Cette contribution a été présentée le 6 décembre 2019 dans le cadre d’un colloque sur l’actualité patrimoniale organisé par l’association des étudiants du Master 2 Ingénierie du Patrimoine de l’Université Toulouse 1 Capitole. Le style oral de l’intervention a été conservé.
Les 20 ans du Pacte Civil de Solidarité, fêtés le 15 novembre 2019, invitent une nouvelle fois à réfléchir à la nature exacte du Pacs et à ses perspectives d’avenir, notamment en ce qui concerne l’acquisition, la détention et la transmission du patrimoine des partenaires. Les statistiques justifient que les gestionnaires de patrimoines conservent un œil sur l’évolution du Pacs : depuis l’année 2015, 4 Pacs se concluent chaque année pour 5 mariages, soit environ 234.000 mariages et 194.000 Pacs. Ces chiffres, qui se maintiennent pour le mariage, sont en légère hausse continue pour le Pacs.
Or, depuis loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 portant ouverture du mariage aux couples de même sexe, la différence entre le Pacs et le mariage ne se situe plus dans la composition sexuée du couple et doit s’affirmer ailleurs ou disparaître totalement. Cette différence, si elle subsiste, se traduira nécessairement par la coexistence de deux libertés d’organisations patrimoniales : l’une pour le Pacs, l’autre pour le mariage.
La liberté contractuelle en matière de Pacs existe indéniablement. Elle résulte de sa définition légale : un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune. Qui dit contrat dit liberté, qui dit liberté dit choix, qui dit choix dit stratégie… Il y a donc sans doute, en matière de Pacs, une liberté particulière, qui n’existe nulle part ailleurs, et qui pourrait ouvrir bien des perspectives en matière de stratégie patrimoniale.
Pourtant l’intérêt pour le Pacs est assez relatif en pratique comme en doctrine. Cela tient à une réelle incertitude sur la marge de manœuvre exacte dont disposent les partenaires pour organiser la détention et la transmission de leur patrimoine. C’est cette incertitude que nous proposons d’aborder ici, afin de tenter d’y voir plus clair à travers cet épais brouillard : que peuvent ou non faire les partenaires pour organiser la détention et la transmission de leur patrimoine ?
Il existe un grand débat en doctrine à ce propos. Aucun texte n’énonce un « principe de liberté des conventions partenariales » à l’image de celui existant pour les conventions matrimoniales (l’article 1387 du Code civil). Mais quelques textes suggèrent qu’une certaine liberté contractuelle existe. Selon l’article 515-3 du Code civil, les parties doivent, lors de l’enregistrement du pacte, produire « la convention passée entre elles ». Les articles 515-5 et 515-5-3 du même code évoquent des « dispositions contraires de la convention ». Quant au Conseil constitutionnel, il avait indiqué que les partenaires « pourront librement choisir (…) de soumettre à un autre régime l’ensemble des biens qu’ils viendraient à acquérir à titre onéreux après la conclusion du pacte » (Cons. 88, Cons. Const., 9 nov. 1999, n° 99-419 DC).
Deux difficultés se présentent en pratique sur cette question : la validité et l’opportunité des montages contractuels patrimoniaux. Non-seulement on ignore quelles stipulations contractuelles seraient valables ou pas, mais de surcroit on ne connaît pas précisément toutes les conséquences juridiques qu’aurait une charte patrimoniale valable, car sa nature demeure mystérieuse.
Ces questions sont d’autant plus importantes que, sur le plan formel, la liberté des partenaires est plus grande que celle des époux : une convention de Pacs n’est pas nécessairement notariée alors qu’un contrat de mariage doit l’être. Il est aussi bien plus facile de changer de « régime partenarial » puisqu’il n’est nul besoin de respecter l’ensemble des conditions prescrites à l’article 1397 du Code civil.
Pour toutes ces raisons, il paraît utile de faire le point sur ce qu’il est possible de faire ou non en matière de patrimoine des partenaires, ce qui est fortement déconseillé d’entreprendre et ce qui demeure envisageable. C’est dire qu’il s’agira de démêler l’impossible (I) du possible (II).
