Qu’elle semble loin la célèbre formule de la chancelière Angela Merkel, « Wir schaffen das », prononcée à propos de l’intégration en Allemagne des réfugiés syriens à la fin de l’été 2015. Elle avait pourtant fait le tour du monde, suscitant, de-ci, de-là, des espoirs et créant des décalages avec la politique de pays moins ouverts en matière d’immigration parmi lesquels la France. A priori pourtant, les similarités devraient l’emporter : ces deux États connaissent un stade de développement économique et social proche. Ils sont tous deux des terres d’immigration et soumis aux mêmes règles – issues du droit de l’Union européenne et de la Convention de Genève – s’agissant de la mise en œuvre du droit d’asile. Les mêmes tensions y sont, de plus, à l’œuvre : nul ne peut, d’un point de vue éthique, se satisfaire que la mer Méditerranée devienne un cimetière humain, mais il faut réussir l’accueil des étrangers (qui viennent aussi répondre aux besoins de main-d’œuvre sur le marché du travail), tout en préservant l’acceptation sociale – ce qui semble une gageure face à la montée en puissance des mouvements xénophobes.
En 2024, l’heure est en effet partout au repli1, comme si l’intégration, d’une part, et l’exclusion, d’autre part, fonctionnaient selon un système de balancier au gré des crises économiques et des velléités politiques à l’œuvre dans les différents pays2. La volonté d’accueillir les étrangers ou réfugiés mise en œuvre en Allemagne depuis 2015 s’est traduite numériquement par l’accueil massif de plus d’un million de Syriens, puis d’autant d’Ukrainiens par la suite. Peut-être est-ce le temps de la désillusion. Une telle pratique n’a cependant pas eu lieu en France, où seules quelques dizaines de milliers de personnes ont été accueillies sur la même période3. Qui plus est, les confusions entretenues entre les différentes catégories d’étrangers, entre les motifs d’immigration, entre les personnes ayant la nationalité du pays, mais d’origine immigrée et les étrangers (d’une nationalité différente) conduisent, en France du moins, à un imaginaire irrationnel, à un « récit » de l’immigration qui ne correspond pas à la réalité4 et entraînent la montée en puissance de réactions hostiles.
Au-delà de ces constatations d’ordre politique, d’un point de vue juridique et théorique, la thématique des « étrangers » est abordée différemment dans les droits administratifs français et allemand. Bien que la présente contribution s’en tienne à la présentation du droit français, elle a fait naître de riches discussions avec mon collègue Nils Schaks, auteur de la contribution allemande sur ce sujet commun5, car nous n’abordions de toute évidence pas celui-ci de la même façon. Si l’une des explications peut tenir à des raisons individuelles (nos champs de recherche respectifs), la principale découle de l’orientation des deux droits administratifs, selon une configuration qui leur est propre.
On le sait, les droits administratifs français et allemand reposent sur des fondements culturels et institutionnels différents, ce qui entraîne des répercussions sur la façon dont ils sont conceptualisés. Du fait du prisme contentieux de la matière, le premier réflexe d’un administrativiste français est de penser au contrôle juridictionnel des actes relatifs aux étrangers et non aux politiques d’intégration en la matière. À cette déformation contentieuse s’ajoute un ordonnancement des questions d’immigration au sein du droit de la police et non dans celui des prestations ou, pour le dire autrement, du service public « à la française ». En droit français, les questions d’immigration relèvent, au sens large, du droit des étrangers et de l’asile, lequel constitue un droit de police administrative spéciale. Ainsi, la tendance dominante est celle d’un contrôle de l’étranger pour que soit prévenu tout danger. L’étranger ne l’est pas à titre principal en raison de son comportement (ce qui est le cas en droit pénal), mais du simple fait de son statut, parce qu’il n’a pas la nationalité française6.
Les raisons profondes de ce contrôle sont de différentes natures et les justifications varient selon les époques. Dès l’origine, a pu être mis en avant (en même temps que contesté) que l’étranger, du fait de sa différence, pourrait remettre en cause l’unité de la nation et l’identité culturelle et sociale de celle-ci. Dans les années 1970, dans un contexte de forte hausse du chômage, l’argument selon lequel l’étranger allait prendre la place d’un Français sur le marché de l’emploi était largement répandu. À l’heure actuelle, alors que l’appel à la main-d’œuvre étrangère est de nouveau nécessaire pour faire face à la pénurie du marché de l’emploi dans certains métiers dits « en tension »7, le risque de trouble à l’ordre public8 domine. Si cette tendance n’est pas nouvelle et constitue une finalité classique de la police administrative, elle est renforcée dans la période récente par une extension de cette notion. La police administrative générale connaît une inflexion : les notions de prévention et de répression s’entremêlent et désormais le seul risque de trouble ou la menace de trouble à l’ordre public sont suffisants pour que soient prises des mesures que l’on peut qualifier de répressives par prévention – ce qui est manifeste s’agissant des mesures de lutte contre le terrorisme et emporte aussi des répercussions en droit des étrangers9. Même les quelques instruments d’intégration sont compris dans cette perspective.
À ce propos et d’une manière générale, l’on peine à déceler, actuellement, en France, une réelle politique d’intégration des étrangers. On peut, dans un premier temps, considérer que l’une des manifestations de cette volonté passe par le fait que chaque individu puisse d’une manière indifférenciée et indépendamment de sa nationalité avoir accès aux services publics (école, santé, justice). Or, si un tel propos est exact, il ne l’est pas entièrement, comme le prouvent les tentatives récentes de supprimer le droit d’accès des étrangers aux premiers soins dans le cadre de l’aide médicale de l’État10. Une autre étape consiste à prévoir des garanties spécifiques aux étrangers. Là aussi, le bât blesse. Il existe par exemple des cérémonies de naturalisation organisées par certaines préfectures, mairies ou autorités consulaires et destinées à honorer les nouveaux citoyens français, mais elles arrivent en fin de parcours et viennent acter d’une intégration acquise plutôt qu’elles la favorisent. L’existence, par ailleurs, d’un organisme idoine, l’office français de l’intégration et de l’immigration (OFII), ne masque pas non plus le fait que les mesures favorables aux étrangers demeurent moindres ou à tout le moins témoignent d’une volonté de procéder à une sélection entre ceux appelés à rester sur le territoire et les autres11.
