Section II
Les obligations spéciales
§ 49. Concession d’entreprise publique
(154) La concession (Verleihung) est un acte administratif par lequel pouvoir est donné à un individu sur une portion d’administration publique ; comp. t. III, § 39, p. 247 et s.
Dans la concession d’entreprise publique, il ne s’agit pas de constituer un droit réel sur une chose corporelle dans le sens du paragraphe auquel nous venons de renvoyer ; il s’agit, comme dans la fonction déférée (Comp. le § 42, II ci-dessus, p. 6 et s.), du pouvoir d’exercer une certaine activité. Cette activité ne doit pas, comme dans la fonction, s’exercer au nom et en représentation de l’Etat ; elle s’exercera, comme la jouissance spéciale concédée sur une chose publique, au nom du concessionnaire et pour son propre compte.
Ainsi, la concession présente une certaine ressemblance avec la permission de police de l’industrie. Dans cette dernière, il s’agit aussi d’une activité que l’individu va exercer en son nom et pour son compte, mais d’une activité qui, par sa nature, pourrait être exercée en vertu de la liberté naturelle ; la permission ne fait qu’écarter un obstacle opposé par la défense que la police avait établie dans la forme d’une règle de droit. La concession d’entreprise publique, au contraire, confère au concessionnaire quelque chose qui n’est (155) pas censé être compris dans la liberté naturelle, un pouvoir d’agir dérivé de l’Etat1.
A cet égard, la situation du concessionnaire présente la plus grande affinité matérielle avec celle d’un corps d’administration propre. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit de l’activité d’une personne autre que l’Etat, qui est cependant considérée comme administration publique ; dans l’un et l’autre cas, cette portion d’administration publique est exercée par la personne qui en est investie, en son nom et pour son propre compte ; les règles qui en résultent pour les rapports extérieurs, pour le droit de surveillance de l’Etat, etc., manifestent une conformité prononcée. La différence, c’est que cet autre sujet du droit, par son origine et en vertu de sa qualité de personne morale du droit public, existe pour que son activité soit de l’administration (156) publique (Comp. § 55, II ci-dessous), tandis que ici ce sujet est investi de la faculté de gérer une portion d’administration publique, comme d’un accessoire et par un acte spécial qui la lui défère, la concession2.
I. — La sphère d’application de notre institution ne comprend donc que des activités qui, telles qu’elles sont, ne seraient pas accessibles à l’individu, par leur nature même et abstraction faite d’une défense spéciale ; la concession seule la rend possible.
Cela saute aux yeux, quand l’Etat a créé lui-même une certaine entreprise comme lui appartenant et destinée aux intérêts publics qu’il poursuit, et puis l’abandonne, telle quelle, à une personne privée pour que celle-ci la gère et l’administre selon la destination qui lui est donnée, mais en son propre nom. Exemple : la Banque de l’Empire3.
De même, certaines entreprises sont refusées aux individus par leur nature, parce qu’elles ne peuvent être effectuées qu’au moyen de charges à imposer librement à d’autres ; c’est la concession qui seule les rend possibles en les reconnaissant comme faisant partie de l’administration publique, même entre les mains de cette personne privée, et en les investissant, par conséquent, de la force de la puissance publique. Exemple : les entreprises de dessèchement s’exécutant avec une certaine contrainte contre les propriétaires intéressés4.
(157) D’autres entreprises pourraient être placées par les particuliers, de leur propre initiative, à côté des entreprises semblables dirigées par l’Etat ; il n’y aurait pas alors une véritable entreprise publique ; mais, quant à l’effet matériel, ce pourrait être presque la même chose. La concession n’aura donc ici une sphère réservée que dans le cas où la liberté d’action des particuliers est exclue au profit d’un monopole du pouvoir public. L’exemple le plus important est fourni par les chemins de communication publics, ils forment en même temps le cas principal d’application de toute notre institution.
Voici ce qui ce passe pour ces chemins. Admettons pour un instant qu’une route soit une simple entreprise privée. Il y aurait d’abord cette difficulté que souvent la construction n’en pourrait pas avoir lieu sans expropriation ; or, l’expropriation ne serait pas possible (Comp. t. III, 33, II, no 2, p. 18 et s). Mais il peut y avoir des circonstances où la route pourrait être construite sans expropriation. En règle, on pourrait aussi renoncer aux autres avantages dont jouissent les travaux publics. Même à la rigueur, une sorte de perception de péage pourrait être établie avec les moyens de l’entreprise privée. Mais jamais il n’y aurait là une route publique. La communication que le propriétaire permettrait ne serait pas un usage de tous ; le corps de la route ne serait pas une chose publique ; et toutes les règles et garanties particulières dont le droit public entoure les chemins publics ne seraient pas applicables. La route ne serait qu’une imitation (158) fragile, ayant une existence précaire et exposée à l’arbitraire de la disposition privée.