I. L’impossible
L’impossible peut se résumer en trois points : il n’y a pas de 3e voie, il n’y a pas d’emprunt possible aux règles du mariage et il n’est pas possible d’étendre la propriété collective.
1. Pas de « troisième voie »
Pour l’élaboration de leur charte patrimoniale, les partenaires sont soumis à une option à deux branches uniquement. Ils peuvent opter (expressément ou tacitement) pour le régime légal de séparation des biens, qui fonctionne comme le régime de séparation des époux (chacun garde ses biens personnels mais les biens sont présumés indivis – c’est une présomption simple) ou opter pour l’indivision d’acquêts. L’indivision d’acquêts est un régime hybride, entre la communauté de biens et l’indivision. En principe, et sauf une liste de 6 exceptions (art. 515-5-2 c. civ.), tous les biens sont réputés indivis pour moitié, sans recours d’un partenaire contre l’autre au titre d’une contribution inégale (c’est-à-dire sans droit à récompense ou à créance).
Cette dernière règle ouvre la voie, à des transferts sui generis. Imaginons deux partenaires de Pacs, Michel et Nicolas, soumis au régime de l’indivision d’acquêts, qui acquièrent un bien immobilier. Même si Michel a seul réalisé l’apport initial et que l’emprunt est exclusivement remboursé sur ses revenus, le bien sera indivis pour moitié et il ne pourra aucun solliciter remboursement auprès de Nicolas… S’opère ici un transfert sui generis entre Michel et Nicolas, qui présente la dimension matérielle du titre gratuit (le déséquilibre économique) mais pas nécessairement son critère intentionnel (Michel peut n’être animé d’aucune intention libérale envers son pourtant si cher Nicolas).
Il n’est pas impossible d’estimer (c’est notre cas), qu’une requalification en libéralité est possible si, effectivement, il y a derrière ce montage une intention libérale. Mais il serait très étonnant que la Cour de cassation y voit une libéralité, surtout si elle raisonne par analogie avec le régime légal des époux. Or, il ne s’agit pas non-plus d’un « avantage » qui serait soumis au régime juridique des avantages matrimoniaux, notamment l’action en retranchement, puisqu’il n’existe, en matière de Pacs, aucun équivalent à l’article 1527 du Code civil. Il s’agit donc d’un excellent moyen de « transmettre sans donner ».
Quoi qu’il en soit, entre la séparation de biens et l’indivision d’acquêts, il n’y a pas d’alternative, pas de « 3e voie ». Il n’existe en effet aucun énoncé général sur une quelconque « liberté des conventions partenariales » qui autoriserait les partenaires à créer des régimes sur-mesure : il n’y a pas d’équivalent, en Pacs, à l’article 1387 du Code civil pour les époux. Il est donc impossible – ou du moins fortement déconseillé car à la validité très douteuse – de constituer de toutes pièces un régime partenarial innommé.
Cela ne signifie pas qu’aucun aménagement n’est possible, mais qu’il faut nécessairement prendre pour base l’un des deux régimes et non constituer cette base de toutes pièces.
2. Pas d’emprunt aux règles du mariage
Les partenaires peuvent-ils s’inspirer des régimes matrimoniaux pour constituer leur charte patrimoniale ? Une première réponse, instinctive, est positive. Puisque la séparation des biens est identique à celle des époux et que l’indivision d’acquêts est un décalque imparfait de la communauté légale, la logique voudrait que les partenaires puissent s’inspirer des régimes matrimoniaux pour déterminer le régime de leurs biens…
La réalité est toute autre. Puisque Pacs et mariage ne sont pas identiques, il ne faut pas laisser aux partenaires la possibilité de détricoter le mariage pour ne choisir que ce qui leur convient (la liberté d’organisation patrimoniale) et délaisser ce qui leur déplait (l’obligation de fidélité). Les partenaires ne peuvent donc pas se soumettre à un régime de participation aux acquêts ou de communauté, ni même adjoindre une société d’acquêts à leur régime séparatiste. Tout emprunt aux règles communautaires est proscrit car l’indivision d’acquêts, quoique ressemblante à la communauté de biens, s’en distingue très nettement par sa nature. Cela se se traduit concrètement à deux égards.