Il est ainsi frappant de constater que les questions d’immigration ne sont pas traitées sous l’angle du service public, mais de la police, ce qui est paradoxal au vu de la construction du droit administratif français. Le contrôle l’a emporté sur l’intégration, la police sur le social. L’objectif principal demeure, via le droit des étrangers, cet « objet consubstantiel à l’État »12 de « maîtriser un territoire pour garantir la sécurité d’une population »13. Et lorsque le service public est évoqué, c’est alors principalement, comme on le verra, pour souligner les défaillances d’accès aux services de préfecture, lesquels sont chargés du contrôle des étrangers.
Plus précisément, le droit des étrangers puise ses origines dans les années 183014. Il a longtemps été régi par une ordonnance de 1945 et sans cesse modifié jusqu’à la promulgation d’un code idoine. Depuis les années 1990, une vingtaine de lois ont été votées en ce domaine et la dernière a été promulguée le 26 janvier 202415. Une telle pratique rejoint une critique faite à la loi depuis plusieurs décennies désormais : celle d’être devenue « bavarde »16, qui est l’objet de modification à chaque fait divers. La codification de ce droit en 2005, au sein du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), n’a rien changé à ce phénomène, ce qui prouve – s’il subsistait un doute à ce propos – que codification ne rime pas nécessairement avec stabilisation. Au contraire même, le droit des étrangers fournit une belle illustration d’un manque d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, qui sont pourtant des objectifs à valeur constitutionnelle, consacrés par le Conseil constitutionnel depuis 199917.
Notons également que, d’un point de vue académique, les spécialistes de cette matière sont très peu nombreux18 et seuls quelques enseignements sont proposés dans les universités, au niveau du master. En revanche, des associations sont extrêmement actives, surtout s’agissant de l’accompagnement juridique des étrangers – en particulier le GISTI19 ou la Cimade – de même que quelques avocats avec un objectif militant de défense des plus précaires en ligne de mire. À l’inverse, du côté de l’administration, le ministère de l’Intérieur au niveau national et, au niveau local, les services de préfecture sont mobilisés à titre principal, en particulier le service des titres de séjour. Et ils sont probablement plus encore en souffrance que les autres services publics français, tant au niveau des moyens financiers qu’humains accordés (les fonctionnaires affectés dans ces services cherchant pour une partie d’entre eux à s’en extraire au plus vite)20.
Il ne serait ni raisonnable ni pertinent, tant la législation est évolutive, de chercher à détailler l’ensemble des règles applicables. Le droit d’asile peut être écarté de l’étude21, parce que d’autres collègues en ont déjà traité, mais aussi parce que, largement européanisé, il révèle probablement moins les enjeux contemporains à l’œuvre au sein de chaque droit administratif national. En outre, dans de telles situations, les questions traitées sont en grande partie d’ordre géopolitique dès lors qu’il s’agit, par exemple, d’évaluer le danger encouru par la personne qui demande à bénéficier du droit d’asile22. L’on souhaite en revanche donner une vue d’ensemble de l’état du droit français en matière de droit des étrangers. Par son statut juridique, l’étranger se démarque du reste de la population de nationalité française. Le contrôle dont il fait l’objet se traduit par une moindre reconnaissance de ses droits : d’une manière générale, ses droits et libertés sont encadrés (A) et ses garanties juridictionnelles minorées (B).
A. Des droits et libertés encadrés
Dans l’immense majorité des cas23, l’étranger réside dans un autre État et souhaite venir en France. Dès lors, son entrée et son séjour sur le territoire font logiquement l’objet d’une demande, d’où il découle une régulation des demandes par l’administration française (I) De manière plus originale, l’étranger ne bénéficie pas exactement non plus d’une jouissance des autres droits et libertés équivalente aux citoyens français (II).
I. Une régulation de l’entrée et du séjour
L’État d’accueil doit accepter l’entrée de l’étranger, via la délivrance d’un visa d’entrée24 ; ceci relève d’un acte de souveraineté de sa part. Il n’existe pas de droit à l’entrée sur le territoire. En plus d’être en possession d’un visa, l’individu doit fournir une attestation d’accueil indiquant le lieu d’hébergement qui sera le sien sur le territoire national. Il doit aussi prouver qu’il dispose de ressources suffisantes pour assumer ses besoins. Ainsi, tant l’autonomie financière que la localisation de la personne font l’objet de garanties initiales et même préalables. La possession de ces documents n’est pas toujours suffisante, puisque l’entrée peut toujours être refusée pour un motif d’ordre public25.
Lorsque l’étranger reste plus de trois mois sur le territoire, il doit être en possession d’un titre de séjour. Traditionnellement, il demande en premier lieu une carte de séjour temporaire (permettant de demeurer un an en France, avant éventuellement de repartir). Ce titre constitue en quelque sorte une « porte d’entrée » pour les étrangers qui désirent rester plus longtemps sur le territoire. De manière schématique, il leur sera ensuite délivré une carte de séjour pluriannuelle (de 2 à 4 ans) et enfin une carte de résident (valable 10 ans). Depuis 2007 et du fait des difficultés d’acquisition de la nationalité française, une carte de résident permanent a été instituée, qui se rapproche d’un titre de séjour dont la validité n’est pas limitée dans le temps. Chaque étape, chaque nouvelle demande donne lieu à des contrôles réitérés. L’administration dispose d’un droit de regard constant sur la situation de l’étranger, lequel est maintenu dans une forme de précarité, puisque les autorisations sont limitées dans le temps et toujours révocables. Et au fur et à mesure que l’étranger fait preuve de sa bonne intégration, l’étau se relâche.
Si les justificatifs à apporter diffèrent d’une autorisation à une autre, ils présentent aussi quelques points communs : l’étranger doit démontrer qu’il est entré régulièrement en France, qu’il y réside de manière régulière, voire ininterrompue pour l’obtention de la carte de résident et qu’il dispose de ressources stables et suffisantes. De surcroît, depuis 200626, l’étranger doit attester de son intégration républicaine. Un contrat d’intégration républicaine (qui n’a de contrat que le nom), valable un an, renouvelable une fois, est ainsi établi par l’OFII et obligatoirement signé entre le préfet et l’étranger. Ce dernier bénéficie d’une formation civique et linguistique. Les institutions françaises lui sont exposées, ainsi que les valeurs de la République, parmi lesquelles l’égalité entre les hommes et les femmes, la laïcité, la solidarité et la citoyenneté. Si des doutes ont pu être exprimés sur la façon dont le contrat était présenté aux étrangers et compris par eux27, quelques réserves supplémentaires portent sur l’intérêt d’une telle démarche, au-delà de sa force symbolique – ce qui est toutefois déjà non négligeable.
