L’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM) est une autorité de régulation ayant pour objet de veiller au respect par les entreprises d’assurance des dispositions applicables dans ce secteur, ainsi que des engagements contractuels les liant à leurs assurés. À cette fin, elle est dotée par l’article L. 310-18 du code des assurances d’un pouvoir de sanction disciplinaire.
L’ACAM a été saisie par des assurés d’une société d’une demande d’engagement d’une procédure disciplinaire à l’encontre de celle-ci. Le silence de l’ACAM a fait naître une décision implicite de refus, dont les requérants demandent l’annulation.
Les principaux apports de cet arrêt résident dans les questions de recevabilité du recours. Le Conseil d’État retient qu’une décision d’une autorité de régulation refusant d’engager des poursuites disciplinaires est bien susceptible de recours pour excès de pouvoir. Il considère également que des tiers, en leur qualité d’acteur du marché, ont intérêt pour agir contre une telle décision.
1°) La première difficulté résidait dans le fait de savoir si une décision d’une autorité administrative refusant d’engager des poursuites disciplinaires constitue une décision susceptible de recours. La possibilité d’exercer un recours contre la décision de l’ACAM n’allait en effet pas de soi.
En ce qui concerne le refus d’une autorité administrative de saisir une autorité juridictionnelle, la jurisprudence établit un dispositif asymétrique de recevabilité. Le refus opposé par une autorité administrative de saisir le juge judiciaire est une décision susceptible de recours. À l’inverse, la saisine par l’administration du juge judiciaire ne peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, le juge judiciaire étant seul compétent pour apprécier l’opportunité de poursuivre ou non le comportement incriminé. De même, le refus d’une autorité de saisir une juridiction administrative, ou encore le refus pour une autorité administrative possédant également des attributions de juridiction administrative d’engager des poursuites disciplinaires, constitue une décision administrative détachable qui peut être contestée devant le juge de la légalité (CE, 30 décembre 2002, Mme Rimonteil de Lombares, requête n° 240635 , rec. p. 490).
Mais la situation est différente dans le cas du refus d’engager des poursuites opposé par une autorité de régulation. L’ACAM étant titulaire du pouvoir de sanction dont l’exercice lui est demandé, elle refuse d’engager des poursuites en tant qu’autorité administrative, et non pas de saisir le juge pour qu’il engage de telles poursuites. Le Conseil d’État avait auparavant jugé (CE, 26 février 1982, Guenoun, requête n° 16322) qu’une décision de refus d’engager des poursuites disciplinaires opposée par une autorité administrative n’était pas susceptible de recours. Cette jurisprudence est désormais abandonnée (CE, 28 mars 1997, Solana, requête n° 182912, p. 119). Le Conseil d’État a donc confirmé ici la solution jurisprudentielle en jugeant que le refus de l’ACAM d’engager une procédure disciplinaire à l’encontre d’une compagnie d’assurances est une décision susceptible de recours pour excès de pouvoir.
Si cette solution manifeste une volonté de soumettre les actes du régulateur au contrôle du juge, le Conseil d’État s’emploie à mettre en évidence la nature spécifique du pouvoir dont dispose l’ACAM. Le second considérant offre en effet une définition du pouvoir de sanction tel qu’il doit être exercé non pas à des fins punitives, mais en vue de garantir le bon fonctionnement d’un marché. L’autorité administrative doit ainsi pouvoir disposer d’un large pouvoir d’appréciation aussi bien des circonstances d’espèce que des intérêts généraux qui sont en cause. Cela justifie que le juge se limite à un contrôle restreint, la censure ne pouvant être prononcée qu’en cas d’erreur de fait ou de droit, d’erreur manifeste d’appréciation ou de détournement de pouvoir.
2°) La seconde difficulté est celle de l’intérêt pour agir des tiers contre une décision opposant un refus à leur demande tendant à ce que soient engagées des poursuites contre un opérateur sur le marché régulé.
En excès de pouvoir, l’intérêt pour agir s’apprécie largement, mais il doit être direct, personnel et certain. En contentieux disciplinaire, l’intérêt à agir des tiers est très limité. Le requérant qui se prévaut de sa seule qualité de destinataire du refus d’une autorité administrative d’engager une procédure disciplinaire ne justifie pas d’un intérêt lui donnant qualité pour agir contre cette décision (CE, 27 juillet 2006, Rabah, requête n° 281047). Le Conseil d’État a jugé qu’un enseignant n’a pas intérêt pour agir contre la décision prise par un chef d’établissement de ne pas prononcer une sanction disciplinaire ou de ne pas déclencher une procédure disciplinaire contre un élève (CE Sect., 10 juillet 1995, Laplace, requête n° 170582, p. 302). En effet, la procédure disciplinaire ne donne pas lieu à une relation triangulaire entre l’autorité publique, l’auteur du comportement fautif et la victime de celui-ci. Une telle procédure n’est établie qu’à des fins de répression, et non pas de réparation du dommage causé à la victime.
Cependant, une appréciation des faits de l’espèce a conduit le juge à considérer, contre l’avis du Commissaire du gouvernement, que les requérants, qui se prévalent de leur qualité d’assuré de la société contre laquelle ils souhaitent voir engagée une procédure disciplinaire, ont, dès lors qu’ils interviennent sur le marché soumis au contrôle de l’autorité, un intérêt leur donnant qualité pour contester sa décision. Une telle position, qui accroît la possibilité pour les acteurs du marché de saisir le juge, semble aller dans le sens d’un contrôle accru de l’activité de l’autorité régulatrice. Si l’intensité du contrôle exercé par le juge sur les décisions de refus d’engager une procédure disciplinaire demeure restreinte, les occurrences d’un tel contentieux pourraient se multiplier.