La différence concerne en premier lieu le passif, qui obéit au droit commun de l’indivision et non au droit spécial de la communauté. Il convient d’opérer une distinction entre le créancier de l’indivision (dont la créance est en lien avec un bien indivis et qui peut poursuivre son paiement sur les biens de l’indivision d’acquêts) et, d’autre part, le créancier de l’indivisaire (qui détient une créance sans lien avec un bien indivis et qui ne peut donc que provoquer le partage de l’indivision au nom de son débiteur avant d’exercer un acte de poursuite sur un bien qui lui serait attribué dans le cadre du partage). Et puisqu’il n’existe aucune « décorrelation » entre le passif définitif et le passif provisoire, la même logique gouverne la contribution à la dette. Ainsi les dettes ne sont-elles pas « mutualisées » : l’indivision d’acquêts ne supporte que les dettes qui se rattachent à un bien indivis selon un critère qui est donc purement matériel et non temporel comme l’est le passif définitif en communauté.
La différence entre la communauté d’acquêts et l’indivision d’acquêts se situe en second lieu dans le droit au partage : l’indivision d’acquêts est avant tout une indivision. Les partenaires ne sont donc pas tenus d’y demeurer et peuvent demander le partage à tout moment, donc dissoudre la masse tout en restant soumis au régime d’indivision : autrement dit, repartir de zéro. Une telle possibilité n’existe pas pour les époux qui ne peuvent dissoudre la masse commune sans sortir du régime de communauté.
Ces différences distinguent nettement la communauté d’acquêts et l’indivision d’acquêts malgré leurs points communs. L’intention du législateur n’a jamais été d’autoriser les partenaires de Pacs à se soumettre à une communauté de biens, qu’il réserve exclusivement aux époux.
3. Pas d’extension de la propriété collective
Parce qu’ils ne disposent pas, par principe, d’une liberté contractuelle semblable à celle des époux, toute extension de propriété collective est impossible pour les partenaires de Pacs. Il faut concevoir l’indivision d’acquêts comme un degré d’association maximal, un plafond qui ne saurait être dépassé. Les partenaires ne peuvent donc pas aller « au-delà » de l’indivision d’acquêts, en créant par exemple des indivisions de meubles et acquêts ou des indivisions universelles.
Toute mise en indivision de biens à venir par dérogation aux dispositions de l’article 515-5-2 du Code civil paraît pour l’heure impossible car attentatoire à l’équilibre de la hiérarchie des couples. Il est donc interdit d’intégrer des deniers à l’indivision d’acquêts. Le 1° de l’article 515-5-2 du Code civil prévoit que demeurent la propriété personnelle des partenaires les deniers perçus « à quelque titre que ce soit » postérieurement à la conclusion du pacte et non employés à l’acquisition d’un bien. Placer des deniers en indivision d’acquêts reviendrait à étendre la propriété collective.
Il est également impossible de stipuler une association patrimoniale passive supérieure à celle qu’autorise le droit commun de l’indivision. On ne peut placer en indivision d’acquêts des dettes, présentes ou futures, qui ne se rattachent pas à la conservation, la gestion ou à l’acquisition d’un bien indivis. Autrement dit, il est impossible stipuler par contrat une règle équivalente à celle de l’article 1409 du Code civil.
Il est également inconcevable d’intégrer la règle de la part majoritaire en cas de subrogation réelle par déclaration d’emploi. La règle major pars, bien connue en communauté légale, permet d’éviter un fractionnement dans la qualification et le régime juridique d’un bien qui a été financé par plusieurs masses : il ne sera pas « en partie propre » et « en partie commun » mais « totalement propre » ou « totalement commun » selon que la masse propre ou commune a financé en majorité l’acquisition (la masse qui a financé moins n’aura droit qu’à récompense).