Saisi d’une demande de titre, le préfet dispose en principe (et sous réserve de nombreuses exceptions) d’un assez large pouvoir d’appréciation pour délivrer ce dernier, à la suite de l’analyse de la situation particulière du demandeur. Il peut aussi refuser cette délivrance, voire retirer le titre, et auquel cas le refus doit être non seulement régulièrement notifié, mais aussi motivé28. Le demandeur doit aussi s’acquitter d’une taxe liée à la délivrance du titre de séjour29. En tout état de cause, la procédure est longue et le délai élevé entre le moment où la demande est faite et celui où l’étranger obtient une réponse. Dans l’intervalle, un récépissé est délivré au demandeur, afin qu’il puisse rester en France en étant provisoirement dans une situation régulière, le temps de l’instruction. L’obtention d’un récépissé permet également, selon la nature du titre sollicité, à l’étranger de travailler.
Sur le papier, dans le « droit des livres » selon l’expression consacrée, la situation paraît bien cadrée. En pratique, cette procédure suscite, de longue date, des difficultés qui sont principalement liées au fait que les services chargés d’instruire les demandes sont sous-dimensionnés – peut-être à dessein, mais c’est là un autre débat. En particulier, dans les années 2010, dans certaines préfectures (en région parisienne principalement), les demandeurs devaient déposer leur dossier en étant physiquement présents. Mais les créneaux prévus n’étaient pas suffisants. Un premier système consistait, de manière très prosaïque, à faire la queue toute la nuit, si ce n’est toutes les nuits, devant le bâtiment pour espérer en obtenir un le lendemain. Une autre solution était de passer par la voie juridictionnelle et de saisir le juge administratif pour qu’il enjoigne à l’administration de proposer un rendez-vous au requérant. De ce fait, la juridiction administrative a été saisie de très nombreuses demandes30, couronnées de succès via la voie du référé mesures utiles, ce qui a conduit à instituer un système un peu pervers : étaient satisfaits en priorité les demandeurs qui détenaient une ordonnance juridictionnelle… à telle enseigne que les tribunaux administratifs étaient parfois présentés comme les « secrétariats des préfectures ».
Comme dans de nombreux autres services publics, la dématérialisation a été présentée comme la solution pour remédier à ce manque de moyens matériels et humains. Depuis les années 2020, la dématérialisation des procédures s’accroît31, ce qui ne résout rien et pose toutes sortes de problèmes, eux aussi très classiques en la matière, mais exacerbés du fait de la vulnérabilité des demandeurs, qui ne disposent pas toujours d’un accès aux ressources informatiques. Conscient de cette situation et saisi par des associations contre un décret de 202132, le Conseil d’État a mis un frein à la dématérialisation des procédures pour les étrangers en indiquant que les préfectures devaient prévoir un accès physique aux individus, en guise de garantie de substitution en cas d’impossibilité d’accès à la procédure dématérialisée33.
Enfin, le site Internet idoine, « l’administration numérique des étrangers en France », a été créé de toute évidence à moindre coût (comme la plupart des autres sites institutionnels), si bien que les dysfonctionnements sont fréquents. Pour n’en citer qu’un qui pourrait prêter à sourire dans un autre contexte : quelques fonctionnalités étaient récemment accessibles à partir d’un ordinateur PC mais non d’un Mac. De plus en plus d’ailleurs, des avocats spécialisés en droit des étrangers font, à travers les demandes dont ils sont saisis, le constat d’une déliquescence des services publics. Avant même de contester en justice les actes administratifs pris à leur encontre, les étrangers saisissent le juge afin de pouvoir déjà accéder au service qui sera, dans un second temps, en état de se prononcer sur la demande de l’étranger. Le contentieux de l’acte ne disparaît pas, mais il est précédé d’un contentieux de l’accès au service. Ce constat est d’ailleurs extensible aussi aux administrés de nationalité française, pour l’accès à d’autres services publics. D’autres restrictions, en revanche, demeurent propres aux étrangers.
II. Une différence de traitement entre les Français et les étrangers
Pour l’essentiel, l’étranger jouit des mêmes droits et libertés que les individus de nationalité française. Cependant, la situation n’est pas aussi univoque. Certaines restrictions sont assez compréhensibles tandis que d’autres sont plus pernicieuses. Elles se manifestent soit par des obligations différenciées pour l’étranger, soit par des carences de la puissance publique, soit encore par une interprétation particulière du juge dès lors que des étrangers sont concernés.
La première différence est assez évidente : l’étranger ne dispose pas des droits liés à la citoyenneté, en particulier du droit de vote. Il y a quelques décennies, une telle revendication, disparue depuis, était encore partie intégrante du discours doctrinal34, des engagements de certains partis politiques de gauche ou donnait lieu à la mise en œuvre de votes locaux (non décisionnels). À l’inverse, des obligations supplémentaires sont parfois imposées. Par exemple, si les étrangers ont en principe la liberté de travailler35, leur employeur est tenu de procéder à une déclaration spécifique de cette situation36, ce qui impose de renouveler la procédure à chaque changement d’employeur.
Du côté de la puissance publique, un certain nombre de carences dans la prise en charge des étrangers sont à relever, alors même qu’une obligation est imposée par les textes. L’un des exemples typiques dans la période récente est celui de la protection des mineurs non accompagnés (MNA), qui arrivent sur le territoire français sans aucun membre de leur famille. Ils doivent être pris en charge et en particulier hébergés, ce qui pose d’énormes difficultés aux départements – desquels relève cette mission, dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance : le nombre des mineurs a explosé ces dernières années et le dispositif arrive à saturation37, à tel point qu’il est parfois même suspendu par les départements38.
Enfin, la dernière réserve est plus insidieuse. Il ressort de quelques décisions que le raisonnement du juge administratif connaît une inflexion, dès lors qu’il s’agit d’un contentieux touchant à des étrangers sans que l’on puisse objectivement justifier la différence de traitement. Sans que le propos soit généralisable, au moins deux illustrations peuvent être avancées à titre d’illustration.
