1. Le titre de cet article1 peut surprendre : en quoi l’animal, l’embryon et le cadavre, notions différentes et relevant chacune de dispositions juridiques spécifiques, pourraient avoir une destinée commune, bouleversant ainsi notre système civiliste qui repose sur le clivage bien établi entre sujets de droit et biens ?
2. Une triple actualité est à l’origine de cette réflexion. La première est double : il s’agit de la décision adoptée le 19 décembre dernier par les juges argentins Alejandro Slokar, Ángela Ledesma et Pedro David de la Cámara de Casación Penal. En se fondant sur les interprétations doctrinales du juge de la Cour suprême Raúl Zaffaroni, ils ont reconnu à une femelle orang-outan vivant au zoo de Buenos-Aires le statut de « personne non humaine »2, créant ainsi une première mondiale dans la reconnaissance d’un véritable statut juridique aux animaux.
Cette décision rejoint l’actualité parlementaire française récente : l’Assemblée nationale a adopté3 en dernière lecture et contre l’avis du Sénat la loi du 16 février 20154), et notamment son article 2 reprenant l’amendement déposé par le député Jean Glavany5 qui introduit l’article 515-14 nouveau dans le Code civil. Cet article reconnaît que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels ». Ceci clôture un débat6 commencé en avril 2014 et qui s’était poursuivi jusqu’en octobre. Cet amendement avait suscité plusieurs critiques concernant la portée davantage symbolique que réelle qu’il revêtait, aucun véritable statut autonome de l’animal n’étant créé au sein du Code civil7 ; sans compter l’aspect légistique de la réforme qui pouvait être amélioré8. Ces critiques se retrouvent pour le nouvel article du Code civil : cet article ne fait pas l’unanimité au sein des députés, cette évolution du droit des animaux faisant naître de nombreux problèmes notamment pour les filières agricoles de l’élevage9.
3. La dernière actualité juridique est le projet de loi déposé le 9 décembre 2014 par le député Bruno Le Roux. Ce projet vise à compléter le Code général des collectivités territoriales par un alinéa supplémentaire à l’art. L. 2223-1 instituant la mise en place de cérémonies d’obsèques républicaines10, cérémonies inexistantes aujourd’hui malgré l’interpellation déjà faite en 2007 par la sénatrice Jacqueline Panis en ce sens11. Le respect dû aux morts, s’il s’applique déjà à la dépouille mortelle ainsi qu’à la violation de l’endroit où celle-ci repose12, s’étendrait à la question de la cérémonie de l’adieu.
4. Il ne s’agit pas de revenir ici sur ces problématiques en elles-mêmes, dont la question de l’utilité et du périmètre repose sur une prise de position en partie politique. Ces propositions appellent à une autre réflexion en servant de révélateurs à l’existence de notions dans notre droit civil dont le statut interroge.
5. L’organisation du droit français, héritière du droit romain13, repose sur une summa divisio fondamentale14 entre les sujets de droit d’une part, doués de personnalité, et les non-sujets de droit d’autre part, c’est-à-dire les biens. Trois notions bénéficient toutefois d’une place singulière15 dans cette division binaire en étant comme des extensions des deux catégories principales : il s’agit des embryons16 et des cadavres17, extensions de la personnalité humaine qu’ils précèdent ou qu’ils continuent, et des animaux18, extensions des biens de par la place spécifique qu’ils occupent au sein de ceux-ci.
6. Ces extensions ont-elles un point de jonction commun qui justifierait leur nature particulière ? On pourrait y voir une inflexion de la notion de personnalité juridique. Ceci est notamment l’objet des revendications du point de vue d’un statut juridique de l’animal -et en particulier de l’animal de compagnie19- puisqu’il s’agirait de donner aux « trente millions d’amis » des Français une certaine aptitude à être titulaires de droits voire sujets à des obligations. Cette aptitude s’exprimant déjà de manière différente entre personnes physiques et personnes morales, une application aux animaux ne serait qu’une nouvelle perception de cette capacité20. Ce souhait s’oppose néanmoins à de nombreuses difficultés juridiques21.
