« Si l’Eglise latine fut le premier Etat, l’Etat européen sera sans aucun doute la dernière Église ».
Wolfgang Reinhard
Construire juridiquement l’édifice sur lequel repose aujourd’hui l’État a nécessité beaucoup de temps. D’ailleurs, c’est le résultat d’une activité intellectuelle qui dure et les penseurs de l’État – qu’ils soient sociologues, politologues ou juristes – auront toujours de nouvelles découvertes à faire pour approfondir les éléments qui caractérisent l’objet État et en améliorer les ressorts. Pour l’heure, tous ont eu – et auront – affaire à son évolution historique et conceptuelle. Sur ce point, et quelle que soit la discipline qui l’appréhende, il apparaît que l’État plonge ses racines les plus anciennes dans la théologie. Les auteurs ayant mené leurs réflexions sur ce concept furent parfaitement conscients de cette origine. Ainsi, le grand théoricien de la souveraineté qu’est Thomas Hobbes emprunta une figure biblique – le Léviathan est un monstre marin que l’on rencontre dans le Livre de Job – pour intituler son maître-ouvrage et désigner l’objet central de ses développement à savoir l’État. Plus tard, Carl Schmitt écrira : « [La science juridique] prend sa source dans l’esprit de deux vieux parents. Son père est le droit romain ressuscité, sa mère l’Église romaine. La séparation d’avec la mère a été, après plusieurs siècles de durs affrontements, finalement accomplie lors des guerres civiles confessionnelles. L’enfant s’accrocha à son père, le droit romain, et abandonna la maison de la mère. Il chercha un nouveau foyer et le trouva dans l’État. La nouvelle maison était princière, un palais de la renaissance ou du baroque. Les juristes se sentaient fiers et de loin supérieurs aux théologiens. ». C’est donc sur le modèle institutionnel de l’Église – l’ecclésiologie – que s’est forgé l’État, d’où les difficultés rencontrées pour aboutir à leur séparation. La première tentative en France fut celle de la Révolution française. Depuis la paix d’Augsbourg (1555) la religion était nécessairement religion d’État en vertu de l’adage cuius regio ejus religio. Et même s’il est l’œuvre de la doctrine protestante, la France catholique avait fait sien ce principe parce qu’il favorisait l’unité du royaume comme le pouvoir absolu du roi. Ce fut alors un épisode important de la lutte séculaire engagée depuis le XIIIe siècle entre l’Église et l’État et laquelle ne prendra fin juridiquement qu’au début du XXe siècle avec la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État. Avant que la religion ne fût l’affaire privée du citoyen, elle était la chose publique des princes, et pour la France, la première source de sa légitimité. Les révolutionnaires de 1789 furent donc amenés à attaquer la religion pour faire tomber le roi ainsi que l’ensemble de la structure qui organisait la société féodale d’Ancien Régime composée d’ordres ; le Clergé étant d’ailleurs le premier des trois. La loi du 21 février 1795 correspond en quelque sorte à l’arrêt rendu à l’occasion du procès que la Révolution française fit à la religion. Un arrêt malgré tout susceptible d’appel car l’histoire voulait que l’évènement ne suffît pas pour vider complètement le conflit ouvert voilà plusieurs siècles entre l’Église et l’État.
I – Les Lumières et la Raison plutôt que la religion
Au XVIIIème siècle, un nouveau vent souffle sur la France, celui de la Raison. L’idée est assez simple. Conscient que l’organisation sociale ne parvient pas à se réformer d’elle-même, les philosophes de ce siècle bientôt rebaptisé « siècle les Lumières » vont essayer d’insuffler dans la population lettrée des idées nouvelles et faire appel à l’opinion publique.
Tâche difficile dans une société entièrement contrôlée, soumise à la censure et se gardant bien de laisser les sujets penser par eux-mêmes. Malgré tout, des aspirations comme celles de la liberté ou de l’égalité finissent toujours par se frayer un chemin même dans un climat où l’on va parfois jusqu’à sonder les consciences pour garantir le pouvoir contre toute révolte.