Malgré tout, il n’y aurait cependant pas encore d’impossibilité juridique à construire, à défaut d’une concession, une pareille route publique ainsi contrefaite et de l’abandonner à la communication publique. Mais il y a ceci de particulier, que nous devons maintenant constater : c’est qu’une pareille imitation, d’après le droit existant, n’est pas possible.
Il faut distinguer les chemins privés, destinés seulement à faciliter l’accès de certains immeubles, et les chemins ayant une destination plus large, les véritables chemins de communication ; ce n’est que pour ces derniers que la défense existe. On ne peut pas l’expliquer en disant qu’elle émane des pouvoirs généraux de la police. La construction d’une route de cette espèce ne saurait, en principe, être considérée comme un trouble apporté au bon ordre de la chose publique (Comp. t. II, p. 25, note 8). Il s’agit plutôt d’un intérêt de la gestion des services publics : il importe que le régime des chemins soit concentré dans la main de la puissance publique ; celle-ci doit pouvoir diriger les communications d’après un certain système ; elle ne doit pas être contrecarrée par une concurrence quelconque.
Cette prohibition a toujours été reconnue comme faisant partie de notre droit existant. Autrefois, elle avait la forme d’une régale ; le droit exclusif de construire des routes était un de ces droits de supériorité qui étaient censés être l’apanage des princes. Aujourd’hui, la possibilité d’avoir un chemin ouvert à la communication publique n’est pas considérée comme étant comprise dans la liberté individuelle que la Constitution a mise sous la protection de la loi. Dès lors, on peut en être empêché par le gouvernement avec les moyens de contrainte dont celui-ci dispose. Il n’y (159) a pas besoin, pour cela, d’une loi positive. Qu’on appelle cela une règle du droit de la nature ou un droit coutumier, peu importe. Nous ne ferons pas d’objection non plus si l’on veut encore parler ici d’un droit régalien existant au profit de l’Etat sur les chemins5.
Les mêmes principes ont été appliqués ensuite à d’autres moyens de communication qui doivent être considérés comme des accessoires ou des continuations du chemin public, tels que ponts et bacs publics ; de même, les voies navigables artificielles, les canaux publics. Tout cela ne peut être entrepris par un particulier qu’en vertu d’une concession qui, n’étant pas une simple permission, donne en même temps à cette entreprise le caractère du droit public. ((La concession des ponts et des bacs a été réglée en Prusse par l’Ord. de cabinet du 21 juillet 1809 ; v. Rönne, l. c., p. 179. — En Bavière, le Canal du Danube au Main avait été originairement concédé à une société par actions pour le construire et l’administrer (Loi Bav. du 1er juillet 1834) : ce n’est qu’après coup que l’Etat l’a acquis. — La concession d’entreprises de bacs a pour base juridique, en Prusse, le § 51 de A. L. R., II, 15, où l’exercice de cette industrie est déclaré une régale ; comp. O. Tr., 6 mai 1863 (Str. 48 p. 333) ; O. Tr., 6 janv. 1879 (Str. 100, p. 369). La loi Bav. sur les cours d’eaux du 28 mai 1852, § 16 et 17, fait dépendre la construction de ponts et de bacs sur les fleuves publics d’un « consentement » de l’autorité administrative du cercle. Pözl, Wasserges., p. 77, maintient cette réserve d’une concession, malgré Gew. O., § 1, attendu que cette liberté industrielle, d’après Gew. O., § 6, ne doit pas s’appliquer « au pouvoir d’exploiter des bacs publics ». Bacs publics et bacs sur des fleuves publics, ce n’est pas la même chose, il est vrai ; cependant, il nous semble que la loi Bav. de 1852 a dû viser ces deux éléments réunis.))