7. Toutefois, une autre piste, plus audacieuse, pourrait être envisagée en considérant que les régimes de l’embryon, du cadavre et de l’animal, en s’éloignant chacun par extension de son centre d’origine (les personnes ou les biens), pourraient se croiser voire même se rejoindre. En d’autres termes, le caractère dérogatoire des régimes de l’embryon, du cadavre et de l’animal à la summa divisio (I) semble plaider l’idée de la création d’un nouveau genre juridique avec des règles communes ou tout le moins des traits communs (II).
I. L’embryon, le cadavre et l’animal : des régimes « dérogatoires »
8. Le législateur de 1804 a posé le principe de la summa divisio au sein du Code civil en attribuant le livre premier aux personnes et le livre deuxième aux biens. Si ce principe reste l’axe fondamental du droit civil, différentes retouches ont été apportées au cours des années à la « constitution civile »22 de la France.
En effet, l’époque et l’esprit dans lesquels a été adopté le Code civil en 1804 sont bien différents d’aujourd’hui : les avancées technologiques, la reconnaissance du droit des femmes au respect de leur corps et la sécularisation de la société ont amené une perception différente de l’embryon ; le décès de la majorité des Français à l’hôpital et non plus au domicile familial a modifié le rapport à la mort ; et l’animal n’est plus perçu comme une bête de somme qui permet au paysan de vivre mais comme un compagnon « alter-ego » du citadin qu’il convient de protéger.
Ces trois notions ont vu leur régime juridique modifié par touches successives amenant une extension des frontières au sein de la summa divisio par l’existence de régimes dérogatoires à la personnalité juridique (A) ou aux biens (B).
A. Les régimes dérogatoires à la personnalité juridique
9. En ce qui concerne l’embryon et le cadavre, les limites de la personnalité juridique s’exercent dans un cadre strictement défini : celui de la vie humaine qui commence par la naissance de la personne vivante et viable et se termine par la mort23.
10. La situation de l’embryon est complexe. Dans le cas d’une naissance vivante et viable, la personnalité juridique est rétroactive à la date de la conception afin de protéger les intérêts de l’enfant, en particulier dans le cas d’une succession dont il est héritier et intervenue après sa conception mais avant sa naissance24. Toutefois, cette personnalité « utérine » est incomplète puisqu’elle ne joue qu’en faveur de l’enfant, aucune obligation ne pouvant peser sur celui-ci : « infans conceptus pro nato habetur quoties de comodo ejus agitur»25. Elle n’est qu’une extension de la personnalité conférée à la condition que la personne soit vivante et viable : dans le cas d’une naissance non vivante et non viable, ou vivante et non viable, la personnalité juridique n’existe pas et aucun lien de filiation ne peut être établi. Les embryons ou les fœtus mort-nés, issus d’interruption volontaire de grossesse ou de fausses couches spontanées précoces26 ne sont pas des personnes juridiques. À ce titre, l’homicide involontaire ne peut donc pas être retenu lors d’un accident provoquant la mort du fœtus27.
11. Le cas plus problématique des cellules embryonnaires obtenues par fécondation in vitro fut réglé par les lois bioéthiques successives de 1994, 2004 et 201128. Si elles restent des choses sur lesquelles un droit d’abusus peut être mené par les parents (destruction des embryons conservés depuis plus de cinq ans29), elles bénéficient toutefois d’une protection spécifique découlant du respect dû à l’être humain, à son corps et à l’intégrité de l’espèce humaine. Toute manipulation génétique est ainsi interdite sur de telles cellules, hormis le cas strictement encadré des recherches effectuées à partir de cellules embryonnaires surnuméraires30.
