Contexte : Rendue dans le contexte de la vaccination contre le virus de la grippe de type A (H1N1), cette décision rendue le 27 mai 2016 montre que le Conseil d’Etat refuse de suivre l’ONIAM dans son analyse restrictive des dispositions de la loi concernant l’indemnisation des dommages causés du fait de soins et prestations prodigués en application de mesures sanitaires urgentes.
Litige : A la fin de l’année 2009 et au début de l’année 2010, un enfant âgé de 10 ans est vacciné par injection du vaccin Pandemrix contre le virus de la grippe A (H1N1) dans le cadre de la campagne de vaccination de grande ampleur mise en place à la suite d’un épisode de grippe aviaire. En avril 2010, apparaissent les premiers symptômes d’hypersomnie qui donnent lieu à plusieurs examens médicaux. En octobre 2011, le diagnostic de narcolepsie-cataplexie est posé. En septembre 2013, l’ONIAM est saisi d’une demande d’indemnisation des préjudices de l’enfant mineur ainsi que celle de ses proches. L’ONIAM reconnaît le lien de causalité entre la vaccination et la maladie et fait une offre d’indemnisation des préjudices subis par l’enfant. En revanche, l’ONIAM rejette la demande d’indemnisation de ses parents. Les parents saisissent le juge des référés du tribunal administratif de Versailles en sollicitant une provision sur l’indemnisation de leurs propres préjudices. Le tribunal rejette leur demande et la cour administratif d’appel de Versailles confirme l’ordonnance dans un arrêt rendu le 2 juin 2015.Un pourvoi est formé contre cette dernière décision.
Solution : La Conseil d’Etat annule l’ordonnance du juge des référés de la cour administrative d’appel de Versailles aux motifs que :
« que les dispositions de l’article L. 3131-4 du code de la santé publique prévoient la réparation intégrale par l’ONIAM, en lieu et place de l’Etat, des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention ou de soins réalisées en application de mesures prises conformément aux articles L. 3131-1 ou L. 3134-1, sans qu’il soit besoin d’établir l’existence d’une faute ni la gravité particulière des préjudices subis ; qu’il résulte des termes mêmes de ces dispositions que la réparation incombant à l’ONIAM bénéficie à toute victime, c’est-à-dire tant à la personne qui a subi un dommage corporel du fait de l’une de ces mesures qu’à ceux de ses proches qui en subissent directement les conséquences ; que par suite, en déduisant du deuxième alinéa de l’article L. 3131-4, qui précise que l’offre d’indemnisation est adressée par l’office » à la victime ou, en cas de décès, à ses ayants droit « , que cette indemnisation ne bénéficierait qu’à la victime » directe » et ne permettrait une indemnisation de ses proches pour leurs préjudices propres qu’en cas de décès de cette dernière, puis en estimant en conséquence que l’expertise sollicitée afin d’évaluer les préjudices propres de M. B… et de Mme D…était dépourvue d’utilité, le juge des référés de la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ; que les requérants sont, par suite, fondés à demander l’annulation de son ordonnance ».
Analyse : Cette décision est intéressante à deux titres.
D’abord, et même si le Conseil d’Etat n’était pas saisi de cette question, elle fait apparaître qu’un lien de causalité peut être établi entre la vaccination contre la grippe A (H1N1) et la narcolepsie-cataplexie. En l’occurence, ce lien a été reconnu par l’ONIAM, dont on sait qu’il ne fait toujours preuve de générosité à l’égard des victimes, sur la base d’un rapport d’expertise médicale qui a conclu que « la proximité chronologique entre la vaccination par Pandemrix et les premières manifestations de la narcolepsie (3-4 mois) permet d’établir l’existence d’une causalité de type TRÈS VRAISEMBLABLE = Cotation 4, entre la pathologie du jeune (…) et la vaccination par le vaccin dénommé Pandemrix« . L’expert a aussi relevé qu’ « après la vaccination contre la grippe A (H1N1), le risque de narcolepsie, chez les enfants et chez les adultes, est augmenté de 6,5 fois« . Nul doute que cette position donnera espoir aux nombreuses personnes qui ont développé des troubles après la vaccination contre la grippe A (H1N1).
Ensuite, et le Conseil d’Etat était directement saisi de ce point, l’arrêt tranche une difficulté d’interprétation de l’alinéa 2 de l’article L. 3131-4 du code de la santé publique, particulièrement mal rédigé, qui énonce, à propos de l’indemnisation des dommages causés du fait de soins et prestations prodigués en application de mesures sanitaires urgentes, que :
« L’offre d’indemnisation adressée par l’office à la victime ou, en cas de décès, à ses ayants droit indique l’évaluation retenue pour chaque chef de préjudice, nonobstant l’absence de consolidation, ainsi que le montant des indemnités qui reviennent à la victime ou à ses ayants droit, déduction faite des prestations énumérées à l’article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, et, plus généralement, des prestations et indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du même chef de préjudice« .
La discussion portait sur le sens à donner à l’expression de « victime » employée par ce texte. Pour l’ONIAM, seule la victime directe est visée par cette disposition. Le Conseil d’Etat a retenu une autre interprétation en considérant qu’elle visait tout à la fois les victimes directes et les victimes par ricochet. Cette solution mérite d’être approuvée, tant elle apparaît conforme aux principes du droit de la réparation qui bénéficient aux victimes directes comme aux victimes par ricochet, ainsi que le montre par exemple la nomenclature Dintilhac. C’est d’ailleurs la règle applicable en cas d’aléa thérapeutique (C. santé publ., art. 1142-1, II) et en matière de Benfluorex (C. santé publ., art. 1142-24-6). Il en résulte que les parents de la jeune victime pourront non seulement obtenir indemnisation de leur préjudices d’affection et éventuellement d’accompagnement mais également de toutes les dépenses générées par l’état de leur enfant ainsi qu’éventuellement leurs pertes de revenus en cas de diminution de leurs activités professionnelles.