Article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
L’attentat terroriste du 7 janvier dernier survenu dans les locaux du journal « Charlie Hebdo » n’est ni plus ni moins qu’une atteinte à l’un des droits parmi les plus fondamentaux de l’Homme que les révolutionnaires ont rappelé à l’occasion de la proclamation de la Déclaration des droits de 1789 : le droit de s’exprimer librement. Parce qu’il est au fondement de l’ordre démocratique, c’est un affront terrible pour les tenants des valeurs les plus ancrées de la République française. Humainement, néanmoins, le drame est avant tout celui vécu par les familles des douze victimes qui ont péri pour avoir fait l’usage d’une liberté que l’ensemble de l’humanité malheureusement ne partage pas. Sévèrement critiquée pour son aspect universaliste, la Déclaration des droits n’est effectivement pas parvenue à pénétrer les pays qui continuent inlassablement de rejeter la démocratie. Il est vrai que nul ne devrait prétendre pouvoir imposer un système de valeurs à ceux qui n’en veulent pas. Et même s’il est le pire régime après tous les autres pour reprendre l’excellente expression de W. Churchill, ce qui suppose donc qu’il est considéré par les occidentaux comme un moindre mal, nous devons nous ranger à l’idée selon laquelle ce qui rend la démocratie acceptable à nos yeux ne l’est pas forcément dans ceux des peuples qui occupent d’autres parties du monde. Ce qui invite à la prudence lorsqu’on souhaite l’exporter ailleurs que chez nous. Mais nous devons toutefois faire preuve de la même prudence lorsque l’on vient chez nous pour briser ce en quoi nous croyons fermement. Raison pour laquelle la Déclaration de 1789 n’est pas une simple formule creuse de rhétorique. Elle est le dernier rempart pacifique dans ce combat incessant pour les libertés. En ces jours de deuils décrétés par le Président de la République François Hollande, cet article rend hommage au personnel du journal sacrifié sur l’autel des libertés au nom d’une idéologie fallacieuse et erronée et qui, tant que des personnes comme « Charb », « Cabu » ou encore Wolinski auront fait, font et feront rempart, ne triomphera pas.
I – L’avènement de la Déclaration des Droits
Lorsque les États Généraux furent convoqués à Versailles pour trouver une solution aux problèmes rencontrés par la Monarchie déclinante, l’idée de doter la France d’une véritable Constitution, à la façon de celle que les Américains avaient récemment adoptée le 17 septembre 1787, ne se fit pas attendre.
« Jurons de ne jamais nous séparer et de nous rassembler partout où les circonstances l’exigerons jusqu’à ce que nous ayons donné à la France une Constitution ».
Jean Sylvain Bailly
Mais le 23 juin, au cours d’une séance restée célèbre dans l’histoire, Louis XVI déclara que tout ce qui fut fait jusqu’alors était nul, illégal et inconstitutionnel. Le processus révolutionnaire était toutefois trop avancé si bien que le Roi capitula et invita les membres du clergé et de la noblesse le 27 juin suivant à rejoindre ceux qu’on appellerait maintenant les « Représentants de la Nation », ci-devant membres du tiers-état.
Le 9 juillet, l’escalade atteint son paroxysme puisque l’Assemblée nationale s’autoproclama « constituante » et eut alors pour mission d’échafauder le pacte social sur lequel la France devait reposer à présent.
C’est à cette occasion que la France fit un acte politique fort : celui de déclarer les droits « inaliénables et imprescriptibles » de l’Homme. Force est d’admettre néanmoins que plusieurs exemples avaient pu guidé les révolutionnaires sur cette voie. En effet, un siècle auparavant (le 13 février 1689), l’Angleterre adoptait le Bill of Rights pour couronner la « Glorieuse Révolution » et éviter qu’à l’avenir les rois anglais n’en viennent à méconnaitre les droits immémoriaux des parlementaires. Plus proche de nous, les Etats-Unis d’Amérique tout juste naissants s’apprêtaient aussi à proclamer leurs droits bien qu’il fallût attendre 1791 pour que ce Bill figurât sous forme d’amendements en tête de la constitution fédérale. L’Etat de Virginie adopta tout de même la sienne le 12 juillet 1776 sous la plume de Thomas Jefferson.
S’inspirant directement de l’idée véhiculée par certains cahiers de doléances, le député Jean-Jospeh Mounier déclara dès le 9 juillet qu’il fallait : « pour préparer la Constitution, connaître les droits que la justice naturelle accorde à tous les individus, rappeler les principes qui doivent former la base de toute espèce de société et que chaque article de la Constitution puisse être la conséquence d’un principe ».