(160) Toutefois, là où notre institution a joué le rôle le plus important, ce sont les chemins de fer. Le chemin de fer, dès sa première apparition et avant toute réserve expresse par une loi, a été considéré comme une entreprise qu’un individu ou — ce qui est ici toujours la règle — une société par actions ne peut exécuter et exploiter qu’en vertu d’une concession de l’Etat. La nécessité de l’expropriation n’en fournissait qu’un motif extérieur. Ce qui était décisif, c’est que le chemin de fer, dès le commencement, a été rangé dans la catégorie des chemins de communication qui doivent emprunter leur droit à l’Etat et qu’il est défendu d’imiter6. Par conséquent, pour les chemins de fer aussi, on a établi tout de suite la distinction fondamentale qui existe pour les chemins ordinaires : c’est seulement le chemin de fer public, c’est-à-dire affecté à la communication publique, qui tombe sous la régale. Des lignes d’embranchement pour rejoindre une mine, une usine, des chemins de fer existant dans l’intérieur d’une propriété rurale, d’un établissement industriel, destinés exclusivement aux buts de ces entreprises, n’y appartiennent pas, pas plus que les chemins privés. S’il est besoin ici d’une permission de l’autorité pour couper des chemins existants ou pour parer aux dangers spéciaux que ces moyens de transport pourront présenter, cela a un caractère (161) tout autre que la concession d’entreprise ; la concession s’applique exclusivement aux chemins de fer publics7.
C’est à propos de la concession de chemin de fer que la doctrine moderne a développé de préférence les détails de l’institution ; c’est elle que nous viserons en première ligne dans l’exposé que nous allons faire.
La liste des entreprises publiques pouvant faire l’objet de concession n’est pas close avec celles que nous venons d’énumérer. Avant tout, nous devons encore mentionner une application spéciale faite par une législation récente de l’Empire. La loi du 6 avril 1892 réserve à l’Empire le droit exclusif des établissements télégraphiques. C’est la même idée de concentration du service dans l’intérêt public, que celle qui a amené le monopole de la poste et la régale des chemins. Ni ce monopole ni cette régale ne s’appliquent directement au télégraphe ; il a fallu une loi. L’Empire administre ses télégraphes d’après les règles des services publics. Mais la loi prévoit aussi le cas de (162) concessions qui pourront en être faites par l’Empire à des entrepreneurs privés. Dans ce cas, le télégraphe garde son caractère d’entreprise publique, et tous les rapports de l’entrepreneur se règlent d’après les principes généraux de la concession8.
II. — L’acte, par lequel est créé le rapport juridique, a subi, dans le courant du développement historique, des appréciations différentes.
Dans l’ancien droit, il s’agit d’investir une personne de régales appartenant au prince, de droits de péage, droits de bac, ou de doter une entreprise quelconque d’un droit spécial dérivé de la plénitude des droits de supériorité du prince. Tout cela est embrassé par le terme générique de privilegium9.
Il est conforme à la nature du régime de la police, de distinguer les deux côtés différents de l’acte. En tant qu’il s’agit de l’exercice ou de la délégation du pouvoir de l’autorité publique, la concession est un acte du droit public. Tout le reste — imposition de charges pécuniaires devant être supportées par l’entrepreneur ou promesses faites à celui-ci — tout cela appartient, par nature, au droit civil et se présente comme le contenu d’un contrat10.
Le nouvel ordre de choses dans l’Etat constitutionnel et régi par le droit a reçu ainsi du passé une série d’opinions invétérées qui ne facilitent guère la juste appréciation de l’acte. Ce qui augmente la difficulté, (163) c’est que l’application la plus importante — la concession de chemin de fer — y mêle d’ordinaire toute sorte de dispositions hétérogènes. Il s’agit toujours de sociétés par actions qui, jusqu’en 1870, avaient besoin, pour se former, d’une autorisation spéciale du gouvernement. Ces sociétés demandaient souvent des faveurs spéciales pour se charger de cette entreprise utile : immunités, subventions, garanties d’intérêts ; avant tout, le droit exclusif pour certaines lignes jouait un grand rôle. D’un autre côté, on stipulait des droits de retour ; on imposait des obligations de fournir un cautionnement. En règle, on joignait aussi à l’acte de concession le premier acte de l’expropriation à faire au profit de cette entreprise, la reconnaissance du cas d’expropriation (Comp. t. III, § 33, II, no 2, p. 23) ; on parle alors d’une concession du droit d’exproprier. La première chose à faire, c’est de détacher de tout cela ce qui est essentiel pour la concession d’entreprise publique11.
Mais sur le caractère juridique de ce résidu même, une grande divergence d’opinions s’est fait jour, toutes les fois qu’à l’occasion d’une contestation entre l’Etat et les compagnies de chemins de fer, il a fallu recourir à ces idées fondamentales12.
(164) Nous trouvons trois systèmes. Pour tous, la difficulté à expliquer est la suivante : comment d’un acte de droit public émanant de la puissance d’Etat peuvent naître des droits pour les sujets13 ?