Or, ce système n’existe pas en indivision d’acquêts. Les 4° et 5° de l’article 515-5-2 du Code civil prévoient que restent personnels les « biens ou portions de biens » acquis au moyen de deniers dont un partenaire était propriétaire avant l’entrée en vigueur du régime ou reçus depuis par donation ou succession. Nous verrons qu’il est tout de même possible de préciser les conséquences de cette règle étrange. Mais en aucun cas il n’est loisible aux partenaires de se soumettre, dans un contrat de Pacs, à la règle de la part majoritaire. Cela pourrait avoir pour effet d’augmenter l’association patrimoniale en rendant indivis pour moitié un bien qui aurait pu en partie être considéré comme un bien personnel.
Une autre limite est constituée par le dernier alinéa de l’article 515-5-2 Code civil. Avec les deniers dont ils étaient propriétaires avant l’entrée en vigueur du régime et ceux qu’ils acquièrent pendant le régime par donation ou succession, les partenaires peuvent réaliser des acquisitions avec déclaration d’emploi afin que le bien reste leur propriété personnelle. A défaut d’une telle déclaration, ils disposent tout de même d’un droit à remboursement sous forme de créance entre partenaires. En raisonnant par analogie avec les récompenses, il est possible de percevoir ce remboursement comme étant du par l’intermédiaire de la masse indivise. Dès lors, le droit acquis au titre du dernier alinéa de l’article 515-5-2 constitue une créance pour un indivisaire et une dette pour l’indivision. Cette règle, qui permet d’assurer l’équilibre des masses et de limiter l’enrichissement de l’indivision d’acquêts, ne peut être écartée par contrat puisque cela reviendrait à supprimer une charge de l’indivision et donc à augmenter l’association patrimoniale des partenaires via la masse indivise. Ainsi les partenaires ne peuvent-ils stipuler dans leur charte patrimoniale qu’un tel remboursement ne sera jamais dû.
A la réflexion, le constat de l’impossible paraît bien triste : les partenaires ne pourraient pas faire grand-chose… Mais en vérité, la liberté contractuelle existe et l’analyse de ses contours révèle de précieuses opportunités d’organisation patrimoniale.
II. Le possible
Il se dit parfois que le critère du possible se situe dans ce que le législateur aurait oublié de préciser dans la loi : les partenaires pourraient compléter par le contrat ce que la loi a simplement oublié de préciser. Cette logique se retrouve souvent en doctrine à propos des biens reçus à titre gratuit sous l’empire du régime d’indivision d’acquêts. En communauté légale de tels biens sont dits propres par leur origine, mais rien de tel n’est prévu en indivision d’acquêts. Il faut en conclure que les biens reçus à titre gratuit font partie de l’indivision d’acquêts. Certains auteurs estiment cependant qu’il ne s’agit là que d’un oubli regrettable et qu’il est donc possible de prévoir, dans la convention de Pacs, que ces biens resteront la propriété personnelle des partenaires.
En plus d’être présomptueux (comment distinguer ce qui relève de l’oubli et de l’intention sans se prendre pour le législateur lui-même?), ce critère paraît bien trop flou pour être praticable. Un autre critère, matériel, est bien plus efficace : en prenant l’indivision d’acquêts pour point de repère, les partenaires ne peuvent pas moduler à la hausse leur association patrimoniale. Cela paraît simple et plutôt sévère. Mais ce critère doit être précisé car il n’exclut pas tout. Il signifie trois choses : d’abord, que l’on peut organiser l’association patrimoniale sans l’augmenter ni la baisser ; ensuite que l’on peut diminuer l’association patrimoniale des partenaires ; enfin, et de manière plus surprenante, qu’il est parfois possible d’augmenter l’association patrimoniale par rapport à l’indivision d’acquêts… mais pas n’importe comment !
