Vu 1°) sous le n° 159 308 la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 14 juin 1994 et 15 juillet 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentés par M. Alain C… demeurant … au Pré-Saint-Gervais (93310) ; M. C… demande au Conseil d’Etat :
– d’annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 12 juin 1994 en vue de l’élection des représentants au Parlement européen ;
– subsidiairement, de soustraire un siège à la liste « Energie radicale » et d’attribuer un siège supplémentaire à la liste l' »Europe solidaire » ;
Vu 2°) sous le n° 159 349 larequête enregistrée le 16 juin 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Z… demeurant 5, Square Saint-Martin à Bois d’Arcy (78390) ; M. Z… demande au Conseil d’Etat d’annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 12 juin 1994 en vue de l’élection des représentants au Parlement européen ;
Vu 3°) sous le n° 159 491, la requête enregistrée le 22 juin 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. X… demeurant … ; M. X… demande au Conseil d’Etat d’annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 12 juin 1994 en vue de l’élection des représentants au Parlement européen ;
Vu, 4°) sous le n° 159 545 la requête enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat le 23 juin 1994, présentée par Mme B… demeurant … ; Mme B… demande au Conseil d’Etat d’annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 12 juin 1994 en vue de l’élection des représentants au Parlement européen ;
Vu 5°) sous le n° 159 625 la requête et le mémoire complémentaire enregistrés les 27 juin et 28 juillet 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentés par M. C… demeurant …, Le Pré-Saint-Gervais (93310) ; M. C… reprend les conclusions de la requête n° 159308 et les mêmes moyens ;
Vu, 6°) sous le n° 159 636 la requête enregistrée le 27 juin 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Olivier D… demeurant … ; M. D… demande au Conseil d’Etat d’annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 12 juin 1994 en vue de l’élection des représentants au Parlement européen ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la proclamation des résultats de l’élection des représentants au Parlement européen, publiée au Journal officiel de la République française le 21 juin 1994 ;
Vu la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en date du 4 novembre 1950 ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques en date du 19 décembre 1966 ;
Vu le traité sur l’Union européenne signé à Maastricht le 7 février 1992 ;
Vu le code électoral ;
Vu la loi n° 77-680 du 30 juin 1977 autorisant l’approbation des dispositions annexées à la décision du Conseil des Communautés européennes du 20 septembre 1976 et relatives à l’élection des représentants à l’Assemblée des Comunautés européennes au suffrage universel direct ;
Vu la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen ;
Vu la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion ;
Vu la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique ;
Vu le décret n° 79-160 du 28 février 1979 portant application de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 ;
Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de M. Glaser, Auditeur,
– les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. Bernard E…,
– les conclusions de M. Toutée, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées de MM. C…, Z…, X… et D… et de Mme B… contestent les résultats de la même élection et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à l’annulation de l’ensemble des élections :
Sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non recevoir opposées à la requête n° 159 308 de M. C… et à la requête n° 159 349 de M. Z… :
Sur les griefs relatifs aux règles d’organisation des élections :
Considérant, en premier lieu que l’article 11 de la loi susvisée du 7 juillet 1977 qui prévoit le versement d’un cautionnement de 100 000 F, l’article 18 de la même loi selon lequel seules les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés se voient rembourser par l’Etat le coût de certaines dépenses, et son article 19 qui fixe les règles d’utilisation par les différentes listes des chaînes publiques de radiodiffusion et de télévision pendant la campagne électorale ne sont incompatibles ni avec les stipulations des articles 13 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui garantissent l’exercice sans aucune distinction des droits reconnus dans la convention et assurent le droit à un recours effectif à toute personne dont les droits et libertés ont été violés, ni avec celles de l’article 3 du protocole additionnel n° 1 à ladite convention selon lequel les Etats s’engagent à organiser des élections libres ni avec les stipulations de l’article 25 du pacte international relatif aux droits civils et politiques qui prévoit que tout citoyen a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques et le droit de voter et d’être élu ;
Considérant, en deuxième lieu, que les articles 8 et 9 de la loi susvisée du 11 mars 1988 qui fixent les modalités du financement par l’Etat des partis politiques ne sont pas incompatibles avec les stipulations susmentionnées des articles 13 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ni avec celles de l’article 3 du protocole additionnel à ladite convention ;
Considérant, en troisième lieu, que les dispositions de l’article 11 de la loi susvisée du 19 juillet 1977 qui interdisent pendant la semaine précédant le scrutin la publication, la diffusion ou le commentaire de tout sondage ne sont pas incompatibles avec l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ni avec l’article 19 du pacte international relatif aux droits civils et politiques qui garantissent la liberté d’expression ;