La première opinion écarte cette difficulté en niant la nature droit public de la concession de chemin de fer. La concession, d’après elle, est un contrat de droit privé que l’Etat conclut avec l’entrepreneur ; des créances réciproques en découlent comme de toute autre convention14. D’ailleurs, il est des auteurs qui ne se dissimulent pas que dans l’admission de l’entreprise publique il doit cependant y avoir eu autre chose que du pur droit civil ; ce sont surtout l’expropriation et l’exercice de la police du chemin de fer qui ont fait réfléchir. Il s’est donc formé une doctrine du contrat civil, qui voudrait faire une transaction (165) et scinder l’acte de concession en deux : l’acte de concession proprement dit, par lequel sont conférés les pouvoirs de droit public, et l’acte de concession au sens large, comprenant toutes les autres conditions et se présentant comme un contrat de droit privé15. Mais tout ceci n’est pas autre chose que la manière de voir propre au système du régime de la police. Inutile d’en faire la réfutation.
La seconde opinion suit un système tout opposé. La concession de chemin de fer, affirme-t-on, est un acte de droit public, un acte de supériorité ; par conséquent, il ne peut pas en découler des droits de l’entrepreneur contre l’Etat. L’Etat, en particulier, pourra, à tout moment, restreindre ou révoquer ce qu’il a accordé, et cela sans indemnité : qui jure suo utitur, neminem laedit16. Ici l’appréciation théorique de l’acte est juste ; mais la conséquence qu’on veut en tirer ne se comprend encore que par la manière de voir qui est propre au régime de la police ; dans ce (166) régime, droit public signifie la même chose que la négation complète de tout droit individuel pouvant appartenir aux sujets.
La troisième opinion, — dominante aujourd’hui, — tout en maintenant le caractère droit public de l’acte de concession, admet cependant que, par cet acte, pourront être constitués non seulement des devoirs, mais aussi des droits pour le sujet, c’est-à-dire pour le concessionnaire. Mais d’ordinaire on continue à chercher, en faveur de ce résultat, — spécialement pour la naissance de droits du concessionnaire — une justification spéciale. A cet effet, on explique la concession comme un acte de législation, une loi spéciale, un privilegium17. Mais les concessions ne sont accordées que très rarement en forme de loi ; voudrait-on, pour sauver le nom de la loi, dire que la concession est une loi dans le sens matériel, c’est-à-dire une règle de droit, on ferait preuve par là d’une ignorance complète de ce qu’est une règle de droit18. D’autres ont cru rendre la chose plausible, en déclarant que l’acte lui-même a bien la nature droit public, mais que ces effets sont mixtes, en partie droit public, en partie droit civil ; et, à ce dernier point de vue, l’acte pourra produire des droits de personnes privées. C’est encore l’idée fausse que tous les droits de personnes privées (167) contre l’Etat doivent nécessairement appartenir au droit privé ou civil19.
Tous ces efforts, tous ces détours ne servent qu’à embrouiller les choses les plus simples ; elles s’expliquent par le fait qu’on n’a pas encore une idée assez claire et précise de l’acte administratif20. Pour nous, la concession est un acte administratif, spécialement une disposition déterminant discrétionnairement ce qui doit être de droit dans le cas individuel (Comp. t. Ier, p. 120, p. 127). C’est un acte juridique du droit public. La possibilité pour cet acte de créer des droits et des devoirs va de soi, — du moins dans le système de l’Etat régi par le droit que nous nous flattons de posséder.
III. — Les principes généraux qui régissent l’acte (168) administratif s’appliquent à la concession, conformément au contenu spécial qui lui est propre.
1) Il faut que celui de qui émane la concession soit compétent pour faire cet acte. En d’autres termes, ce doit être une autorité pouvant disposer de l’entreprise à concéder. Le pouvoir de disposer, à défaut de prescriptions spéciales, appartient exclusivement à celui qui représente la personne morale de droit public dont l’entreprise dépend par sa nature : les chemins de fer et les grandes routes sont concédés par l’autorité suprême de l’Etat, les chemins locaux par l’autorité communale. S’agit-il de joindre à l’entreprise l’exercice de certains pouvoirs, tels que la perception de taxes, l’ordre de police ou la contrainte de police, d’une manière générale, l’exercice d’une atteinte à la liberté et la propriété — laquelle a besoin d’un fondement légal, — cette délégation aura elle-même besoin d’une autorisation par la loi ; ou bien il faut que la concession se fasse par un acte individuel de la loi ; cette loi aura alors la nature d’un acte administratif.