2. Organiser l’association patrimoniale sans l’augmenter ni la diminuer
Les partenaires peuvent, dans une certaine mesure, encadrer leur association patrimoniale sans modifier son intensité. Il ne s’agira pas ici d’opérer une transmission patrimoniale mais de raisonner « à degré d’association patrimoniale égale ».
Les partenaires peuvent ainsi préciser les conséquences du rejet de la major pars par l’article 515-5-2 du Code civil déjà évoqué. Les termes « portions de biens » utilisés au 4° et 5° de ce texte indiquent qu’il faut pondérer la qualification en fonction du financement, donc, en théorie, qu’un même bien pourrait être « un peu personnel » et « un peu indivis pour moitié » s’il a été financé en partie seulement par des deniers pour lesquels il a été fait une déclaration d’emploi. Cela semble impraticable. Mieux vaut prévoir, dans la convention de Pacs, que le bien concerné par cette opération sera totalement indivis mais que les quotes-parts des partenaires dépendront des proportions de financement du bien.
Prenons un exemple pour illustrer ce propos. Michel et Nicolas se pacsent en indivision d’acquêts, puis font l’acquisition d’un bien immobilier d’une valeur de 200.000€, financé à hauteur de 50.000€ par une donation reçue par Michel (avec déclaration d’emploi), et 150.000€ au moyen d’un emprunt. En indivision d’acquêts, il faudrait en théorie retenir que ¼ du bien est personnel à Michel et les trois quarts restants sont indivis… pour moitié ! Au contraire, grâce à l’aménagement évoqué, le bien sera juridiquement indivis en totalité et les quotes-parts de chaque indivisaire seront proportionnelles aux apports (ce qui ne modifie pas en valeur l’équilibre voulu par le texte). Il faudra ainsi considérer que Nicolas dispose sur le bien d’une quote-part de ½ x 150.000/200.000 = 75.000/200.000 = 3/8e. Michel quant à lui dispose d’une quote part de (½ x 150.000/200.000) + (50.000/200.000) = 125.000/ 200.000 = 5/8e.
Une autre possibilité d’organisation « à degré d’association patrimoniale égale » repose dans l’aménagement des règles de pouvoir quant à la gestion des biens. L’article 515-5-3 du Code civil est très explicite : chaque partenaire est gérant de l’indivision « à défaut de dispositions contraires dans la convention ». Les partenaires peuvent donc conclure une convention relative à l’exercice de leurs droits indivis dans les conditions prévues aux articles 1873-1 à 1873-15 du Code civil. Il est donc possible de nommer un seul partenaire gérant de l’indivision : il exercera alors les pouvoirs d’un époux commun en bien. Rappelons qu’une telle possibilité n’existe pas entre époux, qui sont soumis à un principe d’ordre public d’égalité dans la répartition des règles de gestion des biens.
Par ailleurs, rien ne semble interdire l’inclusion, dans la masse de l’indivision d’acquêts, de biens présents qui étaient déjà en indivision (de droit commun) entre les parties : il n’y aurait là aucun accroissement du principe participatif, mais une salutaire mesure simplificatrice qui éviterait la coexistence de deux indivisions soumises chacune à un régime spécifique.
Les clauses probatoires sont aussi envisageables : les clauses d’inventaires, par exemple, mais aussi une clause qui établirait, en indivision d’acquêts, une présomption simple d’indivision. Une telle clause est d’ailleurs fortement recommandée car il n’est pas certain qu’une telle présomption existe légalement en indivision d’acquêts. Certes, l’article 515-5-1 du Code civil prévoit que les biens acquis sous l’empire du régime sont « réputés indivis par moitié ». Mais il s’agit là d’une règle de qualification et non de preuve : ce texte joue le rôle de l’article 1401 du Code civil en communauté mais pas celui de l’article 1402 du même code.
2. Diminuer l’association patrimoniale
La logique est implacable : qui peut le plus peut le moins ! Si les partenaires peuvent se soumettre à l’indivision d’acquêts ou préférer une séparation, il faut en conclure qu’ils peuvent choisir un niveau intermédiaire d’association patrimoniale. On ne saurait leur reprocher d’aménager l’indivision d’acquêts pour tendre vers la séparation qui n’est rien de moins que leur régime légal. L’exclusion de l’indivision pourra se faire en nature ou en valeur.