Considérant, en quatrième lieu, que l’article F-2 du traité sur l’Union européenne n’édicte aucune règle avec laquelle les articles 11, 18 et 19 de la loi susvisée du 7 juillet 1977 et l’article 11 de la loi susvisée du 19 juillet 1977 seraient incompatibles ;
Considérant, en cinquième lieu, que la seule publication faite au Journal officiel du 9 février 1949 du texte de la déclaration universelle des droits de l’homme ne permet pas de ranger cette dernière au nombre des textes diplomatiques qui, ayant été ratifiés et publiés en vertu d’une loi, ont aux termes de l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, une autorité supérieure à celle de la loi interne ; qu’ainsi M. X… ne saurait utilement invoquer cette déclaration pour contester la régularité du scrutin ;
Considérant, en sixième lieu, qu’il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier la constitutionnalité des articles 11, 18 et 19 de la loi précitée du 7 juillet 1977 et des articles 8 et 9 de la loi susvisée du 11 mars 1988 ;
Considérant, enfin, que l’élection des représentants au Parlement européen a été organisée sur le fondement de la loi susvisée du 30 juin 1977 autorisant l’approbation des dispositions annexées à la décision du Conseil des Communautés européennes du 20 septembre 1976 et relatives à l’élection des représentants à l’Assemblée des Communautés européennes au suffrage universel direct ; que, dès lors, le grief tiré par MM. D… et Z… de ce que, le traité sur l’Union européenne n’est pas, selon eux, entré en vigueur faute d’avoir été régulièrement ratifié et que l’élection serait irrégulière de ce fait est inopérant ;
Sur l’éligibilité de MM. E… et de Villiers :
Considérant que les dispositions de l’article L. 46-1 du code électoral selon lesquelles nul ne peut cumuler plus de deux mandats électoraux au nombre desquels figure celui de représentant européen n’ont ni pour objet ni pour effet de frapper d’inéligibilité les personnes auxquelles elles s’appliquent mais seulement de les obliger à faire cesser l’incompatibilité entre les mandats qu’ils détiennent en démissionnant du mandat de leur choix ; que Mme B… ne saurait, dès lors, se prévaloir de ces dispositions pour soutenir que MM. E… et de Villiers auraient été inéligibles au Parlement européen ; que la circonstance que M. de Villiers aurait contesté la participation à l’élection des représentants au Parlement européen des électeurs des autres pays européens n’est pas de nature à le rendre inéligible ;
Sur les griefs relatifs à la campagne électorale :
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes des premier, deuxième et troisième alinéas de l’article 19 de la loi susvisée du 7 juillet 1977 : « Les listes de candidats peuvent utiliser les antennes des sociétés nationales de radiodiffusion et de télévision pendant la campagne électorale. – Une durée d’émission de deux heures est mise à la disposition des listes présentées par les partis et groupements représentés par des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale ou du Sénat. Cette durée est répartie également entre les listes. – Une durée d’émission de trente minutes est mise à la disposition des autres listes et répartie également entre elles sans que chacune d’entre elles puisse disposer de plus de cinq minutes » ; que la décision en date du 29 mai 1994, par laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel a réparti le temps de parole de 1 minute 46 secondes revenant en application de la loi aux 17 listes relevant du 3ème alinéa précité en quatre émissions dont deux de 48 secondes et deux de 5 secondes réparties sur les deux semaines de la campagne officielle, n’a pas été de nature à altérer la sincérité du scrutin ; Considérant, en deuxième lieu, que l’utilisation par la liste de M. de Villiers, dénommée « La liste de la majorité pour l’autre Europe », de l’expression « majorité » n’a pas constitué une manoeuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin ;
Considérant, en troisième lieu, que les interventions du Centre d’information civique appelant les électeurs à voter relèvent des missions de cet organisme et ne sont pas de nature à entacher le scrutin d’irrégularité ; que le grief tiré d’interventions de la Commission des Communautés européennes n’est pas assorti de précisions permettant d’en apprécier la portée ; que ni la diffusion d’une brochure réalisée par les ministères des affaires étrangères et des affaires européennes intitulée « L’Europe c’est nous » et comportant une présentation non polémique de la construction européenne, ni l’organisation le 9 mai 1994 d’un colloque sur le thème « l’enjeu des élections européennes pour les collectivités locales » n’ont été de nature à altérer la sincérité du scrutin ;
Considérant, en quatrième lieu, que la participation de M. A… à l’émission « 7/7 » le 5 juin 1994, alors qu’il n’est pas allégué que la société TF1 aurait méconnu les obligations générales qui s’imposent à elle en ce qui concerne l’expression pluraliste des courants d’opinion n’a pas altéré l’équilibre entre les listes ni faussé les résultats du scrutin ;
Considérant, en cinquième lieu, qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’interdit ou ne limite les prises de positions politiques de la presse écrite ; que, dès lors, le grief tiré par Mme B… de l’attitude de la presse écrite, qu’elle estime discriminatoire à l’égard de certains candidats, ne saurait entacher le scrutin d’irrégularité ;
Considérant, en sixième lieu, qu’il résulte de l’instruction que la lettre de soutien à la liste UDF-RPR envoyée par plusieurs députés de la majorité, n’entache pas le scrutin d’irrégularité ;