Des dizaines de projets pour la nouvelle Déclaration des Droits furent déposés au bureau de l’Assemblée nationale. On créa divers comités parmi lesquels le « Sixième bureau » ou encore le « Comité des cinq » présidé par le célèbre Mirabeau. Quelques éléments furent pris sur les travaux du premier tandis que le Préambule de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 a été intégralement repris de ceux du second.
« Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.
En conséquence, l’Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre suprême, les droits suivants de l’Homme et du Citoyen ».
II – Le style de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen
Ce texte s’est d’emblée voulu universel. En effet, loin d’être fondé sur un jusnaturalisme exacerbé, il convenait de rappeler ni plus ni moins des droits qui sont inhérents à l’Homme. Un des traits majeurs qui témoigne du génie de ces auteurs fut justement d’accentuer ce caractère pour donner davantage de corps à ce travail. Soulignons ainsi la clarté et la sobriété du style tandis que l’absence de la religion au bénéfice de la formule prudente de l‘« Etre suprême » ouvrait la marche pour une république laïque soucieuse de respecter la foi comme l’athéisme.
Enfin, malgré plusieurs propositions en ce sens (d’autres régimes le suivront et notamment la Déclaration de 1793), l’idée d’instaurer également une déclaration des devoirs du Citoyen fut rejetée.
III – La liberté d’expression à l’origine d’un droit-liberté
Contrairement aux « droit-créance » qui figurent actuellement dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et dont la valeur juridique a été consacrée à plusieurs reprises d’abord par le juge administratif (CE, 11 juillet 1956 Amicale des annamites de Paris) puis par le juge constitutionnel (DC, 16 juillet 1971 Liberté d’association), la Déclaration de 1789, au soubassement libéral, s’attache à des droits qui suscite avant tout une abstention de la part de l’Etat. On parle alors de « droit-liberté ». Par conséquent, la liberté d’expression, pour ne parler que d’elle, figurant à l’article 11 de la Déclaration veut mettre fin à plusieurs siècles de censure, technique utilisée par les pouvoirs politiques sous l’Ancien Régime afin d’éviter qu’on ne diffusât au sein de la population le germe d’une quelconque opinion contestataire.
Si plusieurs journaux virent le jour par la suite, notamment pour commenter dans la quasi-instantanéité les derniers évènements pour le moins mouvementés de la Révolution française, les pouvoirs publics n’hésitèrent à exercer la censure sur certains d’entre eux en se fondant sur la dernière partie de l’article 11 laquelle énonce « sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi ».
De plus, des personnages éminents et dont on rend encore hommage aujourd’hui sont passés sur l’échafaud, notamment sous la Terreur, pour avoir usé du droit de s’exprimer librement. Si les régimes ultérieurs ne furent pas plus protecteurs de celui-ci (il y eut des censures souvent arbitraires dans les régimes qui se succédèrent), sans doute parce que la Déclaration des Droits de 1789 n’était plus une référence depuis 1792, il est actuellement consacré au rang de véritable reflet de la démocratie laquelle est fondée selon les termes mêmes de la Cour Européenne des Droits de l’Homme sur « l’esprit d’ouverture, la tolérance et le pluralisme » (CEDH, 13 août 1981 Young, James & Webster c/ R-U).
Composante de la liberté d’expression, la liberté de la presse quant à elle est régie par l’une des grandes lois adoptées sous la IIIème République dans le domaine des libertés publiques : celle du 29 juillet 1881. Elle est renforcée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel lequel retient pour la liberté d’expression : « Considérant que, cependant, s’agissant d’une liberté fondamentale, d’autant plus précieuse que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la souveraineté nationale, la loi ne peut en réglementer l’exercice qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle » (DC, 10-11 octobre 1984 Entreprises de presse). Même si elle n’est pas absolue, et le journal « Charlie Hebdo » a déjà pu en faire l’expérience à plusieurs reprises, il n’en reste pas moins qu’elle constitue la promesse d’un Etat de droit qui repose sur des principes démocratiques sur fond de valeurs républicaines. En être les pourfendeurs, ce n’est rien d’autre que de s’attaquer à ces mêmes principes et valeurs.
En définitive, des actes comme ceux de ces derniers jours sont à dénoncer et à condamner avec la plus stricte intransigeance. La perte des douze personnes de l’attentat du 7 janvier, si elle est malheureuse, ne sera pas vaine. Leur mort est un appel à une défense toujours plus agissante de nos libertés. Nous ne devons pas avoir peur mais au contraire continuer le chemin tracé par la Révolution française pour démontrer au monde entier que la liberté sortira toujours vainqueur du combat contre l’oppression.
Hommage aux quatre journalistes ainsi qu’aux huit autres victimes de l’attentat du 7 janvier 2015. Pensées pour leurs familles.