12. La situation du cadavre est plus simple puisque sa nature juridique ne varie pas après la mort. Le cadavre bénéficie d’un régime spécifique qui ne permet pas de l’assimiler purement et simplement aux res, même si le corps fait l’objet d’un droit de copropriété familiale31. Si la personnalité juridique s’arrête à la mort de la personne, certaines extensions peuvent être trouvées dans le caractère exceptionnel de la procédure de prélèvement d’organes post-mortem32, l’interdiction de la diffamation ou de l’injure contre la mémoire due aux morts33, la protection contre la violation ou la profanation des sépultures, tombeaux ou tout autre monuments édifiés à la mémoire des morts34, ou encore le respect dû au corps humain après la mort35, ce qui a pu motiver l’interdiction d’une exposition très médiatisée d’écorchés anatomiques dans des positions inattendues36. La notion de dignité humaine se prolonge également au-delà de la mort, justifiant l’interdiction de la publication d’images sensationnelles de la personne décédée gisant par terre37. Le cadavre, s’il n’est plus une personne humaine, n’en perd donc pas tous les attributs.
B. Le régime dérogatoire aux biens
13. En ce qui concerne les animaux, leur nature d’êtres doués de vie et de mobilité imposait au législateur l’adoption d’un régime juridique spécifique par rapport aux autres biens. Ce fut chose faite par la loi du 6 janvier 199938 qui redéfinit la place des animaux au sein du Code civil : les animaux, meubles par nature sauf exceptions liées à leur attachement à la culture39 ou à leur placement pour le service et l’exploitation du fonds40 qui les rendent alors immeubles par destination, sont ainsi clairement distingués des choses inanimées. Les animaux sont des « choses particulières parmi les choses »41.
La majeure partie de la législation spécifique concernant le statut des animaux se situe cependant en dehors du Code civil, notamment dans le Code rural et de la pêche maritime qui reconnaît aux animaux la qualité « d’être sensible devant être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce »42, ainsi que dans le Code pénal qui sanctionne les mauvais traitements, la blessure et la mort fut-ce par négligence, tout acte de cruauté y compris les sévices de nature sexuelle, l’abandon d’un animal domestique ainsi que toute expérience scientifique en dehors du cadre légal autorisé43.
14. Ce régime dérogatoire est propre à l’animal et n’est pas lié à sa nature d’objet vivant, les plantes ne bénéficiant pas des mêmes protections. Ce régime est cependant loin d’être un statut juridique uniforme compte tenu de la variété des animaux (apprivoisés, sauvages, d’élevage, de compagnie, etc.) et des situations qui les concernent. Protéger de manière identique tous les animaux empêcherait l’exercice de certaines activités telles que la chasse, la pêche de loisir, le gavage des oies, l’abattage ou encore les expérimentations médicales sur les animaux avant autorisation de mise sur le marché44, sans compter la préservation de traditions locales comme les combats de coq, les courses de taureaux45 ou la corrida46. D’autres activités poseraient sans doute problème dans le futur : les zoos, l’équitation, le cirque, etc. Comme pour les embryons, la situation de l’animal doit être regardée selon chaque cas.
Si ces trois régimes dérogatoires se montrent « mouvants » dans leurs frontières internes, leur existence et leur développement interrogent. Une évolution similaire semble exister, bien qu’elle parte de deux opposés : l’embryon et le cadavre ont une sorte de « demi-personnalité » découlant de la personnalité humaine, tandis que les animaux tendent à acquérir un début de personnalité par un respect dû à leur qualité d’êtres sensibles. À force d’évoluer, ces trois notions vont-elles finir par former un ensemble juridique cohérent ?
II. La création d’un nouveau genre juridique : la « demi-personnalité »
15. Il pourrait sembler étrange de vouloir associer l’embryon, le cadavre et l’animal au sein d’un même ensemble juridique fondé sur une conception amoindrie de la personnalité, une sorte de « demi-personnalité » qui serait conférée à ce qui ne pourrait plus être considéré comme étant des biens tout en n’étant pas des personnes au sens juridique plein et entier du terme.
L’analyse du droit positif révèle cependant que de nombreuses situations actuelles montrent une convergence du régime de ces trois notions (A), convergence qui semble conduire à une redéfinition complète de la conception classique de la summa divisio du droit (B).
