1. Le cadre juridique
Aux côtes des référés d’urgence de droit commun, le code de justice administrative contient des dispositions relatives à des référés spéciaux (article L.554-1 et suivants du code).
Parmi eux figure le référé de l’article L.5554-12 CJA, relatif au référé suspension en matière d’environnement.
Cet article est issu, après quelques modifications et codifications qu’il est inutile d’évoquer, de l’article 6 de la loi n°83-630 du 12 juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l’environnement qui disposait (version initiale) :
Les juridictions administratives saisies d’une demande de sursis à exécution d’une décision prise après des conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête, font droit à cette demande si l’un des moyens invoqués dans la requête paraît, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier l’annulation.
Dans sa version applicable aux faits de l’espèce, l’article L.554-12 CJA renvoie à l’article L. 123-12 du code de l’environnement aux termes duquel :
» Le juge administratif des référés, saisi d’une demande de suspension d’une décision prise après des conclusions défavorables du commissaire-enquêteur ou de la commission d’enquête, fait droit à cette demande si elle comporte un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de celle-ci « .
(Notons qu’en raison d’une apparente malfaçon législative, le CJA renvoie depuis sa modification par l’article 241 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement à l’article L. 123-16 du code de l’environnement, qui ne portera sur le référé suspension qu’à compter du 1er juin 2012. La Haute juridiction a donc du faire du CJA une interprétation constructive dans l’intervalle).
La rédaction de cet article est notablement différente de celle du référé suspension de droit commun, sur lequel porte l’article L. 521-1 CJA :
Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
La première différence est que la recevabilité du référé « environnement » n’est pas conditionnée par l’introduction d’une requête au fond.
En second lieu, et c’est sur ce point que porte la décision du Conseil d’Etat ici évoquée, les articles L.554-12 CJA et L.123-16 (anciennement L. 123-12) c. env. ne conditionnent pas la suspension à la constatation d’une situation d’urgence.
On le sait, le juge administratif a construit une jurisprudence abondante sur la condition d’urgence, et l’a transformée en contrôle de la balance des intérêts en présence (CE, Sect., 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, req. n. 228815, rec. p.29) . Il pourra donc rejeter une demande de suspension si les conséquences de cette suspension portent une atteinte trop importante à un intérêt public.
La condition d’urgence n’est pas prévue en matière de référé environnement.
Le Conseil d’Etat décide cependant de prendre en compte les conséquences d’une suspension sur l’intérêt général pour décider, à titre exceptionnel, de ne pas suspendre.
2. Les faits de l’espèce
Plusieurs communes et collectifs d’habitants de la région parisienne mettaient en cause la légalité d’un arrêté du Ministre de l’écologie et caetera en date du 15 novembre 2011, portant modification du dispositif de la circulation aérienne en région parisienne
Cet arrêté avait pour objet de mettre en oeuvre une série de mesures visant à réduire la pollution sonore pour les riverains en relevant de 300 mètres les altitudes de vol à l’approche des aéroports parisiens, en mettant en place de nouvelles trajectoires de décollage la nuit face à l’Ouest à Paris-Charles-de-Gaulle et en interdisant de nuit entre 22 h et 6 h les appareils les plus bruyants à Paris-Charles-de-Gaulle.
Les requérants demandaient la suspension de l’arrêté en ce qu’il établissait de nouvelles trajectoires de décollage.
Les conclusions de l’enquête publique réalisée sur ce projet étaient accompagnées de réserves importantes, qui sont considérées par la Haute juridiction comme constituant un avis défavorable.
Un moyen de procédure créaient en outre un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté.
Toutes les conditions des articles L. 554-12 CJA et L. 123-12 (ou 16) c. env. étaient donc réunies.
Le Conseil d’Etat décide cependant, à titre exceptionnel, de ne pas suspendre l’arrêté.
3. Solution et perspectives
La Haute juridiction, faisant à nouveau preuve de sa grande créativité en matière de détermination de l’office du juge administratif, pose comme principe que :
ne font pas obstacle à ce que le juge des référés, saisi d’une demande tendant à la suspension de l’exécution d’une décision prise après avis défavorable du commissaire-enquêteur ou de la commission d’enquête, écarte, à titre exceptionnel, cette demande, même si l’un des moyens invoqués paraît propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, lorsque la suspension de l’exécution de cette décision porterait à l’intérêt général une atteinte d’une particulière gravité ;
En l’espèce, le Conseil d’Etat juge que
le retour aux trajectoires d’approche de l’aérodrome de Paris-Charles-de-Gaulle en vigueur avant l’intervention des arrêtés contestés du 15 novembre 2011 ne serait possible qu’après des études et simulations destinées à garantir la sécurité des manoeuvres d’approche et d’atterrissage des appareils et qu’après la modification des modalités du contrôle aérien et des bases de données utilisées par les pilotes
Pour ne pas compromettre la continuité et la sécurité du trafic aérien, le juge du référé décide de ne pas suspendre.
Le Conseil d’Etat gomme les conséquences excessives que pourrait avoir le caractère trop mécanique de la suspension en rapprochant le « référé environnement » du référé suspension de droit commun.
Le juge du référé suspension peut en effet écarter une demande de suspension en considérant que la condition d’urgence n’est pas remplie, notamment lorsque cette suspension porterait une atteinte excessive au bon fonctionnement du service public.
Ce n’est qu’un rapprochement, ce ne peut être une assimilation. Les caractères propres du référé de l’article L. 554-12 CJA sont trop importants.
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