généraux du droit communautaire « ont la même valeur juridique » que le Traité instituant une communauté européenne. Cette reconnaissance, souvent éludée par le juge administratif (CE, 30 novembre 1994, SCI Résidence Dauphine, requête numéro 128516, rec. p. 515 ; CE Ass., 17 février 1995, Meyet et autres, requête numéro 159308, rec. p. 79), trouve directement son fondement dans l’article 6 alinéa 2 du Traité instituant une communauté européenne. Ce dernier inclut incontestablement les principes généraux du droit communautaire – inspirés des traditions constitutionnelles communes aux États membres – parmi les normes constituant le bloc de légalité communautaire. En outre, ils sont présentés comme revêtus d’une autorité similaire à celle des stipulations de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales bien que l’Union européenne n’y soit pas partie. Ainsi, on peut considérer que ces principes n’admettent cette valeur juridique qu’en tant que le traité le prévoit. Ils en sont le substrat.
Le juge administratif tire ensuite les conséquences naturelles de cette assimilation entre principes généraux du droit communautaire et stipulations du Traité instituant une communauté européenne en leur conférant une valeur supérieure aux lois conformément à l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958. Suivant une jurisprudence bien établie, les principes généraux du droit communautaire priment donc sur la loi à l’instar des stipulations du Traité de Rome (CE Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, requête numéro 108243, rec. p. 190). Par l’arrêt syndicat national de l’industrie pharmaceutique, le juge administratif complète ainsi sa jurisprudence relative à la primauté du droit communautaire sur la loi (voir, pour le règlement communautaire, CE, 24 septembre 1990, Boisdet, requête numéro 58657, rec. p. 251 ; pour la directive communautaire, CE Ass., 28 février 1992, SA Rothmans International France et SA Philip Morris France, requête numéro 56776, rec. p. 78). La consécration de la suprématie des normes communautaires sur la loi est donc pleine et entière.
La décision SNIP marque indéniablement une nette distinction entre principes généraux du droit communautaire, coutume internationale et principes généraux du droit international. Le juge administratif admet qu’ils constituent des sources du droit mais ne reconnaît une valeur supra-législative qu’aux seuls principes généraux du droit communautaire. Là où le traité instituant une communauté européenne implique cette valeur, aucun texte ne le prescrit que ce soit pour la coutume internationale (CE Ass., 6 juin 1997, Aquarone, requête numéro 148683, rec. p. 206) ou pour les principes généraux du droit international (CE, 28 juillet 2000, Paulin, requête numéro 178834, rec. p. 317).
De nombreux principes communautaires sont susceptibles de primer sur la loi. À cet égard, Il faut relever ici que l’autorité qui s’attache au principe de sécurité juridique applicable dans le champ du droit communautaire et mentionné dans l’arrêt SNIP ne doit pas être confondu avec le PGD découvert dans l’arrêt KPMG (CE Ass., 24 mars 2006, Société KPMG, requête numéro 288460, rec. p. 154).
2°) La haute juridiction profite de cette espèce pour rappeler explicitement que le principe de primauté du droit communautaire « ne saurait conduire, dans l’ordre interne, à remettre en cause la suprématie de la Constitution ». Il transpose ainsi une célèbre jurisprudence selon laquelle « la suprématie (…) conférée aux engagements internationaux ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle » (CE Ass., 30 octobre 1998, Sarran, Levacher et autres, requête numéro 200286, rec. p. 369 ; sol. impl., CE Ass., 3 juillet 1996, Koné, requête numéro 169219, rec. p. 255) aux normes communautaires. Cela confirme l’un des principaux points d’achoppement dans le dialogue entre le juge du Palais-Royal et le juge de Luxembourg. En effet, ce dernier considère, à l’inverse, et ce depuis longtemps, que le droit communautaire prime sur l’ensemble du droit national (CJCE, 15 juillet 1964, Costa c/ Enel, affaire numéro 6/64, rec. p. 1141), y compris les règles de nature constitutionnelle (CJCE, 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft mbH, affaire numéro 11/70, rec. p. 1125).
La jurisprudence SNIP a ainsi pour effet d’élargir le bloc de conventionalité au regard duquel le juge administratif peut écarter une loi par voie d’exception. L’effectivité du droit communautaire n’en est que mieux assurée.