A. La convergence actuelle de ces trois notions
16. Les innovations législatives récentes montrent une convergence entre ces trois notions, convergence qui tient pour beaucoup à une redéfinition du régime du droit des animaux. L’objectif des défenseurs des animaux ne semble pas être l’octroi pur et simple de la personnalité juridique à ceux-ci mais plus simplement (et dans un premier temps) l’attribution d’un certain nombre d’éléments traditionnellement réservés aux personnes. Il faut y voir le résultat direct d’un anthropomorphisme de plus en plus important au sein de la société actuelle47 envers les animaux de compagnie que l’on traite comme des humains. Le législateur, qu’il soit national ou européen, œuvre en ce sens et la vie de nos compagnons à quatre pattes tend à être réglée comme la nôtre.
17. Cela commence dès la naissance de l’animal où le maître, s’il n’a pas eu la chance d’en acquérir un auprès de ses connaissances, peut se rendre à la SPA (Société protectrice des animaux) qui lui délivrera -on joue sur les mots- un contrat d’adoption48 en tant qu’adoptant, mêlant ainsi un acte juridique qui porte sur un bien (le contrat) à une appellation propre aux personnes (l’adoption)49.
Puis cela continue avec l’attribution d’un passeport européen pour animaux de compagnie, rendu obligatoire par le règlement européen 998/2003 pour voyager50 puisqu’il atteste de différentes vaccinations faites par le vétérinaire. Ce « passeport » -étant donné que c’est son nom juridique- trouvera naturellement sa place dans le tiroir aux papiers importants entre le passeport de son maître et celui des enfants.
La vie de l’animal trouvera à s’exposer par la création d’une page Facebook, d’un fil Twitter ou d’un profil Zanibook pour les plus aguerris des réseaux sociaux pour animaux, surfant sur la popularité des grumpy cats et autres félins sur Internet. Le législateur français n’a pas encore légiféré dans ce domaine en pleine expansion et la création de ces pages reste soumise aux obligations édictées par la charte de chaque réseau social ce qui ne résout pas toujours les problèmes juridiques de protection de données personnelles et de respect de la vie privée des maîtres qui actualisent ces pages, ni de la géolocalisation ou du droit d’auteur des photos postées51. En cas de problème, il faut se reporter aux règles existantes.
Enfin, la mort d’un animal de compagnie, moment douloureux, peut aboutir au traitement du corps de celui-ci pour les maîtres qui le souhaitent. Les solutions sont multiples et se rapprochent du mode humain, les compagnies funéraires spécialisées dans ce marché n’hésitant pas à parler de « membre de votre famille, une partie de votre vie »52. L’empaillage étant malvenu, le maître esseulé pourra se tourner vers un cimetière pour animaux, essentiellement destiné aux chats et chiens. Ces initiatives sont toutes privées, le Code général des collectivités territoriales ne visant que les corps humains (ou les cendres) comme étant seuls autorisés à être inhumés dans un cimetière53 et le Code rural et de la pêche maritime ne règlementant que l’élimination de cadavres d’animaux supérieurs à quarante kilos54.
18. Ce phénomène de personnalisation ne touche pas que les animaux et concerne aussi les enfants morts nés privés de la personnalité juridique. Le législateur a été conscient de la détresse des parents face aux accidents de grossesse et accorde certaines spécificités de la personnalité aux fœtus non-vivants tels que l’enregistrement à l’état civil ou la prise en charge du corps par un traitement funéraire décent.
Ainsi, par la loi du 8 janvier 199355, les enfants mort-nés, que le terme ait été ou non viable56, et les enfants nés vivants mais non viables bénéficient de l’acte d’enfant sans vie57 qui permet l’octroi aux parents qui n’en auraient pas d’un livret de famille58 afin d’y inscrire le prénom de l’enfant59, celui-ci étant cependant dépourvu de nom. En outre, des obsèques sont possibles60, ce qui renforce plus encore la confusion de statut entre l’enfant doté de la personnalité juridique et l’embryon qui en est privé. Seuls les embryons issus d’interruption volontaire de grossesse ou de fausses couches spontanées précoces ne bénéficient pas de ces mesures61. Ils sont incinérés comme toute pièce anatomique d’origine humaine62.
Assiste-t-on, au travers de ces différentes réformes législatives, à l’émergence d’un nouveau genre juridique qui ne relèverait ni entièrement de la personnalité juridique, ni entièrement du régime des biens ?