La première porte sur la destruction des campements sauvages à Calais. Des milliers de migrants s’y concentrent, en transit et en attente d’une solution pour passer en Grande-Bretagne, ce qui engendre de grandes difficultés pour héberger et nourrir ces personnes et de vives tensions entre les autorités publiques et les associations d’aide aux migrants. L’une des pratiques des forces de l’ordre consiste à raser ces campements illégaux pour détruire les toiles de tente et rares affaires des migrants et à faire évacuer ces camps de force. Au début de l’année 2021, des journalistes voulant couvrir médiatiquement un tel évènement ont demandé à accéder aux campements et se sont vu opposer un refus par le préfet. Ils ont donc, en dernier recours, saisi le Conseil d’État en référé. Si ce dernier insiste sur l’obligation de garantir le respect de la liberté de la presse, il précise aussi que l’existence d’un périmètre auquel les journalistes ne peuvent accéder se justifie notamment pour assurer la sécurité de l’évacuation et le respect de la dignité des personnes évacuées39. La haute juridiction ne va pas, ce faisant, jusqu’à explicitement affirmer qu’il s’agirait là d’éviter que les journalistes portent atteinte à la dignité de ces personnes en les filmant, mais une telle interprétation peut se déduire implicitement de la décision. L’on aurait pourtant pu défendre l’argument selon lequel la dignité de ces personnes est principalement heurtée par le comportement de la puissance publique et révélée par l’intermédiaire des journalistes, mais il est vrai que la mobilisation et le maniement de la dignité de la personne humaine sont à géométrie variable dans la jurisprudence administrative française40.
Le second contentieux a trait aux noyades de migrants en Méditerranée, embarqués sur des radeaux de fortune. La multiplication de tels évènements tragiques pose avec une acuité nouvelle la question de la responsabilité des services de secours en mer41, qui, dans certaines hypothèses, connaîtraient des dysfonctionnements et tarderaient à porter secours ou à relayer le message de détresse émis par des embarcations en difficulté. Plusieurs enquêtes pénales et administratives sont en cours pour établir si des agents travaillant dans ces services ont manqué à leurs obligations (notamment à partir de l’analyse des enregistrements des appels reçus). La question se pose aussi de l’engagement de la responsabilité de l’État, pour faute de service42. Dans l’attente de la décision, une affaire a déjà été jugée, dans un contexte proche. Il s’agissait d’une migrante qui avait fui les Comores vers Mayotte et qui est décédée. Si la faute de l’État est reconnue par le Conseil d’État, ce dernier relève aussi que la requérante, « dont la santé était particulièrement fragile, avait pris le risque d’entreprendre une traversée dangereuse sur une embarcation de fortune »43. Par conséquent, la Cour administrative d’appel à laquelle l’affaire a été renvoyée procède à un partage de responsabilité et fixe celle de l’État à 50% (seulement)44. Un tel argument n’aurait probablement pas été opposé et, en tout cas, pas dans de telles proportions exonératoires, dans un autre contexte et à une victime de nationalité française.
Ainsi, l’étranger fait l’objet d’un contrôle renforcé. Cela peut se traduire par des obligations supplémentaires ou par une restriction des droits reconnus en sa faveur, à tel point que le premier motif de la saisine du défenseur des droits a concerné, en 2022, le droit des étrangers45. Une même tendance se constate à un autre niveau : dès lors que l’étranger entend saisir le juge, les garanties juridictionnelles (procédurales) dont il bénéficie sont minorées.
B. Des garanties juridictionnelles minorées
En l’absence de codification du droit administratif général, la doctrine française met culturellement l’accent sur la jurisprudence et appréhende la matière par sa dimension contentieuse. Le Conseil d’État interprète, mais écrit aussi largement le droit administratif. Malgré la codification du droit des étrangers par le CESEDA, le juge administratif dispose encore d’une latitude d’action. Or, des difficultés de deux ordres apparaissent en ce domaine et peuvent expliquer un certain nombre de règles ou de pratiques, qui convergent vers une protection procédurale moindre des étrangers et qui, mécaniquement, renforcent le contrôle que peut exercer l’administration sur ces derniers. Certaines sont liées à la nature du contentieux (I), d’autres au fait qu’il s’agit d’un contentieux de masse (II).
I. Des difficultés liées à la nature du contentieux
D’une manière générale, le contentieux des étrangers est très technique et peu considéré. Il est souvent décrit comme un « laboratoire » pour le reste du contentieux administratif et parfois même comme le « laboratoire du pire »46, dans le sens où diverses expérimentations ont lieu dans ce domaine avant d’être éventuellement transposées au contentieux administratif général, mais dans un sens toujours défavorable au requérant. Surtout, la complexité matérielle du droit des étrangers rejaillit sur la procédure juridictionnelle, tant les régimes sont variés. La contestation en justice des décisions rendues en la matière n’obéit pas non plus à des règles unitaires.
Pour s’en tenir à des grands principes, les mesures d’éloignement des étrangers sont la première cause de litige. Un étranger peut faire l’objet d’une telle mesure dans diverses situations parmi lesquelles une entrée irrégulière en France, une entrée régulière, mais un maintien irrégulier, par exemple en cas de refus de délivrance ou de refus de renouvellement d’un titre de séjour) ou encore une menace pour l’ordre public. Dans tous les cas, dans un souci de simplification des procédures, la loi dite « Sarkozy » du 24 juillet 2006 a innové en la matière en créant les OQTF, c’est-à-dire les obligations de quitter le territoire français. Un même document réunit au moins trois mesures : l’éloignement du territoire, la décision négative relative au séjour de l’étranger et la décision fixant le pays de destination. Il peut également être complété d’une interdiction de retour. En cas d’OQTF, en principe, l’étranger doit partir volontairement, et ce, dans un délai de 30 jours. L’autorité administrative peut aussi, dans certaines hypothèses, imposer l’exécution immédiate de la décision.
Or, le taux de recours juridictionnel contre les OQTF est relativement élevé, de l’ordre de 50%. Chacune des mesures prises peut faire l’objet d’une contestation visant la compétence de l’autorité, la forme et le délai de la notification, l’erreur de droit ou encore l’erreur manifeste d’appréciation notamment. Par exception aux principes du contentieux administratif de droit commun, le recours juridictionnel a un effet suspensif sur l’exécution de la décision (sauf à Mayotte)47.
Sans entrer dans le détail des très nombreux régimes contentieux, on peut en évoquer trois parmi les principaux. Le premier englobe les OQTF avec délai de départ volontaire. L’étranger dispose alors d’un délai de 30 jours pour saisir le tribunal, lequel a, en principe, 3 mois pour statuer. Dans la mesure où le délai n’est pas contraint, il n’est pas rare que le délai moyen de jugement avoisine l’année dans certaines juridictions. Le deuxième porte sur les OQTF sans délai pour lesquelles le délai de recours est de 48h et le tribunal a 6 semaines pour statuer. Enfin, lorsque l’étranger est placé en rétention administrative ou assigné à résidence en plus de la délivrance de l’OQTF, le délai de saisine est de 48h et le délai de jugement de 96h.