D’abord conseiller au Parlement de Bordeaux depuis 1714 puis Président à mortier en 1716, Charles-Louis de Secondat, Baron de la Brède et de Montesquieu a exercé beaucoup d’influence par ses écrits sur les nouvelles manières de penser une société qui ne demandait qu’à évoluer. Adepte des voyages, lui qui ambitionnait la carrière de diplomate, Montesquieu fut grand observateur. Par ses connaissances sur les différentes cultures qui environnaient la France, il bénéficiait d’un recul inégalable par rapport à ses contemporains pour insister sur les obstacles qui firent de la société du XVIIIe siècle une organisation sociale sclérosée.
Dans l’Esprit des lois (1748), œuvre qui lui valut la renommée dont il bénéficie encore aujourd’hui, Montesquieu voulut connaitre le monde à travers les lois. Il démontra que le cosmos n’est pas gouverné par Dieu ou la nature mais par une « Raison primitive » laquelle exclut toute idée d’arbitraire. Déiste, franc-maçon, il préféra donc se référer au Grand Horloger de l’Univers plutôt qu’au Créateur de la Bible. Plutôt Newton que Saint-Augustin. Mais la société n’était pas encore tout à fait prête pour accueillir pleinement ses idées si bien qu’au terme de sa vie, la question que tout le monde a sur les lèvres à Paris est celle de savoir si Montesquieu s’était confessé avant d’expier.

Un peu plus tard, Voltaire, suite aux méandres de l’affaire Calas et avant de reprendre du service lorsque le chevalier François-Jean Lefebvre de La Barre sera condamné à être torturé, décapité puis brûler pour blasphème et sacrilège, avait à de multiples reprises déjà dénoncé l’obscurantisme dans son œuvre. En accompagnant les encyclopédistes comme Diderot et d’Alembert pour éclairer la population sur les archaïsmes de la société française, il s’était fait le chantre de la liberté d’expression, de la justice et, sans la nommer, de la laïcité.
Voltaire fut surtout un auteur lucide – ce qui ne préjuge pas de sa duplicité – car il avait bien compris que pour s’attaquer directement au pouvoir, il fallait s’en prendre à ce sur quoi il reposait : la religion. D’où son invitation à « écraser l’infâme ». Il ne verra pas la Révolution française à l’œuvre mais dès 1764, il reconnut : « tout ce que je vois jette les semences d’une révolution qui arrivera immanquablement ».
Que dire ensuite de Jean-Jacques Rousseau qui, avec son Contrat social (1762), allait inspirer la rédaction de l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « la loi est l’expression de la volonté générale » ?

Convaincu que l’homme est profondément bon, c’est la société qui vient le corrompre. Toutefois, dans le courant du « constructivisme-fondation » initié déjà par Thomas Hobbes et John Locke – courant qui précède celui du « constructivisme-argumentation » (Cesare Beccaria et son plaidoyer contre la peine de mort) -, l’homme doit sortir de son état de nature pour entrer en société par le biais d’un contrat que chacun conclut avec tous et dont l’objet consiste à aliéner ses libertés naturelles en échange de libertés politiques.
Dans le cadre de cette société, c’est la loi qui doit régner parce que tous les membres du corps politique participent à sa confection. De cette façon, personne ne se trouve soumis à autrui mais demeure gouverné par sa propre volonté. Voilà la solution à une opération arithmétique que donne le citoyen genevois au milieu du XVIIIème siècle et à laquelle pourtant bon nombre d’auteurs et de penseurs politiques seront hostiles. La souveraineté appartenant au peuple, aucune limite ne doit lui être imposée sinon il ne serait plus souverain. Là encore la logique occulte la réalité et oublie que la tyrannie exercée par un seul peut très bien l’être par plusieurs. Quant à la religion, Rousseau dira : « Mais quiconque dit : « Hors de l’Église point de salut » doit être chassé de l’état, à moins que l’état ne soit l’Église. » pour souligner que ce dogme n’est compatible qu’au sein d’un gouvernement théocratique alors que lui-même prône l’avènement de la démocratie.