2) Pour créer des droits au profit du concessionnaire, ce pouvoir de disposer suffit ; mais pour lui imposer des obligations, il faudrait encore une autorisation par la loi ou la forme d’un acte individuel de la loi. Mais cela est remplacé encore ici par la soumission volontaire de l’intéressé, résultant de sa demande ou de l’acceptation de la concession (Comp. t. 1er, p. 123). La concession est un acte administratif sur soumission, tout comme la nomination pour le service de l’Etat (comp. § 44, I ci-dessus, p. 44 et s.) ; ce n’est pas plus un contrat que la nomination. Les pourparlers qui précèdent fixent les conditions et la mesure de cette soumission : ils déterminent ainsi le contenu exact de l’acte administratif qui est rendu possible par cette (169) soumission21. L’effet est produit exclusivement par l’acte administratif.
3) L’effet de l’acte administratif se produit, comme toujours, par la notification faite à l’entrepreneur ; en règle, cela aura lieu par la remise d’un titre de concession.
Pour des ponts, des bacs, des chemins locaux, cela peut suffire. Mais pour des entreprises plus importantes, telles que chemins de fer, canaux de navigation, il conviendra d’avertir le public qu’une nouvelle entreprise publique va entrer en action, et qu’on devra considérer l’activité de l’entrepreneur sous ce point de vue. Il y aura lieu à des publications. La loi peut prescrire que la concession n’aura d’effet vis-à-vis des tiers que moyennant ces publications22. Mais cette condition ne s’entend pas d’elle-même.
La chose prendra une forme particulière quand la personne chargée de l’entreprise est spécialement créée par un acte de la puissance publique. Alors la concession et la création du sujet de droit se confondent dans un seul acte ; une notification à ce dernier sujet n’a pas lieu ; il naît investi de la concession. C’est seulement pour avertir les tiers et pour produire effet (170) vis-à-vis des tiers qu’une publication est faite23.
- Comp. t. II, § 21, note 1 p. 57, sur l’abus très répandu d’appeler « concession » la permission de police de l’industrie. Cette confusion a moins d’inconvénients pour la permission de police que pour notre institution, dont on efface certains éléments essentiels afin de maintenir la prétendue conformité. On en trouve un exemple dans le procès de la Compagnie du chemin de fer de l’Ouest Suisse contre la Confédération, au sujet d’une injonction qui lui avait été faite (Comp. § 50 note 5 ci-dessous). Le Conseil fédéral, dans sa dépêche du 16 juin 1871, a défini comme suit le caractère juridique de la concession de chemin de fer : « Les concessions sont des actes de souveraineté. L’Etat ne pactise pas avec la société du chemin de fer sur l’exercice de sa souveraineté, pas plus qu’avec les aubergistes, pharmaciens, bouchers, etc., auxquels il accorde des concessions ». Les prétendues concessions des aubergistes, etc., naturellement, sont de simples permissions de police ; quand on commence par placer sur le même pied les concessions de chemin de fer, on se met dans l’impossibilité d’apprécier à leur juste valeur les rapports juridiques créés par ces dernières concessions. Comp. Heusler, Über die rechtliche Natur der Eisenbahnkonzession im Allgemeinen und der Prozess der Westschweizerischen Bahnen gegen die Schweizer Eidgenossenschaft im Besonderen, p. 3. Seiler, Rechtliche Natur der Eisenbahnkonzession, p. 34, estime que le chemin de fer ressemble d’abord à une entreprise privée ; mais il exige, à cause de son éminente importance publique, un contrôle et une surveillance continue de la part de l’Etat. « De ce point de vue, la comparaison (faite par le Conseil fédéral) avec la concession industrielle est évidemment justifiée ». Voilà comment toujours cette malheureuse terminologie ramène à des vues qui appartiennent aux institutions de la police, dont notre institution ne fait nullement partie. [↩]
- Sur la notion d’entreprise publique en tant que portion de l’administration publique, comp. t. III, § 33, II, no 1 et 2, p. 12 et s. [↩]
- La Banque de l’Empire appartient à une société par actions, qui gère les affaires qui lui sont attribuées, non pas au nom de l’Empire, mais en son propre nom. Cependant ces affaires sont une entreprise publique ; la Banque de l’Empire signifie une entreprise publique, créée par l’Empire et abandonnée à la société par actions formée simultanément, pour être gérée sous sa surveillance. Laband, St. R. (éd. all. II, p. 133; éd. fr. II, p. 213). Comp. aussi § 56 note 19 ci-dessous. [↩]
- Un exemple tiré de l’ancien droit bavarois dans Pözl, Bayr. Wasserges., p. 284 note. Dans une large mesure, le droit français a développé le système des concessions de travaux publics en vertu de la loi du 16 sept. 1807 ; comp. ma Theorie d. Franz. V. R., p. 359, p. 303. Dans le même but, la législation récente se sert de la forme de l’association de droit public, réunissant les propriétaires intéressés ; cela a eu pour effet de faire disparaître presque entièrement ces cas de concession. [↩]
- Koch, Deutschlands Eisenbahnen, I, p. 3 note 3, avait parlé d’abord d’une régale des chemins ; au t. II, p. 484, note 5, cédant aux critiques que lui avait adressées Gerber, il se rétracte et prétend qu’il s’agit plutôt d’un droit de supériorité sur les chemins. Gerber, D. Priv. R., 14e éd., p. 162 note, tout en approuvant cette rétractation, déclare ne pas comprendre un autre auteur qui continue « à caractériser de régale ces pouvoirs émanant de la police générale ». Toutes ces expressions sont inexactes ; en particulier, il ne saurait être question ici de police. Si nous nous servons du mot régale, c’est uniquement pour désigner un droit exclusif de l’Etat réservé dans l’intérêt public ; évidemment, il n’y a plus de régales aujourd’hui au sens de l’ancien régime, pas plus que des droits de supériorité.