B. L’émergence d’une nouvelle summa divisio
19. L’état actuel du droit ne semble pas permettre d’affirmer qu’un nouveau genre juridique ait pleinement été créé mais celui-ci semble cependant en devenir : l’établissement d’un régime de « demi-personnalité » tel qu’on le voit apparaître petit à petit (l’assimilation à la personne humaine, « notion centrale » de notre droit63, et aux droits et obligations qui en découlent étant impossible) plaide en la faveur de l’émergence d’une nouvelle conception de la personnalité qui devra trouver sa place au sein de la summa divisio.
C’est d’ailleurs le reproche fait par la doctrine à l’actuel amendement du projet de loi dotant les animaux d’un statut d’êtres vivants doués de sensibilité. Cette réforme est considérée comme « bancale » car la nouvelle conception accordée au règne animal ne correspond plus au livre 2 du Code civil dans lequel elle continue pourtant à être enfermée. Nous partageons à ce sujet les interrogations de Blandine Mallet-Bricout : « [la réforme] isole les animaux dans un titre préliminaire pour ensuite consacrer, dans un alinéa second qui serait ajouté à l’article 544, la « propriété des animaux » : ainsi réintégrés dans le giron du puissant droit de propriété, et conséquemment dans celui du patrimoine, les animaux sont ramenés à leur condition première, celle matérialiste de biens appropriables. »64
20. Un amendement plus ambitieux du 11 avril 2014 était, à l’origine, proposé par le groupe socialiste et créait une troisième catégorie propre aux animaux : « Cet amendement a pour objet de consacrer l’animal, en tant que tel, dans le Code civil afin de mieux concilier sa qualification juridique et sa valeur affective. Pour parvenir à un régime juridique de l’animal cohérent, dans un souci d’harmonisation de nos différents codes et de modernisation du droit, la proposition d’amendement proposée consiste à créer dans le Code civil une catégorie sui generis, intermédiaire entre les personnes et les biens. »65 Il fut retiré avant discussion.
21. Cette question d’une place nouvelle pour les régimes de l’embryon, du cadavre et de l’animal est celle de la taxonomie du droit, c’est-à-dire de la classification des différents objets juridiques.
Lorsqu’une opération de taxonomie est entreprise, les différentes sub-catégories sont habituellement présentées par rapport à l’ensemble qui les définit. Il en est ainsi des différentes formes de sociétés et associations de personnes qui appartiennent à la catégorie des groupements, des différents contrats qui appartiennent aux conventions, des personnes physiques et des personnes morales qui appartiennent à la catégorie générale des personnes ou encore des meubles et des immeubles qui appartiennent aux biens66.
La division binaire entre personnes et biens est à ce point ancrée dans la conception générale du droit qu’il n’existe pas de nom pour désigner l’ensemble qui les regroupe. Suggérer la possible création d’un nouveau « genre » juridique invite donc à repenser le droit : faut-il sortir d’une division binaire ? Peut-on sortir de cette division ?
22. Au vu de l’évolution actuelle de la société, une telle interrogation est légitime, et nous serions tenté d’apporter une réponse positive assez extensive. Certes, l’évolution que connaissent les régimes juridiques de l’embryon, du cadavre et de l’animal, s’ils ne remettent pas pour le moment en cause de manière fondamentale la division binaire de la summa divisio, conduisent à observer que les frontières de celles-ci ont changé.
Gérard Farjat estimait il y a dix ans déjà qu’une place nouvelle devait être faite pour les « centres d’intérêts »67, succédanés à la personnalité dont l’existence permettrait un meilleur fonctionnement du système juridique. Eric H. Reiter constatait lui aussi en 2008 l’existence de ce qu’il appelait les « monstres de Domat » (Domat’s Monster)68 ne trouvant leur place ni au sein des personnes, ni au sein des biens, ni au sein des obligations. Nous nous inscrivons dans ces conceptions en faisant un pas de plus : la redéfinition de la summa divisio est déjà en cours : elle s’impose à nous, non par notre volonté, mais par les actions que nous avons déjà entreprises69.