Cette présentation ne saurait faire l’impasse sur l’influence d’autres philosophes politiques sur la France. Les idées anglaises ayant déjà été mentionnées, il faut rendre dès maintenant à la culture allemande ses lettres de noblesse en la matière. En effet, c’est en Allemagne que sont nées pour ainsi dire les Lumières après que Immanuel Kant, le grand professeur de Königsberg, a défini la notion allemande de « Aufklärung ». A la question Qu’est-ce que les Lumières (1784) il répondra ainsi que « c’est la sortie de l’homme de sa minorité dont il était lui-même responsable » et le philosophe de crier « sapere aude » (aie le courage de suivre ton propre entendement). C’est une puissante mise en garde contre les préjugés.
Si l’on ne peut réduire les causes de la Révolution française à une simple crise idéologique – ce serait oublier le contexte social et surtout financier de l’époque -, force est d’admettre qu’il y avait déjà tous les ingrédients pour faire en sorte que les choses changent et que parmi celles-ci la religion ne soit plus une entrave aux réformes.
II – Les premières mesures en matière religieuse : la « nationalisation » des biens du Clergé
Après avoir rejeté les idéaux de l’Ancien Régime et proclamé l’égalité de tous devant la loi (nuit du 4 au 5 août 1789), la religion allait connaitre des heures plus sombres au cœur d’une France avide de réformes et consciente de ce que la légitimité divine dont était revêtue le monarque ne fût qu’une prétexte pour conserver le pouvoir aux dépens des plus crédules. Cela devait également rejaillir sur l’ordre qui se faisait le premier dispensateur de la doctrine catholique à savoir le Clergé.
Pourtant, son comportement au début es évènements révolutionnaires participa au triomphe des idées d’égalité et de liberté. Dès lors, si les députés du Tiers aux États généraux purent se constituer Assemblée nationale le 17 juin 1789 en considérant qu’ils représentaient « quatre-vingt-seize centièmes de la Nation », ils furent aidés en cela par les membres du Clergé avaient très vite fait le choix de les rejoindre et ce, dès le 13 juin.

De même, lorsque le Vicomte de Noailles et le Duc d’Aiguillon s’élevèrent à la tribune dans la nuit du 4 août pour s’exclamer devant le parterre des représentants qu’il était temps de « tout déposer sur l’autel de la Nation », l’évêque de Nancy, Monseigneur de La Fare, s’empressa aussitôt de déclarer que le Clergé aussi abandonnait les biens dont l’Église s’était saisie injustement.
Il avait émis l’idée que les biens ecclésiastiques deviennent rachetables de sorte que « les profits obtenus fassent l’objet de placements utiles pour l’indigence ». Pris au mot, l’Assemblée nationale, sur l’insistance du « prêtre défroqué » Monseigneur de Talleyrand-Périgord, ci-devant évêque d’Autun qui ne tarderait pas d’ailleurs à renoncer très vite aux vœux qu’il n’avait finalement jamais respectés, adoptait le 2 novembre 1789 un décret portant sur la nationalisation des biens de l’Église.
Décret des biens du Clergé mis à la disposition de la Nation
« L’Assemblée nationale décrète :
1° Que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir, d’une manière convenable, aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres, et au soulagement des pauvres, sous la surveillance et d’après les instructions des provinces ;
2° Que dans les dispositions à faire pour subvenir à l’entretien des ministres de la religion, il ne pourra être assuré à la dotation d’aucune cure moins de 1 200 livres par an, non compris le logement et les jardins en dépendant. »
En effet, outre la crise sociétale et institutionnelle qui avait tout droit mené à la Révolution française, le pays souffrait d’une des plus graves crises financière de son histoire. L’argent récolté après adoption d’une telle mesure suffisait à renflouer de manière considérable les caisses du Trésor royal. Il ne suffira pas hélas à pallier les inconvénients de la guerre et l’apparition d’une nouvelle crise, monétaire cette fois-ci, du fait de la dépréciation et donc l’échec de l’assignat.

A ce titre, juridiquement l’emploi de la notion de « nationalisation » est maladroit car celle-ci suppose en effet en contrepartie une « juste et préalable indemnité », ce que l’Église attend toujours aujourd’hui. En d’autres termes, les révolutionnaires venaient purement et simplement de s’asseoir sur le droit de propriété tout juste proclamés « naturel et imprescriptible » (art. 2) et « inviolable et sacré » (art. 17) dans la Déclaration du 26 août 1789.

On comprend évidemment la logique qui présidait. Comment indemniser quand on ne dispose pas de fonds ? et surtout pourquoi indemniser quand l’objectif est justement d’augmenter ces mêmes fonds ? En attendant, le constat fait à Rome n’était pas totalement erroné lorsqu’on parlait de « spoliation ». Connoté, ce terme n’en demeure pas moins le plus proche de la réalité pour décrire la situation et celui que retiendront les futurs bulles papales qui condamneront sévèrement la Révolution française.