De tels délais ont imposé une adaptation à la juridiction administrative, notamment par la mise en place de permanence pour répondre à la demande dans des échéances aussi brèves. Ils constituent également une contrainte pour le requérant qui doit faire preuve de rapidité dans le dépôt de sa requête alors que, rappelons-le, en dehors du contentieux des étrangers, le délai de saisine du juge est en principe de deux mois. Une autre règle, elle aussi moins favorable aux étrangers, a une incidence sur les garanties juridictionnelles dont ce dernier (ne) bénéficie (pas). Il s’agit des règles applicables en matière d’aide juridictionnelle. Les étrangers ont droit, sous condition de ressources, à l’aide juridictionnelle lorsqu’ils entendent saisir les tribunaux48. Dans ce cas, l’avocat est rémunéré par l’État, dans le cadre d’un barème prédéterminé. Or, depuis une dizaine d’années, les recours en droit des étrangers sont de moins en moins rémunérés et un décrochage est clairement assumé par rapport aux autres contentieux49. Ces éléments concrets et bassement financiers échappent très souvent à l’attention de la doctrine, mais ils constituent une donnée très importante dès lors qu’il s’agit de comprendre comment sont concrètement considérés les étrangers et surtout quels obstacles ils peuvent rencontrer dans la défense de leurs droits.
À ceci s’ajoutent d’autres pratiques, qui, là aussi, échappent largement à l’observateur non praticien. La première tient au constat historique d’une proximité entre les préfectures et la juridiction administrative, qui perdure en particulier dans les petits tribunaux administratifs. Il n’est pas rare d’observer de nombreux cas de sauvetage des actes administratifs, par la régularisation de certaines irrégularités. Il ne s’agit pas d’une pratique illégale, mais simplement d’une mansuétude dont fait preuve le juge administratif, en invitant l’administration à compléter le dossier ou alors en interprétant les écritures de la préfecture dans un sens favorable à celle-ci50. La seconde est liée au facteur humain. La multiplication des hypothèses dans lesquelles il est statué à juge unique en matière de droit des étrangers, corrélée à l’open data51 et à une accessibilité accrue des décisions de justice permet désormais de mettre en évidence de grandes disparités de taux d’annulation des OQTF d’une juridiction à une autre, voire d’un juge à un autre. Le constat que certains juges sont plus favorables que d’autres (en fonction de leurs convictions politiques ou de la conception qu’ils ont de leur fonction) peut commencer à être scientifiquement démontré, ce qui peut susciter aussi des inquiétudes du côté des juges, attachés de ce fait au principe de collégialité52. Cette multiplication des jugements à juge unique est aussi liée à une autre série de difficultés : faire face à un contentieux de masse.
II. Des difficultés liées à un contentieux de masse
Même en laissant de côté le contentieux du droit d’asile qui ne relève de la compétence du juge administratif qu’en cassation devant le Conseil d’État, le droit des étrangers représente le contentieux le plus important en volume : 43% devant les tribunaux administratifs, 54% devant les cours administratives d’appel et 18% devant le Conseil d’État53. Cette situation emporte des conséquences quantitatives comme qualitatives.
En premier lieu, les juridictions, surtout du fond, sont confrontées à une énorme quantité de dossiers à traiter, alors que la contrainte de maintenir un délai moyen de jugement raisonnable relève des indicateurs de performance placés au cœur de leurs missions54. Pour écouler le stock contentieux et absorber les flux, diverses mesures sont mises en place, lesquelles constituent une parfaite application de la « gouvernance par les nombres »55. L’une d’entre elles se manifeste au travers d’un quota de dossier que chaque magistrat doit traiter. Cette norme – qui est utilisée pour apprécier la productivité des magistrats administratifs au regard des objectifs qui leur sont fixés56) – trouve son origine dans une politique mise en place par un conseiller d’État, Guy Braibant, dans les années 1960 et explique sa dénomination de « norme Braibant ». À l’époque, un magistrat de tribunal administratif devait avoir une productivité annuelle moyenne de 160 dossiers, étant cependant précisé que la sociologie du contentieux n’était pas la même : le contentieux des étrangers était résiduel et les référés n’existaient pas. Bien qu’elle fasse l’objet de critiques, la jauge a été globalement maintenue : chaque magistrat administratif traite en principe, au niveau des tribunaux administratifs et en moyenne, au moins 8 dossiers par audience, pour 20 audiences par an.
Cette approche a une incidence particulière en droit des étrangers et conduit à la formulation de trois observations. Tout d’abord, parmi les 8 dossiers, chaque magistrat se voit attribuer en règle générale 4 dossiers dits « matière », c’est-à-dire relevant des matières attribuées à la chambre à laquelle il appartient (droit de l’urbanisme, par exemple) et au moins 4 dossiers dits « étrangers », c’est-à-dire touchant au droit des étrangers. Ainsi, au vu de la masse à traiter, la non-spécialisation l’emporte. Ensuite, et de ce fait, le droit des étrangers permet d’équilibrer la norme, car de tels dossiers sont considérés – à tort ou à juste titre – comme relativement simples. Pour cette même raison, chaque dossier ne compte pas pour 1 et il n’est pas rare, dans certaines juridictions, qu’un dossier en droit des étrangers ne valle qu’un demi-point, ce qui, de manière implicite, pourrait aussi signifier que le magistrat devrait y passer deux fois moins de temps que pour d’autres dossiers, ce qui n’est pas toujours possible. Enfin, en l’absence de règles officielles et fixées à l’échelle nationale, une très grande disparité se constate dans les modulations effectuées d’un tribunal à un autre57.
En second lieu, la différence de traitement porte aussi sur l’application de règles de droit et, dès lors, sur des aspects qualitatifs. Un avis du Conseil d’État du 10 octobre 202358 en témoigne. En l’espèce, un recours était formé par un étranger contre le refus d’enregistrement par le préfet d’une demande de titre de séjour en raison de l’incomplétude du dossier. Les règles de procédure administrative sont désormais régies en France par le Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), lequel constitue le droit commun en la matière. Or son article L. 114-5 énonce : « Lorsqu’une demande adressée à l’administration est incomplète, celle-ci indique au demandeur les pièces et informations manquantes exigées par les textes législatifs et réglementaires en vigueur. Elle fixe un délai pour la réception de ces pièces et informations ». Le CESEDA, quant à lui, fait état d’un ensemble de pièces qui doivent être versées au dossier de demande de titre de séjour et reste silencieux s’agissant des conséquences à tirer de l’incomplétude du dossier. Le Conseil d’État considère en conséquence que « les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile constituent des dispositions spéciales régissant le traitement par l’administration des demandes de titres de séjour, en particulier les demandes incomplètes, que le préfet peut refuser d’enregistrer. Par suite, la procédure prévue à l’article L. 114-5 du code des relations entre le public et l’administration n’est pas applicable à ces demandes ». Si l’argument selon lequel le spécial déroge au général peut se comprendre, on aurait aussi pu considérer que, dans le silence des textes, le droit commun s’appliquait, car, en l’occurrence, il semble qu’il y ait moins règle spéciale que silence, ce qui suppose l’application de modes de raisonnements différents. Ainsi, les droits procéduraux reconnus aux requérants dans le cadre du droit des étrangers sont amoindris par le juge, et ce, au bénéfice de l’administration.