- L’auteur tient à remercier Aurélie Mussier (IFG, Université de Lorraine), le Dr. Etienne Martin (Université de Lorraine) et David Derains (Université de Lorraine) pour leurs conseils avisés. [↩]
- http://www.lanacion.com.ar/1754353-conceden-un-habeas-corpus-a-una-orangutana-del-zoologico-porteno (consulté le 23 décembre 2014). [↩]
- Suite à un lobbying intense de la part des défenseurs des droits des animaux et de la cause animale. Cf. pétition lancée par la Fondation 30 millions d’amis en 2012, et manifeste signé en 2013 par vingt-quatre personnalités dont le moine bouddhiste Mathieu Ricard et Luc Ferry. [↩]
- Loi 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (JO 17 fév. 2015, p. 2961 ss. [↩]
- Amendement n° 59 au projet de loi n° 1729 relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, déposé le 11 avril 2014 par J. Glavany, C. Untermaier et C. Capdevielle. [↩]
- E. Fils, « Trois questions à Jean-Pierre Marguénaud », JCP-G 2014.525 ; B. Mallet-Bricout « L’animal, bien spécial, « bien-être » », chron. Droit des biens, D. 2014.1844 ; P.-J. Delage, « La condition animale. Essai juridique sur les justes places de l’Homme et de l’animal », Rev. gén. droit. méd. 2014, n° 52, p. 49-56 ; P.-J. Delage, « L’animal, la chose juridique et la chose pure », D. 2014.1097 ; Ph. Billet, « La sensibilité animale réaffirmée », Rev. Environnement 2014, n° 6, p. 3-4 ; J.-B. Seube et Th. Revet, « Les biens – Octobre 2013-mars 2014 : La réforme à petits pas… », chron., Droit et patrimoine, 2014, n° 234, p. 90-92. [↩]
- V. Boccara et J.-P. Marguénaud, « Les animaux bientôt « êtres vivants doués de sensibilité » ? », LPA 2014, n°80, p. 3. [↩]
- Cette réforme continue la multiplication des numéros d’articles à tiret au sein des systèmes de numérotation continue, ce qui nuit à la lecture de cette numérotation. Cf. Ph. Reigne, La numérotation dans la codification, éd. Laboratoire de sociologie juridique-Paris II (Paris), 1999, p. 3 ss. ; M. Lajoie, W. Schwab, M. Sparer et J. Cote, La Rédaction française des lois, Commission de réforme du droit du Canada (Ottawa), 1980, p. 173. [↩]
- Voir http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/01/28/les-animaux-sont-desormais-officiellement-doues-de-sensibilite_4565410_3244.html (consulté le 28 janvier 2015). [↩]
- Proposition de loi n°2434 du 9 décembre 2014 instituant des funérailles républicaines. [↩]
- Question écrite n° 02388 de Jacqueline Panis, JO Sénat 8 nov. 2007, p. 2017. [↩]
- 16-1-1 C. civ. et art. 225-17 C. pén. [↩]
- Carbonnier, Droit civil, PUF, 2004, p. 375 ss. Les esclaves ne constituaient pas une catégorie extraordinaire de la summa diviso. L’esclave est un homme à qui la personnalité est refusée et auquel on confère tous les attributs d’une res. Cf. P. Voirin et G. Goubeaux, Droit civil, LGDJ 2013, tome 1 p. 57 ; et J. Rochfeld, Les grandes notions du droit privé, PUF, 2011, p. 12 ss. [↩]
- J. Carbonnier, Droit civil, PUF, 1962, tome I, p.135 ss. ; J. Rochfeld, Les grandes notions du droit privé, préc., p. 5 ss. [↩]
- J. Rochfeld, Les grandes notions du droit privé, préc., p. 7. [↩]
- N. Guylène, « La constitutionnalité de la recherche embryonnaire », RFDC 2014.121 ; C. Pelluchon et alii, « L’homme, le corps, la personne, la chose », Rev. fr. de théorie, de philo. et de culture juridiques 2012, n° 52, p. 121-152. [↩]