Toujours est-il que les conséquences furent désastreuses à de nombreux points de vue (social, sanitaire, urbanistique). Les bâtiments invendus, en particulier les hôpitaux, ne furent évidemment pas suffisamment bien entretenus et laissés pour certains à l’état d’abandon et de ruines. C’est la raison pour laquelle le Directoire, à partir de 1795, mettra immédiatement fin à cette situation. Le patrimoine hospitalier se reconstituera et l’assistance, pesant à nouveau sur les épaules de l’Église, sera largement tributaire de la charité privée bien que celle-ci soit inégale sur le territoire et fluctuante voire incertaine. Il faudra attendre le 7 août 1851 pour que les communes aient pour mission légale d’accueillir les pauvres dans les hôpitaux, quand elles se trouvaient en être pourvues et sous la condition du lit vacant. C’est véritablement la loi 15 juillet 1893 qui instituera le service public de l’assistance.

C’est également un lourd tribut pour notre patrimoine cultuel – voire culturel – car de nombreux édifices firent l’objet de destruction en vue de vendre les matériaux avec lesquels ils furent construits. Toutefois, le besoin matériel n’était pas l’unique motivation des destructions. Parfois, cet aspect n’était jugé qu’accessoire. En effet, on détruisit aussi pour des raisons idéologiques. C’est ainsi que certains clochers furent rasés au nom du principe d’égalité (étendu alors jusques aux constructions) afin que plus aucun bâtiment ne fût construit plus haut qu’un autre.
Par ailleurs, la prise en charge des frais de culte devait désormais être inscrite dans le budget de l’État ce qui condamnait d’avance toute idée de séparation ; le législateur étant comme lié au prêtre.
Enfin, conséquence fâcheuse et non des moindres, cette mesure allait détourner beaucoup de personnes convaincues par les idées révolutionnaires en ce qu’elles furent choquées par la tournure des évènements. Les mesures jugées « sans équité et sans prudence » que la majorité à l’Assemblée nationale faisait adopter furent dénoncées par exemple par le mathématicien et philosophe Condorcet, lequel fut pourtant peu soupçonné d’avoir de la sympathie à l’égard de la prêtraille.
III – La Constitution civile du Clergé et la politique de déchristianisation
Mais la plupart des critiques restèrent inaudibles et les mesures prises par le pouvoir montèrent rapidement crescendo dans la frustration et surtout dans l’horreur.

Dès le début de l’année 1790 les révolutionnaires avaient dans l’idée de réformer la religion. On a même peine à comprendre parfois la raison qui poussa aussi fortement ces hommes à s’en prendre au Clergé lequel faisait, du moins pour une bonne part, des principes de 1789 les siens propres. Le Pape Pie VI en personne, après avoir crié au scandale, semblait tout doucement s’orienter vers l’apaisement.
Pourtant, on se montra intransigeant. Le 13 février 1790, les vœux religieux furent abolis. En effet, comment proclamer au monde la liberté de l’Homme, laquelle implique la liberté contractuelle en droit civil et son pendant la prohibition des conventions perpétuelles, tout en admettant la possibilité pour certains de s’enfermer dans les vœux monastiques ? Par suite, les ordres monastiques comme les Carmes ou les Bénédictins disparurent et seules les congrégations hospitalières ou enseignantes subsistèrent.

Dans l’optique de créer une véritable Église nationale, on mit en place la Commission Martineau chargée de faire des propositions en vue de décider du sort du catholicisme en France et de son organisation institutionnelle. Le 21 avril 1790, on préconisait plusieurs mesures parmi lesquelles l’élection des pasteurs par le peuple, la réorganisation des diocèses administrés selon une logique cartésienne inscrite dans le cadre et l’esprit de la réforme des départements et enfin, l’abolition du Concordat de Bologne signé entre François Ier et le Saint-Siège en 1516.
Tout cela fut matérialisé dans la Constitution civile du Clergé adoptée le 12 juillet 1790. Sanctionnée par le Louis XVI, non sans réticence, le 22 du même mois, l’Assemblée nationale créait une Église de France de toute pièce. Les décrets seront promulgués le 24 août.
Sur la base d’un diocèse par département, leur nombre passa de 135 à 83. L’investiture canonique ne releva désormais plus du Pape. Les évêques furent élus par des électeurs du département et les curés par ceux du district. Si les évêques conservèrent l’institution des curés, ce sont les plus anciens évêques de l’arrondissement qui se chargèrent de cette besogne pour les nouveaux évêques tout juste élus. Par ailleurs, évêques et curés percevaient un traitement d’État lequel fut assez substantiel pour l’époque.