En définitive, le droit des étrangers se présente en France comme une machine folle, dont la simplification maintes fois annoncée demeure une chimère59. Au-delà de l’instrumentalisation politique dont il fait l’objet, il suscite au moins deux paradoxes d’un point de vue juridique.
D’une part, le taux d’exécution des OQTF est a priori de l’ordre de 15% maximum60. Cette impossibilité d’exécution matérielle des décisions administratives contribue à saper l’effectivité de la mise en œuvre des mesures ordonnées. Elle constitue un risque non négligeable à l’heure de la montée de la défiance vis-à-vis des institutions dans la société et rend d’autant plus vains les appels à une délivrance accrue de nouvelles obligations de quitter le territoire. La nature platonique de l’exécution de ces dernières peut enfin être source de découragement pour les agents administratifs qui délivrent de telles décisions, les juges qui les contrôlent et les agents chargés de leur mise en œuvre, le cas échéant.
D’autre part, relevant de la police administrative spéciale, le droit des étrangers est compris comme une prévention, comme une protection de l’État contre les étrangers. Pourtant, l’exécution d’une OQTF dépend, de manière contre-intuitive à première vue, mais aisément explicable, de la diplomatie et de la bonne volonté de l’État dans lequel l’étranger doit être reconduit. Or, la Chine actuellement, mais aussi l’Algérie un temps et d’autres États refusent de délivrer les laissez-passer consulaires indispensables au retour de l’étranger dans le pays de destination. Si bien que la France est en réalité dépendante du bon vouloir des autres États, loin de toute doctrine de protectionnisme.
- Pour un aperçu de la situation allemande d’un point de vue français, v. not. C. Boutelet, « L’ Allemagne amorce un virage sur l’immigration », Le Monde, 8 novembre 2023. Pour la France, v. les débats ayant entouré la discussion du projet de loi dit « immigration » et le contenu même de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (cf. supra et not., pour un commentaire de divers aspects de la loi : J. Lepoutre, « Intégration et régularisation des étrangers. Durcissement réel et progrès incertains », AJDA, 2024, p. 658 ; D. Turpin, La loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler (beaucoup) l’immigration, améliorer (un peu) l’intégration, RFDA, 2024, p. 311). [↩]
- Pour une approche historique de l’immigration en France, v. parmi les références incontournables : G. Noiriel, Le creuset français : histoire de l’immigration, XIXe-XXe siècle, 1988, p. 448; du même auteur, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècle). Discours publics, humiliations privées, 2014, p. 720. [↩]
- L’accès à des données chiffrées n’est pas aisé. Même lorsqu’elles sont supposées fiables, car issues de sources officielles, leur interprétation demeure délicate, selon l’indicateur retenu. V. cependant : Direction générale des étrangers en France, « L’essentiel de l’immigration. Chiffres clés », 26 janvier 2023 : on relève au maximum 130.000 demandes annuelles d’asile entre 2019 et 2022 et un peu plus de 50.000 admissions en 2021. Les ressortissants afghans sont les plus nombreux à effectuer une telle demande. Quant aux Ukrainiens (qui ont bénéficié d’un régime spécifique), s’ils sont 65.000 environ à avoir obtenu une autorisation provisoire de séjour, seuls 702 bénéficient en 2022 de la protection internationale (donc, de l’asile) en France. [↩]
- F. Héran, « Le débat public en France sur l’immigration est sans rapport avec la réalité », Le Monde, 10 novembre 2022. [↩]
- V. la contribution de N. Schaks dans cet ouvrage. [↩]
- Cette conception contemporaine n’a pas toujours prévalu en France. Historiquement, l’étranger (étymologiquement extraneus, signifiant « extérieur ») est celui qui habite le village d’en face ou la région voisine. On trouve même jusque dans les années 1830 des fonctionnaires qui n’ont pas la nationalité française. Progressivement, avec la construction de l’État-nation, l’étranger devient celui qui ne possède pas la nationalité du pays dans lequel il réside. [↩]
- V. la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, dont l’un des volets consiste à faciliter le travail dans les métiers dits « en tension ». [↩]
- V. not. L. Derepas, « L’ordre public et les migrations », dossier « L’ordre public », dans Archives de philosophie du droit, 2015 (tome 58), pp. 47-57. [↩]
- V. la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, laquelle renforce les possibilités d’expulsion des étrangers présentant une « menace grave pour l’ordre public » (selon l’intitulé du Titre III de la loi, art. 35 et s.), à la suite d’une condamnation pénale, pour des crimes ou délits passibles d’au moins cinq ans de prison (voire trois ans en cas de récidive) ; sur le sujet, v. E. Aubin-Kanezuka, « Les dispositions relatives à l’éloignement des étrangers ‘délinquants’ », AJDA, 2024, p. 664. [↩]
- L’aide médicale de l’État est un dispositif qui offre aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins (sauf à Mayotte). Sa suppression a été discutée lors du projet de loi immigration de 2023 et actée lors des discussions parlementaires au Sénat, puis rétablie lors de l’examen de la loi par la commission des lois de l’Assemblée nationale. Son avenir était en suspens, au moment où un rapport commandé par la Première ministre et remis au gouvernement confirme son « utilité sanitaire » (v. C. Evin, P. Stefanini, Rapport sur l’aide médicale de l’État, décembre 2023). En l’état actuel du droit, l’aide médicale d’Etat demeure inchangée. [↩]
- Même lorsque l’étranger a obtenu la nationalité française, elle n’est pas acquise une fois pour toutes, puisqu’il existe une procédure de déchéance de nationalité, applicable notamment lorsque l’individu a été condamné pour un crime ou un délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou constituant un acte de terrorisme. [↩]
- V. Tchen, « Le droit des étrangers d’ « hier à demain » : un jour sans fin ? », Dr. adm., n° 10, octobre 2023, 17. [↩]
- Ibidem. [↩]
- V. Tchen, « Le droit des étrangers d’ « hier à demain » : un jour sans fin ? », Dr. adm., n° 10, octobre 2023, 17, § 5 et s. [↩]