- J.-P. Gasnier, « Questions à propos du statut juridique du cadavre », RRJ 2011/4, p. 1795-1811 ; B. Parance, « Statut du cadavre et respect de la dignité », Rev. Lamy Droit civil 2011, n° 82, p. 61-62. [↩]
- R. Libchaber, « La souffrance et les droits. À propos d’un statut de l’animal », D. 2014.380 ; T. Regan, E. Utria, « Des droits légaux des animaux, le jour viendra peut-être », Archives de philo. du droit 2012, n° 55, p. 231-246. [↩]
- Les contours de la notion d’animal posent problème, notamment avec les animaux sauvages (autorisation de la chasse) ou les animaux d’élevage (autorisation de l’agriculture). Voir notamment V. Brochot, « Le bien-être animal : note sur le nouveau plan de la commission européenne », jur. de l’Ouest 2013, n° 2, p. 139-157 ; S. Monziès, « À la recherche d’une protection juridique de l’abeille », Droit de l’environnement 2011, n° 187, p. 46-49. [↩]
- V. Boccara et J.-P. Marguénaud, « Les animaux bientôt « êtres vivants doués de sensibilité » ? », LPA 2014, préc. [↩]
- B. Mallet-Bricout « L’animal, bien spécial, « bien-être » », préc. [↩]
- Pour reprendre le mot célèbre du doyen Carbonnier. Cf. J. Carbonnier, « Le Code civil en tant que phénomène sociologique », RRJ 1981, p. 327 à 332. [↩]
- Buffelan-Lanore et V. Larribau-Terneyre, Droit civil, Sirey, 2011, p. 275-282 ; Ch. Larroumet (dir.), Droit civil, Economica, 2006, p. 199-206. [↩]
- Voirin et G. Goubeaux, Droit civil, préc., tome 1 p. 57. [↩]
- L’enfant conçu sera considéré comme né chaque fois qu’il pourra en tirer avantage. [↩]
- Fausses couches intervenues pendant le premier trimestre de grossesse. [↩]
- Crim. 25 juin 2002 et CEDH 8 juillet 2004, D. 2004.2456. [↩]
- Lois n° 94-653 du 29 juillet 1994 ; n° 2004-800 du 6 août 2004 et n° 2011-814 du 7 juillet 2011. [↩]
- L. 2141-4 CSP. [↩]
- Art. 25 ss. loi n° 2004-800 du 6 août 2004. [↩]
- TGI Lille, 5 déc. 1996 ; 1997.376, note X. Labbée. [↩]
- Art. L. 1232-1 à 6 CSP. [↩]
- Art. 34 loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. [↩]
- Art. 225-17 C. pén. [↩]
- Art. 16-1-1 ss. C. civ. et loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire. [↩]
- À propos de l’exposition « our body », Civ. 1ère 16 sept. 2010; D. 2010.2750, note G. Loiseau ; et D. 2010.2754 note B. Edelman. Voir également CA Paris 30 avril 2009 (référé) ; JCP-G 2009.23, note G. Loiseau ; RTDCiv. 2009.501, obs. J. Hauser. [↩]
- Civ. 1ère 20 déc. 2000 ; Bull. civ. I.341 ; D. 2001. 885 ; JCP-G 2001. II. 10488 note Ravanas. [↩]
- Loi n° 99-5 du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux. [↩]
- 633 C.civ. [↩]
- Art. 524 C. civ. [↩]
- B. Mallet-Bricout « L’animal, bien spécial, « bien-être » », préc. [↩]
- Art. L. 214-1 C. rur. pêc. mar. [↩]
- Respectivement art. R. 654-1, 653-1, 521-1 et 521-2 C. pén. [↩]
- Voir sur cette question CEDH 16 jan. 2014, Tierbefreier c/ Allemagne, n° 451932/09. [↩]
- 521-1 C. pén. [↩]
- Art. R. 231-6 C. rur. pêc. mar. [↩]
- -P. Marguénaud, « La personnalité juridique des animaux », D. 1998.205 ; N. Maillart et N. Goedert, « Science et mythe autour de l’abeille, prototype divin de la perfection », Rev. sem. de droit animalier 2011. n° 2, p. 265-282. [↩]