Des incompatibilités sont envisagées, notamment avec les fonctions exercées au niveau local mais les religieux demeurent électeurs et éligibles à l’Assemblée nationale. Ils ne sont également plus soumis à la juridiction interne de l’Église mais relèvent de la juridiction ordinaire.
En définitive, la Constitution civile du Clergé fait de ses membres de vrais petits fonctionnaires. Elle entraine également un schisme entre la France de l’Église de Rome dont les relations demeurèrent depuis longtemps conflictuelles.
Par la suite, soupçonneux vis-à-vis du respect qu’accordaient les religieux au nouveau texte, les députés à l’Assemblée nationale prirent une série de mesure pour s’en prémunir. Sur la proposition de Jean-Georges-Charles Voidel, député de Moselle, représentant du Tiers état du baillage de Sarreguemines, fit la proposition du serment obligatoire. Le 26 décembre 1790, le décret est voté.
Le serment était le suivant :
« Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse (ou du diocèse) qui m’est confiée, d’être fidèle à la nation, à la loi, au roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le Roi. »
Toutefois, la quasi-totalité des évêques et curés refusèrent de prêter serment à cette constitution quand bien même la pression exercée sur ces derniers se fit de plus en plus forte. C’est à partir de ce moment que l’on fit la distinction entre prêtres assermentés et prêtres réfractaires. Pour ces derniers, la sanction fut d’abord des plus douces puisqu’ils furent simplement remplacés. L’Assemblée nationale eut donc pour mission d’organiser de nouvelles élections.

A partir de 1791, les choses s’emballèrent. Nombreux furent les insermentés à prendre part à la Contre-révolution. La France fut finalement coupée en deux entre ceux qui soutenaient et ceux qui s’exaspérèrent d’un tel comportement. L’Assemblée nationale prit sur elle d’adopter un nouveau décret le 29 décembre de la même année. Celui-ci permettait aux administrateurs locaux de déporter les prêtres en cas de trouble.
En 1792, le mouvement que l’on qualifiera de « déchristianisation » fut pleinement enclenché. On s’attaqua aux prêtres, aux églises, aux objets de culte et même aux cimetières. Partout eurent lieu des actes de vandalisme. On utilisait alors les locaux religieux pour la fabrication du salpêtre ce qui endommageait le bois ainsi que les murs.

Plus tard, les massacres de septembre 1792 firent de nombreuses victimes parmi les membres du Clergé qui peuplaient les prisons. Et le 5 octobre 1793, la Convention nationale décrétait le calendrier républicain. L’Histoire de France ne prenait plus comme point de départ la naissance du Christ mais celle de la République le 22 septembre 1792, dite de « l’An I de la République ».
La politique menée envers les prêtres divisa également les hommes politiques. C’est ce qui marquera la rupture entre les hébertistes, partisan d’une accélération du mouvement et les plus modérés parmi lesquels on comptera Robespierre et Danton. De même, le soulèvement en Vendée est pour bonne partie dû à la maltraitance du Clergé. Le dernier évènement sous la Terreur fut la journée réservée au Culte de l’Être suprême le 8 juin 1794 avec le fiasco que l’on connait pour son principal promoteur et organisateur.
IV – Le décret de ventôse
Le 18 septembre 1794 furent prises les premières mesures. En effet, après la chute de Robespierre, l’idée était de prendre le contrepied des mesures adoptées sous le régime précédent. Sur le rapport de Cambon, il est décidé que la République « ne paie ni ne salarie plus aucun culte ». Le budget des cultes est donc supprimé et la rupture des Églises et de l’État en partie consommée.
Dans l’espoir de réconcilier la France, ou ce qu’il en reste, après la politique intransigeante de la Constitution civile du Clergé, la Convention nationale adopte le décret du 3 ventôse An III (21 février 1795) lequel rétablit la liberté des cultes et confirme la séparation définitive des Églises et de l’État.