- V. la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. Au-delà des âpres discussions de fond qu’elle a suscitées, cette loi a, sur le plan purement juridique, la particularité d’avoir été votée avec des dispositions que le Président de la République et le Gouvernement savaient non conformes à la Constitution (et ils l’ont fait publiquement savoir). Mission a été donnée au Conseil constitutionnel de procéder au contrôle et à la censure des dispositions inconstitutionnelles (v. la décision CC, n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 ; pour un commentaire : J. Bonnet, P-Y Gahdoun, « L’art de l’esquive », AJDA, 2024, p. 650), ce qui n’a pas manqué de faire réagir vertement le Président de cette institution (v. L. Fabius, Cérémonie de vœux du Président de la République au Conseil constitutionnel, 8 janvier 2024, disponible en ligne sur le site du Conseil constitutionnel). [↩]
- V. déjà le Rapport public du Conseil d’État de 1991, De la sécurité juridique (« Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite »), constat réitéré dans son Rapport public de 2006, Sécurité juridique et complexité du droit. [↩]
- CC, déc. n° 99‑421 DC du 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes, cons. 13. [↩]
- Les évolutions constantes de la matière conduisent à l’obsolescence accélérée des manuels. V. cependant, du côté des universitaires, l’ouvrage de référence : V. Tchen, Droit des étrangers, 2024, 3e éd, p. 1720 (et l’on renvoie à son ouvrage quiconque souhaite obtenir un exposé détaillé et très complet de la matière) ; également, pour une approche ouvertement engagée : K. Parrot, Carte blanche. L’État contre les étrangers, 2009, p. 328. [↩]
- Non seulement le GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés) participe de la protection des immigrés, saisit fréquemment la justice (v. Sous l’égide du GISTI, Défendre la cause des étrangers en justice, Dalloz, 2009, 346 p.) et fait ainsi évoluer le droit des étrangers, mais les recours déposés contribuent aussi à l’évolution du droit administratif général. Preuve en est, les Grands arrêts de la jurisprudence administrative comptent actuellement trois arrêts GISTI parmi les 178 arrêts considérés comme essentiels en droit administratif (v. M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé, B. Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 2023, 24e éd., p. 1250). [↩]
- Pour un éclairage sociologique : A. Spire, Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l’immigration, 2008, p. 124 L’enquête porte en l’occurrence sur les guichets de la préfecture, de la direction du travail, des ambassades et consulats à l’étranger. Y sont notamment analysés les « croyances » et conditions de travail des agents, ainsi que la façon dont est mise en œuvre la politique du chiffre et ses répercussions. [↩]
- Pour un ouvrage de référence sur le sujet, v. T. Fleury-Graff, A. Marie, Droit de l’asile, 2e éd., 2021, p. 403. [↩]
- Une précision utile, toutefois : en France, contrairement à l’Allemagne, une juridiction spéciale a été instaurée, la Commission nationale du droit d’asile (CNDA). Elle statue, en appel, contre les décisions de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), qui reste un organe administratif, et ses décisions relèvent en cassation de la compétence du Conseil d’État. [↩]
- L’on excepte du propos la situation des enfants nés sur le territoire français et n’ayant pas acquis la nationalité française dès leur naissance, ainsi que celle des ressortissants de l’Union européenne. [↩]
- L’hypothèse de la réunification familiale, qui répond à un régime différent, ne sera pas ici détaillée. [↩]
- Cette réserve d’ordre public gagne en puissance et se multiplie au sein des différents régimes applicables à l’étranger, comme motif permettant de justifier le refus d’accueil de l’étranger, voire son expulsion du territoire national. [↩]
- V. la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, art. 5. Le contrat, initialement dit « d’accueil et d’intégration » est devenu le « contrat d’intégration républicaine » par une loi de 2016 (Loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, art. 66). [↩]
- Pour les résultats d’une enquête de terrain, v. M. Chambon, « Les malfaçons du contrat d’accueil et d’intégration », Plein droit, 2006/3 (n° 70), pp. 28-31. [↩]
- Saisi d’un recours contre cet acte, le juge administratif n’exerce qu’un contrôle restreint. En cas d’annulation de la décision du préfet, il peut, de plus, enjoindre au préfet de prendre une nouvelle décision dans un délai déterminé. Il ne peut pas lui enjoindre de délivrer le titre, sauf dans les cas où le préfet est en compétence liée. [↩]
- Le montant de la taxe est fixé à 200 euros pour le cas général (v. art. L436-1 CESEDA). [↩]
- V. not. CE, 10 juin 2020, n° 435594 ; CE, 21 avril 2021, n° 448178 (avec des précisions sur les modalités de la preuve) ; voir aussi le rapport d’information du Sénat n° 626, Services de l’État et immigration : retrouver sens et efficacité, 10 mai 2022 ainsi que (déjà) le document établi par la CIMADE, A guichets fermés. Demandes de titres de séjour : les personnes étrangères mises à distance des préfectures, 2016 (disponible en ligne). [↩]
- V. l’annexe 9 du CESEDA. [↩]
- Décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d’un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour (en partie annulé à la suite de la décision du Conseil d’État du 3 juin 2022 mentionnée ci-dessous). [↩]
- CE, 3 juin 2022, n° 452798. Et la haute juridiction de se référer, pour justifier sa décision, « aux caractéristiques du public concerné, à la diversité et à la complexité des situations des demandeurs et aux conséquences qu’a sur la situation d’un étranger, notamment sur son droit à se maintenir en France et, dans certains cas, à y travailler, l’enregistrement de sa demande ». [↩]
- D. Lochak, « Faire bouger les frontières de la citoyenneté : un combat voué à l’échec ? retour sur le droit de vote des résidents étrangers en France », Les défis de la République, 2017, pp. 57-86 et pour un point de vue différent : O. Beaud, « Les étrangers exclus du droit de vote. Une telle exclusion est-elle nécessairement anti-démocratique ? », in Vies politiques ; mélanges en l’honneur de Hugues Portelli, 2018, pp. 223-247 [↩]
- V., parmi les droits attachés au séjour, les dispositions du CESEDA relatives à « l’exercice d’une activité professionnelle » (art. L414-10 et s.). [↩]
- À cette occasion et en vertu de l’article L. 436-10 du CESEDA, une taxe doit être acquittée par l’employeur. [↩]
- V. le rapport du défenseur des droits, Les mineurs non accompagnés au regard du droit, février 2022 (disponible en ligne), qui dresse un bilan alarmant et formule des recommandations. [↩]