En Prusse, la concession servait autrefois surtout à construire des chaussées ; des sociétés par actions s’en chargeaient « moyennant l’octroi de certaines taxes » ; v. Rönne, Verf. u. Verw. des Preuss. Staates, Partie IV., t. IV, Sect. 2 (police des chemins), p. 178 ss. [↩]
- Cette connexité est évidente. Reyscher, dans Ztschr, f. D. R., XIII, p. 285, veut ranger les chemins de fer directement sous la régale des chemins. D’autres établissent une régale spéciale des chemins de fer, qui serait analogue à celle des chemins. Koch, Deutschlands Eisenbahnen II, p. 484, Haberer, Oesterreichisches Eisenbahnrecht, p. 3 ; Eger, Preuss. Eisenbahn R. I, p. 26, tout en renvoyant également à la régale des chemins comme point de départ, insistent, pour le droit moderne, plutôt sur l’importance pratique qu’il y a à concentrer dans les mains de l’Etat ce puissant moyen de communication. [↩]
- Koch, Deutschlands Eisenbahnen I, p. 2 ; Eger, Preuss. Eisenbahn. R., I, p. 2 note 3 ; Haberer, Oesterreich. Eisenbahn. R., p. 22 ; v. Roenne, Preuss. St. R., IV, p. 579 note 1 a. Illing, Handbuch f. Preuss. V. Beamte. I, p. 964 note (Rescrit du 18 déc. 1869) : un chemin de fer d’intérêt privé n’est soumis qu’à un « examen au point de vue de la police générale, spécialement en ce qui concerne les chemins publics que devra traverser le chemin de fer ». — O. V. G., 13 sept. 1890 : Le propriétaire d’une tuilerie avait installé une voie ferrée pour joindre son établissement à la glaisière. Pour traverser un chemin public, il a fallu le consentement du propriétaire de ce dernier chemin (ce qui constitue, d’après la doctrine exposée au t. III, § 39, p. 248, la concession d’une jouissance spéciale sur la chose publique). Mais pour le reste, la loi sur les chemins de fer de 1838 ne s’applique pas ici ; l’autorité n’a à s’occuper de ce chemin de fer qu’au point de vue de la police. Si le résultat de son examen est consigné dans un acte appelé Konsens ou Konzession, cela signifie simplement « une déclaration qu’au point de vue de la police il n’y a rien à objecter contre l’installation projetée, mais cela ne constitue pas, au profit de l’entrepreneur, un droit acquis ». Disons : c’est non pas une concession, mais une permission de police. [↩]
- Loi d’Emp. du 6 avril 1892 sur les télégraphes, § 1 : « Le droit de construire et d’exploiter des lignes télégraphiques servant à la correspondance appartient exclusivement l’Empire ». § 2 : « L’exercice du droit désigné au § 1 pourra être concédé à des entrepreneurs privés pour le territoire de certains Etats ou districts ». Dans le § 3, on délimite une sphère libre du télégraphe privé, analogue à celle de la rue privée et du chemin de fer privé. [↩]
- Klüber, Oeff. R., § 460, § 483 ; Gerber, D. Priv. R., § 67. [↩]
- V. Roenne, Wegepolizei, p. 181 : « Pour chaque entreprise de cette nature, un contrat doit être conclu, qui fixe les droits et les obligations respectives de l’entrepreneur et du fisc ». [↩]
- La première pétition présentée en Allemagne pour l’obtention d’une concession de chemin de fer fut adressée le 16 déc. 1833 au roi de Bavière ; elle contenait les demandes suivantes :
- Approuver les statuts de la société proposés ;
- Accorder à la société ainsi sanctionnée le privilège exclusif d’un chemin de fer à construire et à exploiter à perpétuité entre Nuremberg et Fürth, ainsi que de ses prolongements futurs dans toutes les directions avec immunité de tous les impôts indirects d’Etat ;
- Assurer au chemin de fer même et à ses prolongements les droits et la protection des routes de l’Etat (Hagen, Die erste deutsche Eisenbahn, p. 77). L’essentiel est dans le dernier alinéa. On voit clairement comment on prend pour point de départ la régale des chemins. [↩]