En nature, les clauses d’exclusions de certains biens de l’indivision d’acquêts sont possibles. Certaines sont même très conseillées. C’est le cas de l’exclusion des biens reçus à titre gratuit sous l’empire du régime, déjà évoquées (c’est une précaution indispensable à laquelle il faut bien veiller). Est aussi conseillée la clause d’exclusion de l’indivision de tout accessoire de bien personnel. En effet la catégorie des « biens propres par accessoires » connue en communauté d’acquêts n’existe pas en indivision : le 2° de l’article 515-5-2 du Code civil n’évoque que les accessoires des « biens créés ».
Il est aussi possible d’étendre le système de l’accroissement de valeurs personnelles : actuellement le 6° de l’article 515-5-2 du Code civil ne le prévoit que pour les indivisions successorales ou procédant de donations ; rien n’est dit des parts sociales et des autres « sources » d’indivision.
Il est également envisageable d’étendre les hypothèses de subrogation, notamment la subrogation directe. Rien n’est dit de l’échange en indivision d’acquêts ; échanger un bien personnel contre un autre bien rendrait donc ce dernier indivis par moitié en application du principe… sauf aménagement contraire. Il est aussi possible d’étendre les hypothèses de subrogations indirectes, c’est-à-dire les cas d’emploi ou de remploi. L’article 515-5-2 du Code civil évoque seulement la possibilité d’une déclaration d’emploi sur les deniers que les partenaires reçoivent à titre gratuit sous l’empire du régime ou dont ils étaient propriétaires avant son entrée en vigueur. Mais rien n’interdit de multiplier dans le contrat de Pacs les hypothèses d’emploi et remploi : cela ne reviendrait qu’à diminuer l’association patrimoniale du couple.
L’association patrimoniale peut aussi être diminuée en valeur. L’on sait qu’en indivision d’acquêts, les biens acquis sous l’empire du régime sont indivis par moitié, et surtout sans recours au titre d’une contribution inégale. Autrement dit, il n’existe pas de droit à « récompense » même si une masse de biens personnels a financé un bien indivis. Peut-on contractuellement modifier ce système et prévoir que le partenaire qui a financé plus de la moitié du bien indivis pourra prétendre à un remboursement ? Rien ne semble s’y opposer. Les partenaires ne feraient ainsi que diminuer en valeur leur association patrimoniale par rapport au régime conventionnel de référence. Cette stipulation n’est pourtant pas sans risque. Si elle était énoncée de manière trop générale (sous forme d’une exclusion de principe de la dispense de remboursement), elle aboutirait à dénaturer totalement le système d’indivision d’acquêts. La conséquence ne pourrait être alors qu’une requalification de l’indivision d’acquêts en indivision ordinaire. Le montage serait sauf. Nulle crainte d’y voir une libéralité car, au contraire, il s’agit d’éviter un transfert sui generis et de rétablir un équilibre.
3. Parfois, augmenter l’association patrimoniale
Il n’est pas totalement impossible de moduler l’association patrimoniale à la hausse par rapport à l’indivision d’acquêts. Quelques aménagements sont possibles, quoique rares.
Il est par exemple envisageable d’aménager la contribution aux charges de la vie courante (dénommée « aide matérielle » à l’article 515-5 du Code civil). De tels aménagements sont fréquents entre époux séparés de biens, ce qui aggrave la tendance jurisprudentielle à « communautariser » le régime séparatiste. Ce qui est vrai pour les époux est aussi vrai pour les partenaires. Il est ainsi envisageable d’augmenter l’association patrimoniale en modulant la contribution aux charges de la vie courante et en stipulant des clauses de « présomption de contribution au jour-le-jour ».
