Contexte : Un arrêt rendu le 3 novembre 2016 illustre le triste sort des patients qui sont victimes d’un geste médical fautif sans parvenir à en identifier précisément l’auteur.
Litige : Une patiente subit une première intervention le 6 octobre 2004 consistant en une hystérectomie totale par laparotomie. Puis, elle subit une seconde intervention le 10 octobre 2005 pour une récidive de hernie hiatale, à nouveau par laparotomie. Enfin, elle subit une troisième intervention le 4 décembre 2007, toujours par laparotomie mais cette fois, une compresse chirurgicale de 54 cm sur 54 cm est découverte dans son abdomen. L’expertise ordonnée en référé n’a pas permis de déterminer si la compresse a été oubliée au cours de la première ou de la deuxième intervention. Elle recherche la responsabilité civile du chirurgien ayant réalisé la première intervention, celui ayant réalisé la deuxième intervention ainsi que la clinique dans laquelle la première intervention a été pratiquée. Sa demande est rejetée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Elle se pourvoit en cassation en soutenant que la cour d’appel aurait inversé la charge de la preuve.
Solution : Le pourvoi est rejeté aux motifs :
« (…) qu’en vertu de l’article L. 1142-1, I, alinéa 1er, du code de la santé publique, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute ; que la preuve d’une faute incombe au demandeur ; que s’agissant d’une responsabilité personnelle, elle implique que soit identifié le professionnel de santé ou l’établissement de santé auquel elle est imputable ou qui répond de ses conséquences ;
Et (…) qu’après avoir retenu l’existence d’une négligence fautive liée à l’oubli d’une compresse sur le site opératoire d’une des intervention, l’arrêt relève, en se fondant sur le rapport d’expertise, qu’aucune donnée ne permet de rattacher la présence de la compresse à l’intervention du 6 octobre 2004 ou à celle du 10 octobre 2005, pratiquées par des chirurgiens différents dans des cliniques distinctes et qui ont l’une et l’autre nécessité l’usage de compresses, et qu’aucun comportement fautif de tel ou tel médecin exerçant à titre libéral ou auxiliaire n’est démontré ; que la cour d’appel n’a pu qu’en déduire que leur responsabilité ne pouvait être engagée ».
Analyse : De prime abord, la solution retenue dans l’arrêt relève de l’évidence.
En effet, il est constant que le demandeur doit établir les faits sur lesquels il fonde ses prétentions. Lorsqu’il réclame réparation à un professionnel ou un établissement de santé, il lui appartient d’établir que celui-ci a commis une faute à l’origine de son dommage. A défaut d’y parvenir, il succombe.
Toutefois, à y regarder de plus près, l’issue du présent litige ne s’imposait pas nécessairement puisque la jurisprudence admet que l’existence de présomption d’imputabilité lorsque le dommage a été causé par un membre non identifié d’un groupe identifié (V. C. Quezel-Ambrunaz, La fiction de la causalité alternative, D. 2010 p. 62).
C’est ainsi que, dans le contentieux du DES, lorsque la victime ne parvient pas à établir lequel des deux laboratoires a fourni la molécule dommageable, la Cour de cassation juge qu’il appartient à chacun des laboratoires de prouver que son produit n’était pas à l’origine du dommage (1re Civ., 24 septembre 2009, n° 08-10.081 : Bull. I, n° 186, JCP G 2009 381 note S. Hocquet-Berg, Resp. civ. et ass. 2009 étude 15, Ch. Radé, RDC 2010, p. 90, obs. J.-S. Borghetti ; D. 2010, p. 51, obs. Ph. Brun ; RTD civ. 2010, p. 111, obs. P. Jourdain ; 1re Civ., 28 janvier 2010, n° 08-18.387).
De même lorsqu’une infection nosocomiale a été contractée par un patient sans qu’il puisse établir dans lequel des établissements dans lequel il a reçu des soins, la Cour de cassation juge qu’il est dispensé de la charge de la preuve de l’imputabilité de son dommage à tel ou tel d’entre eux et qu’il appartient à chacun des établissements poursuivis de prouver qu’il n’est pas à l’origine de l’infection (1re Civ., 17 juin 2010, n° 09-67.011, Bull. I, n° 137 ; JCP 2010, n° 41, p. 1015, obs. L. Bloch ; JCP G 2010, n° 36, p. 70, note O. Gout ; D. 2010, p. 2092, n° 6, obs. C. Creton ; D. 2011, p. 35, n° 2, obs. Ph. Brun ; RTD. civ. 2010, p. 567, obs. P. Jourdain ; RDC 2010, p. 1247, obs. G. Viney ; Resp. civ. et assur. 2010, comm. 259, note Ch. Radé. V. égal. C. Bonnin, La reconnaissance de la condamnation in solidum pour les infections nosocomiales, D. 2011, p. 283).
En l’espèce, les circonstances pouvaient parfaitement conduire la Cour de cassation à étendre le domaine de cette présomption d’imputabilité. La compresse ayant été oubliée au cours de la première ou de la deuxième intervention, le cercle des auteurs pouvant être à l’origine du dommage était déterminé. Dès lors, il aurait été parfaitement possible de juger qu’il appartient à chacun des chirurgiens poursuivis de prouver qu’il n’est pas à l’origine de l’oubli de la compresse.
Manifestement consciente du rapprochement qui ne manquerait pas d’être fait entre ces différents contentieux, la Cour de cassation justifie sa position, dont elle assure une large diffusion par la publication de l’arrêt au bulletin, en relevant qu’il s’agit d’une responsabilité personnelle fondée sur une négligence fautive, ce dont il faudrait en déduire qu’elle serait différente de celles qui ont conduit à faire application d’une présomption d’imputabilité.
Ce serait cependant perdre de vue que la responsabilité des laboratoires ayant commercialisé le DES était, elle aussi, fondée sur l’existence d’une faute personnelle, en l’occurrence une faute de vigilance. Dans le présent cas d’espèce, comme dans celles qui concernent le DES, une faute dommageable a été commise sans qu’on parvienne à déterminer auquel des défendeurs elle est imputable.
Faut-il en déduire que la sévérité à l’encontre des laboratoires ou des cliniques ne doit pas être étendue aux médecins ? Les uns comme les autres bénéficient pourtant de la même couverture assurantielle obligatoire.