- Il faut citer : Rüttimann, Rechtsgutachten über die Frage, inwieweit durch die Eisenbahnkonzessionen der schweizerischen Kantone und die Beschlüsse der schweizerischen Bundesversammlung für die beteiligten Gesellschaften Privatrechte begründet werden. — Drei Rechtsgutachten, betreffend die rechtliche Natur der Eisenbahnkonzessionen, von Carrard, Heusler und Hilty (consultations rédigées à l’occasion du procès du chemin de fer de la Broye). — Zur Nordbahnfrage, consultations d’Exner et de Grünhut dans Ztschft f. Priv. u. Oeff. R., XIV, p. 704 ss. — Laband, Denkschrift über die Verstaatlichung der im Grossherzogtum Hessen gelegenen Strecke der Hessischen Lüdwigs-Eisenbahn-Gesellschaft (réponse à une consultation donnée par G. Meyer) : G. Meyer, Erwiderung auf die Denkschrift (la réplique). [↩]
- Pour former ces catégories, nous suivons le système de Meili, Das Recht der modernen Verkehrs- und Transportanstalten, p. 22. [↩]
- On a même prétendu que le pouvoir législatif serait lié par un pareil contrat ; Rüttimann, dans la consultation citée à la note 13 ci-dessus ; comp. la réfutation de cette opinion par Sachs dans Ztschft f. Hand. R., XIX, p. 330 ss. Rüttimann, Bundesstaats. R., II, p. 133, affirme cependant que les juristes américains sont de son avis. Meili, l. c., p. 22, croit pouvoir invoquer le fait que les jurisconsultes français parlent ici d’un contrat : c’est ce que déjà Carrard a fait valoir dans sa consultation sur la question du chemin de fer de la Broye, p. 14. Mais le contrat administratif, dont il est question dans Dufour, Batbie, Perriquet et autres, ne prétend pas être un véritable contrat ; il n’en a que le nom ; comp. Arch, f. öff. R., III, p. 25. — R. G., 22 sept. 1888 (Samml., XXII, p. 292) : Le jugement attaqué avait établi en fait qu’il ne s’était pas formé de contrat entre la ville et l’entrepreneur d’une voie publique, attendu que les parties n’avaient pas l’intention de conclure un contrat : le Tribunal en tire cette conséquence que la ville ne peut rien exiger de cet entrepreneur, lequel n’a pas pu être lié vis-à-vis d’elle. [↩]
- Ainsi Carrard, l. c., p. 8 ; comp. aussi Hilty dans sa consultation sur la même affaire : « Donc, chaque concession de chemin de fer, faite à une personne privée, prend, sans qu’on y pense (unwillkürlich !), outre le caractère d’une attribution de droits de souveraineté, le caractère d’un contrat privé bilatéral, d’où résultent respectivement des droits et des contre-droits qu’on peut faire valoir en justice. Ces deux côtés, le côté droit public et le côté droit privé, se trouvent réunis dans la concession de chemin de fer, cette dernière a une partie droit public et une partie droit privé ». De même, Haberer, Oesterreich. Eisenbahn. R., p. 24 : La concession renferme d’abord la volonté de la puissance publique de ne pas exécuter elle-même l’exercice du droit de supériorité, mais de l’abandonner à un tiers. « Le titre contient-il d’autres dispositions…, elle aura encore le caractère d’un contrat obligatoire pour les deux parties ». [↩]
- C’est la manière de voir du Conseil Fédéral de la Suisse dans sa dépêche sur le régime des chemins de fer du 16 juin 1871 (comp. la note 1 ci-dessus) ; Seiler, Rechtliche Natur der Eisenbahnkonzession, p. 24. — Dans le même sens, pour l’essentiel du moins, Zachariae, St. R., § 164. II, note 5 ; § 165, i, f ; § 196, III : un privilège ne peut s’attacher à la concession — laquelle ne lie pas l’Etat — que pour constituer des droits vis-à-vis des autres sujets, par exemple des monopoles (§ 165 i. f.). [↩]
- En ce sens Meili dans Ztschft. f. Hand. R., XXIV, p. 359 ; Koch, Deutschl. Eisenbahnen, II, p. 489 ; Heusler dans sa consultation, p. 9 ; Seiler, Rechtl. Natur der Eisenb. Konz., p. 28. D’après Endemann., R. der Eisenb., p. 280-282, la concession « n’est pas un contrat qui doive être apprécié selon les principes du droit civil » ; le rapport qui en résulte doit être « désigné comme contractuel » ; cependant, d’après sa nature, la concession « est un acte administratif » ; « pour l’acquéreur », elle constitue « un privilège » ; cependant « on ne doit pas la considérer comme une loi spéciale ». Quelle a bien pu être la véritable pensée de cet auteur ? [↩]