Il est aussi possible pour les partenaires de recourir à la liberté contractuelle de droit commun pour intensifier leur association patrimoniale. Ils peuvent notamment recourir au droit commun « en dehors » du régime partenarial, c’est-à-dire passer des conventions qui n’ont pas pour but d’aménager le régime partenarial mais qui auront un impact sur la propriété des biens. Les partenaires peuvent passer au moins autant de conventions que les concubins, et peut-être même peuvent-ils passer plus de conventions que les époux, car ils ne sont pas soumis à un principe d’immutabilité tempérée (ou de mutabilité contrôlée) de leur charte patrimoniale. Ils peuvent donc, en théorie, passer ensemble des contrats qui auraient pour effet d’altérer l’économie de leur régime partenarial : tontines, sociétés, donations, ventes, legs, assurances-vie, etc.
Les partenaires peuvent aussi sans doute recourir au droit commun « dans » le régime partenarial, c’est-à-dire aménager leur régime partenarial en se prévalant notamment du droit commun de l’indivision. Par exemple, l’article 1873-13 du Code civil les autorise à stipuler des clauses permettant au survivant d’acquérir la quote-part du prédécédé à charge d’en tenir compte à la succession (une sorte de clause commerciale). Rien ne leur interdit non-plus d’aménager les règles de calcul des créances entre partenaires ou indivisaires.
Mais surtout, ils peuvent utiliser le droit commun de l’indivision pour nourrir une indivision d’acquêts. Sous ce régime, tous les deniers sont en principe personnels à l’un ou l’autre des partenaires. Cela pose difficulté pour les fruits et revenus des biens indivis, qui sont personnels alors même qu’ils devraient être indivis conformément au droit commun de l’indivision (article 815-10 alinéa 2 du Code civil : « les fruits et revenus des biens indivis accroissent à l’indivision »). La même difficulté se retrouve à propos du produit de la vente d’un bien indivis, qui demeure personnel selon l’indivision d’acquêts, mais qui aurait dû être indivis en application du droit commun de l’indivision (article 815-10 du Code civil : « sont de plein-droit indivis, par l’effet d’une subrogation réelle, les créances et indemnités qui remplacent les biens indivis »).
Il semble dès lors tout à fait possible de préciser, dans la convention de Pacs, que malgré l’exception prévue au 1° de l’article 515-5-2 du Code civil, les fruits et revenus des biens indivis ainsi que le produit de la vente d’un bien indivis seront indivis. Il ne s’agit là que de se conformer à une indivision ordinaire ; ces mécanismes ne sont qu’un emprunt au droit commun de l’indivision.
Dans le même ordre d’idées, il est souvent expliqué que les partenaires ne peuvent faire d’apport à une indivision d’acquêts. Ce n’est pas tout à fait exact. Certes, ils ne peuvent faire d’apport à l’indivision comme des époux font un apport à une communauté (donc sans droit à récompense) mais ils peuvent, conformément au droit commun, réaliser des acquisitions indivises à condition de réserver un droit à créance lorsque le bien a été financé pour plus de la moitié de sa valeur par un seul des deux partenaires. L’apport peut aussi prendre la forme d’une vente d’une partie d’un bien, ou encore d’une donation. Il est ainsi possible, par le biais de la liberté contractuelle de droit commun, de nourrir l’indivision d’acquêts de tout ce dont elle est appauvrie par principe : les biens possédés avant l’entrée en vigueur du régime, les biens créés, et même les biens personnels « par nature ».
Par ailleurs, il semble tout à fait envisageable de renoncer au droit à remboursement tiré des 4° et 5° de l’article 515-5-2 du Code civil, qui n’est nullement impératif. Mais si la nullité de cette renonciation n’est pas sérieusement encourue, son efficacité demeurera entravée par le risque d’une requalification en donation qui imposera la limite de la quotité disponible ordinaire.
En définitive, il ne faut pas, en pratique, renoncer au Pacs et surtout pas à l’indivision d’acquêts sous le seul prétexte que les règles d’organisation patrimoniales sont floues. Le brouillard peut être percé, et la voie peut être dégagée pour offrir de belles perspectives à la stratégie patrimoniale.
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