La Convention Nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de salut public, de sûreté générale et de législation, réunis, décrète :
Art. Ier Conformément à l’article VII de la déclaration des droits de l’homme, et à l’art. CXXII de la constitution, l’exercice d’aucun culte ne peut être troublé.
II. La République n’en salarie aucun.
III. Elle ne fournit aucun local, ni pour l’exercice du culte, ni pour le logement des ministres.
IV. Les cérémonies de tout culte sont interdites hors de l’enceinte choisie pour leur exercice.
V. La loi ne reconnaît aucun ministre de culte : nul ne peut paraître en public avec les habits, ornements ou costumes affectés à des cérémonies religieuses.
VI. Tout rassemblement de citoyens pour l’exercice d’un culte quelconque, est soumis à la surveillance des autorités constituées. Cette surveillance se renferme dans des mesures de police et de sûreté publique.
VII. Aucun signe particulier à un culte ne peut être placé dans un lieu public, ni extérieurement, de quelque manière que ce soit. Aucune inscription ne peut désigner le lieu qui lui est affecté. Aucune proclamation ni convocation publique ne peut être faite pour y inviter les citoyens.
VIII. Les communes ou sections de commune, en nom collectif, ne pourront acquérir ni louer de local pour l’exercice des cultes.
IX. Il ne peut être formé aucune dotation perpétuelle ou viagère, ni établi aucune taxe pour en acquitter les dépenses.
X. Quiconque troublerait par violence les cérémonies d’un culte quelconque, ou en outragerait les objets, sera puni suivant la loi du 22 juillet 1791 sur la police correctionnelle.
XI. Il n’est point dérogé à la loi du 2 des sans-culotides, deuxième année, sur les pensions ecclésiastiques, et les dispositions en seront exécutées suivant leur forme et teneur.
XII. Tout décret dont les dispositions seraient contraires à la présente loi, est rapporté ; et tout arrêté opposé à la présente loi, pris par les représentants du peuple dans les départements, est annulé.
Mais la paix religieuse n’eut lieu que sous le Consulat après la signature du Concordat le 15 juillet 1801. Si celui fut conservé en partie sous la Restauration, la religion catholique redevint tout de même religion d’État. C’est ainsi que le divorce, adopté le 20 septembre 1792 sera aboli suite à la loi Bonald du 8 mai 1816. Il faut attendre la loi Naquet du 27 juillet 1884 pour réintroduire en France la possibilité de divorcer.
Après la mort de Louis XVIII (1824), l’avènement de son frère Charles X, lequel est beaucoup plus réactionnaire, légifèra en matière pénale pour consacrer à nouveau le blasphème ou encore le sacrilège.

Une fois la monarchie définitivement écartée et la IIIème République stabilisée, ce fut l’ère de la laïcisation en France. La religion est réduite à une simple opinion conformément à l’article 10 de la Déclaration de 1789 que l’on prend davantage au sérieux ce qui ouvre la voie à une politique areligieuse. Ainsi, l’enseignement n’est plus l’apanage des congrégations mais un véritable service de l’État où sont diffusées les valeurs républicaines.
Quant à la loi du 9 décembre 1905 – soit près de 110 ans après la Convention thermidorienne -, elle vise à nouveau à séparer les Églises et l’État ce qui n’empêche nullement certains accommodements. Ainsi, malgré les dispositions pourtant claires de son article 2, il fut décidé que l’État pouvait financer certains monuments cultuels assimilés par la jurisprudence administrative, en raison d’un intérêt local, à des monuments culturels (CE, 19 juillet 2011 Communauté urbaine du Mans n°309161).
Sources bibliographiques :
SCHMITT (C) Théorie de la constitution, Ed. PUF, Préface Olivier Baud, 1995, p. 576
BLUCHE (F) RIALS (S) TULARD (J ) La Révolution française, Ed. PUF Collection Que sais-je ?, 2003, p. 124
GUENIFFEY (P) La politique de la Terreur, Ed. Gallimard, 2003, p. 378
RABAULT (H) L’Etat entre théologie et technologie. Origine, sens et fonction du concept d’Etat, Ed. L’Harmattan, 2007, p. 276
GUGLIELMI (G.J.) KOUBI (G) Droit du service public, Ed. Montchrétien, 2011, p. 890
DENOIX-DE-SAINT-MARC (R) L’Etat, Ed. PUF, Collection Que sais-je ?, 2012, p. 124
BORGETTO (M) Droit de l’aide et de l’action sociale, Ed. Montchrétien, 2013, p. 780