- R. O. H. G., 18 mars 1874 (Samml. XIII, p. 123) : la violation de ces prétendues « lois spéciales » ne donne pas lieu à la révision, comme cela serait le cas de toute règle de droit. [↩]
- Nous avons déjà plusieurs fois rencontré cette combinaison malheureuse, par laquelle on cherche à se tirer d’embarras ; comp. t. 1er, § 11, note 13, p. 187 ; t. III, § 34, note 12, p. 52, § 39, note 9, p. 259. Nous citerons ici comme exemple Heusler dans sa consultation (note 13 ci-dessus). Partant de cette idée, — que ce qui a été promis dans la concession forme un droit privé, c’est-à-dire le droit d’un particulier (p. 6.). — Heusler glisse peu à peu vers la thèse que ces droits ont naturellement aussi un caractère de droit privé (p. 13) ; et il commet l’autre confusion, en disant que même un privilège de droit public une fois accordé « devient pour le privilégié un droit pécuniaire, un droit privé. Il s’agit simplement d’avantages pécuniaires, donc (!) d’un rapport de droit privé ». Laband, dans sa consultation pour le chemin de fer de la Hesse (note 13 ci-dessus), p. 11, s’associe à ces développements qu’il approuve ; il argumente de son côté de la manière suivante : « la concession fixe des principes pour une indemnité future ; elle crée donc une créance de droit pécuniaire contre la caisse de l’État de la Hesse ; par conséquent, une créance de droit privé ». Dans le même ordre d’idées, le droit au traitement du fonctionnaire deviendrait aussi du droit civil ; et pourtant, Laband lui-même, avec des arguments excellents, le réclame pour le droit public (St. R., éd. all. I, p. 491 ; éd. fr. II, p. 227). [↩]
- Les auteurs pensent à quelque chose de semblable, quand ils appellent la concession « acte de la puissance de l’Etat » (Eger, Eisenbahn. R., I, p. 93) ; « acte de supériorité » (Seiler. Eisenbahnkonz., p. 52) ; « acte de l’État » (Loening, V. R., p. 628) ; « action administrative » ou « acte administratif productif de droits » (G. Meyer, V. R., I, p. 532). Cependant, nous n’osons pas affirmer qu’on vise par là la notion d’acte administratif dans toute sa force. [↩]
- Il en est ici comme des pourparlers pour le placement au service de l’Etat ; comp. § 44, I, ci-dessus, p. 44. Eger, Eisenbahn R., I, p. 64, voudrait voir dans ces pourparlers un contrat précédant l’attribution du privilegium ; mais puisqu’il reconnaît lui-même que de ce contrat ne résulte aucun droit, nous ne pouvons pas en comprendre l’utilité. [↩]
- Loi Pruss. du 10 avril 1872, § 4 : Le rapport entre le concessionnaire et celui de qui émane la concession entre en vigueur par une notification antérieure à la publication, indépendamment de cette dernière. — Pour satisfaire aux prescriptions du Code de com., § 195, no 6, la concession est accordée à une société par actions en formation, d’une manière provisoire, au moyen d’un titre qui sera expédié et remis à qui de droit : Eger, Eisenbahn R., I, p. 124. [↩]
- C’est ce qui avait lieu pour les anciennes sociétés par actions ; elles avaient besoin, pour se former, d’une autorisation du gouvernement; comp. par exemple, l’ « acte de concession et de confirmation » pour le chemin de fer Cologne-Minden dans Bulletin des lois Pruss., 1844, no 3. — Cette forme se manifeste avec une énergie particulière, quand l’entreprise à concéder est spécialement organisée par un acte individuel législatif et attachée d’avance à une société par actions à créer. Ainsi loi Bav. du 1er juillet 1883, II, relative au canal du Danube au Main, et surtout la loi sur la banque de l’Empire du 14 mars 1872, § 12. [↩]
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