- Voir par exemple http://sparodez.celeonet.fr/?page=contrat (consulté le 18 novembre 2014) et G. Mémeteau, « Le dossier poupette, ou le contrat d’adoption d’animaux domestiques », RRJ 2010-1, p. 97-112. [↩]
- 343 à 370-5 C. civ. et G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 2007, p. 33. [↩]
- Art. 5 règlement (CE) n° 998/2003 du Parlement européen et du Conseil du 26 mai 2003 concernant les conditions de police sanitaire applicables aux mouvements non commerciaux d’animaux de compagnie, et modifiant la directive 92/65/CEE du Conseil. [↩]
- Voir par ex. Fl. Meuris, « L’internet d’aujourd’hui, regard critique », Com. Comm. Elec. 2014-9, p. 2 ; E. Derieux, « Réseaux sociaux et responsabilité des atteintes aux droits de la personnalité », Rev. Lamy droit de l’immatériel, 2014, n° 100, p. 77-89. [↩]
- C’est par exemple l’argumentaire développé par la société Service d’Incinération/Inhumation d’Animaux Familiers sur son site internet www.siaf.fr (consulté le 18 novembre 2014). [↩]
- Art. L. 2223-1 CGCT ss. et en particulier l’art. L. 2223-3 CGCT : « La sépulture dans un cimetière d’une commune est due : 1° Aux personnes décédées sur son territoire, quel que soit leur domicile ; 2° Aux personnes domiciliées sur son territoire, alors même qu’elles seraient décédées dans une autre commune ; 3° Aux personnes non domiciliées dans la commune mais qui y ont droit à une sépulture de famille ; 4° Aux Français établis hors de France n’ayant pas une sépulture de famille dans la commune et qui sont inscrits sur la liste électorale de celle-ci. » [↩]
- Art. L. 226-1 et L .228-5 C. rur. pêc. mar. [↩]
- Loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 relative à l’état civil, à la famille et aux droits des enfants. [↩]
- Civ. 1ère 6 fév. 2008 (trois arrêts : pourvois n° 06-16498 à 16500), D. 2008. AJ 483, obs. P. Guiomard ; D. 2008. Pan. 1371, obs. F. Granet-Lambrechts. [↩]
- Art 79-1 al. 2 C.civ. et V. Avena-Robardet, « La reconnaissance de l’enfant mort-né », RTDCiv. 2008.95. [↩]
- Art. 4 décret no 2008-798 du 20 août 2008. [↩]
- Art. 9 décret n°74-449 du 15 mai 1974. G. Roujou de Boubée, D. Vigneau, « Les conditions de l’inscription à l’état civil d’un enfant mort-né », D. 2008.1862 [↩]
- Selon la volonté des communes. [↩]
- Fr. Granet-Lambrechts, chron « Droit de la filiation février 2008-décembre 2008 », D. 2009.773. [↩]
- Art. R. 1335-11 CSP. [↩]
- Rochfeld, Les grandes notions du droit privé, préc, p. 9. [↩]
- B. Mallet-Bricout « L’animal, bien spécial, « bien-être » », préc. [↩]
- Amendement n° 24 au projet de loi n° 1729 relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, déposé le 11 avril 2014 par MM. Glavany, Fourage et MMmes Untermaier et Descamps-Crosnier, et retiré avant discussion. [↩]
- Art. 516 C.civ. [↩]
- G. Farjat, « Entre les personnes et les choses, les centres d’intérêts, prolégomènes pour une recherche », RTDCiv. 2002.221. [↩]
- Eric H. Reiter, « Rethinking Civil-Law Taxonomy : Persons, Things, and the Problem of Domat’s Monster », JCLS 2008, vol. 1, issue 1, art. 9. [↩]
- Cette formule est tirée d’un mot d’Adam Ferguson. Cf. note 13 in G. Farjat, « Entre les personnes et les choses, les centres d’intérêts, prolégomènes pour une recherche », préc. [↩]