À l’occasion de la contestation par un contribuable de la procédure de redressement fiscal dont il a fait l’objet, le Conseil d’Etat précise le champ de compétence du juge administratif dans la procédure d’inscription de faux.
Le requérant demandait une décharge d’imposition en faisant valoir que le délai ouvert à l’administration pour procéder à un redressement était expiré, faute pour elle d’avoir procédé à la notification prévue à l’article L. 76 du Livre des procédures fiscales. Pour faire valoir que son action n’était pas prescrite, l’administration a produit deux attestations du receveur des postes certifiant que l’intéressé a demandé à ce que son courrier soit gardé au bureau de poste, et qu’ainsi la notification a bien été mise à sa disposition. Le contribuable soutient que ces documents sont des faux, et demande à ce qu’il soit sursis à statuer jusqu’à ce que le juge pénal se soit prononcé sur sa plainte pour faux et usage de faux. Saisi en cassation, le Conseil d’Etat retient que les premiers juges n’ont pas commis d’erreur de droit en se reconnaissant compétents pour connaître de la procédure d’inscription de faux prévue à l’article R. 633-1 du code de justice administrative. Cette disposition a longtemps été comprise comme imposant au juge administratif de renvoyer toutes les demandes d’inscription de faux devant le juge judiciaire. Le juge administratif a cependant reconnu une exception à ce principe, en considérant que l’exactitude des mentions portées dans un acte administratif relevait de sa compétence (CE Sect., 20 février 1948, Ferrandi, rec. p. 88).
La première difficulté était de déterminer si les attestations litigieuses pouvaient être regardées comme des actes administratifs. La Poste étant un établissement public à caractère industriel et commercial. L’article 1er de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications (JO 8 juillet 1990, p. 8069) en fait un exploitant public, et le juge administratif la classe dans la catégorie des établissement publics industriels et commerciaux (TC, 12 novembre 1993, Matisse, rec. p. 410). Les actes individuels qui concernent les relations de La Poste avec ses usagers relèvent ainsi du droit privé (CE, 21 avril 1961, Dame Veuve Agnesi, rec. p. 253, confirmé par l’article 25 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, préc.). Ainsi, une attestation relative à la réception par un usager de son courrier constitue, en principe, un acte de droit privé, ne pouvant faire l’objet d’une procédure d’inscription de faux que devant le juge judiciaire.
Cependant, Claire Landais, commissaire du gouvernement concluant sur la présente affaire, a tout d’abord envisagé une première solution en privilégiant une autre analyse. Celle-ci consiste à qualifier une telle attestation d’acte administratif, eu égard à l’importance que revêt la notification en droit administratif. Il s’agissait de considérer qu’outre le volet industriel et commercial des missions dévolues à La Poste, celle-ci exerçait un service public administratif en procédant à la notification en recommandé de décisions administratives ou de décisions de la juridiction administrative. Cette interprétation est apparue comme source de difficultés. Le service des envois en recommandé ne faisant pas partie du secteur réservé de La Poste, et pouvant être pris en charge par d’autres opérateurs, tous les opérateurs procédant à la distribution des recommandés auraient pu être considérés comme investis d’une mission de service public à caractère administratif.
De plus, une telle solution est génératrice pour La Poste d’incertitudes propres au régime applicable aux établissements publics « à double visage », exerçant simultanément des activités industrielles et commerciales et des activités administratives (TC, 10 février 1949, Guis, rec. p. 590, pour un établissement qualifié d’industrie et commercial mais gérant également des activités administratives ; CE, 23 novembre 1959, Société immobilière et immobilière de la meunerie, rec. p. 870, pour un établissement qualifié d’administratif par ses textes institutifs mais exerçant également des activités industrielles et commerciales ; TC, 12 novembre 1954, Société Interfrost, requête numéro 02338, rec. p. 450). Enfin, le juge judiciaire se serait trouvé privé d’une partie de sa compétence. Ainsi, en cherchant à simplifier la répartition du contentieux, une telle solution aurait été à l’origine de nouvelles difficultés.
C’est une solution différente qui a finalement été préconisée par le commissaire du gouvernement puis retenue par la Section du contentieux du Conseil d’État. Le juge a élargi le champ des aménagements prétoriens au dispositif de l’article R. 633-1 du code de justice administrative en posant une seconde exception à la compétence de principe du juge judiciaire. La compétence du juge administratif est étendue aux contestations portant sur les mentions des documents postaux produits par les parties aux fins d’établir ou de contester qu’un courrier échangé dans le cadre d’une procédure administrative ou d’une procédure engagée devant la juridiction administrative a été correctement acheminé par la voie postale. Le champ de l’exception ouverte s’étend, au-delà de la seule question de la recevabilité des requêtes présentées au juge administratif, à l’ensemble des contestations relatives aux notifications, y compris au stade de la procédure administrative, en amont de la saisine du juge. En l’espèce, la validité des attestations produites était sans effet sur la recevabilité de la requête, mais elle conditionnait la régularité de la procédure de redressement entreprise pour l’administration fiscale.
Cette interprétation conduit à adopter une lecture extensive du champ de la compétence du juge administratif, en apparente contradiction avec la lettre de l’article R. 633-1 du code de justice administrative. Le Commissaire du Gouvernement justifie cette lecture en invoquant le principe en vertu duquel le juge administratif est toujours compétent pour apprécier la recevabilité des requêtes qui lui sont soumises. Ainsi, le juge se reconnaît compétent pour interpréter les statuts d’associations pour déterminer la personne compétente pour agir en justice (CE Ass., 21 juillet 1972, Union interfédérale des syndicats de la préfecture de police et de la sûreté nationale, requête numéro 75225, rec. p. 584), ou pour apprécier la recevabilité d’un acte de droit privé par lequel une habilitation d’agir en justice a été donnée (CE, 22 octobre 1965, Dlle Boissière, requête numéro 59107, rec. p. 547).
La solution retenue semble la mieux justifiée, non seulement du point de vue de la lisibilité de la répartition des compétences, mais aussi au regard de l’exigence pour toute juridiction de se prononcer dans un délai raisonnable sur les litiges dont elle est saisie. En distinguant clairement les contestations devant faire l’objet d’un sursis à statuer et celles pouvant être traitées directement par le juge administratif, le Conseil d’Etat a procédé à une simplification utile de la procédure contentieuse à la faveur d’une lecture constructive des textes.