Considérant, enfin, qu’il résulte de l’instruction que les modalités d’attribution des panneaux électoraux par la commission nationale de recensement général des votes n’ont pas, dans les circonstances de l’espèce, été de nature à altérer la sincérité du scrutin ;
Sur les griefs triés d’irrégularités commises durant les opérations électorales :
Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que, dans la commune d’Isolaccio-di-Fiumorbo, le procès-verbal des opérations électorales est signé mais dépourvu de toute indication et que, s’il comporte en annexe des feuilles de pointage, celles-ci ne portent la signature que du seul secrétaire de mairie ; que, dans la commune de Sainte-Marie, le procès-verbal comporte des surcharges et que les feuilles de pointage n’ont pas été remplies ; qu’ainsi c’est à bon droit que la commission nationale de recensement des votes a annulé les suffrages émis dans ces communes ;
Considérant, en deuxième lieu, que si Mme B… soutient que dans trois bureaux de vote de la commune d’Hergnies et dans le 12ème bureau de vote de la commune de Nice tous les bulletins de vote n’étaient pas encore disponibles en fin de matinée, ce fait, à le supposer établi, ne constitue pas, en l’absence de manoeuvre, une irrégularité mettant en cause les résultats du scrutin dans cette commune ;
Considérant, en troisième lieu, que M. C… n’est pas fondé à demander l’annulation des bulletins des listes « Chasse, pêche, nature et tradition », « l’Emploi d’abord » et « Europe solidaire » qui malgré l’irrégularité qu’a constitué la présence sur ces bulletins de mentions autres que les indications prévues par l’article 7 du décret du 28 février 1979, telles que « Pour le respect de nos identités, nos cultures, nos traditions », « Paix, emploi, écologie » ou « Ensemble », doivent néanmoins, compte tenu de leurs caractéristiques, être regardés comme des bulletins de vote ;
Considérant enfin que si, dans la commune du Pré-Saint-Gervais, le maire et le premier adjoint n’ont pas été désignés comme présidents de bureaux de vote, en violation de l’article R. 43 du code électoral, cette irrégularité n’a pas été dans les circonstances de l’espèce, de nature à altérer la sincérité du scrutin ;
Sur les griefs tirés de la violation des dispositions relatives aux comptes de campagne :
Considérant, d’une part, que si Mme B… soutient dans son mémoire introductif d’instance que les comptes de campagne des différentes listes en présence ne mentionnent pas toutes leurs dépenses, elle n’apporte à l’appui de ce grief aucune précision permettant au juge d’en apprécier la portée ;
Considérant, d’autre part, que le grief tiré de ce que diverses personnalités figurant sur certaines listes auraient bénéficié d’un temps d’antenne à la radio et à la télévision supérieur à celui dont ont disposé d’autres candidats et de ce que cet avantage devrait être réintégré dans leur compte de campagne, outre qu’il n’est assorti d’aucune précision, ne saurait être accueilli, s’agissant d’émissions d’information générale qui ne constituent pas des dépenses de campagne ; que la diffusion de la brochure susmentionnée réalisée par les ministères des affaires étrangères et des affaires européennes intitulée « L’Europe c’est nous » ne constitue pas un « don en vue du financement de la campagne d’un candidat » au sens de l’article L. 52-8 du code électoral et n’a donc pas à être réintégrée dans les comptes de campagne ;
Considérant enfin que M. D… n’a présenté dans le délai du recours contentieux aucun grief tiré de la violation des dispositions du code électoral sur les comptes de campagne ; que, dès lors, le grief tiré de la violation de ces dispositions par la liste conduite par M. E… qui n’est pas d’ordre public et qu’il n’a présenté que dans un mémoire enregistré après l’expiration de ce délai, ne peut qu’être écarté ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation des élections des représentants au Parlement européen qui se sont déroulées le 12 juin 1994 ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à la soustraction d’un siège à la liste « Energie radicale » et à l’attribution d’un siège supplémentaire à la liste « l’Europe solidaire » :
Considérant qu’à l’occasion d’une protestation relative à l’élection des représentants au Parlement européen, qui se déroule au scrutin de liste, à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, l’annulation partielle de cette élection, dans laquelle l’attribution des sièges constitue une opération indivisible, ne peut être prononcée que si les griefs présentés à l’appui de la protestation soit portent sur l’inéligibilité d’un ou de plusieurs candidats ou sur l’incompatibilité de leurs fonctions avec le mandat de représentant au Parlement européen, soit permettent au juge de reconstituer avec certitude la répartition exacte des voix ;
Considérant qu’à l’appui des conclusions susanalysées M. C… soutient que la diffusion, le 11 juin 1994, d’une fausse nouvelle concernant la reprise du club de football « l’Olympique de Marseille » par un investisseur étranger a faussé les résultats du scrutin ; que ce grief, à le supposer établi, n’est pas de nature à permettre au juge de reconstituer avec certitude la répartition exacte des voix et donc de procéder à la modification de l’attribution des sièges que demande M. C… ; que ces conclusions sont, dès lors, irrecevables ;
Article 1er : Les requêtes de MM. C…, Z…, D…, X… et de Mme B… sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à MM. C…, Z…, D…, X…, à Mme B…, à MM. Y…, Le Pen, Rocard, E…, de Villiers et Wurtz et au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.