- Pour un exemple récent : « L’Ain va suspendre quelques mois la prise en charge des mineurs isolés étrangers », Le Monde avec AFP, 30 novembre 2023. [↩]
- CE, 3 février 2021, n° 448721 : « Ces mesures d’éloignement visent à faciliter l’exécution matérielle de leur mission par les forces de l’ordre, à assurer le respect de la dignité due aux personnes évacuées, et à prévenir les atteintes aux tiers que de telles opérations pourraient engendrer ». [↩]
- M. Canedo-Paris, « La dignité humaine en tant que composante de l’ordre public : l’inattendu retour en droit administratif français d’un concept controversé », RFDA, 2008, p. 979. [↩]
- Les CROSS (Centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage) exercent, en France, cette mission. [↩]
- Alors qu’une faute lourde était autrefois exigée pour engager la responsabilité de l’État dans de tels cas de figure, depuis 1998, seule une faute simple est requise (CE, 13 mars 1998, n° 89370). Pour une analyse de ce potentiel futur cas de responsabilité, v. H. Belrhali, « Secours en mer des migrants : le rappel de l’État à ses responsabilités ? », Le Club des juristes, 23 décembre 2022 et l’auteur de souligner que la faute est aussi appréciée au regard des moyens disponibles – dont on sait qu’ils sont faibles et insuffisants. [↩]
- CE, 23 octobre 2020, n° 429383. [↩]
- CAA Bordeaux, 29 décembre 2021, n° 20BX03521. [↩]
- Défenseur des droits, Rapport annuel d’activité 2022, 17 avril 2023, p. 40. La défenseure alerte ainsi « sur la dégradation des droits fondamentaux des personnes étrangères ». [↩]
- V. notamment Le droit des étrangers en quarantaine, 30e colloque de droit des étrangers, organisé par le Syndicat des avocats de France, 26 septembre 2020 ; v. aussi V. Tchen, Droit des étrangers, 2024, 3e éd, p. 160, lequel évoque « un contentieux de la dérogation justifiée par les exigences supposées de l’urgence et de manière plus discrète par les nécessités du nombre de recours à trancher ». [↩]
- C’est là l’un des rares cas de mesure favorable à l’étranger, même si l’on peut aussi considérer qu’elle répond à des préoccupations pratiques en premier lieu qui agréent aussi l’administration (ne pas avoir à faire revenir en France l’étranger dont l’OQTF aurait été annulée par le juge administratif) et le juge administratif (éviter le dépôt d’un référé en urgence en plus d’un recours au fond). [↩]
- Étant précisé que la demande d’aide juridictionnelle suspend le délai de recours, mais pas la mesure d’exécution. [↩]
- V. en dernier lieu le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et relatif à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles. Alors qu’un recours au fond devant le juge administratif est frappé d’un coefficient de base (dit couramment « UV » pour « unité de valeur ») de 20, les « recours dirigés contre les mesures prises en matière de droit des étrangers, à l’exception des recours indemnitaires et des référés » le sont à hauteur de 14. Pour le dire de manière très prosaïque : la contestation d’une OQTF via une demande d’annulation est rémunérée 30% de moins que le recours pour excès de pouvoir formé contre n’importe quel autre type d’acte. [↩]
- V. aussi V. Tchen, Droit des étrangers, 2024, 3e éd., p. 1117. Il mentionne « une impression de jugements stéréotypés (…) pour une raison tenant au nombre restreint des moyens soulevés », d’autant que les avocats sont souvent saisis dans l’urgence. Et ajoute : « la massification du contentieux et le poids des formulaires (qui balise la procédure et la sécurise… au bénéfice de l’administration) conduisent à un examen d’apparence mécanique qui aboutit le plus souvent à un constat de légalité des mesures déférées. (…) A bien des égards, cette situation insatisfaisante confère au contentieux de l’obligation de quitter le territoire les allures d’un alibi destiné à satisfaire aux exigences du droit au recours ». [↩]
- V. à cet égard la mise à disposition en libre accès de millions de décisions de justice sur la plateforme « Justice pappers ». [↩]
- V. B. Even, « Les mutations du contentieux administratif des étrangers », in Sous l’égide du GISTI, Défendre la cause des étrangers en justice, 2009, spé. p. 330. [↩]
- Conseil d’État, Rapport public. Activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2022, 2023, p. 36. [↩]
- V. dans le budget général, programme 165, projets annuels de performances, annexe au projet de loi de finances pour 2023, l’indicateur 3.1 « Nombre d’affaires réglées par membre du Conseil d’État, par magistrat des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, ou par rapporteur de la Cour nationale du droit d’asile ». [↩]
- A. Supiot, La Gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France (2012-2014), 2015, 512 p. [↩]
- La cible fixée pour chaque juge en 2023 est de 85 affaires au Conseil d’État, 135 dans les Cours administratives d’appel, 280 dans les tribunaux administratifs et 265 à la Cour nationale du droit d’asile (v. Budget général…, préc. [↩]
- V. le constat de la Cour des comptes, Approches méthodologiques des coûts de la justice. Enquête sur la mesure de l’activité́ et l’allocation des moyens des juridictions judiciaires, décembre 2018, p. 85 et s. [↩]
- CE Avis, 10 octobre 2023, n° 472831. [↩]
- V. aussi C. Meurant, « La simplification impossible du contentieux de l’éloignement », AJDA, 2024, p. 676. [↩]
- Auditionné au Sénat, le ministre de l’Intérieur a cependant précisé que « sur les OQTF, ce débat est très important démocratiquement. Chacun commente un taux d’exécution que personne ne connaît. Les chiffres utilisés pour ce taux d’exécution ne reposent sur aucune réalité statistique »… et d’avancer, après explications, un taux d’exécution volontaire d’OQTF de moins de 20%, mais qui monterait, selon lui, à environ 40% en ajoutant l’exécution des OQTF contraintes. Pour 2021, il précise toutefois que 120 000 OQTF ont été prononcées et que 16 000 reconduites à la frontière ont été effectuées (soit, après calcul de l’auteur de ses lignes, un taux moyen de 13%), qu’il majore en tenant compte d’un décalage temporel dans l’exécution (ce qui peut prêter à contestation). V. le compte rendu de l’audition de M. Gérald Darmanin, Ministre de l’Intérieur et des outre-mer devant la commission des lois du Sénat (à propos du projet de loi de finances pour 2023, mission immigration, asile et intégration), Avis n° 121 (2022-2023), tome II, déposé le 17 novembre 2022. [↩]
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